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Crise du Covid-19

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La crise économique & financière Covid-19 : quelques repères de réflexion
Preprint · April 2020
DOI: 10.13140/RG.2.2.14900.40323
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Ajili Wissem
Eslsca Paris Business School
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La crise économique & financière Covid-19 :
quelques repères de réflexion
Wissem AJILI1
La crise Covid-19 baptisée par le FMI, The Great Lockdown et traduit en Français par le Grand
Confinement serait probablement la crise économique et financière la plus violente jamais connue
auparavant par l’économie mondiale. Le FMI a d’ores et déjà, précisé qu’il ne s’agit plus d’une simple
crise mais d’une véritable récession économique, ce qui laisserait présager l’inscription de la crise dans
la durée.
Cet article est une mise au point de la situation économique et financière de l’économie mondiale face
à ce défi historique. L’onde de choc n’est qu’à ses débuts, et nul ne peut aujourd’hui anticiper les
conséquences de la crise Covid-19 sur l’économie réelle, sur les marchés financiers et surtout sur les
revenus et les conditions de vie de millions de personnes à travers le monde.
I.
Pourquoi la crise Covid-19 est-elle aussi inédite ?
1. La Covid-19 : la première crise exogène de l’histoire de la pensée économique
La crise économique et financière qui découlerait de la pandémie de la maladie à la Coronavirus (Covid19) serait inédite au regard de plusieurs critères. Tout d’abord, il s’agit d’une crise à caractère global
et généralisé affectant la quasi-totalité de l’économie mondiale. Aussi bien les pays développés que
ceux en développement ont été sévèrement touché par l’arrêt brutal de toute forme d’activité. Cet
impact demeure pour l’instant incertain et dépendra sans doute de la durée de la crise. Ensuite, la crise
Covid-19 marquera l’histoire par son caractère exogène2. Aussi bien, la sphère réelle que financière
subissent pour la première fois de l’histoire économique contemporaine un choc exogène en
l’occurrence une pandémie sanitaire. Le déséquilibre ne résulte pas d’un dysfonctionnement du
système économique lui-même mais d’un évènement externe imposé par des contraintes de santé
publique. Enfin, la crise Covid-19 serait sans précédent par l’ampleur de ses conséquences
désastreuses aussi bien pour l’activité réelle et les revenus que pour les marchés financiers.
2. La covid-19 : une crise qui ne ressemble à aucune autre crise
La lecture de l’histoire des crises économiques témoigne du caractère inédit et sans précédent de la
crise Covid-19. Certes, l’histoire de l’économie mondiale a été ponctuée par la récurrence des crises,
mais la crise actuelle ne ressemble à aucune des crises précédentes.
Bien que l’histoire des crises économiques remonte à 1637 avec la spéculation sur les tulipes aux
Pays-Bas, la crise de 1929 demeure néanmoins la crise qui a le plus marqué cette histoire par son
ampleur et l’étendue de ses conséquences. Celle-ci a été déclenchée par le krach boursier de Wall
Street en octobre 1929. Rapidement, la crise spéculative s’est transformée en une crise économique
1
Wissem AJILI : Enseignant-chercheur, docteur en sciences économiques diplômé de l’université de Paris
Dauphine, du cycle supérieur de l’ENA-Tunis, de l’école des impôts de Clermont-Ferrand et de l’IHEC de Carthage.
2
Papava, V. & Charaia V. (2020), The Coronomic Crisis and Some Challenges for the Georgian Economy, Georgian
Foundation for Strategic and International Studies, Expert opinion n°136.
1
qui a duré plus de dix ans et ce jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale d’où son appellation
de Grande Dépression.
Durant la seconde moitié du vingtième siècle et avec la fin du système de Bretton Woods (de 1944), la
cadence des crises a connu une certaine accélération mais avec des effets relativement limités. Nous
recessons dans ce cadre de nombreuses crises comme la crise de la dette des pays du Sud (les années
1980), le krach boursier de 1987, la crise japonaise des années 1990, la crise asiatique (1997-1998) et
la crise russe (1998). La dernière page de cette histoire a été marquée par une crise relativement
violente celle des Subprimes (2007-2008) suivi de la crise de la dette de la zone Euro dans les années
2010. Le point commun de ces crises reste sans doute leur caractère endogène. Le choc naît et se
propage dans la sphère économique et/ou financière et modifie son mode de fonctionnement et ses
mécanismes de régulation. A l’inverse, la crise Covid-19 est plutôt de nature exogène et risque de
déstabiliser voire bouleverser tout le système économique existant.
3. La covid-19 : une crise dont le schéma de déroulement est encore méconnu
Face à la crise Covid-19, la pensée économique est doublement mise à mal : d’une part cette nouvelle
crise s’ajoute à la liste des crises survenues par surprise. Nul n’était en mesure d’anticiper ni de
prévenir la réalisation de cet évènement majeur. D’autre part, les connaissances et le savoir-faire
accumulés sont entièrement inadaptés à la situation inédite de la crise Covid-19. Force est de constater
que nul ne peut décrire avec précision le modèle de propagation de la crise Covid-19, ni quantifier ses
effets directs et indirects sur l’économie mondiale
Aussi bien les économistes que les décideurs en matière de politique économique ne possèdent les
connaissances suffisantes ni les compétences requises pour gérer cette nouvelle catégorie de crise.
En conséquence, nul ne dispose aujourd’hui de réponses immédiates pour amortir l’effet du choc
économique de la crise Covid-19. L’approche de l’apprentissage par la pratique ou The learning by
doing devrait probablement l’emporter dans les mois voire les années à venir.
4. La crise Covid-19 : les quelques enseignements de l’histoire économique
Pourquoi il est aussi important de faire cette lecture historique dans le contexte actuel ? la réponse
est relativement simple « L’Histoire est un miroir, parfois déformant, qui peut nous aider à
comprendre la réalité d’aujourd’hui et à éclairer celle de demain ». En effet, c’est à travers cette
analyse de l’histoire économique qu’il est possible de comprendre le présent et d’établir quelques
repères pour anticiper le futur.
Les quelques enseignements de cette longue histoire des crises économiques peuvent être résumés
dans les quatre points suivants : (1) jusqu’à présent, la théorie économique a pu identifier quatre types
de crises : les crises purement économiques qui touchent la sphère réelle, et les crises financières à
savoir les crises de change, les crises bancaires et les crises boursières ; (2) un modèle des crises
spéculatives existe et il a été introduit par Charles Kindleberger3 (1978). Ce modèle décrit de manière
simplifiée la genèse d’une crise, ses effets de contagion et ses mécanismes de propagation ; (3) les
réponses apportées aux différentes crises ont été définies a posteriori principalement à travers la
régulation, la règlementation et le renforcement de la surveillance des différents acteurs ; (4) la
capacité à anticiper et à prévenir des crises a été toujours très limitée et elle ne s’est pas améliorée au
fil du temps.
3
Charles Kindleberger (1910-2003) est professeur d’économie internationale et historien de l’économie. Son
livre de 1978 intitulé « Manias, Panics, and Crashes » et traduit en français « Histoire mondiale de la spéculation
financière » est la référence incontournable dans le domaine.
2
II.
Les effets anticipés et quasi-certains de la crise Covid-19
Les crises économiques demeurent sans doute le trou noir de la pensée économique. Néanmoins, l’état
actuel des connaissances humaines dans le domaine économique et financier permet d’établir un
premier diagnostic de la situation. En effets, certains des mécanismes des modèles macroéconomiques
aussi bien keynésiens que néoclassiques demeurent relativement opérationnels même en temps de
crise. Ainsi, grâce à ces modèles décrivant le schéma d’ensemble du mode de fonctionnement de
l’économie mondiale, il est possible d’anticiper un certain nombre d’effets probables voire quasicertains de la crise :
1. L’effondrement de la croissance économique
À court terme, l’arrêt partiel ou total de l’activité économique pendant les périodes de confinement
imposées par les autorités sanitaires plongerait l’économie mondiale dans une récession plus ou moins
prolongée. Cet effet des taux de croissance négatifs est inévitable du moins sur le court voire moyen
terme. En conséquence, la question de la reprise de l’activité économique rapidement est l’un des
défis majeurs pour les décideurs nationaux et internationaux.
Dans ses prévisions rendues publiques le 14 avril 20204, le FMI reste prudent. Le taux de croissance de
l’économie mondiale pour 2020 est estimé à (-3%), celui de 2021 (+5,8%). La récession devrait affecter
plus les pays développés (-6,1%) que les pays en développement (-1%). Parallèlement, la reprise de
2021, devrait être plus soutenue dans les pays émergents et en développement (+6,6%) que dans les
pays développés (4,5%).
2. La montée du chômage
La conséquence logique de toute récession économique est la montée du chômage. En effet, le PIB qui
correspond à la somme des valeurs ajoutées créées par l’économie durant une période donnée est
distribué systématiquement sous forme de trois catégories de revenus : (1) les salaires ; (2) les impôts
et les taxes nets des transferts ; et (3) l’excédent brut d’exploitation (EBE). Tandis que l’EBE correspond
à la rémunération du capital, les salaires constituent la rémunération du facteur travail net d’impôt.
Ainsi, et par un effet mécanique, toute baisse du PIB se traduira par une baisse des revenus distribués
dans l’économie. Se trouvant sur des marchés d’emploi rigides, l’ajustement à la baisse de la masse
salariale ne se fait pas à travers le salaire d’équilibre mais via le nombre de personnes employées. Dans
ses Perspectives de l’Économie mondiale, avril 2020, le FMI reconnaît cette tendance à la hausse des
taux de chômage dans le monde mais à des vitesses différentes. Néanmoins, les pays développés
sembleraient plus touchés par l’augmentation du chômage. À titre indicatif, le FMI prévoit un chômage
de l’ordre de 9,9% dans les pays les plus avancés de l’Europe (contre 6,6% en 2019) et de 10,4% aux
États-Unis contre 3,7% en 2019.
3. Malgré une stabilité de court terme, l’inflation devrait augmenter à moyen terme
La rupture de production dans certains secteurs d’activité et la baisse de l’offre globale à l’échelle
mondiale devrait se traduire par une augmentation de l’inflation sur le moyen et le long terme.
Néanmoins, et à très court terme et en dépit de la crise Covid-19, les prix semblent stables et parfois
à la baisse notamment dans les pays développés. Ce constat s’explique d’une part par l’existence de
stocks stratégiques notamment pour les produits de première nécessité et par la contraction de la
demande d’autre part. En temps de crise, et avec les baisses de pouvoir d’achat, les agents
économiques ont tendance à réduire leur consommation aux produits les plus vitaux. Selon les
prévisions du FMI, les indices des prix à la consommation dans les pays développés devraient
augmenter en moyenne de 0,5% en 2020 pour reprendre leur rythme habituel de 1,5% en 2021. Dans
4
FMI (2020), Perspectives de l’économie mondiale, avril 2020.
3
les pays émergents et en développement, l’évolution de l’indice des prix à la consommation devrait
être constant entre 2020 et 2021 soit une variation de 4,5% en moyenne.
4. La montée des inégalités principalement internes
Le poids de la facture économique et sociale de la crise Covid-19 ne sera pas réparti uniformément sur
les différents acteurs économiques. La crise Covid-19 fragiliserait davantage les couches sociales les
plus vulnérables. Les salariés avec les contrats de travail les plus précarisant se trouveront en première
ligne pour encaisser en plein fouet les effets de la crise économique. Certes, les cadres règlementaires
et institutionnels mis en place aussi bien dans les pays développés qu’en développement ont contribué
à creuser les inégalités internes au cours des dernières décennies. Aujourd’hui, ces mêmes
arrangements institutionnels exposent davantage les plus démunis aux effets de la crise Covid-19.
5. Les tensions sur les déficits publics et l’augmentation des dettes
Pour faire face à la crise Covid-19, les gouvernements ont dû réagir par des mesures d’urgence dans le
secteur de la santé et des mesures d’accompagnement pour amortir les effets économiques et sociaux
du choc. Ces interventions massives devraient se traduire par des tensions sur les déficits publics et
une augmentation de l’endettement public. S’agissant d’une crise mondiale, l’augmentation de la
demande de fonds prêtables à l’échelle mondiale devrait se traduire par une raréfaction des capitaux
et une montée des taux d’intérêt. Les pays en développement pourraient de facto subir un effet
d’éviction sur ces marchés et seraient contraints à substituer la dette interne à la dette externe.
6. L’assouplissement de la politique monétaire
Parallèlement à l’instrument budgétaire, de nombreuses banques centrales ont actionné l’outil de la
politique monétaire en fournissant les liquidités nécessaires pour le financement de l’économie. Ce
choix en matière de politique monétaire, peu apprécié et parfois condamné par les institutions
internationales principalement le FMI et la Banque mondiale en temps normal, est devenu l’ultime
moyen d’action d’autant plus que le second canal du financement à savoir les marchés financiers se
trouve paralysé sous l’effet de la crise. Le recours aux mécanismes de liquidité semble justifié dans le
cadre de la crise Covid-19 par deux facteurs : (1) une volonté de la part de ces institutions de préserver
la confiance dans les systèmes financiers nationaux et internationaux ; (2) et une crainte que
l’assèchement de liquidité dans la sphère financière amplifierait les effets de la crise sur l’économie
réelle.
7. La chute du commerce international
Selon l’OMC5 , le commerce international devrait connaître une chute en 2020 entre 13% et 32%
voire plus. Les prévisions du FMI n’évoquent que le scénario le plus optimiste avec une baisse du
volume du commerce des biens et services de l’ordre de 13,9% et table sur une reprise rapide en
2021 avec un taux de +4,7%.
Il va de soi qu’en temps de crise, les économies se replient sur elles-mêmes. Le regain du
protectionnisme augmente inévitablement en période de récession économique. Cette
hypersensibilité du commerce international aux taux de croissance économiques prouve encore une
fois la fragilité du commerce international promu par les accords du GATT (1947) puis par de l’OMC
(1995).
8. La réduction des flux d’investissement à l’échelle mondiale
Parmi les quelques enseignements des crises financières précédentes est le constat d’une volatilité
supérieure des investissements de portefeuille par rapport aux investissements directs étrangers. En
5
Le communiqué de presse de l’OMC n°855 du 8 avril 2020
4
effet, en temps de crise, il est souvent constaté une sortie massive des investissements en portefeuille
étrangers de court terme qui déstabiliserait les marchés financiers. Par investissement en portefeuille,
il est entendu les acquisitions minoritaires par des non-résidents de titres financiers (actions et/ou
obligations) pour un motif purement financier à savoir la réalisation d’une plus-value. Inversement, un
investissement direct désigne des prises de participations majoritaires et durables pour des motifs
stratégiques et managériaux. Le rapport du FMI sur la stabilité financière dans le monde dans son
édition d’avril 2020, souligne une forte inversion des flux d’investissement en portefeuille jamais
enregistrée notamment dans les pays émergents et pré émergents. Ce mouvement de vente massive
dit aussi fuite de capitaux avait pour conséquence l’effondrement des prix des actifs sur les marchés
financiers. Par ailleurs, le mouvement de panique et la perte de confiance augmenteraient l’incertitude
sur ces marchés. Dans l’hypothèse d’une crise prolongée, le volume de l’investissement direct
s’ajusterait également à la baisse.
9. L’éclatement de la nouvelle bulle spéculative des dix dernières années
De la crise des Subprimes (2007-2008), l’enseignement majeur tiré est celui d’une prise de conscience
de la nature systémique des crises financières. La réponse apportée à ce risque systémique à caractère
macroéconomique est celle d’une règlementation bancaire internationale plus stricte notamment à
travers les accords de Bâle III (publiés en 2010). L’application progressive de ces accords a contraint les
banques à augmenter leurs fonds propres et à améliorer leur résilience face aux crises systémiques.
Selon le rapport du FMI sur la stabilité financière d’avril 2020, c’est sur ces volants de fonds propres et
de liquidités qu’il vient d’adosser les pertes et les tensions sur le financement résultant de la crise
Covid-19. Néanmoins, ces interventions des banques ne peuvent s’inscrire dans la durée. Elles ne
constituent qu’une réponse de très court ayant pour objectif de ralentir l’onde de choc de la crise. En
conséquent, si la crise de la sphère réelle s’inscrit dans durée, l’impact sur les marchés financiers sera
sans doute désastreux. En effet, si la crise des subprimes a contribué à améliorer la résilience du
secteur bancaire, elle n’a pas résolu le problème des bulles spéculatives sur les marchés financiers.
Une nouvelle bulle spéculative serait vraisemblablement formée au cours des dernières années et elle
ne tarderait pas de s’éclater sous l’effet de la crise Covid-19. La notion de bulle spéculative désigne
tout mouvement excessif des prix à la hausse et qui se traduirait par une déconnexion de la valeur
réelle de l’actif considéré.
III.
Les effets encore incertains de la crise Covid-19
La crise Covid-19 est une crise inégalée et sans précédent. Aucun schéma de crise établi jusqu’à présent
ne lui serait transposable. Aussi bien les spécialistes que les décideurs restent perplexes devant un
certain nombre de questions relatives à cette crise. Des incertitudes portent sur la durée de la crise,
sur son intensité et sur certains de ses effets :
1. La facture économique et sociale de la crise Covid-19 demeure inconnue
Nul ne peut aujourd’hui spéculer sur la valeur de la facture économique et sociale de la crise. Les coûts
directs et indirects demeurent incertains. L’impact de la crise sur la production, l’emploi, le pouvoir
d’achat, la qualité de vie, le bien-être etc. demeure indéterminé. Par ailleurs, la répartition de cette
facture entre pays, entre secteurs d’activité, entre économie réelle et marchés financiers, entre
individus et groupes d’individus est loin d’être prédictible.
2. Le retour en force de l’État régalien
En quelques mois, la crise Covid-19 a remis en cause toute la doctrine de désengagement des États et
de privatisation des secteurs stratégiques. En effet, la crise a mis à rude épreuve le choix d’un rôle de
l’État dans la vie économique poussé à son niveau minimal jamais enregistré au nom de l’efficacité et
de l’efficience. Aussi bien les citoyens que les gouvernements et les institutions ont pris conscience
5
des limites des modèles existants : la théorie de l’efficience économique a mis en péril l’accès dans des
conditions optimales aux soins et aux services de santé. Au lendemain de la crise, nombre d’États, bien
qu’affaiblis et dépourvus de moyens et d’instruments d’action, ont réinvesti toutes leurs prérogatives
régaliennes. Ainsi, les thèmes de sécurité et d’indépendance dans les domaines stratégiques (industrie
pharmaceutique, recherche et développement, équipements médicaux etc.) ont regagné toute leur
légitimité. Force est de souligner le caractère quasi militaire de la crise Covid-19 qui remis au-devant
de la scène l’intérêt de l’action publique dans ce contexte. Ce phénomène de gestion exclusive de la
crise par les pouvoirs publics a concerné aussi bien les pays développés qu’en développement.
3. L’échec du capitalisme néolibéral
Certains économistes soutiennent que la crise Covid-19 a sonné la fin du capitalisme néolibéral6 dans
la mesure elle impliquerait probablement un mouvement de démondialisation et de relocalisation des
firmes multilatérales. En effet, la crise Covid-19 a remis en cause le paradigme de la division
internationale du travail (DIT). La répartition internationale des processus de production basée sur le
principe des avantages comparatifs se trouve pour la première fois dans l’impasse d’une globalisation
freinée.
En résumé, l’économie néolibérale semble traverser la période la plus sombre de son histoire avec (1)
la fin des politiques d’austérité et le retour en force de l’État en tant qu’acteur économique majeur,
(2) la montée du protectionnisme et le mouvement de démondialisation qui pourrait découler de la
crise, (3) la fuite massive des capitaux notamment les investissements de portefeuille, (4) la remise en
cause de l’architecture du système économique et financier international et du rôle de certaines
organisations internationales comme l’OMS et le FMI etc.
IV.
Quel scénario de sortie de la crise Covid-19 ?
Après quelques semaines d’hésitation voire de désarroi et d’incompréhension, le schéma d’une sortie
possible de la crise Covid-19 commence à se dessiner dans l’horizon. Il s’agit d’un premier scénario,
celui espéré par l’establishment. Néanmoins, un scénario alternatif peut également voir le jour.
1. Le scénario espéré et soutenu par l’establishment : Laisser passer la tempête
Une lecture critique des recommandations des différentes institutions internationales (FMI, Banque
mondiale et même OMC) pour la gestion de la crise Covid-19 permet de relever les points suivants :
(1) La crise ne devrait en aucun s’inscrire dans la durée pour éviter à tout prix l’effondrement de
l’économie mondiale et des marchés financiers.
(2) Bien qu’elle soit inédite, la crise devrait inévitablement passer et un retour à l’économie de
marché serait possible moyennant quelques arrangements permettant d’amortir certains de
ses effets économiques et sociaux.
(3) Pour atteindre cet objectif, la solution serait alors d’actionner à court terme tous les
instruments de la politique économique à la disposition des États : instrument budgétaire,
instrument monétaire, politique de change et politique commerciale.
Toutefois, ce choix est critiquable pour plusieurs raisons. (1) Tout d’abord, utiliser des instruments de
politique qui peuvent s’avérer contradictoires serait contreproductif et pourrait se solder par un
échec ;(2) Ensuite, le coût de ce maintien artificiel en vie de l’économie mondiale, pourrait être très
élevé aussi bien pour les générations actuelles que futures ; (3) Enfin, la facture de cette situation
inédite ne serait pas équitablement répartie : comme à la sortie de la crise des subprimes, ce sont les
6
Patrick Artus (2020), Natixis flash Economie n°381, du 30 mars 2020.
6
économies et les couches sociales les plus fragiles qui payeraient de leurs conditions de vie le coût de
cette récession.
Chaque mois qui passe en confinement général ou partiel surtout dans les pays développés réduit
énormément la probabilité de réalisation de ce scénario de laisser passer la tempête. La facture d’un
arrêt quasi-total de la production pendant plusieurs mois dans le monde serait exorbitant et pourrait
plonger l’humanité dans une grande dépression jamais constatée.
2. Le scénario alternatif : vers un nouvel ordre économique et social
Depuis les années 1970, les plus visionnaires des économistes7 ont tiré la sonnette d’alarme par
rapport aux conséquences dramatiques d’une croissance exceptionnelle dans un monde fini. En dépit
d’une prise de conscience de l’effet destructeur des activités de production et consommation sur les
processus naturels, peu d’efforts ont été consentis dans ce sens. La crise Covid-19 pourrait constituer
une opportunité pour l’humanité pour développer un nouveau modèle économique, financier et social
mondial qui mettrait en son cœur l’être humain et son bien-être.
Toutes les certitudes sur le mode de fonctionnement de l’économie de marché et ses mécanismes de
réajustement semblent tomber l’une après l’autre sous la violence et l’ampleur de la crise Covid-19.
Depuis l’éclatement de la crise Covid-19, des micro-modèles alternatifs de production, de financement,
de consommation, de partenariat, de solidarité et de gouvernance ont vu le jour un peu partout dans
le monde. L’économie d’autarcie imposée de facto fait ses preuves dans de nombreux pays. Le savoirfaire local, les entreprises implantées sur le territoire, les réseaux de distribution de proximité, et la
capacité d’adaptation des citoyens constituent les véritables remparts face à la crise Covid-19. Ces
micro-modèles économiques seraient vraisemblablement les prémices d’un nouvel ordre économique
mondial plus solide et plus équitable.
7
Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Randers et William W. Behrens, « The Limits to Growth », Universe
Books, 1972 (ISBN 978-0-4510-9835-1).
7
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