ETHNOBOTANIQUE
Étude ethnobotanique de la flore médicinale dans la commune rurale
dAguelmouss province de Khénifra (Maroc)
Ethnobotanical study of medicinal flora in rural municipality
of Aguelmouss - Khenifra province (Morocco)
A. Daoudi · M. Bammou · S. Zarkani · I. Slimani · J. Ibijbijen · L. Nassiri
© Lavoisier SAS 2015
Résumé Le présent travail sinscrit dans le cadre de la valo-
risation des ressources du Moyen Atlas central du Maroc en
plantes médicinales et en savoir-faire traditionnel. Ainsi à
laide de 280 fiches questionnaires, une enquête ethnobota-
nique a été menée pendant les mois de juin, juillet, août et
septembre 2013 auprès des usagers ordinaires des plantes,
dans les sept fractions tribales de la région dAguelmouss ;
103 plantes furent inventoriées, réparties en 43 familles et
87 genres. Lanalyse des résultats de lenquête ethnobota-
nique montre que six familles sont à usage fréquent, avec
une dominance des lamiacées. Quant aux espèces dominan-
tes, il y a essentiellement Thymus willdenowii,Corrigiola
telephiifolia ,Caralluma europaea et Juniperus oxycedrus
. Par ailleurs, La feuille est la partie la plus utilisée, la majo-
rité des remèdes est préparée sous forme de décoction et les
affections de lappareil digestif figurent parmi les patholo-
gies les plus traitées.
Mots clés Plantes médicinales · Enquête ethnobotanique ·
Aguelmouss · Maroc
Abstract The present study should be set in the framework
of valorization of medical plants and traditional knowledges
from central middle Atlas of Morocco. Using 280 survey
forms, hethnobotanical study was conducted during the
months of June, July, August and September 2013 on the
therapeutic uses of spontaneous medical plants in the seven
tribal fractions that compose Aguelmouss municipality; this
phase revealed the occurrence of 103 medicinal species
which are divided into 43 families and 87 genera. The ana-
lyses results showed that six families commonly used by the
population with a clear dominance of Lamiaceae. Also, spe-
cies with very high frequency of use are Thymus willdeno-
wii, Corrigiola telephiifolia Caralluma europaea et Junipe-
rus oxycedrus. Furthermore, leaves are the most used part
and the majority of remedies are prepared as a decoction.
In terms of the treated disease, disorders of the digestive
system ranks first with a rate of 38.9%.
Keywords Medicinal plants · Ethnobotanical · Study ·
Aguelmouss · Morocco
Introduction
La phytothérapie est une pratique millénaire basée sur un
savoir transmis et enrichi au fil dinnombrables générations
[1]. En effet, durant des siècles et même des millénaires, nos
ancêtres ont utilisé les plantes pour soulager leurs douleurs,
guérir leurs maux et de génération en génération, ils ont
transmis leur savoir et leurs expériences simples en seffor-
çant quand ils le pouvaient de les consigner par écrit [2].
Actuellement deux types de phytothérapie sont à distin-
guer ; dune part, une pratique traditionnelle basée sur luti-
lisation des plantes selon les vertus découvertes empirique-
ment ; celle-ci est encore employée massivement dans
certains pays du monde, surtout ceux en voie de développe-
ment où cest parfois le seul recours thérapeutique accessible
[1,2]. Dautre part, la pharmacognosie, une pratique basée
sur les avancées et preuves scientifiques recherchant les
extraits actifs des plantes qui, une fois identifiés sont stan-
dardisés [1].
Aussi, malgré le développement du médicament de syn-
thèse et le progrès de la pharmacologie, le médicament végé-
tal sous ses différentes formes continue à occuper une place
de choix ; il est ainsi de cardiotoniques (digitale), de purgatifs
(bourdaine), de modificateurs du système nerveux autonome
(belladone), dantidiarrhéiques (rosacées) et autres [3]. Plus
encore, la plante médicinale effectue un retour en force
sappuyant sur des valeurs sûres, testées de longues dates
A. Daoudi (*) · M. Bammou · S. Zarkani · I. Slimani ·
J. Ibijbijen · L. Nassiri
Équipe de Microbiologie du Sol et de lEnvironnement,
Département de Biologie, Faculté des Sciences,
Université Moulay Ismail, BP 11201 Zitoune, Meknès, Maroc
Phytothérapie
DOI 10.1007/s10298-015-0953-z
par nos ancêtres [4] et lexploitation, la culture des plantes
aromatiques et médicinales (PAM) sont un secteur qui a pris
de limportance pendant les 20 dernières années aussi bien
dans les pays développés que dans les pays en voie de déve-
loppement [5]. Ainsi, au Maroc, près de 600 plantes aroma-
tiques et médicinales (PAM) sont utilisées [6], pour une pro-
duction annuelle avoisinant les 33 000 tonnes [7]. Cela
confère au pays un rang non négligeable sur le marché inter-
national tout en lui permettant doccuper une place privilé-
giée parmi les pays méditerranéens qui ont une longue tradi-
tion médicale et un savoir-faire traditionnel à base de plantes
médicinales [8]. Par ailleurs, dans chaque région géogra-
phique du Maroc, il existe une automédication familiale
basée sur les tradipraticiens [9].
Toutefois, lanalyse de la bibliographie médicinale maro-
caine montre que les données relatives aux plantes médici-
nales régionales sont très fragmentaires et dispersées [2].
En outre, la transmission du savoir-faire par les anciens
sest interrompue avec la médecine moderne [4] et il nest
plus détenu actuellement que par peu de personnes [2], d
la nécessité de mener des recherches ethnobotaniques sur les
plantes médicinales dans différentes localités du Maroc en
vue de sauvegarder les connaissances acquises par la popu-
lation autochtone [4] et traduire ce savoir traditionnel en un
savoir scientifique afin de le revaloriser, le conserver et luti-
liser dune manière rationnelle [2].
Cest dans cet objectif, que nous avons réalisé une étude
ethnobotanique sur les plantes médicinales dans la commune
dAguelmouss, lune des vingt-deux communes de la pro-
vince de Khénifra relevant de la région Meknès-Tafilalet.
Etendue sur environs 749 km
2
, Aguelmouss détient la
population la plus importante par rapport aux autres commu-
nes rurales de la province de Khénifra [10]. Dun autre côté,
sa diversité floristique et écologique sont autant de potentia-
lités qui offrent à la population locale, très dépendante de la
nature dans sa vie quotidienne, une connaissance assez riche
en phytothérapie traditionnelle.
Matériel et méthodes
Cadre géographique et socio-économique de la zone
détude
Climat
Le climat de la zone détude est subhumide inférieur à semi-
aride supérieur avec des hivers assez rigoureux, pluvieux
et froids et des étés chauds et secs avec des périodes dorage
et de vents chauds de lEst « chergui » vers les mois de mai
et juin [11]. Toutefois, suite à la succession des années de
sécheresse, la moyenne des précipitations a chuté pour
atteindre une hauteur de 403 mm [11].
Le régime des pluies est de type saisonnier avec un maxi-
mum en hiver de 42% du cumul et un minimum de 30%
réparti sur lautomne et le printemps alors que lété est sec ;
par ailleurs, la neige nest pas fréquente et tombe une à deux
fois par an pour une période de 3 à 4 jours avec une hauteur
ne dépassant guère les 15 à 20 cm [10].
Les températures moyennes mensuelles de plus de 10°C
sobservent à partir du mois de mars ; la moyenne maximale
de température est de 35°C, celle minimale est de 3°C [11].
Enfin, la commune rurale dAguelmouss jouit de 3 gran-
des forêts sétendant sur une superficie de 28 900 hectares et
structurées essentiellement par le chêne vert, le chêne liège
et le thuya [10].
Relief et sol
Les altitudes varient de 800 à 1627mètres ; ainsi, entre des
crêtes culminantes à sols rocheux couverts de forêts, pren-
nent place des bassins assez profonds à sols argilo-limoneux
ou limono-sablonneux occupés essentiellement par la céréa-
liculture et les cultures fourragères, en plus de plateaux
déboisés, à sols chargés en éléments schisteux et gréseux
de faible profondeur [11].
Démographie
La population totale de la commune rurale dAguelmouss est
35 849 habitants selon le recensement de 2004 [12].
Cette commune regroupe en plus du centre, les tribus
annexées dAit Mâi, Ait Boumezzough, Ihbbaren, Ait Had-
dou Ouhammou et les habitants des douars Elbacha et Amh-
rouk, toutes berbérophones [10].
Habitat et activités
Alexception des agglomérations du chef-lieu de la commune
rurale dAguelmouss, la majorité des familles possède des
maisons en pisé et ce nest que ces dernières années que les
constructions en dur ont commencé à apparaître dans le
milieu rural [10]. Lactivité dominante est lagriculture, sec-
teur qui sest relativement amélioré grâce à la modernisation
des techniques et des engrais chimiques [11].
Parallèlement, en raison de limportance des parcours
forestiers, lélevage, notamment ovin constitue aussi une
activité principale dans cette zone en plus de lélevage caprin
[11]. La conduite du cheptel est de type extensif et est basée
sur le pacage libre dans les parcours forestiers [10]. En outre,
selon [13], la région est très riche en plantes aromatiques et
médicinales et au moins une centaine despèces a été inven-
toriée dont la valorisation pourrait jouer un rôle socioécono-
mique non négligeable surtout que jusquà présent, la région
ne dispose aucunement de coopérative ou association sinté-
ressant à ce type de ressources [13].
2 Phytothérapie
Étude ethnobotanique
Lenquête ethnobotanique sest déroulée pendant les mois de
juin, juillet, août et septembre de lannée 2013.
Élaboration du questionnaire
Pour répondre aux objectifs de létude, une fiche question-
naire a été élaborée. Elle est basée sur des questions fer-
mées et semi-fermées, moyen très efficace pour le recueil
de données.
Le contenu des fiches a été établi de manière à collecter le
maximum dinformations sur les usages thérapeutiques des
plantes médicinales, essentiellement celles inventoriées par
notre équipe de recherche dans une étude précédente dans la
région [13]. Ce questionnaire contenait deux parties principa-
les ; la première correspondant au profil de lenquêté et la
deuxième était consacrée aux plantes (pathologies traitées,
Fig. 1 Zone détude (Direction de la conservation foncière et des travaux topographiques, Division de la carte Rabat, Maroc. Carte
dAguelmouss, Feuille NI-30-VII-1a, Echelle 1/50 000)
Phytothérapie 3
partie utilisée) en tenant compte du nom vernaculaire ;
celui-ci est un paramètre fondamental étant donné que la com-
préhension du milieu végétal nest possible quen tenant
compte de la communauté humaine locale et il est donc impor-
tant dêtre en mesure dutiliser son savoir de terrain, savoir qui
résulte dune pratique et dune observation permanente [14].
Réalisation de lenquête
Les entrevues ethnobotaniques ont été menées avec la popula-
tion autochtone et/ou ayant vécu longtemps dans la commune,
en suivant la technique déchantillonnage probabiliste stratifié
qui permet davoir un échantillon plus représentatif [15]. Len-
trevue, individuelle ou collective est un outil efficace pour la
collecte des informations, elle permet au chercheur dentrer en
contact direct avec son interlocuteur pour mieux identifier et
comprendre ses perspectives. Pour éviter tout biais, il est
recommandé dassocier lobservation à lentrevue.
Dans ce travail, léchantillon fut divisé en 7 strates homo-
gènes dont 6 correspondent aux tribus de la commune
dAguelmouss et la septième au centre (Fig. 1). Au sein de
chaque strate (tribu) on a réalisé un échantillonnage aléatoire
simple composé de 40 personnes par strate doù un échantil-
lon global de 280 enquêtés (Tableau 1).
Les données de lenquête ethnobotanique obtenues ont
été traitées par le logiciel Sphinx V5 qui permet à la fois
une analyse quantitative et qualitative.
Résultats et discussion
Profil des enquêtés
La plupart des enquêtés sont âgés de plus de 50 ans
(44,6%) ; la classe dâge détenant le plus faible pourcen-
tage soit 6,8% est celle des moins de 20 ans. Presque
deux tiers des enquêtés (64%) sont des femmes contre
36% dhommes (Fig. 2 A, B, C).
La majorité des enquêtés sont analphabètes (75,7%) ; le
pourcentage de ceux ayant un niveau secondaire et universi-
taire est respectivement de 6% et 0,8%.
Utilisation des plantes médicinales
Parties utilisées
En général, les parties des plantes utilisées en médecine tra-
ditionnelle sont : la racine, la tige, la feuille, la fleur, la
résine, le fruit, le bulbe, lécorce et le tubercule.
Tableau 1 Répartition des strates de lenquête.
N° de la strate Nom de la strate Nombre
denquêtés
Strate1 Ait Mâi 40
Strate2 Ait Boumezzough 40
Strate3 Ihbbaren 40
Strate4 Ait Haddou
Ouhammou
40
Strate5 Douar El bacha 40
Strate6 Douar Amhrouk 40
Strate7 Aguelmouss centre 40
Echantillon global 280
Fig. 2 A : Profil des enquêtés Age ; B : Profil des enquêtés
Sexe ; C : Profil des enquêtés - Niveau académique
4 Phytothérapie
Les résultats de cette enquête montrent que la feuille est la
partie des plantes médicinales la plus utilisée (39,3%), suivie
des tiges (23,6%) contre 7,5% pour les racines (Fig. 3).
Lensemble des bulbes, rhizomes, écorces, résines détient
un pourcentage cumulatif de 4,5%.
Il apparait donc que les parties utilisées sont les feuilles et
les tiges. Aussi, le recours aux feuilles peut être expliqué par
laisance et la rapidité de leur récolte [17] et par le fait quel-
les sont le siège de la photosynthèse et parfois du stockage
de métabolites secondaires, responsables des propriétés bio-
logiques de la plante.
Dun autre côté, la faible utilisation des racines, bulbes et
rhizomes est une chose très positive car cela évite le déterre-
ment des plantes et la partie aérienne pourrait reprendre
après la coupe ; de même, lutilisation moyenne des fleurs
et fruits laisse la chance pour une régénération naturelle des
plantes. Les racines des plantes sont très utilisées en méde-
cine traditionnelle pour traiter différents troubles, mais le
problème qui se pose cest que la prise accidentelle de racine
de plantes peut causer des intoxications mortelles, dans la
région détude ce problème sera éviter.
Mode de préparation
Pour préparer les phytomédicaments, les utilisateurs des
PAM cherchent la méthode la plus simple ; ainsi, plusieurs
modes peuvent être employés à savoir la décoction, linfu-
sion, la poudre, la fumigation, le cataplasme, la macération,
le badigeonnage et lessence.
Le mode de décoction est le plus utilisé (45,6%) suivi par
linfusion (28,1%) et la macération (14%) (Fig. 4). Les
autres modes à savoir : la poudre, la fumigation, le cata-
plasme, le badigeonnage et lessence, détiennent un taux
cumulatif de 12,2%.
Il apparait donc que la décoction est la plus utilisée ; en
effet, dans la majorité des régions froides du Maroc comme
le cas dAguelmouss le recours à la décoction (thé, eau ou
lait) pendant 15 à 20 minutes selon la dureté des feuilles est
le plus fréquent. Aussi, ce mode reste le moyen le plus effi-
cace qui permet lextraction et lassimilation des principes
actifs tout en réchauffant le corps et en désinfectant la plante ;
cependant, il pourrait détruire certains principes actifs des
espèces utilisées.
Familles de plantes à usage très fréquent
Les résultats obtenus montrent que les plantes médicinales
recensées dans la zone détude sont au nombre de 103 répar-
ties en 43 familles et 87 genres. Parmi les 43 familles recen-
sées celles les plus représentées dans cette région sont : les
Lamiacées (83%), les Astéracées (67%), les Caryophylla-
cées (31%), les Cupressacées (25%), les Anacardiacées
(21%) et les Apocynacées (21%).
Espèces à usage très fréquent
Dans la figure 5, sont représentées toutes les plantes médici-
nales en fonction de leurs fréquences dutilisation (nombre
de fois ou une espèce végétale est citée par les 280 personnes
interrogées). Il en ressort que 15 plantes médicinales sont les
plus utilisées dans la région étudiée ; classées par ordre dim-
portance dutilisation on a :
Thymus willdenowii (21%), Corrigiola telephiifolia
(18%), Caralluma europaea (17%), Juniperus oxycedrus
(16%), Lactuca serriola (14%), Mentha pulegium (13%),
Mentha suaveolens (13%), Pistacia lentiscus (12%), Zizi-
phus lotus (11%), Herniaria hirsuta et Lavandula stoechas
respectivement (10%), Pistacia atlantica,Tetraclinis articu-
lata,Nigella damascene respectivement (9%).
Donc lespèce Thymus willdenowii est la plus utilisée par
la population locale dAguelmouss.
Ainsi, malgré que la famille des lamiacées et celle des
astéracées sont les plus utilisées dans la région, peu de leurs
espèces figurent parmi les 15 plantes les plus citées ; en effet,
33% despèces de lamiacées, et 61% despèces dastéracées,
ne dépassent pas un pourcentage dutilisation de 3% (Fig. 5)
Fig. 3 Répartition des pourcentages des différentes parties de plan-
tes utilisées
Fig. 4 Répartition des différents modes de préparation
Phytothérapie 5
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