Les motivations du choix
Quel est le fil conducteur de ce travail ? Il répond en premier lieu à un double souci d'exposer de façon
satisfaisante comment la création d'une organisation d'exploitation systématique allemande du marché
noir en Europe occidentale a été motivée et d'expliquer les techniques et les méthodes employées par cette
organisation. Il se situe en conséquence dans un courant s'efforçant
de fournir à la recherche de nouveaux éléments et de constituer un «corpus» de connaissances matérielles
ayant trait à l'histoire économique de l'occupation. Le lecteur constatera que le dévoilement du secret qui
entoure cette organisation rend possibles maintes connexions et améliore la compréhension d'autres
champs de recherche ayant pour sujet la deuxième guerre mondiale.
Le présent travail est le résultat direct de l'exploitation exhaustive d'un fonds d'archives
extrêmement riche, concernant en priorité le marché noir en Belgique. Compte tenu de la proximité des
systèmes d'occupation militaires dans les deux pays, des analogies nous permettront de tirer des
conclusions qui valent pour la Belgique ainsi que pour la France. Ce travail a pour préoccupation
secondaire d'analyser la forme que cette organisation a prise et pourquoi l'exploitation du marché noir
s'est déroulée ainsi. L'analyse des éléments constitutifs et déterminants est beaucoup plus difficile à mener
dans sa totalité et elle dépasse parfois les limites imposées par les conditions de recherche et de rédaction.
Des explications ont été tentées, mais des réponses exhaustives dans ce domaine nécessiteraient des
recherches complémentaires très vastes dans les archives en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en
Yougoslavie, pour répondre aux multiples questions que soulève le sujet. A cet égard, il faudra se
consoler de la simple devise : plus de temps, plus de recherches, plus de résultats.
Toutefois notre étude du marché noir allemand sera l'occasion de placer ce phénomène dans le
contexte historique général, de dégager un panorama des relations entretenues entre eux par une multitude
de services allemands, et de mettre en valeur, ce faisant, les enjeux en cause. Si la période 1940-1942
opposait plutôt le monopole puissant de Göring aux administrateurs militaires dans les territoires occupés,
une priorité du ministère de l'armement et des munitions de Speer commence à se dessiner au début de
1942, au niveau du Reich et, avec un décalage, plus tard au niveau des pays occupés. Ce déplacement de
pouvoir se conjugue avec l'arrêt officiel de l'exploitation de grande envergure du marché noir. La période
de rationalité économique qui s'ensuit, caractérisé par l'emprise des technocrates de Speer, dure jusqu'à la
fin de 1943. L'arrêt définitif de cette ligne est marqué par le retour de Sauckel en Europe occidentale pour
sa dernière action de janvier 1944.
Le marché noir étant un terrain où s'exprimait d'une manière particulièrement virulente le chaos
institutionnel du troisième Reich, cette «vitrine» peut donc offrir une bonne illustration des luttes de
pouvoir opposant les divers fractions. Telle est la considération qui domine le présent travail,
parallèlement à ses intentions descriptives et à sa structure chronologique. Ainsi ce petit laboratoire de la
polycratie qu'étaient les territoires occupées nous fournira des données non seulement sur les rapports
entre le secteur militaire et le secteur civil (comme le Bureau du plan de quatre ans sous la direction de
Göring), mais aussi sur les divisions intestines du secteur militaire, les forces centrifuges qui séparaient
les administrations militaires centrales des troupes de différentes armes et des services en province, les