Joseph Aloïs Schumpeter 91
1.2. Fondements de la théorie schumpetérienne
de l’entrepreneur
Schumpeter avait pour objectif de fonder une nouvelle économie et de
révolutionner la théorie économique à l’image de Marx et de Walras
(Boutillier, Uzunidis, 2012), soit deux économistes à partir desquels,
l’économiste autrichien s’est principalement positionné, en dépit des
influences multiples auxquelles nous venons de faire référence. Son objec-
tif était d’élaborer un schéma d’analyse permettant de comprendre le
fonctionnement du capitalisme dans sa globalité et sur la longue période
(et par conséquent le processus par lequel il se transforme). Il témoigna
une forte admiration pour Walras, qui lui apparait comme « le plus grand
économiste » (Schumpeter, 1983, t. 3, p. 110)2, mais il regrettait l’incapa-
cité de ce dernier à expliquer tant l’expansion que les crises économiques.
Il considérait Marx comme un « auteur difficile » (Schumpeter, 1983, t. 2,
p. 28), tout en soulignant son érudition et sa force intellectuelle. Il se
rapprocha de l’analyse de Marx avec Capitalisme, Socialisme et Démocratie,
sur le déclin du capitalisme. Cet intérêt pour l’œuvre de Marx réside sans
doute aussi en partie dans le fait qu’ils étaient issus l’un et l’autre d’une
culture germanique commune (Reisman, 2004). Mais, politiquement il
garda ses distances, et ne devint pas marxiste.
Au début du XXe siècle, lorsque Schumpeter publie sa première œuvre
majeure, Théorie de l’évolution économique, la théorie marginaliste s’était
imposée depuis plusieurs décennies comme la nouvelle théorie écono-
mique, dans le prolongement de l’œuvre des économistes classiques. Ce
fut l’économiste américain, Thorstein Veblen (1857-1929) qui qualifia de
« néoclassique » ce groupe d’économistes de l’après-1870, pour dénoncer
leur manque d’imagination et leur prétention à dominer toute la théorie
économique. Très vite, Schumpeter prit ses distances vis-à-vis de la théorie
néo-classique, qui constitua l’enseignement qu’il reçut à l’université en
économie. Il contesta notamment le principe du circuit économique
(représentation statique de l’économie) et la concurrence pure et parfaite.
Mais, il était aussi familier des travaux des grands sociologues tels que
Sombart3, Durkheim, Simmel et surtout Weber. De ce dernier, il retient
notamment l’analyse des motivations de l’entrepreneur. L’originalité de la
pensée de Schumpeter réside dans le fait qu’elle est à la fois holiste et indi-
vidualiste. Holiste parce qu’elle appréhende le fonctionnement du capita-
2. Schumpeter rencontra Walras en Suisse. Ce dernier le félicita pour son œuvre alors qu’il n’avait que
25 ans (Karklins-Marchay, 2004).
3. Schumpeter emprunta énormément à Sombart, sans toujours le reconnaître explicitement dans ses
écrits.
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