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Qu'est-ce que la vérité ? - Prof. N. Kasturi

QU’EST-CE QUE LA VÉRITÉ ?
PROF. N. KASTURI
‘’Tu es roi, alors ?’’, dit Pilate. Jésus répondit : ‘’Roi, c’est toi
qui le dis. Ma tâche, c’est témoigner de la vérité. C’est pour
cela que je suis né ; c’est pour cela que je suis venu au monde
et tous ceux qui ne sont pas sourds à la vérité écoutent ma
voix.’’ Pilate dit : ‘’Qu’est-ce que la vérité ?’’ Et avec ces
mots, il sortit de nouveau auprès des juifs.
Pilate n’attendit pas la réponse de Jésus. Hélas ! Quel
dommage ! Jésus se connaissait comme la Voie, la Vérité et
la Vie. Au lieu d’apprendre de Jésus ce qu’il était venu
enseigner, Pilate alla de nouveau à l’extérieur trouver les juifs
qui réclamèrent la crucifixion de Jésus.
Le serment
Si nous étudions la question posée par Pilate, nous sommes
Bhagavan Sri Sathya Sai Baba
confrontés à une kyrielle de ‘’mais’’. La personne qui est à
et le Prof. N. Kasturi
la barre des témoins jure, la main posée sur un livre sacré
ou sur le coeur de dire ‘’la vérité, toute la vérité et rien que la
vérité’’. Mais la Vérité, la chose authentique, n’est ni connaissable, ni communicable. Chaque
témoin, tout en prétendant dire ‘’toute la vérité’’, ne peut se permettre que des demi vérités,
qui sont bien souvent des doubles mensonges ! Ils livrent des versions divergentes des
incidents ou des auteurs, puisque leurs réponses sont colorées, polluées, adaptées ou
transformées par leur désir de vengeance ou de victoire. L’observation même, même si elle
est précise et le fait de personnes attentives et intelligentes, se fait, le plus souvent, avec des
verres teintés par la vanité ou le préjugé, la servilité ou la haine. Rarement la vérité est dite
inconditionnellement ou sans vernis. Elle est traitée comme un moyen et non comme un
axiome. Dans chaque débat, concours ou controverse, dans chaque lutte, conflit ou guerre,
elle est la première sur la liste des victimes.
La Vérité adore aussi jouer à cache-cache. Elle adore se camoufler et se maquiller. Le réel et
l’authentique mettent nos facultés à l’épreuve, au maximum, car ils n’apparaissent que
comme nous le désirons, décorés, modifiés ou modelés pour titiller nos préférences ou nos
aversions. Pas étonnant dès lors qu’un aspirant à la connaissance de la Vérité se lamenta ainsi,
comme le mentionnent les Védas : ‘’Ce que je suis, je n’en sais rien. J’erre seul, accablé par
mon mental.’’ Le mental projette son nuage d’aversion ou d’attachement, de thésaurisation ou
d’angoisse sur ce qu’il préfère comme Vérité. Swami déclare : ‘’La connaissance de la Vérité
s’acquiert par l’investigation continue de l’intellect clarifié et de l’esprit purifié.’’
Esprit purifié ?
Nos sens récoltent les informations du monde objectif qui peuvent plaire à l’ego qui est leur
commanditaire. ‘’Nos cerveaux les arrangent jusqu’à ce qu’elles s’organisent d’une manière
acceptable’’, dit Lyall Watson. Arthur Koestler dit : ‘’Entre la rétine et les centres supérieurs
du cortex, l’innocence de la vision est irrémédiablement perdue ; elle a succombé aux
suggestions de lobbyistes cachés.’’ Certains de ces persuadeurs ont même étonnamment filtré
à travers le tamis génétique subtil de nos séjours terrestres antérieurs !
Il y a un autre facteur qui trompe tout autant – les besoins et les convictions des autres parmi
lesquels nous devons grandir. Nous sommes ‘’instruits’’ dans des modes d’action et de
réaction, d’analyse et de synthèse, dans des idées et des idéaux qui sont accentués et respectés.
Nous sommes tellement conditionnés par les forces insidieuses de l’approbation sociale que
nous imbibons et dont nous sommes les jouets : coutumes et convenances, vagues, vogues et
modes, modèles et plans, langages et idoles (langage de nos idoles ?), tout ce qui est prescrit
ou proscrit par l’opinion publique.
Intellect clarifié ?
Une expérience est quelque chose de volatil qui cherche un lieu d’habitation et un nom.
Rarement, elle peut pénétrer dans le royaume de la conscience, sans mots ou sans étiquettes
linguistiques ou sans visas vocalisés. Il faut qu’elle soit classée et cataloguée, comparée et
validée, avant d’être enregistrée. Plus riche est le vocabulaire d’une personne, plus
enrichissante devient son expérience, pour lui et pour les autres. Nous devons nous satisfaire
de vocables à usages multiples émoussés pour distinguer l’indéfini.
Beaucoup dépend de l’intégrité de la personne qui parle et de l’intelligence de l’auditeur.
Mais même si tous deux sont bien équipés à ce propos, s’ils sont attachés à une langue via
laquelle les expériences sublimes spontanées ne peuvent pas s’exprimer par des mots distincts,
des préfixes et des suffixes, des prépositions et des paraphrases, il devient difficile de les
graver dans la mémoire pour les reprendre et les méditer.
Ce défaut fut constaté il y a des siècles par les sages des textes upanishadiques. La
Brihadaranyaka Upanishad, en développant Sathya Vidya, le processus de méditer sur
Brahman (l’Absolu), en tant que Sathyam, Vérité, révèle que le mot Sathyam a trois syllabes :
Sa thi yam – ‘’Les première et dernière syllabes sont la Vérité ; au milieu, il y a le mensonge
(anrtham) ; le mensonge est englobé par la Vérité ; par conséquent, il participe de la nature de
la Vérité.
Le mirage
Schrödinger parle de la Réalité comme ‘’étant créée par l’observateur’’. Heisenberg écrit :
‘’L’objet que nous percevons est inextricablement lié à notre conscience subjective. En fait,
personne ne peut observer un objet ou un individu sans le colorer avec lui-même. Il n’y a pas
d’observateurs ; il n’y a que des participants.’’
Einstein nous a dit : ‘’Quiconque prétend s’ériger comme juge de la Vérité s’expose à périr
sous les éclats de rire des dieux.’’
Et l’hymne védique se lamente :
‘’Qui sait vraiment ? Qui peut se permettre de l’affirmer ?
D’où ceci est-il né ? D’où est venue cette création ?
Les dieux sont-ils venus après que le non être devint l’être ?
Et l’être est devenu ceci ? Comment ceci est-il venu à être ?
Cela, d’où a procédé la création –
Cela la soutenait-il, ou pas ?
Le Superviseur, tout là haut dans le ciel,
Il sait vraiment…Ou peut-être ne sait-Il pas ?
Cent (sans) réponse(s)
Si Pilate avait demandé à cent personnes : ‘’Qu’est-ce que la Vérité ?’’, et s’il avait attendu la
réponse, il aurait reçu une centaine de réponses différentes – chacune d’elles, une conjecture
non confirmée, une hypothèse hésitante ou une approximation douteuse. Chacun a sa
définition favorite. La vérité, c’est le pouvoir ; la vérité, c’est ce que je défends ; la vérité,
c’est la conscience qui aiguillonne ; la vérité, c’est ce que le Livre proclame ; la vérité, c’est
ce qui survit au passage du temps ; la vérité sort de la bouche des enfants ; la vérité, c’est
l’éclat des armes ; ce que les astres révèlent à l’adepte ; la vérité, c’est la parole de l’oracle ;
ce que révèle le détecteur de mensonges ; la trouvaille du psychiatre ; etc., etc., la plupart du
temps, elle est le produit fictif, fragile et fragmentaire de notre propre imagination.
La voie de la Vérité est pavée de certitudes abandonnées. Le niveau de pureté morale, de
clarté mentale, d’exactitude intellectuelle et de stabilité émotionnelle décide de la vérité sur
laquelle nous pouvons nous appuyer. Quand l’horizon s’élargit, quand les vagues se calment
et quand les tempêtes s’apaisent, de nouvelles facettes de la Vérité nous sont révélées.
Notre mental, avec ses préférences et ses préjugés innombrables, ses désirs et ses projets
multiples, obscurcit la Vérité dans le but de satisfaire nos fantasmes éphémères. Cette
stratégie de diversion contrarie notre intelligence et abrutit notre intuition. Ainsi, nous devons
tâtonner après la Vérité dans le maquis d’un immense et vaste ‘’peut-être’’. Nous avons en
effet en Inde une école honnête et honorée de métaphysiciens sceptiques, la Syad Vada qui
professe et qui propage sa vision de la Vérité par le biais de ‘’peut-être’’!
Cette école Syad Vada paraît légitime. L’incompréhensibilité innée de ‘’la Vérité, toute la
Vérité et rien que la Vérité’’ y est démontrée par sept étapes d’une étonnante logique de
possibilités, les Sapta Bhangi Nyaya, qui brise l’idée de finalité :
1)
2)
3)
4)
5)
6)
7)
Syad asthi (Peut-être existe-t-elle)
Syad nasthi (Peut-être n’existe-t-elle pas)
Syad asthi cha, nasthi cha (Peut-être existe-t-elle et n’existe-t-elle pas)
Syad avakthavyah (Peut-être est-elle indescriptible)
Syad asthi cha avakthavyah (Peut-être existe-t-elle, bien qu’indescriptible)
Syad nasthi cha avakthavyah cha (Peut-être n’existe-t-elle pas et est-elle indescriptible)
Syad asthi cha, nasthi cha avakthavyah cha (Peut-être existe-t-elle et n’existe-t-elle
pas et est-elle indescriptible)
Pas de scepticisme
Mais Sankara, le plus méticuleux interprète et protagoniste de l’Advaita Darshan, qui réunit la
conscience mystique de la vérité, la valeur logique et la révélation scripturaire n’est pas épris
de scepticisme. En commentant le Sapta Bhangi Nyaya, il écrit : ‘’Comment un maître de
cette école de philosophie, supposé être une autorité, peut-il instruire, quand les moyens de
connaissance, les objets de la connaissance, le Connaissant et la Connaissance restent de
nature indéfinie ? Et comment ceux qui s’appuient sur ses points de vue suivent-ils son
instruction ?’’
En dépit de cet indéterminisme, de cette incompréhensibilité et de sa propre incompétence,
l’homme est perpétuellement tenaillé par une faim intérieure de vérité, une voix intérieure qui
le pousse à se lever, à s’éveiller et à recevoir l’instruction des Maîtres. Il implore : ‘’Conduismoi de l’irréalité à la réalité, conduis-moi de l’obscurité à la lumière, conduis-moi de la mort
à l’immortalité.’’ Lorsque la faim est tolérée, exclue ou réprimée, lorsque la voix intérieure
est brouillée ou raillée, le Maître, le Swami se présente comme instructeur pour guider
l’homme jusqu’à cette Vérité.
‘’L’humanité et la divinité, le rôle et la réalité coexistent inséparablement dans chacun d’entre
vous’’, dit Swami à un groupe d’étudiants, en 1974. ‘’Ils sont le négatif et le positif qui
ensemble produisent la chaleur de l’amour, de la lumière et de la sagesse. Une fois que vous
êtes établi dans la conscience de la réalité, vous pouvez circuler en toute sécurité dans les
allées de l’apparence.’’
Dieu est la vérité
Swami dit : ‘’Dieu est la vérité de tous les êtres et de toutes les choses. Chaque onde et
chaque particule, chaque atome et chaque cellule sont remplis de Dieu et opèrent en Dieu et
par Dieu. Vous pouvez, par esprit de contradiction, par orgueil ou par manque d’intelligence
rejeter cette vérité, mais la vie vous a été rendue pour que vous puissiez vous libérer des
chaînes du mensonge et parvenir au but de la Vérité.’’ Les défauts subjectifs et les distractions
objectives sont les défis auxquels nous sommes confrontés, mais ils ne sont pas aussi
formidables qu’ils en ont l’air. ‘’Demandez, et on vous répondra. Frappez, et on vous ouvrira.
Marchez, et vous parviendrez au but’’, nous dit-on.
Un nombre incalculable de pèlerins et d’élèves ont sillonné la Terre, ses routes principales et
ses chemins de traverse, à la recherche de la vérité, la vérité sur eux-mêmes et sur le scénario
et la lutte dans laquelle ils ont été poussés. Le cheminement des patients à la recherche d’une
guérison jusqu’aux portes des sages s’est poursuivi tout au long de l’Histoire. L’homme ne
peut pas trouver la paix jusqu’à ce qu’il comprenne la vérité de tout ce qui suscite
l’émerveillement, l’admiration respectueuse, l’empathie, la révérence, la curiosité et la peur. Il
recherche l’unité et la cohérence, l’harmonie et la beauté. Il veut connaître les choses, telles
qu’elles sont réellement, pas comme elles paraissent ou feignent d’être.
Fort heureusement, il y a un bon côté à l’histoire du périple de l’homme jusqu’à la Vérité. Des
prophètes, des sages et des saints, des maîtres et des messagers sont apparus parmi tous les
peuples et ils ont appris aux hommes, par le précepte et par l’exemple, la vérité qui peut les
libérer. La Conscience cosmique Elle-même, quand Elle perçoit l’embrouillement et la
frustration de Ses parts, décide de se mouler en une forme qui peut circuler parmi les hommes
et les pousse chez eux, vers Elle-même. Cette forme se reconnaît en tant qu’Avatar, une
particularisation de l’Absolu. L’Avatar apparaît pour combler le besoin ressenti et c’est ainsi
que sa sagesse, que Son amour, que Son pouvoir et que Sa compassion se répandent sur tous
ceux qui ont besoin d’eux. Il se soucie de tous les hommes et même de tous les êtres vivants
et également de la matière inanimée.
Car, comme Swami le dit : ‘’Sarvam Brahmamayam, tout est issu de Brahman, le vaste océan
qui produit des ondulations, des vaguelettes, des vagues, de l’écume, des flocons de neige et
des icebergs. L’atome est une réplique de l’énergie cosmique ; la cellule est un écho de la
volonté cosmique. ‘’Vasudeva est tout’’, déclare la Gita, sans exception. Le Rig Veda
proclame : ‘’Tout ceci est Purusha Lui-même, tout ce qui a été et tout ce qui sera.’’ Ceci est la
Vérité. Le Rudra Adhyaya du Yajur Veda enjoint à l’homme d’adorer 238 entités
représentatives de Dieu, illustrant ainsi qu’il n’y a rien, à l’exception de Dieu. (La Katha
Upanishad condamne ceux qui voient le cosmos comme étant multiple et non comme
Brahman, fondamentalement ; ils doivent laborieusement progresser, vie après vie, jusqu’à ce
qu’ils réalisent leur erreur).
Rudra, le Nom qui est donné à Dieu, est décrit dans les textes védiques, comme le Motivateur
installé dans tous les cœurs, le Pourvoyeur, le Sauveur de l’univers, qui est la forme qu’Il a
Lui-même assumée. Il s’identifie aux dirigeants, aux intermédiaires et aux modestes ; aux
grands, aux petits et aux corpulents ; aux anciens, aux jeunes et aux très jeunes ; aux sages,
aux curieux et aux médiocres. Il est la pierre, le sable et la poussière ; la neige fondue, le
pollen et le gravillon ; l’ondulation, l’écume et la vague ; la rivière, le ruisseau, le lac et le
canal ; l’éclair, le nuage, l’averse et la pluie ; l’océan, l’île et le rivage. Rudra est la grande
route, le chemin, la piste. Il est le germe, la pousse, les feuilles, les insectes nuisibles, les
oiseaux multicolores, l’arbre et le bois. Il est le commerçant, le fermier ou l’éleveur. Il est
l’étable et la récolte, la nourriture et le cuisinier. Il est l’agriculteur des terres fertiles et des
terres arides. Il est l’homme brave et redoutable qui se bat dans les tranchées, à découvert, à
l’aide de missiles, de flèches, de lances et à coups d’épée. Il est le guerrier que les duels
enchantent, qui charge sur son char avec son casque et sa cotte de maille. Il est le fantassin, le
cavalier, le maître-chien et ceux qui suivent. Il est l’éclaireur, le messager, le forgeron, le
charpentier, le chasseur, le guérillero rusé, l’escroc et le brigand, le leurre et l’imitateur.
Rudra prend la forme du moine, du résident de la grotte à la couronne de cheveux emmêlés,
de celui qui a maîtrisé la posture stable, du sage qui a réussi la traversée et qui aide les autres
à l’effectuer, du vieil érudit, du dialecticien que les débats excitent, du spécialiste des Védas
et du maître des rituels. Il est celui qui est compatissant, doux et tendre.
En fait, Dieu est l’étoffe, le coton et le fil du tissu que nous percevons en tant qu’univers.
C’est la Vérité qui est inscrite dans chaque cellule et dans chaque étoile.
Prof. N. Kasturi
Sanathana Sarathi, 1987