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Acheteur public quelle attitude adopter face au risque d’offres anormalement basses

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Sous-rubrique Vie des contrats
Acheteur public : quelle attitude
adopter face au risque d’offres
anormalement basses ?
■ Le mécanisme des offres anormalement basses vise tout à la fois à préserver la
liberté de choix de l’acheteur et le principe d’égal accès à la commande publique.
■ Compte tenu de ces objectifs contradictoires, la détection et la sanction des offres
anormalement basses restent souvent très délicates.
Auteurs
Hervé Letellier, avocat associé, SELARL
Symchowicz-Weissberg et associés
Références
Mots clés
Marché public • Offre anormalement
basse • Détection • Sanction • Droit de la
concurrence •
S
ujet autrefois mineur, la gestion des offres anormalement
basses constitue désormais une problématique récurrente
du droit de la commande publique. En ces périodes de
vaches maigres, de nombreuses sociétés, désireuses de capter
des parts de marché, ont en effet tendance à multiplier les prix
d’appel ou structurellement bas confrontant ainsi l’acheteur
public à un véritable dilemme : quel sort réserver à ces propositions pécuniaires très avantageuses, voire gracieuses, permettant – du moins potentiellement – d’optimiser la gestion des
deniers publics mais faisant craindre une exécution au rabais
ou l’existence de pratiques irrégulières ? Cette interrogation est
également au cœur de débats initiés par certains ordres professionnels (fédérations du bâtiment, architectes, avocats…)
se trouvant confrontés, en leur qualité de candidats évincés, à
la propagation de ces procédés allégrement présentés comme
anticoncurrentiels et inégalitaires. Il en résulte aujourd’hui un
mouvement généralisé de réflexion, tant du côté des acheteurs
que des professionnels, visant à la mise en place de modalités
de définition, de détection et de contrôle des offres qualifiables
d’anormalement basses(1). Apportant sa pierre à cet édifice, le
juge administratif a, ces dernières semaines, rendu plusieurs
décisions visant à clarifier les principes applicables à la matière.
L’occasion nous est ici donnée de revenir sur ces différents
points en focalisant notre étude – sans que celle-ci ait vocation
à l’exhaustivité – sur trois problématiques essentielles : l’acheteur public est-il dans l’obligation d’évincer une offre anormalement basse ? Un processus de contrôle et de détection doit-il a
minima être engagé ? Quand une offre peut-elle être considérée
comme financièrement inacceptable ?
(1) En ce sens, cf. par exemple, « AOB : la Charente fait dans la prévention »,
achatpublic.com, 21 mars 2011 ; «Dumping : la FFB de l’Hérault tire la
sonnette d’alarme », 9 mars 2011.
Contrats Publics – n° 110 – mai 2011
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Vie des contrats Sous-rubrique
I. L’acheteur est-il tenu d’écarter les offres
anormalement basses ?
2
Cette première interrogation paraît de prime abord surprenante tant l’article 55 du code des marchés publics(2) régissant
la matière semble clair. La solution est toutefois loin d’être aussi
évidente, ainsi que le confirment les décisions contradictoires
rendues sur ce point.
Certes, l’article précité paraît faire de l’exclusion des offres anormalement basses une simple faculté, celui-ci précisant que « si
une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur
peut la rejeter par décision motivée ». L’acheteur aurait donc
toute latitude pour accepter (en faisant alors son affaire de la
bonne ou mauvaise exécution du contrat) ou écarter une offre
qu’il estimerait être anormalement basse. Certaines décisions
retiennent d’ailleurs une formulation explicite en relevant que
« ces dispositions n’organisent qu’une simple faculté pour la
commission d’appel d’offres de rejeter une offre anormalement
basse »(3), position que viennent très récemment de reprendre à
leur compte les tribunaux administratifs de Paris(4) et de Rennes(5).
Cette interprétation est toutefois critiquable et contestée.
Il ne faut en effet pas perdre de vue que les dispositifs communautaire (rédigé d’ailleurs de manière quelque peu différente(6))
et national, s’ils reposent sur le souci de préserver la responsabilité et la liberté de choix de l’acheteur, visent également à
veiller à ce que cette liberté ne vienne pas remettre en cause
le jeu normal de la concurrence et le principe d’égalité entre
candidats(7). Au-delà de la protection des intérêts des personnes
publiques, le dispositif afférent aux offres anormalement basses
tend donc aussi à prémunir l’acheteur, et par ricochet les candidats, de pratiques anticoncurrentielles tels le dumping et autres
reventes à perte. En cela, l’article 55 du code des marchés publics
fait écho dans le droit de la commande publique à certaines prohibitions notamment matérialisées par l’article 420-5 du code du
commerce(8) interdisant « les offres de prix ou pratiques de prix
de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux
coûts de production, de transformation et de commercialisation,
dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent
avoir pour effet d’éliminer d’un marché ou d’empêcher d’accéder à un marché une entreprise ou l’un de ses produits »(9).
Dans de telles conditions, et afin d’assurer le respect des principes fondamentaux de la commande publique(10), il semble
(2) Texte transposant les articles 55 de la directive 2004/18 et 57 de la
directive 2004/17.
(3) TA Versailles 13 mai 2008, Commune de Plaisir, req. n° 0506110, Contrats
marchés. publ. n° 184, note Eckert.
(4) TA Paris, 13 janvier 2011, Soc. Razel, req. n° 1022068/6.
(5) TA Rennes, 28 mars 2011, Soc. Ecosys, req. n° 1100878.
(6) L’article 55 de la directive 2004/18 précise ainsi, notamment, que « si, pour
un marché donné, des offres apparaissent anormalement basses par rapport
à la prestation, le pouvoir adjudicateur, avant de pouvoir rejeter ces offres,
demande, par écrit, les précisions sur la composition de l’offre qu’il juge
opportunes ».
(7) En ce sens cf. F. Llorens et P. Soler-Couteaux, Code des marchés publics
commenté, Litec, 2011, p. 797.
(8) Disposition toutefois a priori non directement invocable à l’appui d’une
contestation contre une procédure de dévolution (en ce sens cf. TA Marseille,
12 février 2008, req. n°0800581).
(9) Cf. également article L. 442-2 du code de commerce : « Le fait, pour tout
commerçant, de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un
prix inférieur à son prix d’achat effectif est puni de 500000 F d’amende. Cette
amende peut être portée à la moitié des dépenses de publicité dans le cas où
une annonce publicitaire, quel qu’en soit le support, fait état d’un prix
inférieur au prix d’achat effectif. »
(10) Cf. Gabriel Eckert, « Contrôle juridictionnel des offres anormalement
basses », Contrats marchés. publ. n° 10, Octobre 2006, comm. 251 évoquant le
légitime de considérer que l’acheteur n’ait pas la faculté mais
bien l’obligation d’évincer l’offre litigieuse. La jurisprudence
majoritaire paraît aller en ce sens en considérant comme affectées d’illégalité les procédures conduisant au choix d’un soumissionnaire ayant déposé une offre anormalement basse(11).
On relèvera d’ailleurs que le tribunal administratif de Lille a
récemment considéré que cette obligation s’appliquait à tous
les types de marchés publics, y compris ceux passés selon une
procédure adaptée(12), tandis que son homologue lyonnais a
transposé cette solution aux délégations de service public, bien
que le CGCT soit muet sur ce point, en relevant que « les principes généraux de la commande publique […] font obstacle à ce
qu’une collectivité délégante choisisse une offre anormalement
basse à l’issue d’une procédure de délégation de service public,
alors même que la délégation s’exécute aux frais et risques du
délégataire »(13).
En dépit de certaines décisions isolées, il paraît donc bien
nécessaire pour un acheteur – ce qui va d’ailleurs de pair avec le
contrôle que se reconnaît, après quelques hésitations(14), le juge
du référé précontractuel des dispositions de l’article 55 du code
des marchés publics – d’écarter les offres devant être regardées
comme anormalement basses.
II. L’acheteur doit-il mettre en œuvre un
processus de contrôle et de détection des
offres potentiellement anormalement basses ?
Au-delà de cette supposée, quoique discutée, obligation d’évincer les offres anormalement basses, une seconde interrogation
s’est faite jour : les acheteurs doivent-ils, quand bien même
l’offre ne serait pas in fine anormalement basse, mettre en
œuvre un mécanisme de contrôle des propositions financièrement douteuses pour pouvoir détecter celles qui seraient irrégulières et analyser, de manière contradictoire, les explications
apportées ?
Dans le sens d’une réponse positive, on peut évoquer une décision du juge des référés toulousain qui, tout en relevant que les
dispositions de l’article 55 du code « ne font pas obligation au
pouvoir adjudicateur de rejeter toute offre estimée anormalement basse », précise que :
« Ce dernier ne peut, sans méconnaître le principe d’égalité entre les candidats, déclarer attributaire d’un marché un candidat dont l’offre apparaît
très nettement inférieure au prix estimé des prestations sans s’être assuré
que ladite offre, malgré son faible montant, est de nature à satisfaire aux
exigences formulées dans les documents de la consultation et peut être matériellement et financièrement mise en œuvre par le candidat concerné. »(15)
fait que l’admission des offres trop basse est « de nature à porter atteinte au
principe constitutionnel d’égalité d’accès à la commande publique ».
(11) TA Paris, 24 juillet 2009, Société Isotherma-Krief environnement, req.
n° 0911073 ; TA Toulon, 10 juillet 2009, Groupe Pizzorno environnement,
0901479 ; TA Lyon, 24 février 2010, Société Isobase, req. n°1000573 ; TA
Grenoble, 31 juillet 2007, Sté Cars Berthelet c/ Dpt Isère, req. n° 703381
et 703382.
(12) TA Lille 25 janvier 2011, Soc. nouvelle SAEE, req. n° 0800408.
(13) TA Lyon, 2 avril 2010, Société de distributions d’eaux intercommunales
(SDEI), req. n° 1001591.
(14) Certaines décisions avaient en effet tendance à considérer que la question
renvoyait à une problématique d’analyse comparative des offres et ne pouvait
donc relever de l’office du juge des référés (en ce sens : TA Bastia, 7 juillet
2003, SA CSEE Transports, req. n° 030490 ; TA Cergy Pontoise, 8 décembre
2008, SARL Dos Santos Fruits, req. n° 0812330).
(15) TA Toulouse, 23 novembre 2010, Soc. FM Projet, req. n° 1004555, note
Hourcabie, achatpublic.info.
Contrats Publics – n° 110 – mai 2011
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C’est dans le même sens que paraît se prononcer le tribunal
administratif de Cergy-Pontoise qui, à propos d’un marché
d’assistance juridique, a pu relever que les principes d’égalité
de traitement et de libre accès font « obstacle à ce qu’une collectivité publique choisisse une offre anormalement basse à
l’issue d’une procédure de mise en concurrence sans avoir, au
préalable, exigé du candidat qu’il apporte des précisions et vérifié les justifications fournies », le tout pour considérer que la
faiblesse du prix proposé aurait dû « nécessairement interroger
la commune sur les modalités en vertu desquelles la société
Delsol estimait pouvoir répondre à la charge de travail devant
lui incomber en vertu dudit marché et sur les modalités de fixation du prix proposé »(16).
On retrouve cette même logique dans des décisions récentes du
tribunal administratif de Paris(17) et de Lille(18), ce dernier affirmant toutefois clairement, à la différence des autres décisions,
l’obligation d’éviction des offres anormalement basses et de
contrôle formel de celles-ci en cas de doute de l’acheteur.
Si l’on comprend la logique de la plupart de ces ordonnances, on
ne peut toutefois que rester dubitatif face à l’identification de ce
qui semble être une obligation formelle imposée aux acheteurs
au-delà des prescriptions de l’article 55 du code des marchés
publics. En effet, ce dernier se borne à préciser que, « si une
offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut
la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les
précisions qu’il juge utiles et vérifié les justifications fournies ».
À notre sens (ce qui expliquerait du reste l’évocation précédente du terme « pouvoir »), la seule contrainte procédurale
imposée a trait à la nécessité de subordonner l’éviction d’une
offre suspectée d’être anormalement basse à la formulation,
au préalable, d’une demande de précisions et à l’examen des
justifications fournies(19). Considérer qu’il faille, par principe,
indépendamment du sort à réserver à l’offre, vérifier qu’une
proposition financièrement basse soit ou non pertinente nous
semble donc aller au-delà des obligations textuelles. Que l’on ne
se méprenne pas, l’objet du propos n’est pas d’affirmer qu’une
offre anormalement basse peut être conservée (puisqu’il nous
semble que l’acheteur ne le puisse pas) ou même qu’il serait
inutile d’engager un processus de vérification si certains indices
sont présents, mais plutôt de douter de la pertinence d’une obligation de détection qui, du fait de sa seule absence et indépen(16) TA Cergy Pontoise, 18 février 2011, SCP Claisse et associés, req.
n° 1100716.
(17) Implicitement cf. TA Paris 16 décembre 2010, Soc. Cave Canem
surveillance sécurité, req. n° 1020416-3/3 et 1020370_3/3.
(18) TA Lille 25 janvier 2011, Soc. nouvelle SAEE, req. n° 0800408 : « Il
appartient au pouvoir adjudicateur qui se voit remettre une offre paraissant
manifestement anormalement basse, d’une part, de solliciter de son auteur la
communication de tous les éléments permettant d’en vérifier la viabilité
économique, et, d’autre part, d’éliminer ladite offre si les justifications fournies
par le candidat ne permettent pas d’établir cette viabilité. »
(19) En ce sens voir TA Paris, 13 janvier 2011, Soc. Razel, req. n° 1022068/6 :
« Que ces dispositions ne créent pour lui d’autre obligation que celle de
demander des précisions ou des justifications au candidat dont il envisage de
rejeter la proposition au motif qu’elle lui paraît anormalement basse ; que si
la méconnaissance du caractère contradictoire de cette procédure peut être
invoquée par le candidat dont l’offre a été éliminée sur le fondement des
dispositions précitées, elle ne saurait l’être utilement par un concurrent dont
l’offre a été écartée au motif qu’elle aurait été économiquement moins
avantageuse. » Cf. également CJCE 22 juin 1989, Fratelli Costanzo SPA
c/ Commune de Milan, affaire 103/88 : « Il y a lieu de relever que la procédure
de vérification doit être appliquée toutes les fois que le pouvoir adjudicateur
entend écarter des offres en raison de leur caractère anormalement bas par
rapport à la prestation. Dès lors, quel que soit le seuil de déclenchement de
cette procédure, les soumissionnaires seront assurés de ne pas être écartés du
marché mis en concurrence sans avoir pu s’expliquer sur le sérieux de leurs
offres. »
Contrats Publics – n° 110 – mai 2011
damment de la qualification réelle de l’offre, entraînerait une
irrégularité sanctionnable.
En effet, à suivre certaines décisions, une procédure devrait être
censurée au motif, non pas tant que l’offre serait in fine anormalement basse, mais en raison de ce que la collectivité n’aurait
pas, formellement, vérifié que le prix faible proposé aurait une
cohérence économique. Mais, ce qui compte, ce n’est pas tant
qu’un processus de détection ait été enclenché ou non, mais
qu’au fond l’offre conservée ne soit pas anormalement basse.
Et on peut parfaitement imaginer qu’elle ne le soit effectivement pas (et que donc la procédure soit régulière), malgré un
prix relativement bas et ce alors même qu’aucun contrôle préalable n’aura été formellement engagé. En bref, le processus de
contrôle nous paraît devoir être le moyen d’identifier et d’écarter les offres réellement anormalement basses, mais non une
obligation autonome dont l’absence, quelle que soit la nature de
l’offre, puisse vicier la procédure. On peut d’ailleurs être d’autant plus critique face à certaines décisions qui reconnaissent
comme impératif ce contrôle préalable mais non l’éviction des
offres anormalement basses(20). Or, quel peut bien être l’intérêt
d’un contrôle formel (si ce n’est inciter les acheteurs à engager
cette démarche) si celui-ci ne s’accompagne ensuite d’aucune
obligation d’éviction ?
III. Quels sont les critères d’identification d’une
offre effectivement anormalement basse ?
Reste enfin à s’attarder, et c’est là le nerf de la guerre, sur la
dernière question liée à la définition de l’offre anormalement
basse : sur quels critères distinguer une telle proposition qui
a priori devrait être écartée d’une offre financièrement optimisée susceptible d’être retenue par l’acheteur ? Sur ce point,
force est d’admettre que la tâche de ce dernier ne se trouve
guère facilitée, ni par l’absence de définition de la notion d’offre
anormalement basse par le code des marchés publics et par les
directives communautaires, ni par la complexité du débat – très
casuistique et à la frontière entre interprétation technique et
appréciation économique de l’offre –, ni par la jurisprudence
des juridictions administratives, souvent rare, parfois contradictoire et semble-t-il quelque peu distincte de celle de l’Autorité
de la concurrence.
Quelques lignes de démarcation peuvent toutefois être tracées.
Selon la circulaire du 29 décembre 2009 relative au Guide de
bonnes pratiques en matière de marchés publics, « une offre peut
être qualifiée d’anormalement basse si son prix ne correspond
pas à une réalité économique ». Certains auteurs ajoutent que
doivent être considérées comme telles les propositions financières « de nature à fausser la concurrence et à compromettre
la bonne exécution du marché »(21). Une offre anormalement
basse serait donc une proposition qui, tout à la fois, ne serait pas
dans les canons de l’offre économiquement rationnelle en ne
permettant pas à l’entreprise de dégager une marge bénéficiaire
et qui, également, empêcherait une bonne exécution du futur
contrat. Cette double composante semble d’ailleurs se retrouver dans la récente décision précitée du tribunal administratif
de Lille, Société nouvelle SAEE, le magistrat délégué relevant
qu’une « offre anormalement basse est de nature à compro(20) TA Toulouse, 23 novembre 2010, Société FM Projet, req. n° 1004555.
(21) Laurent Richer, Droit des contrats administratifs, Ed. LGDJ, 7e éd., 2010,
n° 922, p. 447.
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Vie des contrats Sous-rubrique
mettre la bonne exécution du marché conclu sur sa base », le
tout pour ensuite évoquer la vérification par l’acheteur « de sa
viabilité économique ».
Mais, à l’évidence, une telle définition de l’offre anormalement
basse rend pour le moins délicate son identification puisqu’audelà des difficultés déjà évoquées s’ajouterait une part de
subjectivité liée à l’appréhension, non pas seulement de la pertinence économique de l’offre, mais aussi de son impact sur la
bonne exécution du contrat. Or, l’on peut par exemple parfaitement concevoir qu’un leader d’un secteur économique décide,
pour un contrat considéré, de faire un prix d’appel (pratique
qui semble acceptée par la DAJ(22)) ce qui, en considération du
critère économique, devrait faire regarder son offre comme
anormalement basse, mais pas en considération de l’élément
lié à la bonne exécution (puisque l’on suppose que le contrat
sera bien réalisé).
S’il semble donc préférable, pour faciliter les choses et se rapprocher de la logique qui est celle de l’Autorité de la concurrence lorsqu’elle apprécie l’existence de pratiques de dumping
ou de ventes à perte(23), de s’en tenir surtout à une approche
économique (qui laisserait présupposer une bonne ou une
mauvaise exécution), certains indices - même s’ils ne sont pas
toujours décisifs - paraissent pouvoir être mis en avant pour
identifier, ou au moins s’interroger, sur la potentialité d’une
offre anormalement basse.
Tel est le cas notamment, toute exclusion automatique en fonction d’un montant déterminé étant exclue(24) :
– du positionnement de l’offre par rapport à l’estimation de
l’administration(25), même s’il a pu être jugé que cette dernière
ne pouvait écarter une proposition au seul motif qu’elle serait
4
(22) Cf. en ce sens Achatpublic.info, « Offre anormalement basse : des
précisions » de Catherine Bergeal, 3 décembre 2010.
(23) Notons toutefois que cette dernière a généralement vocation à apprécier
ces comportements, non au regard d’une procédure de mise en concurrence
donnée, mais en considération du marché général « où sont actifs l’ensemble
des opérateurs économiques susceptible de répondre à l’appel d’offres
concerné » (Cons. Conc. 18 janvier 2008, n° 08-D-01).
(24) CJCE, 27 nov. 2001, aff. C-285/99 et C-286/99, Impresa Lombardini SpA
– Impresa Generale di Costruzioni et Anas – Ente nazionale per le strade,
Società Italiana per Condotte d’Acqua SpA, concl. D. Damaso Ruiz-Jarabo
Colomer.
(25) TA Grenoble, 31 juillet 2007, Sté Cars Berthelet c/ Dpt Isère, req.
n° 703381 et 703382. TA Lyon, 30 janvier 1997, CAO de la région Rhône Alpes,
Droit administratif juin 1998, F. Olivier
inférieure de moitié à sa propre évaluation sans apprécier les
justificatifs fournis par le candidat en cause(26) ou qu’un écart
de 15 % ne révélait pas, à lui seul, l’existence d’une offre anormalement basse(27) ;
– de l’écart significatif entre la proposition litigieuse et les offres
concurrentes, ainsi que le mettent notamment en exergue certaines décisions récentes des tribunaux administratifs de Lyon
ou de Besançon(28) ;
– lorsque les prix proposés sont incohérents avec ceux habituellement présentés par l’entreprise en cause dans le cadre
de ces marchés ou de ceux conclus avec d’autres collectivités
locales(29) ;
– si l’objet du marché (notamment les opérations de valorisation qui en découlent) permet d’envisager, pour reprendre les
termes d’une récente ordonnance du tribunal administratif de
Rennes, un prix « insignifiant voire égal à zéro » (30).
En dépit de ces pistes d’identification, il n’en reste pas moins
que la tâche demeure nécessairement délicate pour les acheteurs, comme pour les concurrents évincés ou le juge(31), pour
identifier et contrôler l’existence des offres anormalement
basses. Mais tout cela est, encore une fois et toujours, lié à la
difficile conciliation entre, d’une part, la recherche de l’efficacité
de la commande publique et l’optimisation des deniers publics
et, d’autre part, le respect des principes fondamentaux de la
commande publique et du droit de la concurrence. n
(26) TA Marseille, 1er avril 2010, Sté Alpha Services, Contrats marchés publ.
2010, n° 251.
(27) CAA Bordeaux, 22 juin 2010, Syndicat intercommunal de la région
souterraine, MTP, 5 novembre 2010, p. 5.
(28) TA Lyon, 24 février 2010, Société Isobase, req. n° 1000573 ; TA Besançon,
23 décembre 2010, Soc. Scanzi, req. n° 0901240.
(29) TA Lille 25 janvier 2011, Soc. nouvelle SAEE, req. n° 0800408 (refusant
d’admettre l’existence d’une offre anormalement basse) ; TA Cergy-Pontoise,
18 février 2011, SCP Claisse et associés, req. n° 1100716 admettant, lui,
l’existence d’une offre douteuse du fait des prix habituellement pratiqués par
le candidat et de la nature de l’intervention à réaliser.
(30) TA Rennes, 28 mars 2011, Soc. Ecosys, req. n° 1100878 : « Il ressort de
l’objet même du marché que les opérations de valorisation réalisées à partir
des déchets verts récupérés permettant la fabrication d’engrais pour
l’agriculture ou de compost, produits qui peuvent par conséquent être
commercialisés, ce qui explique que le prix de certaines offres pouvait, sans
être analysé comme anormalement bas, être insignifiant voire égale à zéro. »
(31) Pour un exemple d’offre, bien que très agressive (80 % moins chère),
considérée comme non anormalement basse au motif qu’elle était
« atypique » : TA Paris, 14 mai 2010, Société Segat, req. n° 1007774.
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