Les conservatoires d’abeilles: une stratégie novatrice fondée sur
l’Apiculture durable pour réduire le déclin des abeilles
L’abeille domestique (Apis mellifera) occupe une aire géographique très vaste et montre
une variabilité morphologique et génétique très structurée. Son aire de répartition naturelle
s’étend à l’Afrique, à l’Europe et au Moyen-Orient où 26 sous-espèces (ou races
géographiques) ont été décrites sur la base de caractères morphologiques, écologiques et
comportementaux. D’après des données de morphométrie et de paléogéographie, Ruttner et
al. (1978, 1988) ont suggéré l’existence de 4 lignées évolutives (M, A, C, O) chez l’abeille,
chacune regroupant plusieurs races géographiques. Les travaux que notre équipe mène depuis
plus de vingt ans s’intéressent à la diversité de l’abeille domestique sur son aire naturelle de
répartition. Ces travaux nous ont amené à développer et utiliser des outils moléculaires qui
sont particulièrement performants et qui permettent d’étudier la diversité génétique de
l’individu à l’espèce. La conférence a été structurée en fonction des deux principaux axes de
recherche que nous poursuivons : (i) la mise en évidence de la structure génétique naturelle de
cette espèce, (ii) l’évaluation de l’impact des pratiques apicoles sur la diversité des
populations et la mise place de conservatoires génétiques comme base pour une apiculture
durable.
Les résultats obtenus avec les deux types de marqueurs (ADN mitochondrial et séquences
microsatellites) que nous utilisons ont permis de confirmer la plupart des conclusions de
Ruttner et ont définitivement établi l’existence des quatre lignées évolutives. Les travaux que
nous avons réalisé plus récemment ont mis en évidence l’existence d’un cinquième groupe de
populations, situé au proche-orient, qui pourrait correspondre au centre de dispersion de
l’espèce. Ce cinquième groupe appelé lignée Z a été mis en évidence aussi bien avec le
marqueur mitochondrial qu’avec les marqueurs du noyau. La synthèse des travaux réalisés
avec ces deux marqueurs moléculaires, ont permis de reconstruire un scénario évolutif qui
retrace l’histoire naturelle de la mise place des quatre lignées évolutives et la manière dont les
différentes sous-espèces d’abeilles se sont différenciées au cours de l’évolution.
Comme de nombreuses espèces naturelles en Europe, la diversité de l’abeille mellifere
subit les effets combinés de trois types de facteurs liés aux pratiques humaines (i) stresseurs
environnementaux (appauvrissement des ressources, changement climatique, pesticides,
urbanisation, perte et fragmentation des habitats (ii) perte de diversité génétique et de vitalité ;
(iii) parasitisme. En tant qu’espèce d’intérêt agronomique elle subit également les effets des
pratiques apicoles, telles que les importations de reines et la transhumance des colonies,
peuvent entraîner à long terme une homogénéisation de la variabilité naturelle observée, et
entrainer la disparition des potentialités adaptatives locales (races, variants locaux ou formes
écotypiques).
Bien que déclenchées au départ (dans les années 90) par les effets des pesticides, les pertes
engendrées par ces molécules agrochimiques ont conduit à des changements profonds des
pratiques apicoles. Afin de reconstituer leur cheptel, et du fait de l’absence de structure
d’élevage de reines en France, les apiculteurs ont recourt à l’importation en masse de colonies
d’autres régions du monde. Ainsi l’introduction de colonies mal adaptées à l’environnement et
maintenues artificiellement par les apiculteurs est associée à la dispersion de pathogènes
invasifs véhiculés par ces colonies allochtones. Ces deux facteurs ont probablement largement
contribués à l’augmentation chronique des pertes qui sont passées de 5-10% dans les années
80 à 25-30% en France.
Un retour à une apiculture plus durable respectueuse de la diversité de l’abeille est sans aucun
doute la voie la suivre avant que l’homme et plus particulièrement l’apiculteur n’ait lui même