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ECONOMIE DU BIEN-ÊTRE, CHOIX SOCIAL ET L'INFLUENCE DE LA
THÉORIE DE LA JUSTICE
Valérie Clément
Presses de Sciences Po | « Raisons politiques »
2009/1 n° 33 | pages 57 à 79
ISSN 1291-1941
ISBN 9782724631487
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2009-1-page-57.htm
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dossier
VALÉRIE CLÉMENT
Économie du bien-être,
choix social et l’influence
de la Théorie de la justice
SIL EST UNE QUESTION D’ACTUALITÉ QUI TRAVERSE
les sphères académiques pour faire l’objet d’un
débat public, c’est bien celle de la définition d’un
indicateur du bien-être national alternatif au produit intérieur brut.
Les manifestations institutionnelles de l’intérêt porté à la définition
et à la mesure du bien-être social ne manquent pas. L’initiative
internationale menée par l’OCDE pour « mesurer et favoriser le
progrès des sociétés » est relayée au niveau de l’Union européenne
qui porte le projet d’un indicateur de développement soutenable
pour 2009. En France, une commission, installée en janvier 2008
par le Président de la République, présidée par Joseph E. Stiglitz,
dont fait partie Amartya Sen, a été chargée par le Président de
réfléchir aux « limites du produit national brut comme critère de
mesure de la performance économique et du bien-être ». La pré-
sence de deux Nobel d’économie dans la commission rappelle si
besoin était que cette question interroge le cœur de la théorie éco-
nomique puisqu’elle concerne les fondements du choix social et la
mesure du bien être individuel. Paradoxalement, c’est bien dans ces
domaines que réside l’influence la plus intéressante de John Rawls
et de sa Théorie de la justice en économie. D’où vient le paradoxe ?
Pour la vaste majorité des économistes, l’héritage de Rawls dans la
théorie économique, est incarné par le critère de choix collectif que
Raisons politiques,n
o33, février 2009, p. 57-80.
©2009 Presses de Sciences Po.
09-03-04119615-PAO
L : 164.991
- Folio : q57
- H : 249.992 - Couleur : Black
- Type : qINT 12:00:17
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représente le « maximin » : l’évaluation sociale d’une distribution
des richesses est calée sur le niveau de bien-être individuel le plus
faible atteint dans cette distribution. Le décideur public choisit la
distribution qui maximise ce niveau minimum. La littérature éco-
nomique parle d’objectif rawlsien dès lors que toute la pondération
est placée sur l’individu le plus défavorisée pour définir un critère
de choix social. Pourtant, cette rencontre entre Rawls et les écono-
mistes est fondée sur un malentendu puisque le critère du maximin
est utilisé par les économistes sur des fonctions d’utilité alors que
Rawls prévoit qu’il s’applique aux biens sociaux premiers. La propo-
sition de Rawls concernant la mesure du bien-être à partir du panier
des biens premiers détenus a fait l’objet de vives critiques de la part
des économistes à la parution de la Théorie de la justice. Ce n’est
donc pas le moindre des paradoxes que de voir resurgir les questions
soulevées par Rawls sur la métrique du bien-être dans les débats
relatifs à la construction d’un indicateur du bien être social.
L’article revient dans une première partie sur le malentendu
originel entre Rawls et les économistes concernant le maximin. La
seconde partie montre comment la proposition de Rawls relative à
la construction d’un indice de biens premiers permet de remettre
en perspective les débats actuels sur les limites du produit intérieur
brut comme indicateur du bien-être social.
1. Le maximin rawlsien et les économistes : le malentendu initial
Pour obtenir un indice synthétique du bien-être social 1,la
première étape consiste à préciser selon quels attributs vont être
mesurées et comparées les situations des individus dans un état
socio-économique donné. La « métrique » retenue comme support
des comparaisons interpersonnelles est en effet fondamentale
puisqu’elle permet de spécifier les conditions dans lesquelles un
individu est considéré comme défavorisé ou plus mal loti que les
1. On utilise dans ce texte, de façon synonyme les termes d’« indice synthétique de bien-
être social », « fonction de bien-être social », « préférences sociales ». Les économistes
construisent une fonction de bien-être social pour évaluer les différents états socio-
économiques – définis comme des répartitions des ressources et de bien-être entre les
individus – et dire quel est celui qui parait le plus désirable pour la société du point
de vue de la justice distributive. Cette règle d’évaluation sociale associe à chaque état
socio-économique, une mesure synthétique du bien-être collectif et le décideur public
choisit l’option qui permet de maximiser le niveau de cet indice.
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- Folio : q58
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autres. On sait que la réponse de Rawls à cette question tient dans
la métrique des biens premiers 2. Rawls propose de mesurer la posi-
tion des individus à partir des biens premiers sociaux détenus et le
maximin s’applique dans sa logique sur un indice de biens premiers.
Pourtant, cette réponse est largement ignorée par les économistes
et ceci depuis les premiers commentateurs, au premier rang desquels
Kenneth J. Arrow. Dans son article de 1973 3consacré à la Théorie
de la justice, Arrow retient un maximin en utilités lorsqu’il présente
les principes de justice de Rawls et les compare au principe utili-
tariste 4. Cette interprétation est popularisée ensuite notamment par
Phelps 5pour les questions de fiscalité et par Okun 6. Elle caractérise
aujourd’hui la conception de l’objectif rawlsien tel qu’il est défini
dans les manuels standard d’économie 7. La raison de ce malentendu
est en fait fort simple : le maximin sur les utilités est compatible
avec le cadre welfariste du choix social qui constitue la tradition
dominante en économie normative. Le premier paragraphe présente
les hypothèses principales du welfarisme selon lequel, en un mot,
le bien-être social est défini uniquement par référence à une éva-
luation subjective du bien-être des individus. Le deuxième para-
graphe rappelle les principales critiques adressées au welfarisme ainsi
que le rôle précurseur de Rawls, à travers la métrique des biens
premiers, dans le développement de ces critiques.
2. John Rawls, Théorie de la justice, trad. de l’angl. par Catherine Audard, Paris, Seuil,
1987 ; J. Rawls, « Social Unity and Primary Goods », in Amartya Sen et Bernard
Williams (dir.), Utilitarianism and Beyond, Cambridge University Press, Cambridge,
1982, p. 159-185 (« Unité sociale et biens premiers », trad. de l’angl. par Marc Rüegger,
dans ce volume de Raisons politiques, p. 9-44).
3. Kenneth J. Arrow, « Some Ordinalist-Utilitarian Notes on Rawls’s Theory of Justice »,
The Journal of Philosophy, vol. 70, no9, 1973, p. 245-263.
4. « Rawls (...) derives the statement that society should maximize min ui », Kenneth J.
Arrow, ibid., p. 251.
5. Edmund S. Phelps, « Taxation Of Wage Income For Economic Justice », The Quaterly
Journal of Economics, vol. 87, no3, 1973, p. 331-354 ; E. S. Phelps, Economic Justice :
Selected Readings, Hardmondsworth, Penguin, 1973.
6. Arthur M. Okun, Equality and Efficiency : The Big Trade-Off, Washington, The Broo-
kings Institution, 1975.
7. Cette interprétation du principe de maximin de Rawls n’est pas retenue par les auteurs
qui travaillent en économie de la justice et en économie normative. Kolm propose
ainsi d’abandonner l’adjectif « rawlsien » pour caractériser le maximin en utilités :
Serge-Christophe Kolm, « L’économie normative de la distribution de la taxation opti-
male », Centre de recherche en économie et management (CREM), université de
Rennes 1, 2007.
Économie du bien-être, choix social et l’influence... –59
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1.1. Les fondements welfaristes du choix social en économie
La première propriété du choix social en économie tient dans
ses fondements individualistes : une politique est évaluée unique-
ment à partir de ses effets sur le bien-être des membres de la société.
Le critère de choix social est construit à partir de la liste des indices
individuels de bien-être. Cette propriété est quelquefois qualifiée
de non-paternalisme pour rappeler que le décideur social ne mani-
feste pas de préférence spécifique entre les différentes options de
répartition possibles ; lorsque tous les membres de la société sont
indifférents entre deux politiques (parce qu’ils y bénéficient d’un
bien-être identique), celles-ci sont jugées équivalentes du point de
vue du choix social.
Une seconde propriété vient compléter le non-paternalisme.
Il s’agit du principe de Pareto, principe central en économie du
bien-être, selon lequel la fonction de bien-être social est « croissante
en chacun de ses arguments » ; autrement dit dès lors qu’une poli-
tique bénéficie à tous les membres de la société, elle définit une
situation « meilleure » et donc préférée sur le plan social 8.
Ces propriétés relèvent pour les économistes de la simple évi-
dence et apparaissent comme des principes non controversés : qu’est
ce qui pourrait justifier de s’opposer à une réforme qui fait l’una-
nimité et dont chacun tire son parti 9(principe de Pareto) ? Quel
autre fondement que le bien-être des individus pourrait-on trouver
au bien-être social ? En effet, les droits, les libertés, par exemple,
n’ont pas de valeur intrinsèque qui pourrait justifier que ces consi-
dérations interviennent dans le choix social, indépendamment de
leur influence sur le bien-être : c’est en un mot ce qu’implique
l’hypothèse welfariste. Cette hypothèse se présente donc d’abord
comme une contrainte informationnelle dans l’évaluation sociale.
Pour cerner l’ampleur de cette contrainte, il faut répondre à
une autre question : si le bien-être individuel est la seule référence
admise dans le choix social, comment est-il défini ?
8. Il s’agit ici de la version faible du principe de Pareto. Il existe une version forte selon
laquelle lorsqu’une politique est bénéfique pour au moins un individu et qu’elle ne
change rien pour les autres, alors elle définit une situation « meilleure » qui est préférée
socialement.
9. Pour avoir une idée des controverses suscitées par ce principe « non controversé », voir
Marc Fleurbaey, Théories économiques de la justice, Paris, Economica, 1996 ; Daniel
M. Haussman et Michael S. McPherson, Economic Analysis and Moral Philosophy,
Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
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