
98 Revue d’anthropologie des connaissances – 2014/1
INTRODUCTION
Comme l’ont rappelé G. de Terssac et J. Thoemmes (2006), le temps est
orienté dans le travail vers une rationalité calculatrice (Thrift, 1981). Les
cadres qui ont une responsabilité d’encadrement, qu’on désignera comme des
managers ou des encadrants (Mispelblom-Beyer, 2006), sont particulièrement
confrontés à la question de l’organisation de leur temps au travail: leur statut
leur confère un pouvoir de gestion de leurs temporalités et une autonomie
(Boltanski, 1982) à laquelle ils sont attachés, qui sont, cependant, limités et
contraints de facto par leurs responsabilités et la spécificité de leur activité.
Cette dernière est, en effet, caractérisée par la «fragmentation»1 (Mintzberg,
1973, 1984) et par la «polyactivité» (Benguigui et al., 1978; Cousin, 2008).
Des études plus ethnographiques mettent au cœur de l’activité du manager les
«situations dispersives» (Datchary, 2005, 2011) tandis que d’autres parlent
de « temporalités professionnelles “parasitées” » (Thoemmes et al., 2011).
Les transformations de l’organisation de la production (Vatin, 1987; Coriat,
1991), l’introduction massive des nouvelles technologies de l’information
et de la communication (NTIC) et l’évolution des normes managériales
comme la montée de l’organisation par projet ont contribué à exacerber ces
caractéristiques de l’activité des managers (Datchary & Licoppe, 2007). Ainsi,
pris entre les prescriptions du plan et les aléas du terrain, le manager constitue
un bon exemple pour analyser le «travail d’articulation temporelle» à l’œuvre
dans les activités productives contemporaines.
Or les organisations tentent de mettre en place des dispositifs pour former
leurs cadres à la gestion de ces situations professionnelles complexes, notamment
en vue de rendre plus compatibles les temporalités organisationnelles, collectives
et individuelles qui s’enchevêtrent dans l’activité de travail. L’un de ces dispositifs
est le coaching individuel, prestation de service introduite en France dans les
années 1990, en partie importée des États-Unis, et régulièrement utilisée par
les grandes entreprises pour certains cadres supérieurs et dirigeants depuis
le début des années 2000. Consistant en une dizaine d’entretiens individuels,
confidentiels et réguliers, entre un cadre et un consultant coach, la prestation
a pour but « l’accompagnement de personnes pour le développement de leurs
potentiels et de leurs savoir-faire, dans le cadre d’objectifs professionnels»
2. Les
thèmes abordés sont multiples (relations interpersonnelles au travail, «savoir-
être», carrière…), mais la question de la «gestion du temps» y figure en bonne
place, dans la continuité des stages de formation et de la littérature managériale,
précisément parce qu’elle fait partie des préoccupations centrales des managers
et des injonctions organisationnelles à l’augmentation de l’efficacité dans un
temps réduit. Bien que ce dispositif soit souvent «prescrit» – selon le terme en
1 Par convention, les expressions entre guillemets sans italique sont celles des auteurs mobilisés,
tandis que les propos entre guillemets et en italique sont ceux des acteurs étudiés. Les expressions
sans guillemets et en italique correspondent à nos propres notions.
2 Selon la définition de la Société Française de Coaching.
© S.A.C. | Téléchargé le 22/08/2020 sur www.cairn.info (IP: 82.64.162.119)
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