À L'origine Du Texte- Le Manuscrit Inconnu Des Difficultés Sur La Religion

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À L'origine Du Texte : Le Manuscrit Inconnu Des "Difficultés Sur La Religion"
Author(s): François Moureau
Source:
Revue d'Histoire littéraire de la France
, 92e Année, No. 1 (Jan. - Feb., 1992), pp. 92-
104
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40530473
Accessed: 27-06-2016 09:09 UTC
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Au doute philosophique, au jeu entre le rire et la sensibilité, à la
variété stylistique, elle préfère l'exotisme facile, les certitudes
apaisantes, la récompense de la bravoure et de l'amour, un ordre
social incontesté où « tout finit par des chansons ».
Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval.
À L'ORIGINE DU TEXTE :
LE MANUSCRIT INCONNU
DES « DIFFICULTÉS SUR LA RELIGION »
On sait que les « manuscrits clandestins à caractère philoso-
phique » posent des problèmes très originaux aux chercheurs. Ces
textes déistes, athées, ou pour le moins hétérodoxes, dont les
versions imprimées sont classées dans les bibliothèques d'Ancien
Régime sous l'enseigne de « traités singuliers qui contiennent des
erreurs particulières »*, apparaissent au xvie siècle (Michel Servet,
Guillaume Postei, Jean Bodin, Giordano Bruno), se multiplient au
siècle suivant (Lucilio Vanini, Geoffroy Vallée, Simon Morin)
connaissent un développement extraordinaire dans la première
moitié du xvme siècle, font l'objet à partir des années 1760 d'une
campagne de remaniement et de publication par la « manufacture
holbachique » et le libraire Marc-Michel Rey d'Amsterdam,
disparaissent enfin avec la Révolution et le triomphe - provisoire -
de certaines idées antireligieuses que ces manuscrits véhiculaient.
Si l'on se limite aux manuscrits à caractère polémique critiquant
les « religions factices » au nom de la raison et de la science
historique, on note qu'aux textes personnalisés des siècles
précédents se substituent, pour l'essentiel, au xvme siècle des traités
anonymes dont l'élaboration est assez clairement le produit de
mises en forme successives2 ; la diffusion par copies manuscrites
qui, à l'inverse de l'imprimé, ne fige pas le texte, favorise une sorte
1. Par exemple, dans le catalogue des livres de la Maison professe les Jésuites de Paris
(Paris, Pissot, Gogué, 1763, n° 2453-2472) ou dans celui du comte de Lauraguais (Paris, De
Bure, 1770, n° 104-123).
2. Outre les travaux anciens de G. Lan son, I. O. Wade et J. S. Spink, on consultera la
dernière liste établie par Miguel Benitez, « Matériaux pour un inventaire des manuscrits
philosophiques clandestins des XVIIe et XVIIIe siècles », Rivista di Storia della Filosofia, n° 3,
1988, p. 501-531, et l'ouvrage collectif dirigé par Olivier Biodi, Le Matérialisme du XVIIIe
siècle et la littérature clandestine, Paris, Vrin, 1982.
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de prolifération organique d'un discours idéologique nourri, au fur
et à mesure, de références nouvelles prises ailleurs. Dans le cas
même d'un manuscrit personnel, l'auteur peut autoriser un tiers à
réviser son texte, comme si l'œuvre était une production en soi sans
attache avec un écrivain en particulier, une espèce d'aimant dont
l'efficacité importe plus que la propriété intellectuelle. L'abbé Jean-
Baptiste Le Mascrier entretient Benoît de Maillet de la toilette qu'il
compte faire de son Telliamed, encore nommé « Traité de la
diminution de la mer ». De même que du « Traité de l'opinion des
Anciens sur la nature de l'âme », dont il a complété les citations et
qu'il a remis dans un style « plus pur et plus correct », il s'engage
auprès de l'auteur, en novembre 1736, à mettre Telliamed « dans le
meilleur état qu'il sera possible »3. La comparaison des manuscrits
connus et des éditions prouve que Le Mascrier eut, avec d'autres,
une large part à ce « perfectionnement ». La clandestinité était le
corollaire de l'anonymat et peut-être aussi une discrète invite à le
percer4. Au moment de la publication des versions révisées,
d'Holbach et ses collaborateurs prirent soin de faire attribuer les
ouvrages à de respectables académiciens disparus comme Fréret ou
Mirabaud : c'est du moins ce que répandit la rumeur publique.
L'historien de la littérature et des idées se trouve en général face
à des « monstres » connus par des manuscrits dont il est malaisé de
retracer la filiation et de démêler les réécritures, attribués à des écri-
vains qui n'y eurent sans doute aucune part, mais le plus souvent
anonymes. Les révisions successives, sans parler des gauchisse-
ments idéologiques apportés à des textes simplement critiques ou
théistes par l'équipe de d'Holbach, conduisent à la plus grande
prudence dans le maniement de ces documents, d'ailleurs assez peu
clandestins - on les trouve dans quelques catalogues très officiels
de ventes de bibliothèques au xvme siècle - et d'une originalité
toute relative, quand ils ont été soumis à la révision académique
des années 1730-1740 qui en fit les représentants presque inter-
changeables de la vulgate déiste.
Les Difficultés sur la religion proposées au père Malebranche
sont l'un des exemples les plus illustres de cette littérature. Elles
reproduisent le cheminement classique que nous venons de décrire.
Leur version imprimée parut à l'automne de 1767 sous la fausse
adresse de « Londres » et à la date de 1768 chez Marc-Michel Rey.
Depuis le Dictionnaire des anonymes d'A. A. Barbier, qui disposa
des papiers Naigeon, on attribue la révision surtitrée Le Militaire
philosophe à d'Holbach et, au premier chef, à Jacques-André
Naigeon lui-même. L'Avertissement signalait que « l'ouvrage [...]
3. Lettre de Le Mascrier à Maillet (28 novembre 1736) transcrite par ce dernier dans
une missive au marquis de Caumont (Marseille, 10 décembre 1736) (Munich, Bayerische
Staatsbibliothek, ms., cod. gall. 721).
4. Sur ces jeux, voir notre : « La plume et le plomb : la communication manuscrite au
XVIIIe siècle », Correspondances littéraires inédites. Études et extraits, Jochen Schlobach éd.,
,Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1987, p. 21-30.
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existait depuis fort longtemps en manuscrit dans les bibliothèques
de plusieurs particuliers » et que le livre était fait d'après « une
copie prise sur un manuscrit très correct provenant de l'inventaire
de M. le comte de Vence ». La vente de cette bibliothèque avait
commencé à Paris le 25 juin 1760 et si l'Avertissement du
catalogue notait qu'il y avait « peu de cabinets de particuliers se
trouvant plus ornés de manuscrits », il n'y avait pas trace dans la
liste publiée sous le contrôle du Syndic des Libraires5 d'un
manuscrit des Difficultés. Un imprimé intitulé : Réflexions d'un
militaire sur Vutilité de la religion pour la conduite des armées et
le gouvernement des peuples (Londres, 1749)6 (n° 180) évoquait
seul, de façon orthodoxe, quoique réformée, dans la bibliothèque
du lieutenant-général des Armées du Roi, commandant à La
Rochelle et colonel du Royal-Corse, les préoccupations d'un philo-
sophe militaire. Le texte original des Difficultés fut attribué, au
choix, par les contemporains à deux membres de l'intelligentsia,
dont les points communs étaient d'avoir déjà servi à de semblables
jeux et d'être décédés, ce qui arrêtait là les recherches : Nicolas
Fréret ou Thémiseul de Saint-Hyacinthe7.
Il appartint à Gustave Lanson d'attirer l'attention sur les manus-
crits des Difficultés (R.H.L.F., 1912) ; il en répertoria trois à la
Bibliothèque Mazarine, dont le plus complet fut publié en 1970 par
Roland Mortier (Presses Universitaires de Bruxelles). Auparavant,
Ira O. Wade avait découvert à Leningrad (aujourd'hui Saint-
Pétersbourg) un recueil d'extraits fait par l'abbé Sépher qui fournis-
sait quatre-vingt-huit fragments des Difficultés très hétérogènes
par rapport à la version longue de la Mazarine. En 1983, Frédéric
Deloffre les publia, mettant face à face les deux versions quand
elles existaient et reproduisant les passages inconnus du manuscrit
Sépher. On se trouvait donc en présence d'un manuscrit « complet »
des « quatre cachiers » des Difficultés (M) conservé à la Biblio-
thèque Mazarine et d'extraits qui se rapportaient à une version très
différente, le manuscrit Sépher (S)8. Selon Frédéric Deloffre,
S renvoyait à une rédaction primitive des Difficultés qui aurait subi
un remaniement vers 1740 pour donner la leçon M. ; Roland
Mortier voyait dans ce dernier manuscrit la copie du comte de
Vence. Le style de reliure de M (dos sans nerfs) et son type de
calligraphie nous incline, pour notre part, à lui attribuer une date
plus tardive que celle qui est généralement proposée ; vers 1760,
probablement. Les deux autres manuscrits de la Mazarine qui ont la
même origine (fer de reliure identique) appartiennent à des recueils
5. Catalogue des livres [...] de feu Monsieur le comte de Vence. Paris, Prault fils aîné,
1760.
6. Par Eléazar de Mauvillon. La B.N. possède une édition datée de 1759.
7. Sur cet historique, voir l'Introduction de la dernière édition publiée des Difficultés
(Frédéric Deloffre éd., Oxford, The Voltaire Foundation, 1983). Nos références renvoient à
ce volume.
8. Nous reprenons les abréviations attribuées aux manuscrits par Frédéric Deloffre.
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cohérents (« réclame » entre les pièces du ms. 1192) dont les textes
sont datés ou datables du début des années 1760.
Le débat porta aussi sur l'auteur des Difficultés. On exclut rapi-
dement les attributions anciennes, et Roland Mortier établit une
espèce de « portrait-robot » du « militaire philosophe » d'après les
éléments « autobiographiques » contenus dans des « cahiers »
censés être adressés par leur auteur au père Malebranche. Sur cette
base, André Robinet crut y voir le comte de Boulainvilliers, grand
pourvoyeur de manuscrits clandestins (R.H.L.F., 1972). Mais, en
1974, le docteur Francis Mars, utilisant le même « portrait-robot »,
désigna Robert Challe, romancier, voyageur et ancien « militaire ».
Neuf ans plus tard, Frédéric Deloffre publia son édition sous le
nom de l'auteur des Illustres Françaises. Jusqu'à présent, la critique
reste divisée sur cette attribution et le récent Colloque Challe de
Chartres (juin 1991) n'a pas apporté d'argument direct au sujet de
cette attribution, sinon le sentiment que les manuscrits clandestins
étaient réécrits au cours de leur existence souterraine.
Nous pouvons aujourd'hui apporter notre contribution à ce débat
en révélant l'existence de deux manuscrits inconnus des Difficultés
et en décrivant celui qui, jusqu'à la découverte fort hypothétique
d'un manuscrit autographe de l'auteur, devra être considéré comme
le texte de base pour toute édition future. En effet, la clandestinité
même de ces « traités singuliers » impliquait une diffusion sous
forme de copies et la destruction d'un autographe très compro-
mettant.
L'abbé Pierre-Jacques Sépher avait réalisé une copie des
Difficultés qui ne peut être assimilée aux extraits partis en Russie
sous la Révolution dans les bagages de Pierre Doubrowski. À sa
mort, en 1781, sa bibliothèque, théoriquement léguée à la Sorbonne
dont il évait vice-chancelier, fut cataloguée et subit cinq ans plus
tard le feu des enchères9. Parmi les trente mille volumes mis en
vente, on relevait de nombreux manuscrits dont un - dit « de la
main de l'auteur » - du Telliamed de Maillet (n° 2787). Sans insis-
ter sur ce que nous avons dit plus haut des autographes clandestins,
l'écriture tourmentée et presque illisible de Maillet fait douter de
cette note du catalogue10. Absente à première vue de la vente, la
copie des Difficultés entra dans la collection de l'abbé Jean- Joseph
Rive, qui acquit par ailleurs une part importante des collections de
Sépher. Ce bibliothécaire bibliomane et misanthrope retiré à
9. Catalogue de livres rares et singuliers de la bibliothèque de M. l'abbé Sépher,
docteur de Sorbonne, Vice-Chancelier de l'Université et Chanoine-chefcier de Saint-Étienne
aux Grès. Paris, Fournier, 1786, 2 parties. La vente commença le 6 mars ; l'Avertissement
donne des informations précieuses sur les goûts du possesseur. Un « Supplément » de
221 numéros dont la permission d'imprimer est du 24 avril fut publié à la fin du printemps.
10. Les deux volumes de correspondance conservés à Munich (BSb, cod. gall. 721-722)
montrent qu'il utilisait des secrétaires pour son courrier personnel. Ses quelques notes finales
autographes, souvent signées « Telliamed », sont particulièrement indéchiffrables. Un
répertoire de récriture de ces secrétaires pourrait être de quelque apport au catalogue de
l'œuvre, encore partiellement établi, de Maillet.
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