La position tierce vise à un genre d’équilibre instable. Elle reconnaît la valeur
supérieure de la vérité, mais souligne que dire la vérité peut parfois engendrer
des conséquences négatives et doit donc être contrebalancé par d’autres valeurs
éthiques, comme la non-violence (
ahimsa
), la paix et la justice.
Il est facile de remarquer que cette tierce position requiert un haut degré de
discernement. La position absolutiste, même si elle n’est incontestablement pas
facile, a le mérite d’être simple, c’est pourquoi elle compte dans ses rangs
beaucoup d’acteurs philosophiques et éthiques majeurs. (Les absolutistes se
sentent souvent mieux que la majorité d’entre nous, quand ils se lèvent le matin,
ne fût-ce que parce que leur position est si bien définie.) Le théologien, saint
Augustin et le philosophe allemand du 18ème siècle, Emmanuel Kant, de même
que Patanjali et Gandhi appelaient la vérité – c’est-à-dire pas de mensonges, ni
d’exagérations, ni d’inventions – la valeur absolue qu’il ne faut jamais
abandonner. Mentir, selon cette position, est la pente savonneuse et vertigineuse,
par excellence. Tout d’abord parce qu’un menteur doit dépenser d’énormes
quantités d’énergie à garantir le bien-fondé de ses histoires. Vous commencez par
dire à votre voisin que votre IPod qu’il voulait vous emprunter est cassé. Ensuite,
il vous faudra protéger votre mensonge en ne lui permettant pas de voir que vous
l’utilisez bel et bien. Vous devrez aussi mettre au courant votre femme. Votre
mensonge vous a déjà coûté pas mal d’énergie. Et il y a toujours le danger qu’il
devienne apparent dans le futur et votre voisin risque alors de ne plus vous croire
ni de vous faire confiance. Sans parler de votre femme qui vous a sans doute déjà
entendu mentir concernant d’autres histoires…
L’autre argument en faveur de l’honnêteté radicale va beaucoup plus loin :
mentir vous désaxe par rapport à la réalité. C’était la position de Gandhi qui se
fonde sur la compréhension que la vérité réside au cœur même de l’existence, de
la réalité. Un texte kabbalistique appelle la vérité la chevalière de Dieu et la
Taittiriya Upanishad dit que Dieu est la vérité elle-même. En termes
psychologiques, puisque mentir nous déconnecte de la réalité, ceci nous affolera
toujours un peu. N’importe quelle personne qui a grandi dans une famille qui
dissimulait des secrets reconnaitra ce sentiment de dissonance cognitive qui
apparaît quand des faits sont dissimulés. La dissonance fait fureur dans le
système de la société, les mensonges et les secrets s’incrustant tellement dans
nos vies d’affaires, politiques et personnelles que la plupart d’entre nous
présument automatiquement que le président, les médias et nos institutions
religieuses nous mentent à propos de quelque chose.
Si les conséquences du mensonge sont spirituellement et socialement aussi
destructrices, pourquoi une personne éthique choisirait-elle alors de dire une
inexactitude ? Pour deux raisons. Une personne éthique pourrait choisir de
mentir si dire la vérité factuelle pourrait compromettre d’autres valeurs tout
aussi importantes. Dans le Mahabharata, grand traité éthique de la tradition
indienne, il y a un passage célèbre qui implique un mensonge. Krishna guide les
vertueux Pandavas dans une guerre cruciale contre les forces du mal. Krishna –
qui d’après les hindous orthodoxes incarne la vérité divine sous forme humaine –