LE NON-ART
Il a en commun avec l’anti-art une contestation de l’art en tant que mode d’expression
et le rejet de son principe considéré comme périmé, inadapté à notre époque. [p.18] En
revanche, le non-art veut instaurer un nouveau langage plastique et remplacer l’art. Galeries,
musées, publicité, constituant un circuit culturel et commercial nouveau, ont
considérablement aidé le mouvement à proliférer, accentuant l’ambiguïté initiale.
Une négation se comporte en affirmation. Là où l’art est exécuté, surgit son simulacre.
Les critères esthétiques réfutés sont invoqués pour justifier la réfutation. Un acte
insuffisamment assumé, ni art, ni anti-art tient la scène. C’est la parodie de l’art qui se joue.
Un non-art est produit, vendu et défendu par ses exégètes comme si c’était de l’art. [p.19]
Parmi toutes les appellations de ce non-art, “pop-art” est celle qui correspond le mieux
à la réalité du phénomène sociologique. Il illustre bien le transfert vers une culture populaire,
avec ses propres circuit (communication de masse) et sa propre tradition d’images (réclame,
enseignes lumineuses, BD). L’erreur vient d’avoir réintroduit sous forme d’art, ces
manifestations dans le circuit de culture supérieur (musées, galeries) alors que leur place était
dans la rue.
[...] ce mouvement circulaire contourne l’art et l’élude. L’artiste, par définition,
créateur d’images se désigne comme consommateur d’images. C’est l’autonivellement
délibéré. [p.20]
Par volonté de rapprocher l’art et le public, l’artiste transpose des images quotidiennes
dans le contexte de l’o d’art. Ces images détournées, isolées, acquièrent involontairement un
sens différent : nées d’une volonté de nivellement, elles deviennent une réaction contre ce
nivellement, et il y a confusion entre une réaction de spectateur et l’émotion esthétique.
L’artiste, débarrassé de toutes les exigences spécifiques du langage de l’art, croit trouver la
liberté dans ce qui n’est que l’arbitraire. L’o peut être tout et n’importe quoi. Le bébé exposé
au Salon de mai. L’eau verte du Canal Grande. Le portrait flottant de Che Guevara. [p.21]
(œuvres décrites dans l’introduction)
avec la récupération du pop’art par l’ordre établi, abolition de la notion d’avant-garde
(Marcuse)
La quasi-totalité des formes que revêt le non-art se rejoignent en 3 points :
- utilisation de procédés propres à la société industrielle, surimpressions mécaniques, lumière
électrique, néon, une longue liste de trouvailles de bricoleurs, d’expédients éphémères. [p.22]
- un caractère incongru malgré leur réalisme outrancier, qui naît de leur improductivité
- une “dénonciation” de l’objet unique (thème récurrent de l’accumulation, de la répétition, de
la série).
Aussi diverses que soient ces tendances, dans le foisonnement actuel [...] le non-art est
en réalité une des formes que prend l’affrontement entre l’art et la société de consommation.
Le rythme de l’art est par définition lent, à tous les niveaux (initiation, apprentissage,
exécution, communication). Il est irréductible aux lois de la production, et reste au contraire le
lieu de retranchement de l’homme.
L’avalanche de non-art a porté ses fruits là où ceux-ci devaient venir : dans la rue,
donnant un élan de hardiesse et d’invention aux étalages, à la publicité, aux enseignes
lumineuses.