Biais Perceptifs et Attributions Interethniques chez les enfants scolarisés en primaire

BIAIS PERCEPTIFS ET ATTRIBUTIONS INTERETHNIQUES CHEZ LES
ENFANTS SCOLARISÉS EN PRIMAIRE
Laurence Masse, Édith Salès-Wuillemin, Marcel Bromberg, Sophie Frigout, Corinna
Kohler
Presses universitaires de Grenoble | « Revue internationale de psychologie sociale »
2009/2 Tome 22 | pages 5 à 42
ISSN 0992-986X
ISBN 9782706115677
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychologie-
sociale-2009-2-page-5.htm
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REVUE INTERNATIONALE DE PSYCHOLOGIE SOCIALE 2009 N° 2
5
RIPS / IRSP, 29 (2), 5-42 © 2009, Presses universitaires de Grenoble
Résumé
L’étude présentée porte sur les biais
attributifs intergroupes dans un
contexte interethnique. Deux types
de mesure sont utilisés, des mesu-
res explicites et implicites. Ces deux
mesures sont issues d’une analyse
langagière. Les participants sont
des enfants ayant entre 9 et 11ans.
Ils sont confrontés à des photos
mettant en scène un personnage
principal réalisant une action. La
tâche est la production d’un texte
explicatif sur les causes de l’action.
Trois variables sont retenues, posi-
tionnement du groupe (majoritaire
– communauté blanche – ou mino-
ritaire – communauté noire),
origine du personnage cible de l’at-
tribution (endogroupe ou
exogroupe) et nature de l’action
réalisée par ce personnage (posi-
tive ou négative). Les résultats ne
font pas apparaître d’effet de la
variable positionnement du groupe
Abstract
The present study examines inter-
group attribution bias within a
multiracial context. Explicit and
implicit measures, based on
language analysis, were used.
Participants ranged from 9 to 11
years old. Participants were shown
photographs of a character carrying
out an action and were then asked
to write a text explaining the causes
of the action. The three independ-
ent variables were: group status
(majority, i.e. White vs. minority, i.e.
Black), the origin of the target char-
acter (ingroup vs. outgroup), and
the nature of the action (positive vs.
negative). Results show no group
status or interaction effects, whereas
effects were found for the other
two variables, origin of the target
and nature of the action. Differences
emerged in the participants’ treat-
ment of the ingroup vs. outgroup
target in both positive and negative
Mots-clés
Discrimination,
attributions causales,
enfant, analyse de
discours.
Key-words
Discrimination, causal
attributions, child,
discourse analysis
* Laboratoire Parisien de Psychologie sociale : Equipe de Recherche sur la Parole et la Pensée
Sociale (EA4386), Université Paris8, 2 rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis cedex France.
Email : [email protected], Edith.Sales-W[email protected], Marcel.
[email protected], [email protected], [email protected]
Biais perceptifs et attributions interethniques chez
les enfants scolarisés en primaire
Perceptive biases and interethnic attributions in elementary school children
Laurence Masse*
Edith Salès-Wuillemin*
Marcel Bromberg*
Sophie Frigout*
Corinna Kohler*
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BIAIS PERCEPTIFS ET ATTRIBUTIONS INTERETHNIQUES
Introduction
Dans le champ de la discrimination, l’expression des biais percep-
tifs et attributifs intergroupes a évolué. Chez l’adulte comme chez
l’enfant, les résultats plaident depuis une cinquantaine d’années
en faveur d’une décroissance des préjugés négatifs explicites
(Gaertner & Dovidio, 2005). Ce constat s’explique en grande
partie par l’évolution des normes anti-discrimination et des
représentations sociales en matière de reconnaissance et de droit
à la différence ethnique. L’expression des préjugés et stéréotypes
actions. When confronted with a
positive action, both groups showed
ingroup favouritism. It appeared on
an implicit as well as an explicit
level for the majority group partici-
pants, but only on an implicit level
for the minority group participants.
Conversely, when confronted with
a negative action, out-group dero-
gation only appeared on an implicit
level for majority group partici-
pants, whereas it appeared on an
implicit and explicit level for minor-
ity group participants. The discus-
sion underlines the importance of
group membership and moderates
the effects of group status in inter-
group bias studies from the perspec-
tive of the evolution of social norms
and intergroup relationships.
ni d’effets d’interaction ; seules les
variables cible du personnage et
nature de l’action ont un effet. Ces
différences se traduisent dans la
manière de traiter la cible endo-
groupe ou exogroupe lors d’actions
positives ou négatives. Pour les
deux groupes, on observe un biais
d’endofavoritisme lorsque l’action
est positive. Il se marque au niveau
explicite et implicite pour les parti-
cipants issus du groupe majoritaire
(communauté blanche), mais
uniquement au niveau implicite
pour les participants issus du
groupe minoritaire (communauté
noire). À l’inverse, lorsque l’action
est négative, un biais d’exodéfavo-
ritisme apparaît uniquement au
niveau implicite chez les partici-
pants issus du groupe majoritaire,
et au niveau explicite et implicite
chez les participants issus du
groupe minoritaire. La discussion
évalue l’importance de la prise en
compte de l’appartenance groupale
(endogroupe ou exogroupe) et
modère les effets du positionne-
ment du groupe (majoritaire ou
minoritaire) dans l’analyse des biais
intergroupes en relation avec l’évo-
lution des normes sociales et des
rapports intergroupes.
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REVUE INTERNATIONALE DE PSYCHOLOGIE SOCIALE 2009 N° 2
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ethniques, devenue socialement indésirable dans nos sociétés
occidentales, prendrait alors des formes plus déguisées ou plus
implicites (Devine, 1989 ; Judd, Wittenbrink, & Park, 1999 ; Devos ,
2002 ; Devos & Banaji, 2005) que certaines méthodologies
permettant un contrôle des réponses par les sujets ne seraient
plus à même de capturer. C’est dans cette perspective que s’ins-
crit la présente étude. Il s’agit d’analyser, à l’aide d’indicateurs
langagiers, l’influence de l’appartenance groupale (endogroupe
ou exogroupe) et du positionnement (majoritaire ou minori-
taire) des groupes sur les biais perceptifs et attributifs. Ces biais
sont appréhendés chez des enfants dans des situations intereth-
niques qui impliquent des membres des communautés noire
(d’origine africaine) et blanche (d’origine française).
Étude des biais perceptifs et attributifs
Effet de l’appartenance groupale des individus
Les premières recherches montrent l’existence d’un biais proen-
dogroupe, c’est-à-dire un favoritisme de l’endogroupe (Tajfel,
Billig, Bundy, & Flament, 1971). Ce biais se manifeste en réalité
de deux manières (Bourhis & Leyens, 1999 ; Brewer, 1999 ; Salès-
Wuillemin, 2006) qu’il est utile de distinguer : une forme positive,
appelée endofavoritisme et une forme négative, appelée exodé-
favoritisme.
L’endofavoritisme consiste à attribuer aux cibles endogroupes
plus de récompenses ou de qualités désirables qu’aux cibles
exogroupes. En termes attributifs sont mobilisées davantage
d’explications internes lorsque la cible connaît un succès ou
réalise une action désirable. Dans ce cadre plus spécifique, l’en-
dofavoritisme peut prendre la forme d’un biais défensif. Il se
traduit par une focalisation sur des causes externes lorsque la
cible échoue ou réalise une action négative (Taylor & Jaggi, 1974 ;
Islam & Hewstone , 1993).
L’exodéfavoritisme consiste à attribuer aux cibles exogroupes
plus de sanctions et de qualités indésirables qu’à l’endogroupe
(Sachdev & Bourhis, 1984, 1987). Dans le cadre plus spécifique
des attributions causales, il se traduit par la focalisation sur la
responsabilité de l’individu dans le cas d’actions socialement
indésirables (Hunter, Stringer, & Watson, 1991).
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BIAIS PERCEPTIFS ET ATTRIBUTIONS INTERETHNIQUES
Effet du positionnement des groupes sur le biais
proendogroupe
Un nombre croissant de travaux (Deschamps, 1982 ; Sachdev &
Bourhis, 1984) met l’accent sur l’importance du positionnement
majoritaire ou minoritaire des groupes considérés1. Les premières
recherches sur des groupes culturels montrent la présence d’un
endofavoritisme et d’un exodéfavoritisme chez les groupes majo-
ritaires et à l’inverse, un exofavoritisme et un endodéfavoritisme
chez les groupes minoritaires (pour une revue sur la question,
Bonvillain & Huston, 2000). Il y aurait, dans les groupes majori-
taires, une forte identification à l’endogroupe (Kowalski, 2003 ;
Nesdale, Maass, Durkin, & Griffiths, 2005). Les individus recher-
cheraient, grâce à l’endofavoritisme et à l’exodéfavoritisme, le
maintien d’une identité sociale positive (Tajfel & Turner, 1986). Ils
légitimeraient également leur position supérieure ainsi que le
système tout entier qui les avantage, alors qu’à l’inverse, l’exofa-
voritisme des groupes minoritaires traduirait une intériorisation
et une reproduction de la norme sociale majoritaire permettant
un maintien de l’équilibre social (Jost & Banaji, 1994 ; Corneille &
Leyens, 1999).
Les travaux réalisés sur les groupes majoritaires par Mummendey
et ses collaborateurs (Mummendey & Otten, 1998) soutiennent
que le biais proendogroupe se manifesterait plus fréquemment
sous la forme d’un endofavoritisme que d’un exodéfavoritisme.
Pour interpréter ce phénomène, les auteurs avancent plusieurs
hypothèses : l’une d’entre elles s’appuie sur le fait qu’il serait
socialement moins désirable de distribuer des punitions que des
récompenses ; une autre met en avant le fait que les sujets
seraient plus attentifs et rigoureux dans leur jugement lorsqu’il
s’agit de sanctionner que lorsqu’il s’agit de récompenser, la
récompense étant plus facile à justifier socialement. Il n’existe
pas, à notre connaissance, de travaux confirmant cette hypothèse
à partir de dispositifs incluant des enfants membres de la commu-
nauté noire. Les travaux centrés plus spécifiquement sur l’analyse
des préjugés et des stéréotypes, essentiellement dans le domaine
interculturel, soulignent une évolution de la manifestation du
1. Le positionnement majoritaire ou minoritaire peut dépendre de plusieurs facteurs : le
poids numérique, le statut et/ou le pouvoir.
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