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Contrats Publics – n° 110 – mai 2011
Vie des contrats
Sous-rubrique
I. L’acheteur est-il tenu d’écarter les offres
anormalement basses?
Cette première interrogation paraît de prime abord surpre-
nante tant l’article 55 du code des marchés publics(2) régissant
la matière semble clair. La solution est toutefois loin d’être aussi
évidente, ainsi que le conrment les décisions contradictoires
rendues sur ce point.
Certes, l’article précité paraît faire de l’exclusion des offres anor-
malement basses une simple faculté, celui-ci précisant que «si
une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur
peut la rejeter par décision motivée». L’acheteur aurait donc
toute latitude pour accepter (en faisant alors son affaire de la
bonne ou mauvaise exécution du contrat) ou écarter une offre
qu’il estimerait être anormalement basse. Certaines décisions
retiennent d’ailleurs une formulation explicite en relevant que
«ces dispositions n’organisent qu’une simple faculté pour la
commission d’appel d’offres de rejeter une offre anormalement
basse»(3), position que viennent très récemment de reprendre à
leur compte les tribunaux administratifs de Paris(4) et de Rennes(5).
Cette interprétation est toutefois critiquable et contestée.
Il ne faut en effet pas perdre de vue que les dispositifs commu-
nautaire (rédigé d’ailleurs de manière quelque peu différente(6))
et national, s’ils reposent sur le souci de préserver la respon-
sabilité et la liberté de choix de l’acheteur, visent également à
veiller à ce que cette liberté ne vienne pas remettre en cause
le jeu normal de la concurrence et le principe d’égalité entre
candidats(7). Au-delà de la protection des intérêts des personnes
publiques, le dispositif afférent aux offres anormalement basses
tend donc aussi à prémunir l’acheteur, et par ricochet les candi-
dats, de pratiques anticoncurrentielles tels le dumping et autres
reventes à perte. En cela, l’article 55 du code des marchés publics
fait écho dans le droit de la commande publique à certaines pro-
hibitions notamment matérialisées par l’article 420-5 du code du
commerce(8) interdisant «les offres de prix ou pratiques de prix
de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux
coûts de production, de transformation et de commercialisation,
dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent
avoir pour effet d’éliminer d’un marché ou d’empêcher d’accé-
der à un marché une entreprise ou l’un de ses produits»(9).
Dans de telles conditions, et an d’assurer le respect des prin-
cipes fondamentaux de la commande publique(10), il semble
(2) Texte transposant les articles 55 de la directive 2004/18 et 57 de la
directive 2004/17.
(3) TA Versailles 13 mai 2008, Commune de Plaisir, req. n° 0506110, Contrats
marchés. publ. n° 184, note Eckert.
(4) TA Paris, 13 janvier 2011, Soc. Razel, req. n° 1022068/6.
(5) TA Rennes, 28 mars 2011, Soc. Ecosys, req. n° 1100878.
(6) L’article 55 de la directive 2004/18 précise ainsi, notamment, que « si, pour
un marché donné, des offres apparaissent anormalement basses par rapport
à la prestation, le pouvoir adjudicateur, avant de pouvoir rejeter ces offres,
demande, par écrit, les précisions sur la composition de l’offre qu’il juge
opportunes».
(7) En ce sens cf. F. Llorens et P. Soler-Couteaux, Code des marchés publics
commenté, Litec, 2011, p. 797.
(8) Disposition toutefois a priori non directement invocable à l’appui d’une
contestation contre une procédure de dévolution (en ce sens cf. TA Marseille,
12 février 2008, req. n°0800581).
(9) Cf. également article L. 442-2 du code de commerce: «Le fait, pour tout
commerçant, de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un
prix inférieur à son prix d’achat effectif est puni de 500000 F d’amende. Cette
amende peut être portée à la moitié des dépenses de publicité dans le cas où
une annonce publicitaire, quel qu’en soit le support, fait état d’un prix
inférieur au prix d’achat effectif.»
(10) Cf. Gabriel Eckert, « Contrôle juridictionnel des offres anormalement
basses », Contrats marchés. publ. n° 10, Octobre 2006, comm. 251 évoquant le
légitime de considérer que l’acheteur n’ait pas la faculté mais
bien l’obligation d’évincer l’offre litigieuse. La jurisprudence
majoritaire paraît aller en ce sens en considérant comme affec-
tées d’illégalité les procédures conduisant au choix d’un sou-
missionnaire ayant déposé une offre anormalement basse(11).
On relèvera d’ailleurs que le tribunal administratif de Lille a
récemment considéré que cette obligation s’appliquait à tous
les types de marchés publics, y compris ceux passés selon une
procédure adaptée(12), tandis que son homologue lyonnais a
transposé cette solution aux délégations de service public, bien
que le CGCT soit muet sur ce point, en relevant que «les prin-
cipes généraux de la commande publique […] font obstacle à ce
qu’une collectivité délégante choisisse une offre anormalement
basse à l’issue d’une procédure de délégation de service public,
alors même que la délégation s’exécute aux frais et risques du
délégataire»(13).
En dépit de certaines décisions isolées, il paraît donc bien
nécessaire pour un acheteur – ce qui va d’ailleurs de pair avec le
contrôle que se reconnaît, après quelques hésitations(14), le juge
du référé précontractuel des dispositions de l’article 55 du code
des marchés publics – d’écarter les offres devant être regardées
comme anormalement basses.
II. L’acheteur doit-il mettre en œuvre un
processus de contrôle et de détection des
offres potentiellement anormalement basses?
Au-delà de cette supposée, quoique discutée, obligation d’évin-
cer les offres anormalement basses, une seconde interrogation
s’est faite jour: les acheteurs doivent-ils, quand bien même
l’offre ne serait pas in ne anormalement basse, mettre en
œuvre un mécanisme de contrôle des propositions nancière-
ment douteuses pour pouvoir détecter celles qui seraient irré-
gulières et analyser, de manière contradictoire, les explications
apportées?
Dans le sens d’une réponse positive, on peut évoquer une déci-
sion du juge des référés toulousain qui, tout en relevant que les
dispositions de l’article 55 du code « ne font pas obligation au
pouvoir adjudicateur de rejeter toute offre estimée anormale-
ment basse», précise que :
«Ce dernier ne peut, sans méconnaître le principe d’égalité entre les can-
didats, déclarer attributaire d’un marché un candidat dont l’offre apparaît
très nettement inférieure au prix estimé des prestations sans s’être assuré
que ladite offre, malgré son faible montant, est de nature à satisfaire aux
exigences formulées dans les documents de la consultation et peut être maté-
riellement et financièrement mise en œuvre par le candidat concerné. »(15)
fait que l’admission des offres trop basse est « de nature à porter atteinte au
principe constitutionnel d’égalité d’accès à la commande publique».
(11) TA Paris, 24 juillet 2009, Société Isotherma-Krief environnement, req.
n° 0911073; TA Toulon, 10 juillet 2009, Groupe Pizzorno environnement,
0901479; TA Lyon, 24 février 2010, Société Isobase, req. n°1000573; TA
Grenoble, 31 juillet 2007, Sté Cars Berthelet c/ Dpt Isère, req. n° 703381
et 703382.
(12) TA Lille 25 janvier 2011, Soc. nouvelle SAEE, req. n° 0800408.
(13) TA Lyon, 2 avril 2010, Société de distributions d’eaux intercommunales
(SDEI), req. n° 1001591.
(14) Certaines décisions avaient en effet tendance à considérer que la question
renvoyait à une problématique d’analyse comparative des offres et ne pouvait
donc relever de l’ofce du juge des référés (en ce sens : TA Bastia, 7 juillet
2003, SA CSEE Transports, req. n° 030490; TA Cergy Pontoise, 8 décembre
2008, SARL Dos Santos Fruits, req. n° 0812330).
(15) TA Toulouse, 23 novembre 2010, Soc. FM Projet, req. n° 1004555, note
Hourcabie, achatpublic.info.