Franz Brentano et Carl Stumpf-philosophies

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LE CONTENU ET LA MÉTHODE DES PHILOSOPHIES DE FRANZ
BRENTANO ET CARL STUMPF
Wilhelm Baumgartner
Presses Universitaires de France | « Les Études philosophiques »
2003/1 n° 64 | pages 3 à 22
ISSN 0014-2166
ISBN 9782130534402
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2003-1-page-3.htm
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LE CONTENU ET LA MÉTHODE
DES PHILOSOPHIES DE FRANZ BRENTANO
ET CARL STUMPF
1. Situation du problème du point de vue historique général
et de l’histoire des idées
Deux savants ont été actifs à la faculté philosophique de Würzburg,
dont les recherches ont clairement influencé la psychologie qui s’émancipait
alors en tant que discipline : Franz Brentano et Carl Stumpf.
On présentera ici leurs contributions au développement de la discipline,
leurs recherches, qui en firent de véritables « précurseurs » d’écoles impor-
tantes, ainsi que leurs philosophies selon leur contenu et leur méthode.
Comme l’un et l’autre, en particulier Brentano, furent aussi impliqués dans
les événements politiques ainsi que de politique ecclésiastique, on ne pourra
éviter ici d’esquisser cet arrière-plan, ainsi que l’intervention de Brentano
dans ce contexte.
Autant que possible, nous nous servirons comme sources de Brentano
et Stumpf eux-mêmes, de leur correspondance pour le moment encore iné-
dite, ainsi que de pièces des archives du rectorat et du sénat de l’Université
de Würzburg (ARUW).
1. La controverse sur le rapport de l’Église et de l’État. — En 1864, le pape
Pie IX avait établi, avec son encyclique Quanta cura, un catalogue de 80 pro-
positions présentées comme des « erreurs modernes » (le Syllabus errorum),
dont l’acceptation était caractérisée comme incompatible avec la doctrine
de l’Église. Étaient condamnés par exemple le rationalisme, l’indifféren-
tisme, le socialisme, le communisme. En outre se voyaient refusées la
liberté de conscience, la liberté d’opinion, la liberté de la presse, la souve-
raineté populaire, la forme d’État démocratique et la liberté de religion.
Dans son effort pour défendre les vérités chrétiennes fondamentales
contre les tendances philosophiques à leur dissolution et les idéologies de
remplacement, le magistère ecclésial avait dépassé ses limites et avait for-
mulé des attaques contre la vie politique et sociale tout comme contre la
liberté de la science.
Les Études philosophiques, no1/2003
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Lors de la préparation du concile Vatican I, il y eut, entre les évêques
allemands, ainsi que dans l’opinion publique, des débats très vifs quant à la
justification du dogme.
En premier lieu, il s’agissait du rapport de l’État et de l’Église. En réponse
à une lettre du ministre de l’Intérieur bavarois, chargé des cultes et des écoles,
V. Gresser, au recteur de l’Université de Würzburg, qui le priait de pousser
les facultés de droit et de théologie à prendre position en ce qui concerne
quelques questions posées par le Syllabus, l’ « infaillibilité pontificale » et « la
doctrine des relations entre l’État et l’Église », les juristes de Würzburg firent
état de leur préoccupation eu égard à des « effets indirects ou politiques » et
des « conflits de conscience », et exprimèrent leur crainte que, au cas où
la souveraineté de l’État serait subordonnée à l’autorité du pape et où toutes les lois
existantes de nos États qui peuvent contredire les vues développées dans le Syllabus
et celles du Pape présenté comme infaillible seraient changées, ce ne serait pas seu-
lement le fondement du présent droit politique, mais encore l’État moderne lui-
même et tout ce qui repose sur lui, qui serait anéanti (ARUW, n. 20).
Le dogme proclamé en définitive irrita les protestants et divisa les
catholiques.
2. L’attitude anti-impérialiste de Franz Brentano et Carl Stumpf. — Franz
Brentano fut, tout au long de sa vie, opposé à toute forme d’ « absolu-
tisme », dans les communautés politiques, religieuses et scientifiques (ainsi
qu’à la Prusse et ses « philosophes d’État » Kant et Hegel). Carl Stumpf
aussi exprima des réserves politiques massives, qu’il abandonna toutefois
quelques années après avoir été appelé à son poste à Berlin.
À propos des événements de 1870-1871, Stumpf écrit (1919, 113) :
« La... guerre... en France... n’éveilla en nous aucune exaltation patrio-
tique... »
Mais les aspects privés ou historiques, si intéressants qu’ils puissent être
dans la biographie de l’un comme de l’autre, Brentano et Stumpf, ne
gagnent leur signification que du fait de l’interpénétration logique des pro-
blèmes d’un point de vue scientifique.
2. Le jeune savant Franz Brentano
Ce n’est que le 14 juillet 1866 que Franz Brentano se montra à
l’Université de Würzburg pour la première fois de façon un peu durable. Il
avait soumis à la faculté de philosophie son écrit d’habilitation, « La psycho-
logie d’Aristote ». Le rapport au sénat précise que cet écrit « a le premier
rang parmi tous les travaux déposés auprès de cette faculté de philosophie
en un demi-siècle » (ARUW, no389).
Pour la soutenance d’habilitation, le « tournoi » (C. Stumpf), Brentano
avait dressé une liste de 25 thèses en latin, à propos desquelles la discussion
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eut lieu en allemand. La plus impressionnante, et la plus déterminante pour
l’avenir de la philosophie et de la psychologie – pas seulement celle de Bren-
tano –, était la IVe:Vera philosophiae methodus nulla alia est nisi scientiae naturalis.
Cette thèse, par-dessus le marché venant d’un prêtre, comme l’était Bren-
tano, stupéfia l’auditoire. La défense des thèses, qui dura une heure et
demie, permit à Brentano
de montrer la sagacité de son esprit, la clarté et la précision de ses concepts, la faci-
lité avec laquelle il comprenait des idées qui lui étaient étrangères, la sûreté de ses
développements, le caractère réellement scientifique de sa méthode, ainsi que la
multiplicité des aspects de sa connaissance de la philosophie et des sciences exactes
(ARUW, no389).
Les représentants du sénat en vinrent à la conclusion « que la faculté de
philosophie, en la personne du DrBrentano, gagnerait un enseignant pro-
ductif et qui donnerait une véritable impulsion » (ARUW, no389).
À l’événement public de l’habilitation avait également assisté l’étudiant
en droit (jurisprudence) Carl Stumpf, qui prit alors la décision d’aller écouter
les futurs cours de Brentano en philosophie.
Le succès de Brentano comme enseignant fut énorme. Pourtant, à peine
nommé, il pensait déjà à démissionner de sa chaire. Il écrit à Stumpf :
Et là, je pensai à vous. Je pensai que si vous vous habilitiez là, alors, naturelle-
ment, vous devriez... hériter de ma chaire.
Et en définitive l’appel à Carl Stumpf fut lancé effectivement le 22 juil-
let 1873.
Pourquoi Brentano abandonna-t-il si vite sa chaire, après tous les efforts
déployés, comme on l’a dit, pour l’obtenir ?
On n’a toujours pas, jusqu’ici, mentionné un fait : Brentano prenait très
activement part – mais pas publiquement – aux discussions préparatoires de
Vatican I. C’était lui qui, à la demande de l’évêque Ketteler, avait rédigé le
memorandum pour la conférence des évêques de Fulda (« Quelques remar-
ques sur la question : Est-il opportun de définir l’infaillibilité pontificale?»:
Brentano, 1869), dans lequel il en arrivait à la conclusion qu’il n’était ni
motivable historiquement ni justifié logiquement d’ériger en dogme l’in-
faillibilité. Les évêques allemands firent leurs les arguments de Brentano,
mais furent « retournés » à Rome. Mais Brentano, lui, tint bon sur sa
position.
Stumpf écrit, à ce propos :
Les motifs de Brentano étaient exclusivement de nature théorique, ils ne
tenaient à rien d’autre qu’aux contradictions internes de la doctrine de l’Église.
Brentano se consacre alors entièrement à la finition de la Psychologie au
point de vue empirique, cela aussi en raison du signe qui lui est donné d’un pos-
sible appel sur un poste à Vienne. « La sortie prochaine d’un gros livre qui
soit reconnu, contribuera beaucoup à emporter la décision » (Brentano à
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Stumpf, 4 novembre 1874). Le 15 novembre 1873, il écrit à Stumpf depuis
Aschaffenburg :
J’en suis déjà aux révisions, et je cherche à les accélérer autant que possible, car
je voudrais donner le tout à l’impression début janvier. Mais d’ici là, de toute façon,
nous nous reverrons, et je vous laisserai avoir une vue complète de ce travail du suc-
cès duquel ce n’est pas peu qui dépend, non seulement pour moi, mais encore pour
ceux qui partagent mon orientation.
En janvier 1874, la nomination de Franz Brentano comme professeur
ordinaire de philosophie à l’Université de Vienne fut couronnée de succès.
Avec Stumpf à la chaire de Würzburg, la réorientation de la philosophie (et,
par là, de la psychologie) pouvait se déployer.
3. Carl Stumpf comme successeur de Brentano
Carl Stumpf avait commencé ses études à l’Université de Würzburg lors
du semestre d’hiver 1865. Il vit et entendit Brentano pour la première fois
le 14 juillet 1866 lors de la dispute publique d’habilitation à Würzburg à
laquelle assista un public nombreux.
C’était une époque agitée. Le même jour fit rage la bataille près
d’Aschaffenburg, notre patrie commune... La façon dont Brentano défendit et
explicita ses thèses révéla une telle supériorité sur ses objecteurs, que je me jurai
bien d’aller assister à ses cours pour l’hiver. Derrière chacune de ces thèses il y
avait... une théorie pesée avec soin. En particulier, nous nous réjouissions de ce qu’il
ne revendique pour la philosophie aucune autre méthode que celle des sciences de
la nature, et qu’il fonde là-dessus ses espoirs de renaissance de la philosophie.
C’était une conception nouvelle, incomparablement plus profonde et sérieuse de la
philosophie (op. cit., p. 87 sq.).
À côté des cours de Brentano, Stumpf assista aussi à des cours « de
sciences, conformément à l’importance qu’il [Brentano] leur reconnaissait
pour la philosophie, que cela soit du point de vue du contenu ou de la
méthode » (Stumpf, 1924, p. 208).
Pour le semestre d’hiver 1867-1868, Stumpf se rendit, sur le conseil de
Brentano, à Göttingen auprès de Lotze. Après son doctorat en août 1868,
Stumpf revint à Würzburg, afin de poursuivre ses études de philosophie
auprès de Brentano.
Stumpf se tourna de nouveau en 1870 vers Göttingen, et Lotze, et
s’habilita là dès octobre 1870, avec un écrit sur les axiomes mathématiques.
Stumpf exerça comme Privatdozent à Göttingen, ses cours compre-
naient la « philosophie ancienne » et la logique, ce en quoi il s’appuyait sur
ses notes des cours de Brentano de la période de Würzburg (lettre à Bren-
tano du 25 avril 1871 : « ... comme le cours m’est beaucoup facilité par la
transcription du vôtre »), mais il consacra la plus grande part de son énergie
à des recherches scientifiques. Il écrit :
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