UNE ÉTUDE DE LA POLYSÉMIE DANS LE GENRE ÉPISTOLAIRE JUSTIFICATION ET DÉLIMITATION DU PROBLÈME Le présent travail est né d’un besoin personnel de continuer et d’approfondir une première recherche menée dans le cadre de l’assistanat de Linguistique générale il y a deux ans, dont le résultat a été la détermination d’un type textuel particulier. Le présent travail a pour but d’enrichir les études sur la communication épistolaire, et plus précisément celles sur les lettres familiales et les lettres amicales, c’està-dire les messages à travers lesquels l’émetteur fait savoir à un proche des événements particuliers de sa vie. Nous avions choisi d’analyser ce type textuel vu le nombre réduit d’études publiées à ce sujet et l’intérêt qu’il présente lors de son utilisation dans la classe de FLE. Comme nous l’avons dit dans cette étude, Notre travail consistant en la réflexion des discours des apprenants, des médias, de la littérature, les enseignants sommes menés nécessairement à nous poser des questions relatives aux classements de ces textes et discours. (2000:1) MÉTHODOLOGIE Pour la réalisation de ce travail, nous avons choisi 4 lettres pour constituer notre corpus, des lettres que nous avons reproduites textuellement et divisées en paragraphes (auxquels nous faisons référence par l’initiale P), dans le but de notre analyse. Toutes les définitions des unités lexicales étudiées que nous présenterons plus tard ont été empruntées au dictionnaire Le Petit Robert. CADRE THÉORIQUE Notre travail s’inscrivant dans un cadre sémantique, nous devons tout d’abord définir les concepts suivants: sémantique signifié sens polysémie Sémantique Déjà utilisée par Aristote, le terme Sémantique trouve son objet premier d’étude au XIXième siècle: l’histoire des significations. Plus tard, elle se centre sur l’étude du signifié en synchronie, sans laisser de côté l’aspect diachronique des mots. Comme le définit G. Mounin (Clefs pour la linguistique), “la sémantique est la science des significations linguistiques” (1971:133) et “la signification d’une unité linguistique est son signifié; son sens, c’est la valeur précise qu’acquiert le signifié dans un contexte, une situation, une langue, un sujet uniques.” Relations entre signifiés Lors de l’utilisation d’un terme, des sens perçus comme secondaires viennent parfois se greffer sur le sens principal. Ils peuvent être le produit des conventions culturelles. Nous n’ignorons pas la distinction que Pierre Guiraud établit à ce sujet dans La Sémantique (1962:25-31), mais notre travail cherche seulement à montrer le phénomène de la polysémie dans ce type de texte. L’ambiguïté lexicale Le problème de la délimitation des différentes significations d’un mot se pose en termes d’homonymie et de polysémie. Est considéré comme polysémique un signifiant qui présente plusieurs signifiés reliés entre eux d’une certaine manière; sont considérés comme homonymes des signifiants qui présentent plusieurs signifiés non reliés entre eux. Dans le Dictionnaire de Linguistique et sciences du langage, la polysémie est définie comme: “... la propriété d’un signe linguistique qui a plusieurs sens. L’unité linguistique est alors dite polysémique... La question essentielle reste, en fait, l’opposition entre polysémie et homonymie: Le traitement lexicographique des unités exige, en effet, que soient précisées les frontières entre unité susceptible d’une description par plusieurs sous-sens et unités nécessitant des descriptions différentes.” ((1994: 369) Malgré l’importance de cette distinction fonctionnelle, nous allons nous borner à étudier le phénomène en question, isolé, étant données les limites de longueur du travail à présenter. ANALYSE DU CORPUS Notre étude se centre sur les unités suivantes: souvenir (lettres 1 et 2); chaud (lettres 1 et 2); route (lettres 1 et 2); force (lettres 1 et 2); mariage (lettres 1 et 3); vacances (lettres1, 3 et 4); travail (lettres 2 et 3); travailler (lettre 3). Le scripteur de la première lettre fait référence aux souvenirs de vacances (p1) comme “ce qui revient ou peut revenir à l’esprit des expériences passées, image que garde et fournit la mémoire.” C’est le sens dénotatif qui est présent ici. Par contre, dans la lettre 2, nous pouvons constater que les photos constituent le témoignage des moments passés ensemble et évoquent les souvenirs gardés en mémoire. D’après la définition du dictionnaire, en souvenir de correspond à “pour garder les souvenirs” et non pas aux souvenirs proprement dits. Le rapport entre les deux termes reste évident. “chaud”, dans son premier sens veut dire “qui est à une température plus élevée que celle du corps”, définition qui s’applique parfaitement à l’emploi du terme dans “l’été sera chaud” (p4) de la deuxième lettre ou dans “il n’y a jamais été beau et chaud” (p2) de la lettre 3). Ce n’est pourtant pas le seule signifié de cette unité: “les souvenirs sont encore bien au chaud” (p1) de la lettre 1 fait penser à un emploi figuré du terme “chaud”, qui serait vu plutôt comme “au moment où l’évènement vient de se passer”. Il faut remarquer que le scripteur a écrit “au chaud”, que le Petit Robert définit comme “dans des conditions telles que la chaleur ne se perde pas”, mais l’emploi figuré que nous avons cité ci-dessus correspondrait mieux dans ce cas aux intentions du scripteur. L’émetteur de la première lettre soigne “les accidentés de la route” (p4); cette dernière unité évoque le sens dénotatif du terme, à savoir “voie de communication terrestre aménagée, plus importante que le chemin, située hors d’une agglomération ou reliant une agglomération à une autre”. Par contre, l’émetteur de “c’est hyper crevant de faire la route tous les jours” (p9) ne nous fait pas penser que son activité est celle de construire une route en tant que voie de communication, mais qu’il roule “beaucoup sur les routes”. Dans le cas de “force”, l’action de l’évolution de la langue a permis de multiplier les signifiés du terme, de sorte qu’il nous est un peu difficile de percevoir les similitudes de sens entre “force” vue comme “puissance de force physique, résistence” et vue comme “évènement imprévisible, inévitable et irrésistible, qui libère le débiteur de son obligation”. Pourtant, nous trouvons la même origine de deux sens: en bas latin fortia, signifiant fort, celui-ci renvoie à force. Les sens de “mariage” évoqués dans les lettres 1 et 3 sont différents mais on perçoit facilement le rapport existant entre eux: dans le premier cas (p6), il s’agit bien d’une “union légitime entre 2 personnes dans des conditions prévues par la loi”; en revanche, dans le deuxième (p2), il s’agit de l’”action d’associer, d’assortir des choses”. Dans le dictionnaire, nous avons repéré les différents signifiés de “vacances”, très reliés les uns aux autres: en premier: “période où les tribunaux interrompent leurs travaux”. Ce signifié n’est présent dans aucune lettre du corpus étudié. en deuxième: “ période pendant laquelle les écoles, les facultés rendent leur liberté aux élèves, aux étudiants.” C’est l’emploi que nous retrouvons dans la lettre 4 (p4). en troisième: “Repos, cessation des occupations, du travail ordinaire”, définition qui s’accorde bien avec l’emploi que fait le scripteur de la lettre 1 (p1). et finalement: “période annuelle d’arrêt du travail coïncidant en partie avec les vacances scolaires, pendant laquelle un grand nombre de personnes partent en vacances”, sens que lui confère le scripteur de la lettre 4 (p6). Les termes travail et travailler sont des termes polysémiques sans aucun doute, vu les différentes significations qui apparaissent dans le dictionnaire. Pour le nom masculin, nous trouvons entre autres: Le sens premier: “ensemble des activités humaines coordonnées en vue de produire quelque chose”; “les travaux: suite d’entreprises, d’opérations exigeant l’activité physique d’une ou de plusieurs personnes et l’emploi de moyens particuliers”, qui désigne les travaux d’urbanisme, par exemple (lettre 2, p5); “ouvrage de l’esprit (considéré comme le résultat d’une suite d’opérations intellectuelles)” qui inclue les études, les livres, et pourquoi pas les traductions (lettre 3, p1): “le travail est terminé”; “cette activité, organisée à l’intérieur du groupe social et exercé d’une manière réglée”, dont l’exemple est donné dans la lettre 3, au premier paragraphe: “une offre de travail”; “exercice effectif de l’activité professionnelle”, sens illustré par “ça motive à reprendre le travail”, énoncé extrait de la lettre 3 (p2). La différence entre les sens de travailler dans les phrases “travailler dans un musée” (lettre 3, p2) ou “travailler sur place” et “après avoir travaillé jusqu’à 2 heures” (lettre 3, p3) pourrait s’énoncer de la manière suivante: - les deux premiers emplois du terme travailler comportent l’idée d’ “exercer une activité professionnelle”, tandis que dans le troisième, il s’agit d’”agir d’une manière suivie, avec plus ou moins d’effort, pour obtenir un résultat utile”, qui comprendrait le concept d’étudier, par exemple, idée que pourrait laisser voir cette phrase, quoique non pas de façon explicite. CONCLUSION D’après ce que nous venons d’exposer, la polysémie d’une unité est déterminée essentiellement par le contexte et les domaines d’expérience qui font que le signe s’oppose à d’autres signes spécifiques. Parfois, la relation entre deux unités polysémiques est perçue comme floue par la communauté linguistique; et dans ce cas, soit un recours aux termes dérivés de chaque unité à analyser, soit une étude de l’étymologie des termes peut aider à retrouver ce rapport sémantique qui les relie. L’étude de la polysémie est une étude des nuances de la langue, et, en tant que telle, les professeurs de FLE ne doivent pas négliger cet aspect sémantique qui traduit et explique grand nombre d’informations en rapport avec la vision du monde, véhiculé par les unités lexicales. BIBLIOGRAPHIE Chauraudeau, Patrick: Grammaire du sens et de l’expression. Paris, Hachette, 1992. Gebauer, Verónica: Travail de recherche: Typologie textuelle: la lettre familiale et la lettre amicale. Córdoba, 2000. Guiraud, Pierre: La Sémantique, coll. “Que sais-je?”, 1962 Mounin, Georges: Clefs pour la linguistique. 1971 Dictionnaires Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1994. Le Petit Robert: Dictionnaire de la Langue française. Paris, 1994.