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Descartes : La vérité

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LA VÉRITÉ
DESCARTES
Introduction
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I) La recherche de la vérité
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1) Pourquoi chercher la vérité ?
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Raison-cause 1 : la vérité n’est pas donnée (raison métaphysique)
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Raison-cause 2 : la vérité n’est acquise naturellement (raison anthropologique)
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Raison-cause 3 : la vérité n’est pas enseignée (raison historique I)
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Raison-cause 4 : la vérité est ignorée (raison historique II)
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Raison-fin : la recherche de la vérité comme finalité éthique
3
2) Comment chercher la vérité ?
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Par la connaissance de l’esprit
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3. Et, la philosophie, du point de vue de la vérité ?
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4. Les mathématiques, en revanche…
4
5. Le projet cartésien : le doute radical
5
Des Regulae aux Méditations de 1641.
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II) La vérité et ses critères
5
1) Définir la vérité
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2) Les critères de vérité : clarté et distinction
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Clarté et distinction (Principes, I, 45-46 et 66-69)
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Introduction
On s’appuie ici sur : Discours de la méthode, GF, éd. par Laurence Renault (on pourra aussi
consulter la présentation du Discours et les notes proposées dans le vol. III des Oeuvres complètes
chez Gallimard et l’édition du Discours de Gilson, avec son commentaire) et Règles pour la
direction de l’esprit, Livre de poche (avec Introduction d’Alquié, et un Glossaire), ouvrage pour
lequel on dispose du commentaire suivant : Marion, Sur l’ontologie grise de Descartes. Et :
Guenancia, Lire Descartes.
Sur la question, les enjeux en sont bien décrits dans un passage de la Vie du P. Malebranche par Y.
M. André :
« La Recherche de la vérité lui paraissant, comme à saint Augustin, d’une obligation
indispensable à l’homme, qui est fait pour la connaître ; c’est la matière qu’il se proposa, et
le titre qu’il donna à son ouvrage. […] Son dessein général est d’animer tous les hommes à
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la recherche de la vérité, de leur montrer dans eux-mêmes les obstacles qui s’y opposent, et
de leur expliquer les moyens qu’on doit prendre pour y arriver. Les obstacles sont les
préjugés sans nombre et de toute espèce dont on s’aveugle. Les moyens se réduisent à
quelques règles infaillibles pour se former un jugement sûr. » (Alquié, p. 140-141).
On retiendra la trinité : la raison de rechercher la vérité (l’obligation), les obstacles dans cette
recherche, les moyens la recherche.
I) La recherche de la vérité
Discours de la méthode « pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences » nous
dit le sous-titre de l’ouvrage. Comment chercher la vérité ? Le titre nous le dit : par le biais d’une
méthode. Mais pourquoi chercher la vérité ? Qu’est-ce qui rend raison de ce désir de vérité ?
1) Pourquoi chercher la vérité ?
On peut avancer plusieurs raisons. Certaines de ces raisons sont des causes (chercher la vérité parce
que celle-ci n’est pas donnée), d’autres sont des fins, des finalités (chercher la vérité pour la
conduite de la vie).
Raison-cause 1 : la vérité n’est pas donnée (raison métaphysique)
Il faut prendre conscience d’un fait : l’homme ne naît pas avec la connaissance de la vérité. La
vérité n’est pas donnée à l’homme, elle doit être découverte, conquise. Dieu pourtant pourrait faire
que l’homme naisse avec la vérité, mais il ne l’a pas fait. Par ailleurs,
Raison-cause 2 : la vérité n’est acquise naturellement (raison anthropologique)
Que la vérité ne soit pas donnée, qu’elle ait à être découverte, certes. Mais cela ne signifie pas pour
autant qu’il faille rechercher la vérité. On peut faire l’hypothèse que, l’entreprise de recherche de la
vérité étant très ancienne, la vérité est acquise spontanément durant le grandissement de l’enfant.
Pourtant, Descartes constate que l’exercice spontané / naturel des facultés ne permet pas d’acquérir
la vérité. Il l’impute à une prédominance des désirs sur la raison.
Comme le remarque en effet Descartes — Discours, II (voir aussi Principes I, fin) — nous avons
tous été enfants avant d’être hommes, et donc gouvernés par nos appétits et nos précepteurs
(souvent contraires d’ailleurs) plutôt que par la seule raison. Si nous avions eu l’usage entier de
notre raison dès notre naissance et que nous n’eussions jamais été conduits que par elle, nos
jugements auraient été plus purs et plus solides.
Raison-cause 3 : la vérité n’est pas enseignée (raison historique I)
On pourrait alors faire l’hypothèse que si l’exercice spontané des facultés ne permet pas d’atteindre
la vérité, celle-ci est enseignée dans les écoles, ou du moins que l’exercice correct des facultés l’est.
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Pourtant, tel n’est pas ce que constate Descartes. En effet, au terme de son éducation - Descartes a
bénéficié d’un des meilleurs enseignements d’Europe au collège jésuite Henri-IV de la Flèche -, il
constate que la vérité ne lui a pas été enseignée. Par après, le soupçon grandit : ce n’est pas
seulement que la vérité ne lui a pas été enseignée, c’est qu’elle n’a pas été découverte.
Raison-cause 4 : la vérité est ignorée (raison historique II)
Descartes fait en effet le constat, au terme de ses études, qu’on l’avait persuadé que l’étude des
lettres — le savoir qu’on apprend dans les livres — permettait d’acquérir une connaissance certaine
de tout ce qui est utile à la vie. Or il constate que tel n’est pas le résultat auquel il est parvenu,
puisqu’il se trouve embarrassé de beaucoup de doutes et d’erreurs. Or comme (a) il était dans une
des plus célèbres écoles d’Europe, qu’il (b) qu’il n’était considéré comme inférieur à ses
condisciples, que (c) son siècle lui paraissait aussi bon que les précédents, il arriva à cette
conclusion qu’aucune doctrine telle qu’on lui avait espérer — c’est-à-dire une connaissance claire
et certaine de tout ce qui est utile à la vie — n’existait dans le monde1.
C’est un état de fait qui demande à être expliqué.
Raison-fin : la recherche de la vérité comme finalité éthique2
Descartes déclare — Discours, I — d’emblée que la recherche de la vérité est finalisée : la
recherche de la vérité n’est pas pour la vérité mais pour autre chose :
« j’avais toujours un extrême désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux, pour voir
clair en mes actions et marcher avec assurance en cette vie. »
C’est-à-dire : Descartes recherche la clarté ou l’évidence dans l’action, ou plutôt peut-être dans la
détermination. La fin ultime paraît être de « marcher avec assurance » c’est-à-dire sans irrésolution.
2) Comment chercher la vérité ?
Par la connaissance de l’esprit
Dans les Regulae, la recherche de la vérité suppose la connaissance de ce par quoi l’esprit atteindre
la vérité. Or Descartes dégage parmi les opérations de l’esprit deux qui sont infaillibles. Ainsi on a :
- le témoignage des sens (dont Descartes dit qu’il est « instable ») ;
- le jugement de l’imagination (dont il dit qu’il est « trompeur ») ;
- l’intuition ;
- la déduction.
C’est de cette connaissance dont Descartes entreprend la recherche. Comme il le dit : « j’avais toujours un
extrême désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux, pour voir clair en mes actions et marcher avec
assurance en cette vie. »
2 Il faudrait sur ce point confronter Descartes au Traité de la réforme de l’entendement.
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avoir formé une méthode pour « augmenter par degrés » sa connaissance et constate qu’il en a déjà
recueilli de tels fruits, qu’il semble avoir déjà beaucoup avancé en la recherche de la vérité, de telle
façon qu’il nourrit de grandes espérances pour le futur.
Ces résultats et ces espérances qu’il entretient légitimement lui font considérer l’occupation qu’il a
choisie — chercher la vérité — comme « solidement bonne et importante », et les occupations des
hommes « purement hommes » (sans la révélation) comme vaines et inutiles. La recherche de la
vérité enveloppe bien un enjeu éthique, d’après lequel elle est comparativement meilleure que les
autres occupations des hommes.
Mais pourquoi la recherche de la vérité est-elle « solidement bonne et importante » ? Pourquoi la
recherche de la vérité est-elle une activité bonne et importante ? Ici, la n. de L. Renault est précieuse
: est « bonne » l’occupation qui procure un contentement durable et exempt de toute désillusion.
Le texte de la Règle 1 précise ce qu’il en est de cette finalité éthique :
« que celui qui veut rechercher sérieusement la vérité des choses… pense seulement à
augmenter la lumière naturelle de sa raison, non pour résoudre telle ou telle difficulté
d’école, mais pour qu’en chaque occasion de sa vie son entendement montre à sa volonté ce
qu’il faut choisir ».
3. Et, la philosophie, du point de vue de la vérité ?3
On ne peut pas considérer que la philosophie soit une discipline certaine : « la philosophie donne
moyen de parler vraisemblablement de toutes choses, et [de] se faire admirer des moins savants
[…] » (GF, p. 34). Bien plus, la philosophie est le lieu d’un paradoxe qui doit ébranler la confiance
qu’on a en elle : c’est que d’une part elle a été cultivée par les plus excellents esprits qui aient vécu,
mais que d’autre part tout y est pourtant douteux, puisqu’on y dispute de tout4 (p. 37). Il ajoute
d’ailleurs dans la Deuxième partie : « ayant appris, dès le collège, qu’on ne saurait rien imaginé de
si étrange et si peu croyable, qu’il n’ait été dit par quelqu’un des philosophes » (GF, p. 46).
4. Les mathématiques, en revanche…
Au sujet des mathématiques, Descartes remarque d’abord que leurs « inventions très subtiles »
peuvent « faciliter tous les arts, et diminuer le travail des hommes ». Il fait ici allusion aux arts
mécaniques, vers lesquels était tourné l’enseignement des mathématiques chez les jésuites.
Il y revient juste après (p. 36) pour dire que les mathématiques lui plaisaient beaucoup pour la
certitude et l’évidence de leurs raisons, mais s’étonnait, pensant qu’elles ne servaient qu’aux arts
mécaniques — cf. l’enseignement jésuite —, qu’on n’eût rien bâti de plus relevé sur les fondements
solides des mathématiques que ces arts mécaniques. C’est qu’il ignorait encore « leur vrai usage » :
allusion ici à la mathesis universalis des Regulae.
A noter que lorsque Descartes fait allusion aux Stoïciens, c’est en tant qu’auteurs qui ont écrit sur les
moeurs — et pour les critiquer — et non comme philosophes.
4 C’est déjà ce que Descartes affirmait dans la Règle III : « Rien n’a pu être trouvé dans la philosophie
commune d’assez évident et certain pour n’être point amené en dispute. »
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5. Le projet cartésien : le doute radical
1. Descartes constate ainsi être dans une situation telle qu’il est encombré de beaucoup de doutes et
d’erreurs, et qu’il se méfie de tous les jugements qu’il tient en sa créance de son enfance. Que faire
alors ? Pour toutes les opinions qu’il a reçues jusqu’alors en sa créance, Descartes décide de les ôter
toutes en une fois, et d’y remettre par après ou d’autres ou les mêmes, lorsqu’il les aura ajustées au
niveau de la raison.
La raison d’une telle entreprise ? La conviction qu’il conduirait par ce moyen sa vie beaucoup
mieux que s’il bâtissait seulement de vieux fondements ou des principes dont il n’aurait jamais
examiné la vérité.
2. Descartes ajoute néanmoins que son projet ne concerne que lui-même et non le public : « Jamais
mon dessein ne s’est étendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées ». Il ajoute
d’ailleurs que le doute n’est pas un exemple que chacun doive suivre. En particulier, il ne convient
ni aux faux habiles qui précipitent leurs jugements et ne sauraient avoir assez de patience pour
conduire par ordre leurs pensées, ni à ceux qui se jugent être moins capables de distinguer le vrai
d’avec le faux que d’autres, et qui doivent donc se contenter plutôt de suivre les opinions de ces
autres, que d’en chercher de meilleures.
3. Néanmoins, Descartes dit avoir délayé le projet de douter de toutes ses opinions. Pourquoi ?
Parce qu’il attendait d’avoir travaillé assez à l’ouvrage qu’il entreprenait et à avoir cherché la vraie
méthode permettant de connaître toutes les choses dont son esprit est capable.
Des Regulae aux Méditations de 1641.
Dans les Regulae, il s’agit simplement pour Descartes de généraliser un type de certitude, celle des
mathématiques, que Descartes accepte comme telle, sans se demander ce qu’elle vaut, et qu’il ne
met pas en question. Descartes a alors une confiance totale en notre faculté de connaître et ne
s’interroge pas sur son fondement, problème qui sera en revanche essentiel dans les Méditations.
Les vérités qui, dans les Regulae, étaient toutes de même plan sont alors distinguées et certaines
d’entre elles, comme le « je pense, j’existe », deviendront le fondement des autres.
II) La vérité et ses critères
1) Définir la vérité
Dans la lettre à Mersenne du 16 octobre 1639, Descartes définit une position radicale à ce sujet :
« Il examine [dans son ouvrage] ce que c’est que la vérité ; et pour moi, je n’en ai jamais
douté [c’est un problème ça, même si la lettre est de 1639], me semblant que c’est une
notion si transcendantalement5 claire, qu’il est impossible de l’ignorer : en effet, on a bien
des moyens pour examiner une balance avant que de s’en servir, mais on n’en aurait point
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C’est la seule occurrence de ce terme dans tout le corpus cartésien.
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pour apprendre ce que c’est que la vérité, si on ne la connaissait pas de nature. Car quelle
raison aurions-nous de consentir à ce qui nous l’apprendrait, si nous ne savions qu’il fût
vrai, c’est-à-dire, si nous ne connaissions la vérité ? Ainsi on peut bien expliquer quid
nominis à ceux qui n’entendent pas la langue, et leur dire que ce mot vérité, en sa propre
signification, dénote la conformité de la pensée avec l’objet, mais que, lorsqu’on l’attribue
aux choses qui sont hors de la pensée, il signifie seulement que ces choses peuvent servir
d’objets à des pensées véritables, soit aux nôtres, soit à celles de Dieu ; mais on ne peut
donner aucune définition de logique qui aide à connaître sa nature. » (et la suite sur la
définition).
2) Les critères de vérité : clarté et distinction
« Après cela [l’aboutissement au cogito], je considérai en général ce qui est requis à une
proposition pour être vraie et certaine : car, puisque je venais d’en trouver une que je
savais être telle, je pensai que je devais aussi savoir en quoi consiste cette certitude. Et
ayant remarqué qu’il n’y a rien du tout en ceci : je pense donc je suis, qui m’assure que je
dis la vérité, sinon que je vois très clairement que, pour penser, il faut être : je jugeai que je
pouvais prendre pour règle générale, que les choses que nous concevons fort clairement et
fort distinctement sont toutes vraies ; mais qu’il y a seulement quelque difficulté à
remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement » (Discours, GF, p. 68).
Voir à ce sujet, Discours, pp. 73-74.
Voir Alquié, Leçons sur Descartes, pp. 59-61 sur l’erreur.
Clarté et distinction (Principes, I, 45-46 et 66-69)6
Chez Descartes, la vérité définie est comme certitude et la certitude (d’une idée) se marque à la
clarté à et la distinction de celle-ci7. Mais qu’est-ce que clarté et distinction ?
Une connaissance ou une perception est « claire », par oppos. à « obscure », quand elle est
« présente et manifeste à un esprit attentif » (clarté = présence et évidence à l’esprit). Exemple de la
vision : nous voyons clairement les choses qui touchent fortement et manifestement le regard.
La « distinction », par oppos. à « confusion », qualifie une idée dont sont écartés les caractères qui
ne lui appartiennent pas8. Une idée claire peut donc être confuse (mais pas une idée distincte être
obscure9), cad demeurer insuffisamment distinguée de ce qui n'est pas elle (une douleur peut donner
lieu à une idée très claire, tant elle est vive, mais confuse, si nous nous méprenons sur son origine et
la situons dans le corps).
Par ailleurs, note Arbib, la clarté n’est jamais un simple donné, elle est produite, ou mieux,
exhibée par l’ego au travail, par un effort d’attention, qui consiste se rendre l’objet présent,
Voir dans la n. de l’édition Vrin la biblio à ce sujet.
« [Pour] qu’une perception puisse servir d’appui à un jugement certain et indubitable, il est requis non seulement
qu’elle soit claire, mais également qu’elle soit distincte. » (§45).
8 « J’appelle distincte celle qui, étant claire, est précise et séparée de toutes les autres de telle sorte qu’elle ne contient en
elle absolument rien d’autre que ce qui est clair ».
9 « [J’]appelle distincte celle qui, étant claire… »
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à être présent au présent. Par là, clarté et distinction d’une idée sont susceptibles de degrés
(cf. « fort clairement et fort distinctement » plus haut), selon le degré d’attention mobilisée
et l’ampleur du travail de mise en évidence conduit, et selon l’intensité de l’objet donné à
voir, selon sa teneur représentationnelle, que Descartes appellera sa « réalité objective ».
Compte tenu de ce dernier élément, il y a peut-être des idées qui ne peuvent pas être claires,
étant donné la très faible teneur en réalité objective de leur objets.
Le titre du §46 nous dit que « l’exemple de la douleur montre qu’une perception peut être claire
même si elle n’est pas distincte ; mais qu’elle ne peut être distincte sans être claire ». En effet,
quand qqn sent une très grande douleur en lui, cette perception est très claire pour lui, mais elle
n’est pas pour autant tjs distincte mais peut être « confuse » : les hommes confondent en effet
ordinairement la douleur avec leur « jugement obscur » portant sur la nature de ce qu’ils estiment
semblable, dans la partie douloureuse de leur corps, à la sensation de douleur.
En tout cas, l’explication de la clarté et de la distinction de l’art. 45 requiert une explicitation qui
sera en partie livrée dans les art. suivants (notmt §60-62). L’une des principales difficultés consiste
à déterminer la diff. entre la distinction et la grande clarté. En effet, s’il est assez aisé, suivant PP I,
46, de faire la diff. entre obscurité et confusion, curieusement différencier leurs contraires ne paraît
pas tjs aller de soi. Voir ce sur ce point, Leibniz, NE, II, ch. 29.
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