https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/revue-le-sociographe-2020-4-page-36.htm 4/13
Ce point nous renvoie à l’importance de penser la médicalisation dans sa complexité et
donc avec d’autres traits qui caractérisent nos sociétés contemporaines. Nous pouvons
mentionner par exemple l’autonomisation et la responsabilisation de l’individu, en tant
que nouvelle normativité sociale propre à l’individualité contemporaine, mais aussi la
participation ou encore la formalisation des rapports sociaux. Plus précisément, la
psychologisation de la société est un autre trait souvent relevé pour ce qui est de
l’intervention sociale. Martuccelli (2011, p. 16) évoque à ce sujet l’importance accordée
aux états subjectifs qui seraient devenus des éléments majeurs de la perception
collective et ce, depuis la fin du XIX siècle. Il précise que nous assistons désormais à
«la consolidation de modes d’intervention qui sollicitent activement la subjectivité des
individus», ainsi qu’à «une vulgarisation plus ou moins généralisée du langage
psychologique» (ibid., p. 23). D’autres chercheurs parlent également d’individualisation
de l’accompagnement social. L’intervention sociale tendrait selon eux vers une prise en
charge de plus en plus individualisée, mais aussi personnalisée et singularisée,
cherchant à correspondre au plus près à la personne — traits, ressources, dificultés, etc.
(Bresson, 2006; Bresson, 2012) [1]. Ceci ne va pas sans ambiguïté. En efet, une telle
approche prend pour objet l’individu lui-même, se fixant principalement sur sa
trajectoire et son état, et porte le risque de ne rendre compte que partiellement d’une
réalité complexe. On en vient ainsi à activer les capacités et ressources de l’individu en
lui demandant un travail sur soi, ainsi que de s’adapter à un contexte et à des structures
elles-mêmes problématiques et génératrices de soufrances. Cette exigence de
transformation des individus participerait d’une tendance globale des politiques
sociales depuis les années 1980 qui entendent activer et mobiliser les personnes par les
principes d’autonomisation et de responsabilisation, sans interroger le temps, les
moyens et opportunités à disposition, les structures elles-mêmes, ni ces deux principes,
tant dans la définition qui leur est donnée que dans leur application. Si l’on suit Bresson
(2012, pp. 72-73), nous serions là en présence d’une «nouvelle manière de penser la
gouvernementalité à partir d’un traitement (de masse) des individus», qui prendrait
des formes incitatives, coercitives, mais aussi moralisatrices.
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Par ailleurs, une telle gouvernementalité doit être reliée au concept de sécurité, autre
trait essentiel de nos sociétés actuelles. Gouverner, comme le relève Foucault
(Gutknecht, 2016, pp. 175-177), consiste à exercer un pouvoir visant à réguler les
conduites individuelles ainsi qu’à structurer le champ d’action d’autrui. Mais, si la
gouvernementalité suscite la liberté des individus, le fait même d’instituer ces libertés
ouvre un risque de démesure et de dysfonctionnement individuel et collectif, ce qui
donne lieu paradoxalement à la mise sur pied de dispositifs de sécurité. De tels
dispositifs sont acceptés par les acteurs, qui sont conditionnés à éprouver leur existence
et l’avenir comme étant porteurs de dangers. Cette articulation entre liberté et sécurité
exige d’être pensée dans toute sa complexité, notamment dans le travail social au sein
duquel des outils de contrôle et de sécurité sont parfois instaurés de manière à ce
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