L'ENTREPRENEURIAT ORGANISATIONNEL Enjeux et perspectives Olivier Basso, Alain Fayolle Lavoisier | « Revue française de gestion » 2009/5 n° 195 | pages 87 à 91 ISSN 0338-4551 ISBN 9782746224766 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2009-5-page-87.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- © Lavoisier | Téléchargé le 04/04/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.108.110.34) Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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D’une part, l’entrepreneuriat organisationnel – traduction de plusieurs expressions de langue anglaise (intrapreneurship, corporate venturing, corporate entrepreneurship…), souvent utilisées, mais non exactement synonymes – désigne un phénomène qui apparaît de plus en plus au cœur des préoccupations de nombreuses entreprises. Le qualificatif d’« entrepreneurial » semble désormais paré de toutes les vertus : les grandes entreprises innovantes sont souvent P caractérisées de cette manière, leur taille et leur histoire ne semblant pas avoir épuisé leurs forces créatrices et la vitalité de leurs commencements. Les administrations publiques mêmes (hôpitaux, universités, etc.) sont couramment incitées à se comporter de la sorte. D’autre part, les salariés de l’entreprise ne connaissent que trop bien les exhortations à agir en entrepreneur, à développer un « esprit start-up » pour faire face aux changements incessants qui affectent l’organisation de leur travail (périmètre mouvant des missions, contenu évolutif des tâches, échéances glissantes, collaboration transversale, mode projet, etc.). DOI:10.3166/RFG.195.87-91 © 2009 Lavoisier, Paris © Lavoisier | Téléchargé le 04/04/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.108.110.34) Enjeux et perspectives Revue française de gestion – N° 195/2009 © Lavoisier | Téléchargé le 04/04/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.108.110.34) Ces changements de postures, au niveau des organisations et de leurs employés, ne sont pas nouveaux. Ils font l’objet d’études et de recherches en management depuis la fin des années 1970 alors que se constituent dans les grandes entreprises américaines les premières unités de corporate venturing. Selon Bouchard (2009, p. 1), le premier article1 consacré au corporate entrepreneurship paraît en 1969 et le premier ouvrage2 dédié au corporate venturing en 1978. Entre temps, deux articles de Norman Macrae parus dans The Economist3 en 1976 et en 1982 annonçaient la montée du phénomène. De même qu’un article d’Octave Gélinier publié, en 1978, dans la Revue française de gestion, dans lequel il affirmait : « Les pays, les industries, les entreprises qui innovent et se développent sont ceux qui pratiquent l’entrepreneuriat. Les statistiques des 30 dernières années sur la croissance, les exportations, les innovations brevetées le démontrent clairement: cela coûte très cher de se passer des entrepreneurs » (Gélinier, 1978, p. 9). Mais la vogue du terme « intrapreneurship » et sa visibilité médiatique ont été assurées par le best-seller de G. Pinchot, Intrapreneuring (Pinchot, 1985), qui constitue assurément le manifeste de l’entrepreneuriat organisationnel, présenté voire exalté à travers une galerie de portraits d’intrapreneurs, véritables héros de l’innovation au sein de grandes organisations souvent rétives au changement. Depuis, plusieurs revues généralistes, comme Strategic Management Journal ou spécialisées, comme Entrepreneurship Theory & Practice et Journal of Business Venturing, ont proposé à une ou deux reprises, à partir du début des années 1990, des dossiers ou des numéros spéciaux sur ce thème. En France et dans les pays francophones, mis à part quelques livres et articles isolés4, le domaine semble encore peu couvert et vraisemblablement mal connu. L’objectif de ce numéro spécial est donc double. Il s’agit tout d’abord, de mieux faire connaître cette notion d’entrepreneuriat organisationnel, de souligner les liens qu’elle entretient avec d’autres notions, telle que l’innovation, et d’autres disciplines, de situer les principaux enjeux et d’indiquer quelques perspectives de développement. Le présent dossier regroupe cinq contributions qui s’inscrivent dans le cadre de cette démarche. Les trois premières s’intéressent à différentes facettes du phénomène en le reliant notamment à des problématiques proches telles que les communautés de pratique (Blanchot-Courtois et Ferrary), l’innovation durable (Ronteau et Durand) ou la revitalisation des activités (Hernandez). Les deux dernières contributions questionnent la solidité du champ en pointant l’historicité du phénomène étudié (Hatchuel, Garel, Le Masson et Weil) ou en examinant les conditions de validité d’un de ses concepts clés, l’entrepreneuriat organisationnel (Basso, Fayolle et Bouchard) L’article initial de Valérie BlanchotCourtois et Michel Ferrary, « Valoriser la R&D par des communautés de pratique d’intrapreneurs » apporte immédiatement 1. Westfall (1969, p. 235-246). 2. Norman D. Fast, The rise and fall of corporate new venture divisions, UMI Research Press, Ann Arbor, Mich., 1978. 3. Macrae (1976) et Macrae (1982, p. 67-72). 4. Signalons l’exception notable d’un dossier de l’Expansion Management Review (n° 125, été 2007) et d’une série d’articles sur le sujet parus dans le journal Les Échos en juin 2007. © Lavoisier | Téléchargé le 04/04/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.108.110.34) 88 © Lavoisier | Téléchargé le 04/04/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.108.110.34) un contenu concret à la notion d’intrapreneuriat en examinant précisément un dispositif innovant, « Coup de pousse », élaboré par Gaz de France afin de développer des compétences intrapreneuriales. Le recours au prisme des communautés de pratiques permet aux auteurs de proposer une explication rigoureuse de la démultiplication possible de comportements initialement perçus comme déviants. En effet, « au niveau collectif, la création d’une communauté d’innovateurs partageant des pratiques, des normes et des valeurs communes permet de constituer un groupe porteur d’une sous-culture intrapreneuriale qui, dès lors qu’il atteint une taille critique, s’auto-renforce et se diffuse au sein de l’organisation (…) Plus la nouvelle pratique est déviante des pratiques existantes et plus la dimension communautaire est importante pour faire émerger, réifier et diffuser les nouvelles connaissances et favoriser les processus d’identification des acteurs. ». La problématique se déplace lorsque l’on s’interroge sur la persistance de la dynamique d’innovation au travers du temps et au-delà de la création initiale, marque de l’entrepreneuriat indépendant. La contribution de Sébastien Ronteau et Thomas Durand, « Comment certaines organisations innovent dans la durée » vise à analyser le phénomène en travaillant à partir de quatre cas d’entreprises (Dassault Systèmes, L’Oréal, Salomon, Groupe SEB). Partant d’une liaison intime entre innovation et entrepreneuriat individuel, leurs travaux suggèrent « que les processus d’émergence d’une capacité à innover dans la durée s’agencent autour d’un travail d’institutionnalisation de l’innovation et de l’entrepreneuriat organisationnel ». Le jeu des interactions répétées et les manipulations 89 symboliques des dirigeants et du management dans l’animation d’une vision stratégique stimulante permettent l’élaboration cohérente des perceptions des acteurs internes et assoit la vraisemblance sociale d’une « culture pour l’innovation ». Une semblable conviction sous-tend l’étude, « Le réentrepreneuriat comme alternative à la restructuration classique d’entreprise », menée par Émile-Michel Hernandez qui s’emploie à montrer comment les démarches de redressement d’entreprises en difficulté peuvent se distribuer entre approche classique de restructuration et réinvention de l’entreprise. C’est ce phénomène de renouveau stratégique qui est analysé à travers l’étude approfondie de 11 cas d’entreprises. L’auteur met alors en évidence un processus spécifique, qu’il nomme réentrepreneuriat, et qui se déploie en quatre temps (signal, vision, convention et finalisation). Le signal peut être assimilé à une prise de conscience des dirigeants de la gravité de la situation et du besoin de changement. La vision suit la prise en compte des signaux perçus et institue le comportement entrepreneurial comme la logique dominante de changement. Le temps de la convention marque la volonté du top-management de faire adhérer les parties prenantes internes et externes au projet de changement. Enfin, la finalisation est le passage à l’acte, la mise en œuvre des décisions de réentrepreneuriat. Selon l’auteur, le réentrepreneuriat est l’une des formes que peut prendre le processus entrepreneurial dans les organisations existantes. Les deux dernières contributions portent un regard critique sur la littérature déjà produite sur le sujet, en interrogeant le sens de l’objet étudié et en questionnant la solidité d’un de ses concepts clés. Dans la première, intitulée, « L’intrapreneuriat, compétence © Lavoisier | Téléchargé le 04/04/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.108.110.34) L’entrepreneuriat organisationnel Revue française de gestion – N° 195/2009 © Lavoisier | Téléchargé le 04/04/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.108.110.34) ou symptôme ? Vers de nouvelles organisations de l’innovation », Armand Hatchuel, Gilles Garel, Pascal Le Masson et Benoît Weil s’interrogent sur le sens du phénomène intrapreneurial analysé comme la réussite organisationnelle d’une innovation portée par un champion en lutte avec la structure. Les auteurs replacent dans un premier temps cette approche héroïque de l’innovation en perspective et montre comment elle constitue à leurs yeux un symptôme de l’inadéquation actuelle des dispositifs d’innovation (modèles de conception réglée) au sein des entreprises modernes. Une telle lecture s’efforce alors de réinterpréter l’intrapreneuriat comme l’indice d’une faiblesse structurelle de l’organisation que tente de pallier telle ou telle initiative isolée rejoignant en cela les critiques de Ghoshal et Bartlett (1995) conjurant « the myths of internal venturing and “intrapreneurship” that have already been debunked in practice ». L’analyse débouche ici sur la proposition de nouveaux principes d’organisation de l’innovation ou pour reprendre l’expression des auteurs, de « nouveaux régimes de la conception ». Le second article critique, « L’Orientation entrepreneuriale, histoire de la formation d’un concept » (Basso, Fayolle et Bouchard) porte le regard sur l’un des concepts clés de la littérature sur l’intrapreneuriat, l’orientation entrepreneuriale. Il donne lieu à une relecture de la genèse de ce concept et par là même à une première évaluation de sa cohérence conceptuelle. Il met notamment en évidence les aléas d’un processus de construction du concept en discernant plusieurs phases et en indiquant les déplacements de sens que subit le construit au cours de ses reprises et applications. Ce retraitement conceptuel a pour effet d’altérer le sens initial et de le complexifier. Les auteurs prônent donc in fine un retour aux fondements sans se perdre dans des distinctions qui ne peuvent donner lieu à opérationalisation. En conclusion, si l’ensemble des contributions présentées répond aux deux objectifs, d’exploration et de réflexion critique, que nous avons préalablement annoncés, les apports de ce dossier ne sauraient à eux seuls porter sur l’ensemble des enjeux de l’entrepreneuriat organisationnel et en esquisser de manière exhaustive les perspectives d’évolution. C’est pourquoi nous formulons le souhait que ce travail thématique puisse conduire d’autres chercheurs et praticiens à entrer dans la conversation ainsi initiée afin de susciter d’autres questionnements ou d’apporter de nouvelles pièces au dossier. BIBLIOGRAPHIE Gelinier O., « Renaissance de l’esprit d’entreprise », Revue française de gestion, n° 16, 1978, p. 9. Ghoshal et Bartlett, “Building the entrepreneurial corporation: New organizational processes, new managerial tasks”, European Management Journal, vol. 13, n° 2, June 1995, p. 139-155 Macrae N., “The Coming Entrepreneurial Revolution: a survey”, The Economist, December 1976, p. 42 © Lavoisier | Téléchargé le 04/04/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.108.110.34) 90 L’entrepreneuriat organisationnel 91 © Lavoisier | Téléchargé le 04/04/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.108.110.34) © Lavoisier | Téléchargé le 04/04/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.108.110.34) Macrae N., “We’re All Intrapreneurial Now”, The Economist, 283, April 17, 1982, p. 67-72. Norman D. Fast, The rise and fall of corporate new venture divisions, UMI Research Press, Ann Arbor, Mich., 1969. Pinchot, G., Intrapreneuring: Why You Don’t Have to Leave the Corporation to. Become an Entrepreneur, New York, Harper & Row, 1985. Westfall S. L., “Stimulating corporate entrepreneurship in U.S. industry”, The Academy of Management Journal, vol. 12, n° 2, 1969, p. 235-246.