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LA TRANSMUTATION ET LA PURIFICATION (COLLECTIF)

LA TRANSMUTATION ET
LA PURIFICATION
(COLLECTIF)
‘’Jamais nous ne cesserons d’explorer et le terme de toute notre exploration sera notre
point de départ et de connaître l’endroit pour la première fois.’’
T.S. Eliot
LA NATURE DU VOYAGE SPIRITUEL
Il est très difficile de définir un critère universel pour mesurer les progrès spirituels de
chaque chercheur. La véritable croissance spirituelle est rarement spectaculaire. Elle est
beaucoup plus susceptible de se re(marquer) par de petits changements subtils, des pas
constants et progressifs. Selon le maître zen Charlotte Beck : ‘’Les intervalles durant
lesquels nous demeurons simplement avec la vie telle qu’elle est s’allongent un peu et les
interruptions relatives à notre égocentrisme diminuent. Ces interruptions ne durent plus si
longtemps et nous ne les prenons plus autant au sérieux. Elles ressemblent de plus en plus
à des nuages qui passent dans le ciel : nous les remarquons, mais elles nous contrôlent
moins.’’
Paradoxalement, rechercher des signes de transformation et de progrès peut s’avérer être
un obstacle à l’égard d’une croissance intérieure réelle. Gurdjieff demandait à ses élèves
de ‘’ne jamais courir après un résultat, de ne jamais ‘’philosopher’’ sur ce que nous faisons,
mais juste d’agir – avec foi.’’ Le mental est attiré par l’idée d’une voie préconçue avec des
étapes ou des stades spécifiques qui sont marqués par des expériences et des
compréhensions déterminantes, mais le maître spirituel Toni Packer remet en cause cette
prémisse insuffisamment examinée :
Les enseignements qui postulent des stades s’emparent de l’esprit pensant. Nous nous
demandons à quoi ressemblent ces stades et tenter de les imaginer est un exercice qui
vous donnera des maux de tête. Bien entendu, l’intérêt principal, c’est : ‘’A quel stade suisje ?’’ et ‘’Par combien d’autres stades devrais-je encore passer ?’’ Pourrions-nous laisser
tomber cette idée de stades et ne plus la reprendre, même si elle prévaut dans beaucoup
de traditions ? Pouvons-nous voir et sentir que cette conceptualisation est déjà une
camisole de force ? La pensée est si puissante – penser à ce que je suis maintenant et à ce
que je serai ensuite, me juger sur ce que je pense être et m’estimer par rapport à ce que
je pourrais être…Le pouvoir de ces pensées ne peut être surestimé, car elles empêchent
une Présence et une Conscience qui défient toute définition.’’1
Beaucoup de maîtres spirituels ont mis en garde leurs étudiants afin qu’ils ne tombent pas
dans le piège d’être fascinés par des buts et par la recherche compulsive de résultats.
Selon Chögyam Trungpa : ‘’Aussi longtemps que vous ferez du Soi un objectif ou une
cible à atteindre, vous n’en ferez pas directement l’expérience. Plus vous vous efforcerez
1
(1) Toni Packer The Wonder of Presence (Boston: Shambhala, 2002), p. 21.
de l’atteindre et plus il s’éloignera. Vous ne ferez l’expérience du Soi qu’à l’instant où tout
désir pour Lui aura disparu.’’ Le désir d’atteindre des états de conscience ou des états
d’être particuliers nous éloigne en fait de la réalité de ce que nous sommes :
Les moyens conçus pour nous transporter au-delà de nos limites conceptuelles ne
peuvent pas par eux-mêmes nous ramener à l’état de complétude dont nous provenons.
Quoique la transcendance puisse se produire avec de telles pratiques, celles-ci ne la
produisent pas, mais nous indiquent seulement la bonne direction. D’après les taoïstes,
faire effort pour purifier la vertu, calmer l’esprit ou obtenir des instants de lucidité est aussi
vain que de ‘’battre du tambour à la poursuite d’un fugitif’’. ‘’Tous les yogas, les prières, les
thérapies et les exercices spirituels ne sont finalement que des ajournements élaborés de
la reconnaissance qu’il n’y a rien à saisir, ni aucun moyen de le saisir’’, dit Alan Watts.
D’autres maîtres, innombrables, ont énoncé la même vérité. Plus nous nous efforçons et
plus nous nous tendons pour contrôler ce qui se passe dans notre pratique et plus nous
nous éloignons de ce qui est. Nous sommes si occupés à faire que nous oublions d’être.
Toujours tournés vers le futur, nous négligeons où nous sommes.2
L’attrait, la promesse et l’espoir du succès, comme fruits de nos efforts incessants et de
nos accomplissements ciblés dans notre (con)quête de la réalisation spirituelle sont
profondément enracinés dans la psyché de la majorité des chercheurs et très difficiles à
surmonter. Selon Tony Parsons, maître non-duel : ‘’La vie n’est pas une tâche. Il n’y a
absolument rien à atteindre, sinon la réalisation qu’il n’y a rien à atteindre. Aucune somme
d’efforts ne convaincra jamais l’Unité d’apparaître. Tout ce qui est requis, c’est un saut
dans la perception, une autre vision déjà intrinsèque, mais non reconnue.’’
Les doctrines, les procédures et les voies progressives qui visent l’Illumination ne font
qu’exacerber le problème auquel elles s’attaquent en renforçant l’idée que le moi peut
trouver quelque chose qu’il présume avoir perdu. C’est cet effort même, cet
investissement dans une identité personnelle qui recrée constamment l’illusion de la
séparation avec l’Unité. C’est le rêve de l’individualité. C’est comme quelqu’un qui
s’imagine être dans un puits et qui pour s’en extraire creuse de plus en plus
profondément en rejetant la terre derrière lui, en masquant la lumière qui est déjà là. Le
seul impact de cet effort extrême pour devenir ce que je suis déjà, c’est qu’en fin de
compte, je m’écroulerai par terre, épuisé, et que je lâcherai prise. Alors, dans ce lâcherprise, une autre possibilité peut advenir. Mais la tentation d’éluder la liberté par une
sanctification de la lutte est particulièrement attirante. Lutter au fil du temps n’invite pas la
Libération.3
2
(2) John Greer Seeing, Knowing, Being (Memphis: True Compass Press, 2012), pp.
167-168.
3
(3) Tony Parsons The Open Secret (Shaftesbury, England: Open Secret Publishing,
2005),
pp. 4-5.
Les enseignements progressifs ou graduels mettent l’accent sur une approche temporelle
de la réalisation spirituelle qui renforce un sentiment subtil de séparation, d’incomplétude
et de dualité dans la quête de l’Illumination :
Dans le monde du temps, les processus et les objectifs sont tout à fait appropriés, mais il y
a tellement d’investissement dans l’attachement et les attentes qui les entourent – devenir
ceci, faire partie de cela, dans des techniques pour changer, pour devenir meilleurs, dans
des méthodes de purification, etc. De nouvelles personnes importantes et de nouveaux
lieux importants, des maîtres de la conscience et de vérité se manifestent un peu partout
et proposent leurs formules particulières. Et en circulant de l’un à l’autre, on paraît ne pas
vouloir voir que la Liberté ne se situe pas dans un lieu ou l’autre, simplement parce que la
Liberté ne peut être exclue ou exclusive de par sa nature même. On paraît ne pas vouloir
voir qu’en se précipitant vers le nouveau sommet spirituel que l’on prévoit, le trésor que
l’on recherche ne doit pas être découvert là où nous nous rendons, mais bien dans la
nature toute simple des pas mêmes que nous faisons. Dans la précipitation pour trouver
une meilleure situation temporelle, on écrase la fleur de l’Etre qui apparaît à chaque
instant. Il semble que notre attachement à un but émane du besoin de nous prouver
quelque chose, mais la vie est simplement la vie et n’essaye pas de prouver quoi que ce
soit. Ce printemps-ci ne s’efforcera pas d’être meilleur que le dernier et un frêne ne
tentera pas non plus de devenir un chêne. Si on perd la fascination pour l’extraordinaire et
le spectaculaire, on pourra alors se permettre de reconnaître l’émerveillement simple qui
réside dans l’ordinaire.4
Vue à partir d’une perspective plus vaste, la voie consiste en une multitude de pas qui
ramènent le chercheur à la réalité de l’instant présent : ‘’Renoncez à chercher à ce que
quelque chose advienne et tombez intimement amoureux du don de la Présence dans ‘’ce
qui est’’. Ici et précisément ici se trouve le cœur de tout ce à quoi vous avez jamais aspiré.
C’est simple, ordinaire et magnifique, car voyez-vous, vous êtes déjà chez vous !’’
Quand on entreprend le voyage mystique, on peut concevoir sa destination comme un
lieu qui est fort éloigné de l’endroit où l’on se situe, dans tous les sens – un lieu
profondément et essentiellement autre, mais au bout de la voie, il n’y a pas d’ascension
finale qui mène à un royaume transcendant et surnaturel. La quête ramène plutôt le
chercheur à l’ainséité de l’instant présent, à ‘’simplement ceci’’. Après avoir déposé le
fardeau de l’identification, l’attachement égoïste et le poids de la conscience du moi, on se
retrouve où on a commencé – au même endroit, mais paré de nouveauté et de splendeur
inimaginée. En effet, le terrain divisé d’où l’on est parti, ce ‘’monde inférieur’’ où on a
passé presque toute sa vie s’avère être la Terre Promise indiquée par toutes les traditions
de sagesse. Le monde n’a pas changé – il est toujours rempli de la souffrance
caractéristique et des dilemmes de l’existence - mais nous avons changé et nous le
considérons avec un regard neuf, le regard de la Vie elle-même. A la suite de
4
(4) Tony Parsons As It Is (Carlsbad, California: Inner Directions Publishing, 2004),
pp. 27-28.
l’Illumination, quand le conditionnement n’obscurcit plus notre vision, le monde est
transfiguré et les sages de toutes les lignées chantent joyeusement ses gloires, car au
cœur des troubles et des malheurs terrestres, ils distinguent des merveilles
surabondantes.5
Au fil de l’histoire, les grandes traditions spirituelles du monde ont pointé vers le substrat
fondamental de l’existence et le grand mystère de l’Etre. En leur cœur, des enseignements
variés incarnent une Vérité universelle qui transcende les expressions culturelles liées au
temps de la spiritualité. ‘’Il n’y a pas de voie. La voie est conçue par le mental. C’est
comme voler dans le ciel. Le ciel est ouvert et libre, vous devez juste déployer vos ailes et
décoller. Quand vous ‘’volez dans le ciel’’, il n’y a pas de voie.’’ Le Prof. John Greer
souligne cette expérience essentielle : ‘’L’Illumination n’est pas quelque chose que vous
pouvez chercher. Une fois que toute la recherche cesse, lorsque vous vous arrêtez et
lorsque vous êtes immobile, quelque chose s’ouvre à l’intérieur de vous-même.
L’Illumination n’est pas quelque chose que nous avons perdu. C’est notre état naturel.’’
La philosophie éternelle voit en nous quelque chose qui nous rappelle à notre point de
départ et ce n’est pas tant un retour à quelque chose que nous aurions laissé derrière
nous que la reconnaissance de quelque chose qui a toujours été là. Puisqu’il est
impossible d’atteindre quelque chose qui n’a jamais été perdu, les chercheurs doivent
simplement se souvenir de ce qui est, d’être l’ainséité qu’ils sont - en d’autres termes,
expérimenter directement le fait le plus essentiel d’être vivant en cet instant même. Cette
ainséité si souvent mentionnée dans les traditions mystiques de la sagesse, est simplement
ce qui est toujours, mais dans nos vies occupées, notre esprit qui est rempli de pensées ne
la remarque pas souvent.6
LA TRANSFORMATION DE SCHÉMAS CONDITIONNÉS
Pour la majorité des gens, la structure de leur personnalité se base sur des schémas
mentaux et émotionnels conditionnés habituels qui produisent une forme d’esclavage à
des influences intérieures et externes. Le travail de la transformation intérieure consiste à
observer ces schémas et puis à diminuer leur impact grâce à l’application de l’attention et
de la vigilance. ‘’Un changement décisif ne devient possible que si nous disposons d’une
attention libre, d’un niveau d’attention qui n’est pas totalement absorbé par le
conditionnement. La capacité d’agir et de répondre (plutôt que de réagir) dépendra de la
capacité de maintenir un tel niveau d’attention.’’
5
(5) John Greer Seeing, Knowing, Being (Memphis: True Compass Press, 2012), pp.
229-230.
6
(6) John Greer Seeing, Knowing, Being (Memphis: True Compass Press, 2012), p.
10.
En pratiquant l’attention, nous voyons de plus en plus clairement les conditionnements qui
opèrent dans nos vies. Nous voyons comment nos réactions et nos comportements
conditionnés créent des problèmes et de la souffrance pour tout le monde, y compris
nous. Initialement, nous ne sommes pas capables de changer notre comportement, mais
le travail persévérant de la culture de l’attention ouvre en fin de compte la possibilité
d’agir différemment. Un jour, au lieu de réagir à une situation, nous discernons une autre
possibilité et tout change. Après cette première entaille dans le modèle de comportement
réactif, nous réalisons que nous pouvons vivre et que nous pouvons fonctionner dans le
monde sans dépendre de comportements conditionnés et des images personnelles qui les
sous-tendent. Nous pouvons vivre dans l’attention. Dorénavant, dès que nous prenons
conscience que nos schémas habituels opèrent, nous utilisons l’attention pour passer au
travers, puis nous agissons en fonction de ce qu’exige la situation.7
Grâce au travail intérieur, l’emprise puissante de la personnalité s’affaiblit progressivement
avec le temps. Le maître zen Albert Low décrit le processus : ‘’Une véritable explosion
s’était produite, mais il restait quelque débris. Les vieilles habitudes, états mentaux et
réactions sont toujours là, ainsi que l’irritation, l’inquiétude et l’ambition, mais ils ont perdu
leur emprise. Les vieux ennemis se dressent, s’écrasent, puis retournent à la poussière et
ce tyran, l’ancien souverain est brisé et ne doit plus être alimenté.’’ Dans beaucoup de
traditions, on utilise la méditation assise pour démanteler les schémas conditionnés de la
personnalité et libérer l’essence de l’Etre profond du pratiquant :
La personnalité suggère une structure interne rigide ou persistante. Elle est la stratégie
que nous avons conçue pour faire face à la vie. Avec l’assise et le temps, certains traits
dominants de la personnalité s’estompent. Chez ceux et celles qui pratiquent l’assise
depuis longtemps, la personnalité tend à s’effacer et à laisser une ouverture. Dans un
sens, plus nous pratiquons l’assise et moins nous avons de personnalité ! Au fil du temps,
notre bonne pratique nous fait répondre plus promptement à ce qui se passe. Mais à la
place d’une réaction invariable, nous répondons plus librement et d’une manière
appropriée en fonction de la situation. La pratique augmente notre capacité à répondre
d’une manière adéquate. La personnalité ne fait plus obstacle.8
Quand nous commençons à nous libérer de nos conditionnements, une approche plus
spontanée de la vie voit le jour : ‘’Le moi qui paraissait tellement solide et prévisible
commence à se dissoudre et nous devenons plus à l’aise avec notre vrai Soi qui est fluide
et détaché.’’
La vie nous a conditionnés pour créer et pour défendre notre moi et cette habitude ne
meurt pas facilement. Néanmoins, nous pouvons entreprendre de nous défaire de ces
conditionnements en prêtant attention aux motifs comportementaux qui servent à garder
7
(7) Ken McLeod Wake Up to Your Life (New York: HarperOne, 2002), p. 36.
(8) Charlotte Beck Nothing Special: Living Zen (San Francisco: Harper, 1993), pp.
145-146.
8
le moi intact. Avec de la pratique, nous pouvons devenir conscients de nos réactions
conditionnées avant d’agir sur base de celles-ci. Dans le bouddhisme, il s’agit du point de
libération. Au moment où une pensée ou un désir surgit, nous pouvons choisir d’y
répondre d’une autre manière que notre réaction habituelle égocentrique. La pleine
conscience nous permet de saisir l’instant entre l’impulsion d’agir et l’action même. Nous
pouvons opter pour une réponse neuve, créative ou nous pouvons choisir de simplement
observer l’impulsion qui s’estompe. D’une manière ou d’une autre, nous avons affirmé
notre liberté.9
Une des conséquences du travail spirituel, c’est la diminution du comportement
égocentrique en faveur d’une approche plus inclusive de la vie. P.D. Ouspensky observa
ce changement en lui après avoir travaillé avec Gurdjieff durant quelques années : ‘’La
première chose que j’ai pu constater, c’est la diminution en moi de l’extrême
individualisme qui jusque-là avait été une caractéristique essentielle de mon attitude à
l’égard de la vie. Je commençai à voir plus les gens et à mieux sentir ce que j’avais de
commun avec eux.’’
Avec la maturation de notre pratique spirituelle, nous devenons plus stables et plus
centrés, de sorte que les défis inévitables de la vie ne nous ébranlent plus. Et nous
commençons à voir les choses juste comme elles sont. Le mental égocentrique est
suspendu, le Soi réel émerge pour faire face aux défis de la vie. Un pratiquant de longue
date du zen écrit : ‘’J’ai perdu beaucoup de ce qui n’était pas réellement moi-même et en
conséquence, le fardeau du faux moi que je transportais partout est devenu plus léger. Je
ne sais pas encore qui je suis réellement, mais je sais mieux qui je ne suis pas, et cela
signifie que je puis mieux bouger et mieux couler avec la vie.’’
La pratique d’être sans crainte qui nous sommes – juste la personne que nous sommes
naturellement, sans affectation ni prétention – nécessite beaucoup d’intégrité et
d’humilité. Si nous sommes fidèles à nous-mêmes jusqu’au tréfonds de notre Etre, à ce
moment-là, nous pouvons être vrais à l’égard de tous les autres êtres. Sans nous soucier
de nous-mêmes, nous répondons juste spontanément à ce qui doit être fait…Durant tout
ce temps passé ensemble, nous nous épurons constamment et nous lâchons nos
opinions, nos pensées fixes, ‘’pour’’ ou ‘’contre’’. Et nous nous engageons à écouter , à
accepter tout ce qui survient, plutôt que de nous fermer ou de nous défendre contre
cela.10
9
(9) Dennis Gempo Merzel The Path of the Human Being (Boston: Shambhala,
2005), p. 90.
10
(10) Maurine Stuart Subtle Sound: The Zen Teachings of Maurine Stuart (Boston:
Shambhala,
1996), pp. 68-69.
Si un enseignement spirituel est totalement compris et réalisé, il y a une réorientation
fondamentale et une perception neuve de la vie. Le maître advaitin Jean Klein décrit le
processus de sa propre réalisation sous la guidance de son maître :
Les vieux schémas de pensée et d’action - de fausse identification avec le corps – ayant
perdu leur caractère concret, n’avaient plus d’emprise. C’était une simplification, de la
dispersion à l’orientation, un renforcement du pressentiment de la vérité qui devint de
plus en plus présente et de moins en moins conceptuelle. Cette compréhension de l’Etre
fournit à ma vie une nouvelle orientation. Tout était perçu d’une manière neuve. Je voyais
plus clair et quoique je ne procédai à aucun changement délibéré, beaucoup de choses
qui avaient occupé de la place dans ma vie passée tombèrent, tout simplement. J’avais été
trompé par les noms et les formes, au fur et à mesure où je m’efforçais d’avoir et de
devenir, mais avec l’orientation de l’énergie apparut un nouvel ordre de valeurs. Vous ne
devez pas l’interpréter comme l’adoption d’une nouvelle moralité d’aucune sorte. Rien ne
fut ajouté ou retiré. Je devins simplement conscient de la ‘’clarté’’ et la transformation
suivit spontanément à partir de cette conscience.11
La diminution de l’ego et des schémas de pensées, de sensations et de perceptions
conditionnés permet à notre Soi réel d’émerger. ‘’Avec la suspension du sentiment d’un
moi, nous sommes tous entiers – pas juste entiers, mais le Tout, sans toute l’inquiétude qui
accompagne invariablement le sentiment d’un moi séparé. Dans la Présence vivante, il n’y
a pas de sentiment de temps, d’intérieur ni d’extérieur, de moi ni de vous – simplement
l’Etre sain, sans murs qui nous séparent et qui nous divisent.’’
Lorsque les formes auxquelles vous vous étiez identifié et qui vous donnaient votre
sentiment personnel périclitent ou vous sont enlevées, cela peut générer un effondrement
de l’ego, puisque l’ego est l’identification à la forme. Lorsqu’il n’y a rien à quoi vous
identifier, qui êtes-vous ? Quand les formes de votre entourage périssent ou quand la
mort approche, votre sentiment d’Etre, du JE SUIS, est libéré de son emberlificotement
dans la forme : l’Esprit est libéré de son emprisonnement dans la matière. Vous réalisez
que votre identité essentielle est sans forme, est une Présence qui imprègne tout, est l’Etre
qui précède toutes les formes et toutes les identifications. Vous réalisez que votre véritable
identité est la Conscience même plutôt que ce avec quoi elle s’est identifiée. C’est la paix
de Dieu. La vérité ultime concernant qui vous êtes n’est pas je suis ceci ou je suis cela,
mais JE SUIS.12
11
(11) Jean Klein The Ease of Being (Durham, North Carolina: Acorn Press, 1986), p.
xii.
12
(12) Eckhart Tolle A New Earth (New York: Dutton, 2005), pp. 56-57.
L’HARMONISATION ET L’INTÉGRATION AVEC LA VIE QUOTIDIENNE
La maturité spirituelle se développe et mûrit de l’intérieur, mais elle s’exprime dans les
circonstances et les activités ordinaires de la vie quotidienne. Notre vie intérieure se
manifeste dans une intégration harmonieuse avec le monde extérieur et toutes ses
myriades d’aspects et possibilités. Un des grands défis du voyage spirituel qui mène à
l’Illumination, c’est d’harmoniser deux aspects de la réalité qui sont apparemment
différents – le monde de la forme et du changement (samsara) et le royaume de l’Esprit
intemporel transcendant (nirvana) :
Vu par le prisme de la philosophie éternelle, notre voyage spirituel est une voie qui relie
les deux moitiés essentielles mais apparemment incompatibles de notre être. La moitié
que nous connaissons tous bien est définie par la dualité : les oppositions et contraires
sont partout dans notre environnement ordinaire. Nous sommes conditionnés pour voir
les chose d’une manière duelle. Nos vies balancent toujours entre fortune et perte, plaisir
et douleur, bien et mal et toutes les autres polarités caractérisant l’expérience quotidienne,
telle que nous la connaissons…L’autre moitié de cette polarité fondamentale, c’est la nondualité, cette dimension oubliée où l’unité se trouve dans la multiplicité. Toutes les
traditions sacrées du monde et les sages identifient la non-dualité comme étant notre
véritable nature. C’est la source dont nous sommes issus. Tantôt évoqué comme l’absolu,
l’invisible, le divin ou juste l’ainséité, cet aspect de notre être n’a pas de limites, de
divisions ou de contraires. C’est l’état d’être auquel nous aspirons et le but de notre
voyage, où nous rentrons chez nous.13
La plupart des gens sont perdus et s’identifient aux circonstances changeantes du monde
extérieur et n’accordent aucune attention à l’alimentation de leur Etre intérieur ou au
développement d’une relation sensée entre ces deux mondes. C’est une grossière erreur
que de considérer la spiritualité comme étant dissociée du monde quotidien des
phénomènes et de l’expérience :
Ce qui ne va pas, c’est que la spiritualité est considérée comme quelque chose
d’extraordinaire, quelque chose de totalement déconnecté de la vie quotidienne. Vous
entrez dans une autre sphère, un autre royaume, pour ainsi dire, et vous sentez que cet
autre royaume est la seule réponse. C’est la raison pour laquelle il est tellement important
pour nous de parler de la spiritualité en lien avec tous les aspects qui relèvent de notre
monde familier, car nous pouvons voir des situations ordinaires depuis la perspective
d’une vision intérieure extraordinaire. Il vous faut commencer avec ce que vous êtes, là où
vous êtes maintenant. Les concepts ne peuvent pas exister dans l’état de présence, mais
l’attention est très présente. Vous êtes conscient du moment présent. Vous êtes
maintenant – pas dans le passé, ni dans le futur, mais vous êtes maintenant. Dans cet état
13
(13) John Greer Seeing, Knowing, Being (Memphis: True Compass Press, 2012),
p. 10.
de conscience, vous n'avez aucun besoin de vous accrocher à des concepts concernant
qui vous êtes ou qui vous serez.14
Le chercheur doté de discernement pourra faire la distinction entre les enseignements qui
promettent des états supérieurs de conscience et l’acquisition de pouvoirs matériels et
ceux qui s’accordent avec la simplicité et l’émerveillement du mystère intemporel de
l’instant présent :
Si vous voulez souscrire à une vie spirituelle, ce qui compte est simple. Vous devez être
sûr que votre voie est la voie du cœur. On vous fait miroiter beaucoup d’autres
perspectives sur le marché de la spiritualité moderne et les traditions spirituelles vous
offrent des récits d’Illumination, de Félicité, de Connaissance, d’Extase divine et des plus
hautes possibilités de l’âme humaine. Dans toute la vaste gamme des enseignements qui
vous sont accessibles dans le monde, on est souvent d’abord attiré par les aspects les plus
éblouissants, les plus extraordinaires. Même si la promesse d’atteindre ces états peut
s’avérer exacte et même si ces états sont représentatifs de l’enseignement, dans un certain
sens, ils font également partie de l’arsenal publicitaire du commerce de la spiritualité. Ils ne
constituent pas le but de la vie spirituelle. La vie spirituelle n’est pas la recherche ni
l’acquisition d’un état extraordinaire ou de pouvoirs spéciaux. En réalité, ce type de
recherches peut vous éloigner de vous-même et de l’éveil. Si vous n’êtes pas attentif, vous
pouvez facilement voir se répéter les grands échecs de notre société moderne – ses
ambitions, son matérialisme et l’isolement individuel – dans votre vie spirituelle. Pour
entreprendre un authentique voyage spirituel, il suffit de rester tout près de chez vous , de
vous concentrer directement sur ce qui est ici juste devant vous et de veiller à ce que
votre chemin soit relié à l’amour et à une présence simple et compatissante. Ecouter avec
son cœur le mystère de l’ici et maintenant, c’est là où commence la méditation.15
Pour qu’une action dans le monde s’avère habile et efficace, il doit y avoir un fondement
d’intelligence et de conscience éveillée qui la sous-tend, une Présence intérieure
authentique. Jack Kornfield : ‘’La progression elle-même est le but, parce que chaque
instant où vous êtes pleinement conscient, pleinement dans le présent, sans avidité, sans
haine et sans illusion, est un moment de libération et un pas vers la libération finale.’’
Nous apprenons aussi que l’action, même si elle est nécessaire, n’est qu’un facteur
secondaire dans la manifestation de notre réalité extérieure. Le principal facteur de la
création, c’est la conscience. Peu importe comment nous sommes actifs et peu importe
combien d’efforts nous faisons, c’est notre état de conscience qui crée notre monde et s’il
n’y a pas de changement intérieur, aucune dose d’action ne fera la différence. Nous ne
14
(14) Chögyam Trungpa Work, Sex, Money (Boston: Shambhala, 2011), p. 98.
(15) Jack Kornfield The Buddha is Still Teaching (Boston: Shambhala, 2010), pp.
10-11.
15
ferons que recréer des versions modifiées du même monde, encore et toujours, un
monde qui sera le reflet extérieur de l’ego.16
La lucidité et la compréhension spirituelles intègrent le relatif et l’absolu, les dimensions
secondaire et primaire de la vie et de la réalité. Le maître bouddhiste tibétain, Tarthang
Tulku : ‘’Nous sommes centrés dans l’immédiateté de l’expérience et participons pourtant
dans ses formes extérieures à la manifestation de notre expérience intérieure. Cette
compréhension est la véritable intégration, la connexion authentique de tout notre être
avec la réalité de l’expérience, avec le maintenant qui n’est pas limité par le temps ni par
l’espace.’’
Q : Pouvons-nous considérer notre progrès spirituel comme une progression linéaire ?
R : On en revient ici à la question de voir les choses suivant la perspective de la réalité
absolue ou relative. Dans l’enseignement ou dans la pratique, il est souvent utile de
penser à l’approfondissement de la méditation et de la vision intérieure comme au
développement de moments de sagesse de plus en plus fréquents, au fil du temps. Ainsi,
au niveau relatif, la pratique est une progression, une amélioration, au fil du temps. Mais
en réalité, au niveau absolu, le temps n’existe pas. Le temps est un concept. En ce qui
concerne notre perception, la seule chose qui existe est ici et maintenant. Il n’y a que le
moment présent. L’emploi du temps et l’utilisation du mot ‘’voie’’ ou ‘’chemin’’ n’est
qu’une façon de parler relative. Avec la compréhension absolue, nous aboutissons
pleinement dans l’instant et la voie s’achève. Il n’y a pas d’amélioration, juste être ici et
maintenant.’’17
RÉFÉRENCES
(1) Toni Packer The Wonder of Presence (Boston: Shambhala, 2002), p. 21.
(2) John Greer Seeing, Knowing, Being (Memphis: True Compass Press, 2012), pp.
167-168.
(3) Tony Parsons The Open Secret (Shaftesbury, England: Open Secret Publishing,
2005), pp. 4-5.
(4) Tony Parsons As It Is (Carlsbad, California: Inner Directions Publishing, 2004),
pp. 27-28.
(5) John Greer Seeing, Knowing, Being (Memphis: True Compass Press, 2012), pp.
229-230.
(6) John Greer Seeing, Knowing, Being (Memphis: True Compass Press, 2012), p.
10.
(7) Ken McLeod Wake Up to Your Life (New York: HarperOne, 2002), p. 36.
(8) Charlotte Beck Nothing Special: Living Zen (San Francisco: Harper, 1993), pp.
145-146.
16
(16) Eckhart Tolle A New Earth (New York: Dutton, 2005), p. 290.
(17) Jack Kornfield Living Buddhist Masters (Santa Cruz: Unity Press, 1977), p.
299.
17
(9) Dennis Gempo Merzel The Path of the Human Being (Boston: Shambhala, 2005),
p. 90.
(10) Maurine Stuart Subtle Sound: The Zen Teachings of Maurine Stuart (Boston:
Shambhala, 1996), pp. 68-69.
(11) Jean Klein The Ease of Being (Durham, North Carolina: Acorn Press, 1986), p.
xii.
(12) Eckhart Tolle A New Earth (New York: Dutton, 2005), pp. 56-57.
(13) John Greer Seeing, Knowing, Being (Memphis: True Compass Press, 2012), p.
10.
(14) Chögyam Trungpa Work, Sex, Money (Boston: Shambhala, 2011), p. 98.
(15) Jack Kornfield The Buddha is Still Teaching (Boston: Shambhala, 2010), pp. 1011.
(16) Eckhart Tolle A New Earth (New York: Dutton, 2005), p. 290.
(17) Jack Kornfield Living Buddhist Masters (Santa Cruz: Unity Press, 1977), p. 299.