YouTube, une communauté de créateurs LES CAHIERS DE l’EMNS L’EMNS – École des Médias et du Numérique de la Sorbonne – est un pôle pluridisciplinaire de recherche et de formation créé par l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, en partenariat avec des entreprises et des institutions publiques. Dirigée par Joëlle Farchy, elle a pour vocation de décrypter l’actualité des médias et de la culture à l’ère numérique. Scène de la vie culturelle - B. Louessard, J. Farchy Cet ouvrage révèle, au-delà des nombreux fantasmes que véhicule YouTube, la vitalité de cet espace de création et de production. Il étudie les intervenants impliqués dans la production de fictions ayant rencontré le succès et montre comment se conjuguent placement de produit, promotion de contenus et valorisation publicitaire mais également comment ces pratiques participent d’une transformation de l’offre de fiction, en particulier avec les multi-channels networks, sortes de chaînes de télévision 3.0. Scène de la vie culturelle LES CAHIERS DE L’EMNS YouTube est devenu un moyen de diffusion protéiforme qui brouille définitivement les frontières entre amateurs et professionnels. Les réseaux actifs au sein de la communauté de producteurs de vidéos ont donné naissance à une nouvelle forme de « monde de l’art », spécifique de l’univers numérique, qui n’a cependant fait l’objet que de peu de travaux. Bastien Louessard Avec Joëlle Farchy 15 euros youtubers.indd 1 10/04/2018 15:31 Bastien Louessard, Joëlle Farchy, Scène de la vie culturelle. YouTube, une communauté de créateurs. Paris, Presses des Mines, Les Cahiers de l’EMNS, 2018. © Presses des MINES – TRANSVALOR, 2018 60, boulevard Saint-Michel75272 Paris Cedex 06 France [email protected] www.pressesdesmines.com ISBN : 978-2-35671-512-8 Les illustrations appartiennent aux auteurs sauf mention contraire. © Illustration de couverture : Gilles Mustar Dépôt légal 2018 Achevé d’imprimer en 2018 (Paris) Cette publication a bénéficié du soutien de l’Institut Carnot M.I.N.E.S. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et d’exécution réservés pour tous les pays. Scène de la vie culturelle YouTube, une communauté de créateurs Collection Les Cahiers de l’EMNS Dirigée par Joëlle Farchy et Cécile Méadel Joëlle Farchy, Marie De La Taille, Libres (petits) enfants du numérique. Communs et licences libres dans le secteur culturel Anne-Sophie Béliard, S’il te plaît, dessine-moi une série… Contributions des internautes et séries télévisées Joëlle Farchy et Nathalie Moureau, Présumé coupable. Droit de suite et évolution du marché international de l’art. Joëlle Farchy, Cécile Méadel et Guillaume Sire, La Gratuité, à quel prix ? Circulation et échanges de biens culturels sur Internet. Joëlle Farchy et Camille Jutant, Qui a peur du marché de « l’occasion numérique ? ». La seconde vie des biens culturels Joëlle Farchy et Cécile Méadel (dir.), Anna Bernard, Mathilde Gansemer, Jessica Petrou, Télécharge-moi si tu peux. Musique, film, livre Bastien Louessard Avec Joëlle Farchy Scène de la vie culturelle YouTube, une communauté de créateurs Introduction Créée le 14 février 2005 par trois employés de PayPal, Steve Chen, Chad Hurley et Jawed Karim, la plateforme d’hébergement de vidéos YouTube a connu un succès fulgurant. Le 23 avril de la même année, les options de téléchargement et d’hébergement de vidéos (upload) sont intégrées et la première vidéo est mise en ligne par Jawed Karim. Il s’agit de « Me at the zoo », une vidéo de 18 secondes qui montre Jawed Karim devant l’enclos des éléphants du zoo de San Diego, expliquant son admiration pour cet animal1. Le site connaît ensuite une croissance rapide et revendique des nombres d’utilisateurs et de vidéos mises en ligne toujours plus importants, devenant même, en juillet 2006 et selon Nielsen/NetRatings, le site ayant connu la croissance la plus rapide de l’histoire2. Durant ce même mois de juillet, l’entreprise annonce que 65 000 vidéos sont mises en ligne quotidiennement et 100 millions de vidéos sont visionnées quotidiennement3. Le site attire alors 20 millions de visiteurs uniques par mois. En novembre 2005, la compagnie reçoit le soutien du fonds de capital-risque Sequoia Capital, qui y investit d’abord 3,5 millions de dollars4 puis à nouveau 8 millions en avril 20065. Six mois plus tard, en octobre, Google acquiert YouTube pour 1,65 milliard de dollars6. Une opération qui est à l’époque la plus grosse 1 https://www.youtube.com/watch?v=jNQXAC9IVRw (sauf mention contraire l’ensemble des adresses internet ont été consultées pour la dernière fois le 20 octobre 2017). 2 http://adage.com/article/digital/youtube-fastest-growing-website/110632/. 3 http://usatoday30.usatoday.com/tech/news/2006-07-16-youtube-views_x.htm. 4 http://www.marketwired.com/press-release/youtube-receives-35m-in-funding-fromsequoia-capital-736129.htm. 5 https://www.cnet.com/news/youtube-receives-8-million-in-venture-funding. 6 www.nytimes.com/2006/10/09/business/09cnd-deal.html. 7 acquisition de Google, et qui demeure aujourd’hui la quatrième plus grosse acquisition du groupe. La société communique régulièrement des chiffres sur le nombre de vidéos mises en ligne, le temps de visionnage ou la fréquentation. L’un des indicateurs les plus fréquemment diffusés est le nombre d’heures de vidéo mise en ligne chaque minute : 20 heures en mai 20097, 24 heures en mars 20108, 35 heures en novembre 20109, 48 heures en mai 201110, 60 heures en janvier 201211, 100 heures en mai 201312, 300 heures en décembre 201413 et 400 heures en février 201714 (soit l’équivalent de 65 années de vidéos par jour). Le site présent dans 88 pays et traduit en 76 langues revendique plus d’un milliard d’utilisateurs15 visionnant quotidiennement l’équivalent d’un milliard d’heures de vidéo16. A contrario, si elle diffuse massivement un certain nombre de données d’usage, la compagnie regroupée par la holding Alphabet au sein de la filiale Google ne communique jamais sur ses résultats financiers. Seuls les résultats de Google sont communiqués. Peu d’éléments tangibles permettent donc de juger de la rentabilité de la plateforme. 7 https://youtube.googleblog.com/2009/05/zoinks-20-hours-of-video-uploadedevery_20.html. 8 https://youtube.googleblog.com/2010/03/oops-pow-surprise24-hours-of-video-all.html. 9 https://youtube.googleblog.com/2010/11/great-scott-over-35-hours-of-video.html. 10 youtube.googleblog.com/2011/05/thanks-youtube-community-for-two-big.html. 11 youtube.googleblog.com/2012/01/holy-nyans-60-hours-per-minute-and-4.html. 12 youtube.googleblog.com/2013/05/heres-to-eight-great-years.html. 13 www.tubefilter.com/2014/12/01/youtube-300-hours-video-per-minute/. 14 www.wsj.com/articles/youtube-tops-1-billion-hours-of-video-a-day-on-pace-to-eclipsetv-1488220851. 15 Le site revendique explicitement « plus d’un milliard d’utilisateurs, soit près d’un tiers des internautes du monde entier » www.youtube.com/yt/press/fr/statistics.html. 16 youtube.googleblog.com/2017/02/you-know-whats-cool-billion-hours.html. 8 Des analystes et journalistes estiment cependant qu’elle ne l’a pas encore atteinte ou qu’elle ne l’a atteinte que très récemment17. La naissance des plateformes d’autopublication telles que YouTube a ainsi grandement simplifié l’hébergement et la diffusion de ces contenus (Lovink, 2008)18. Il existait auparavant des outils tels que RealPlayer et RealVideo permettant déjà de diffuser en ligne de la vidéo ou de la musique. Toutefois, ces outils imposaient pour le créateur comme pour son public l’installation préalable d’un logiciel et impliquaient le téléchargement de l’œuvre. L’émergence des sites d’hébergement de vidéos s’inscrit plus largement dans un mouvement de développement du web collaboratif (voir tableau ci-dessous). La plateforme de Google n’est d’ailleurs pas le seul site de partage de vidéo19 ; toutefois sa notoriété et l’importance de son trafic semblent en avoir fait l’emblème de la vidéo en ligne. Pour Patricia Lange, la marque serait même devenue un terme générique en relation avec l’univers de la vidéo en ligne : « many non-specialists and media professionals refer to online videos as ‘YouTube’ videos » (Lange, 2008, p. 89). Signe de cette prédominance, les créateurs et les acteurs de ces vidéos ont hérité du nom de « youtubeur-se-s ». 17 www.wsj.com/articles/viewers-dont-add-up-to-profit-for-youtube-1424897967. 18 Cet essor est également à relié au déploiement des connexions Internet haut débit. 19 Début 2007, plus de 250 sites Internet de vidéos en ligne étaient ainsi référencés (Holahan, 2007). 9 Principales dates de l’histoire d’Internet et du web collaboratif De 1991 à 1994 Création du World Wide Web et premiers logiciels de navigation (Mosaic, 1993 ; Netscape, 1994 ; Explorer, 1995) 1995 Création de Amazon 1995 Création de eBay 1995 Création de Yahoo ! (racheté par Verizon en 2016) 1999 Création de MSN qui deviendra en 2005 Windows Live 1999 Création de Blogger (racheté par Google en 2003) 2001 Création de Wikipédia 2002 Création de Skyblog.com (devient Skyrock.com en 2007) 2003 Création de Second Life 2003 Création de MySpace 2003 Création de Delicious (racheté par Yahoo en 2005) 2003 Création de LinkedIn (racheté par Microsoft en 2016) 2004 Création de Flickr 2004 Création de Facebook (devient public en septembre 2006) 2005 Dougherty et O’Reilly popularisent le concept de Web 2.0 2005 Lancement du jeu en ligne World of Warcraft (WOW) 2005 Création de YouTube (racheté par Google en 2006) 2005 Création de Dailymotion 2005 Création de Netvibes 2006 Création de Twitter 2006 Le magazine américain Time élit « Vous » (You) comme personnalité historique de l’année, signifiant l’avènement de la participation sur le web 2009 Création de Foursquare 2010 Création d’Instagram (racheté par Facebook en 2012) 2011 Création de Snapchat (adapté de Coutant et Stenger, 2012) Sources : ComScore, Alexa.com et Wikipédia – chiffres 2010-2011 et données entreprises. 10 La majeure partie des usagers de ces plateformes ne sont pas des producteurs de contenus originaux, mais de simples consommateurs (Burgess & Green, 2013) qui ne postent jamais de vidéo voire n’interagissent pas ou ne commentent pas les vidéos des autres. Parmi, les « producteurs », un grand nombre d’« uploaders » ne cherchent pas non plus à être vus ou à diffuser leurs contenus. C’est notamment le cas des vidéos privées – vidéos de vacances, de fête, etc. – qui ne sont mises en ligne sur ces plateformes qu’en vue d’un partage avec des proches et uniquement dans l’objectif de simplifier ce partage. En avril 2011, James Zern un ingénieur de YouTube affirmait ainsi que 30 % des vidéos mises en ligne sur la plateforme suscitaient près de 99 % des vues20, ce qui a contrario signifie que 70 % des vidéos mises en ligne ne suscitent que 1 % des vues. L’essor et les développements successifs des plateformes d’autopublication en ligne, et notamment des plateformes d’hébergement de vidéos, se sont de plus accompagnés d’un développement considérable et régulier des pratiques amateurs et des contenus produits par les utilisateurs (UGC pour User Generated Content) (Beuscart & Crepel, 2014; Flichy, 2010). Les plateformes elles-mêmes insistent sur cet aspect et le revendiquent comme un élément constitutif de leur identité. Le « You » de la marque YouTube, son slogan « Broadcast yourself »21 ou encore la première vidéo mise en ligne, « Me at the zoo », montrent assez clairement comment YouTube s’est initialement axé vers les contenus et les pratiques amateurs. Au cours des dernières années, de nombreux contenus produits par des professionnels ont toutefois également fleuri sur la plateforme. Or, la frontière entre UGC et PGC (Professionally generated content), entre contenus produits par des amateurs et ceux produits par des professionnels reste délicate (Lange, 2008). Pour Patricia Caillé, les communautés en ligne 20 http://www.telegraph.co.uk/technology/news/8464418/Almost-all-YouTube-viewscome-from-just-30-of-films.html. 21 Que l’on pourrait traduire par : « Diffusez-vous vous-même ». 11 amèneraient même à « l’obsolescence de la distinction entre expert et profane » (Caillé, 2014, p. 11). Exception faite des pratiques de partages dans des cercles privés, diffuser des vidéos en ligne est devenu principalement le fait de personnes ayant un intérêt et un investissement suffisant pour apprendre les techniques et filmer, monter, etc. Même s’ils semblent nombreux à avoir des liens avec le monde professionnel ou tout au moins des univers d’amateurs avancés (Lange, 2008), les youtubeurs n’afficheraient cependant pas forcément ces connexions voire les tairaient volontairement. Une distinction amateurs-professionnels est de plus nécessairement synchronique et néglige les potentielles évolutions de compétences et de carrière des acteurs. L’essor quantitatif des vidéos mises en ligne s’accompagne d’une évolution qualitative et d’une montée en gamme des contenus produits par des internautes, devenus amateurs éclairés, aux compétences de plus en plus professionnalisées. Un certain nombre de youtubeurs s’efforcent en effet d’améliorer leurs compétences et leur visibilité. Ils deviennent ce que Patricia Lange qualifie de « proteurs » : « People who have gained recognition as professionals for their hobbies even if they don’t have relevant professional certificates or degrees » (Lange, 2008, p. 91). Les participants trouvent d’ailleurs en YouTube un moyen d’échanger et de partager avec des personnes ayant ce même intérêt pour la vidéo et cette même envie de faire des vidéos, une passion qui ne serait pas forcément toujours partagée ou comprise par leur entourage. Au-delà de la plateforme elle-même, YouTube est ainsi surtout une communauté source d’intérêt majeur pour le chercheur en sciences sociales. Faisant référence au site comme lieu et à la notion anthropologique de site, Lange estime que des personnes, des forces, des interactions en lien avec YouTube s’exercent en dehors de ce site et qu’il n’est donc pas socialement autonome. Il serait donc nécessaire de ne pas limiter cet espace interactionnel à un seul site, mais plutôt à une communauté. Sous certains aspects, YouTube serait d’ailleurs une communauté virtuelle d’intérêt autour de la vidéo et des pratiques collaboratives qui y sont liées : 12 commentaires, discussion, vote, etc. Ce ne serait donc pas spécifiquement la plateforme YouTube qui serait au cœur de cette communauté, mais plutôt un ensemble d’intérêts et de paramètres sociaux (Lange, 2008, p. 88). Malgré l’importance de la question, la recherche sur les youtubeurs demeure limitée. Si les publications techniques et marketing sur YouTube et ses dernières évolutions sont de plus en plus nombreuses, la littérature académique n’en est quant à elle qu’à ses balbutiements (Kavoori, 2015, p. 2). Les rares publications sur le sujet gravitent de plus autour d’un faible nombre de chercheurs : l’Australienne Jean Burgess (notamment Burgess, 2008, 2012, 2015, Burgess & Green, 2009, 2013 ; Burgess, Green, & Rebane, 2008) et l’Américaine Patricia Lange (notamment Lange, 2007b, 2007a, 2008, 2009, 2014) qui ont concentré la majeure partie de leurs recherches sur le sujet. D’autres chercheurs se sont certes penchés sur le sujet, mais l’ensemble des publications reste restreint et se concentre sur des approches plus évaluatives – mesurer l’effet de la durée ou du sujet sur le succès – que compréhensives. À de rares exceptions (Bullich, 2015; Lebtahi, 2014), ces recherches demeurent par ailleurs quasi exclusivement anglophones, à l’exception du colloque « Youtubeurs, Youtubeuses » organisé en 2017 par l’équipe Prim de l’université de Tours. De leur côté, les discours médiatiques sur le sujet sont certes nombreux, mais restent souvent superficiels – même si certains articles parmi les plus récents sont nettement plus approfondis22 – et véhiculent de nombreuses imprécisions. La monétisation des vidéos, leur parcours, le statut des multichannel networks (MCN), ou encore leurs revenus sont autant d’aspects sur lequel les informations diffusées sont régulièrement imprécises voire erronées tout en alimentant un fort intérêt et de nombreux fantasmes. Comme le résume un youtubeur spécialisé dans le jeu vidéo interviewé par un journaliste23 : 22 http://www.slate.fr/story/115203/mcn-groupes-youtubeurs 23 « Le patron, c’est YouTube », Alternatives économiques, n° 667, avril 2017. 13 « Encore un article sur ce qu’on gagne ? On vient toujours nous chercher sur la YouTube money. Je préférerais parler du sens que je donne à ce que je fais, vous comprenez ? » C’est très précisément à cette question du sens et de la création que cherche à répondre notre recherche. Dans cet ouvrage, nous considérons comme youtubeur, tout créateur d’un contenu vidéo original, qui héberge ses créations sur une plateforme, dans l’optique de les diffuser au plus grand nombre. Les contenus proposés sont multiples : il peut s’agir de sketch, de courtmétrage, de web-série, de vlog – contraction de videoblog, une pratique dans laquelle le youtubeur se filme en général lui-même dans des situations du quotidien ou sur des thématiques particulières –, d’unboxing – des vidéos au cours desquelles le youtubeur se filme en train de déballer et éventuellement d’essayer un produit neuf –, de vidéos de vulgarisation, de prank – terme anglophone utilisé pour désigner les caméras cachées sur le web –, des FAQ – vidéos au cours lesquelles le youtubeur répond aux questions des internautes –, de vidéo de gaming – dans lesquelles il se filme en train de jouer, faire une critique d’un jeu vidéo, donner des astuces, etc. – ou encore de tutoriels… Les youtubeurs eux-mêmes ne se limitent souvent pas à un seul genre et s’essayent fréquemment à d’autres types de contenus. Il est par exemple relativement commun qu’un youtubeur habitué à faire des sketchs ou des pranks, s’essaie sur sa chaîne à l’exercice du vlog ou de la FAQ. Parmi l’ensemble de ces youtubers, créateurs de contenus, notre objet de recherche se concentre sur les créateurs de fiction – court, moyen et long métrage, web-série, sketch, etc.24 – et se limite à la communauté francophone. Nous envisageons ici la notion de youtubeur dans une acception large impliquant également les différents intervenants techniques et artistiques invisibles à l’image – il peut s’agir de comédiens, de vidéastes ou d’auteurs, 24 Sans néanmoins que ce soit exclusif, ces créateurs pouvant également proposer d’autres types de contenus sur leurs chaînes. 14 les trois pouvant parfois être une seule et même personne. Enfin, dans cette vaste galaxie, nous nous limitons aux youtubeurs ayant une communauté minimale de 100 000 abonnés – seuls ou au sein d’une chaîne collective. Entre 200 et 250 chaînes25 correspondent à ces critères à la fin du mois d’octobre 2017. Nos prises de contacts ont mené à la réalisation de 25 entretiens. Un certain nombre de créateurs n’ayant cependant pas répondu, ou ayant décliné notre requête – pour des questions de disponibilités ou en raison d’une certaine appréhension vis-à-vis des interviews26 –, notre corpus présente quelques zones d’ombre. Nous n’avons notamment pas réussi à rencontrer de podcasteurs27 or, ces derniers représentent une part significative de la première comme de la nouvelle génération de youtubeurs et c’est sans doute là une limite à notre recherche. En complément de ce premier noyau de créateurs à succès, nous avons fait le choix dans un second temps de rencontrer cinq comédiens et auteurs qui, sans bénéficier d’une notoriété équivalente, semblent toutefois appartenir à cette communauté de créateurs. Ce choix permet de mieux se saisir des 25 Ce nombre s’appuie sur l’exportation, depuis la base de données du site influencepanel. com, de l’ensemble des chaînes francophones de plus de 100 000 abonnées (au 25 octobre 2017) classées dans les catégories « Humour » et « Courts-métrages - films » (la base a fait l’objet d’un nettoyage manuel pour exclure certaines incohérences), à laquelle s’ajoute la prise en compte manuelle de certaines chaînes absentes de la base de données. L’écart laissé est une marge de prudence, destinée à prendre en compte d’éventuelles chaînes absentes dont nous n’aurions pas connaissance. 26 Les discours journalistiques sur les youtubeurs sont souvent perçus par ces derniers comme caricaturaux et méprisants, et conduisent un certain nombre d’entre eux à éviter les interviews. Cette tension, fréquemment ressortie lors des entretiens ou des prises de contact, trouve son point d’orgue dans l’interview de la youtubeuse Natoo par Laurent Ruquier et son équipe dans l’émission On n’est pas couché (le 24 octobre 2015). 27 Ce terme étymologiquement lié au podcast – une technologie de diffusion de fichiers son ou vidéo par Internet – a vu son sens évoluer avec l’essor des plateformes d’hébergement de vidéos et désigne désormais les youtubeurs délivrant un message seul, face à une caméra, le plus souvent dans un décor de chambre ou de salon. C’est dans ce sens que nous l’emploierons tout au long de cet ouvrage. 15 processus à l’œuvre dans l’émergence des youtubeurs et leur intégration dans la communauté. Signe selon nous du bien-fondé de cette approche, une des créatrices émergentes rencontrées a entre-temps passé le cap des 100 000 abonnés quand une autre a rejoint Le Lab de Golden Moustache qui constitue en quelque sorte l’incubateur du collectif. À ce premier groupe d’enquêtés, viennent s’ajouter cinq entretiens avec des responsables de trois des quatre principaux MCN de fiction français (Golden Moustache, Studio Bagel, Endemol Beyond) et du directeur du YouTube Space parisien – un espace de tournage et de formation mis à disposition des créateurs par la plateforme. Enfin, nous avons rencontré trois responsables du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) impliqués dans des projets de financement de la création numérique. Précisons enfin que, même si ce n’était pas un critère de sélection pour les entretiens, chacune des personnes rencontrées vit de son activité. Notre méthodologie est fondée sur des entretiens compréhensifs (Kaufmann & Singly, 2011), qui s’appuient sur un guide d’entretien. Celui-ci s’attache à prendre compte les activités en ligne et hors ligne, et se concentre notamment sur les questions du parcours et de la formation, du rapport à la création, de la situation financière et professionnelle – statut, revenus, emploi annexe, etc. –, des pratiques de créations en ligne et hors ligne, des stratégies de collaboration, du rapport aux pairs, à la production, aux MCN, aux partenaires, à YouTube, et au public. Après avoir présenté la diversité de l’univers des youtubeurs de fiction et les modalités de création qui y fleurissent, nous analyserons l’économie en restructuration dans laquelle ces pratiques s’insèrent. Dans une dernière partie, nous tenterons de comprendre comment les réseaux actifs au sein de cette communauté parviennent progressivement à constituer une nouvelle forme de monde de l’art (au sens de Howard Becker (2010) particulièrement adaptée à l’univers numérique. 16 -1YouTube, figure de proue de nouvelles modalités de création La création et la diffusion de vidéos impliquent un grand nombre de compétences. Cependant, l’apparition des plateformes d’hébergement comme YouTube ou Dailymotion simplifie la démarche, et n’impose plus de disposer de compétences techniques particulières pour créer un site Internet et y intégrer les vidéos28. Dès lors, les individus concernés viennent d’horizons variés et imposent progressivement des codes spécifiques de création. 1.1. L’univers des youtubeurs : une diversité d’individus aux origines, motivations et pratiques variées Un certain nombre de créateurs sans compétences techniques particulières ont pu se lancer sur YouTube et ont progressivement appris à exister et à travailler sur Internet. 1.1.1. Les frontières poreuses entre autodidaxie et formations initiales solides Marjorie Le Noan, comédienne de formation, qui a débuté sur YouTube en faisant seule sa chaîne, s’est auto formée aux aspects techniques – montage et prise de vue notamment. Elle s’est progressivement professionnalisée en se renseignant sur Internet, en regardant les vidéos d’autres youtubeurs, en encore en suivant les conseils reçus dans les commentaires. La question 28 Certains des créateurs dont la présence en ligne est la plus ancienne nous ont ainsi raconté avoir d’abord eu recours à de tels dispositifs. 17 du matériel a en effet grandement évolué, et d’après les témoignages des créateurs rencontrés, pour s’initier, un matériel minimal peut suffire dans un premier temps. Le Canon 5D semble ainsi communément admis comme amplement suffisant pour un rendu professionnel. YouTube fait donc exister de véritables autodidactes, qui n’ont pas suivi de formation en lien avec leur activité de vidéastes voire pour certains n’auraient tout simplement pas continué leurs études après le secondaire. Nous pouvons les regrouper en au moins deux catégories : - ceux dont l’arrivée en ligne est relativement ancienne et antérieure ou concomitante aux premiers succès des youtubeurs ; et ceux, souvent plus jeunes, arrivés après ces premières générations de créateurs et dont le parcours a été inspiré par le travail et le succès de ces derniers. Parmi les premiers youtubeurs et plus particulièrement parmi les podcasteurs, les formations sont moins répandues et que nous sommes en présence d’un certain nombre d’autodidactes29. Ce qualificatif nous paraît toutefois restrictif, et pour reprendre la formule d’Olivier Alexandre : « masque la série d’apprentissages informels antérieurs » (Alexandre, 2015). En effet, il semble que ces autodidactes disposent d’un important portefeuille de compétences initiales, notamment dans l’univers d’Internet. La plupart d’entre eux semblent en effet s’être tout d’abord distingués par une présence remarquée en ligne via un blog, Twitter, MySpace, etc. Nous pourrions par exemple prendre le cas de Grandpamini, qui s’est d’abord illustré sur MySpace, avant de tisser des relations avec d’autres créateurs. C’est également le cas de Cyprien qui s’est d’abord fait connaître au travers de son blog30 – il n’a alors pas encore son baccalauréat – avant de se mettre au podcast. 29 Elles ne sont néanmoins pas absentes comme le montre le cas de Norman Thavaud (cf. infra). 30 https://web.archive.org/web/20070629201134/http://www.monsieurdream.com:80/ 18 Les autodidactes de l’analogique Les cas de Davy Mourier et Monsieur Poulpe – deux acteurs aujourd’hui au cœur de la création YouTube – renvoient à une autre époque et un autre rapport à la création. Ils incarnent en effet une génération d’autodidactes qui ont commencé à créer et à diffuser leurs créations bien avant l’apparition des plateformes et de la diffusion de vidéo sur Internet. Fortement liée à la culture geek, cette création s’est structurée autour des chaînes Game One et NoLife, des conventions de fans d’animés, de jeux vidéo ou encore de manga, et plus largement autour de la japanimation et de sa diffusion. Pour Davy Mourier – qui projetait déjà de devenir auteur de bande dessinée –, c’est en découvrant la chaîne Game One et les programmes du journaliste et réalisateur Alex Pilot que lui est venue l’idée de se mettre à la vidéo : « Genre c’était comme si Les nuls et Les inconnus, se mettaient ensemble en jouant pas très bien la comédie (rire), mais, ils avaient vu tout le Club Dorothée et Récré A2, et ils faisaient des films avec que des références pour ces gens-là ! Et toi, quand t’as été élevé avec ces trucs-là, quand tu voyais un truc d’Alex Pilot tu te disais : “mais on peut faire ça ? […] Mais attends, mais… on peut le faire ?” » (Entretien avec Davy Mourier). La découverte de cette nouvelle création l’a ensuite amené à découvrir les évènements sur le sujet – notamment La soirée des films amateurs ou aux conventions Japan Expo et Cartonnist – et à y concourir. « Je suis allé dans les conventions parce que… alors moi j’ai vu ce truc sur Game One, et puis après j’ai vu qu’il y avait une pub pour Cartoonist. J’y suis allé. J’ai découvert un univers… Où je pouvais racheter des Chevaliers du Zodiac des trucs comme ça, et j’ai fait “wow !” Et il y avait des salles de projection, et je suis allé dans une salle de projection, ça, c’était en 98, je crois. Je vais dans une salle de projection et là… Je vois un film amateur diffusé, mal branlé, mal machin. C’est-à-dire qu’il y avait de la fougue, des trucs que t’avais 19 jamais vus à la télé. Et la salle ! […] J’ai eu ce frisson et je me suis dit, je veux y être, je veux être dans cette salle. Et l’année d’après, on présentait Resident Kitsch, qui était Resident Evil avec les zombies qui étaient remplacés par des trucs kitsch. » (Entretien avec Davy Mourier). Autour de ces évènements s’est structurée une communauté de créateurs, se réunissant au gré des conventions ou échangeant sur des forums dédiés. Davy Mourier, Monsieur Poulpe et plusieurs des premiers acteurs de la création francophone de vidéo sur Internet se rencontrent ainsi : « [Il y avait] une soirée qui s’appelait La soirée des films amateurs, où tous les mecs qui ont fait les premières vidéos sur Internet étaient là dans cette soirée ! Si tu revois cette soirée tu fais, OK donc il y avait Noob, il y avait… il y avait La Flanders Company, il y avait tous ces gens qui ont commencé sur le web après, ils étaient déjà là. Et nous aussi d’ailleurs ! » (Entretien avec Davy Mourier). Autour de cet écosystème de création amateur se met progressivement en place une filière : la plateforme Mooviz – créée en 2 000 – qui se dédie d’abord à la diffusion de films amateurs, l’émission Les films faits à la maison lancée par Canal+ en, 2003, les magazines de japanimation ou de jeux vidéo qui voient dans ces films une opportunité peu coûteuse d’offrir davantage de contenus sur le CD ou le DVD à leurs lecteurs – Laurent Sarfati ancien journaliste chez Joystick explique ainsi au journal Le Monde « Le principe était de bourrer le CD, d’offrir quelque chose de bien rempli aux lecteurs » (Lamy, 2017) –, ainsi qu’un certain nombre de programmes de la chaîne Game One. Face à cet intérêt grandissant et à l’apparition des premières opportunités de diffusion sur Internet, un certain nombre de créateurs passent à la vitesse supérieure, envisageant peu à peu la possibilité de vivre de cette activité. Dans le cas de Davy Mourier, ce vœu s’est tout d’abord partiellement concrétisé sous la forme d’un emploi de graphiste dans la société spécialisée dans le manga et la japanimation Kazé. En plus de ses missions de graphiste, son employeur le laissait en effet tourner des vidéos et les inclure dans les bonus DVD. 20 Plus concrètement, c’est avec le lancement de la première Freebox et la possibilité offerte par celle-ci de créer une chaîne de télévision à moindre coût que lui et d’autres créateurs ont pu se lancer dans la vidéo. « Et là, Alex Pilot nous fait une réunion secrète et nous dit “voilà, Free a lancé ses box ADSL, et en fait on a bien regardé l’offre et pour 1 000 € par mois, on peut faire une chaîne de télé !” Alors je lui fais, “ouais, OK, mais en fait 1 000 € c’est juste les frais pour avoir la chaîne de télé ?” Il me dit oui. Je lui dis, mais “qu’est-ce que tu diffuses sur ta chaîne, enfin… il faut la fournir !” Il m’a dit “ouais, mais regarde, si tous les mecs qui font des films amateurs depuis… 2000, on arrive à les diffuser et qu’on crée une chaîne musicale et qu’on peut mettre du clip, on peut peut-être faire une chaîne !” Et moi alors […] je lui dis “moi jamais je le ferais, par contre si vous le faites je vous donne tous les films et je vous fais des films gratuitement ! Je vous fais des trucs gratuitement pour votre chaîne !” » (Entretien avec Davy Mourier). Il lui propose ensuite de créer une série spécialement pour la chaîne – NoLife – baptisée Nerdz. Cette nouvelle série, à laquelle il collabore avec Monsieur Poulpe, rencontre un succès d’estime et se retrouve vite rediffusée pas des fans sur Dailymotion et YouTube. Ces vidéos « pirates » et de piètre qualité atteignent des nombres de vues impressionnants en 2007 – une des vidéo atteindra les 300 000 vues. Les créateurs cherchent à « maîtriser » cette diffusion et contactent Dailymotion pour leur proposer un partenariat, leur demande ne reçoit pas l’attention escomptée. Davy Mourier profite alors du fait de travailler chez l’éditeur de DVD Kazé, pour suggérer à son employeur de faire un DVD de la série. Celui-ci accepte sans enthousiasme. « Et on est la meilleure vente de Kazé à Japan Expo en 2007 ! Le DVD se vend à 5 000 exemplaires en un week-end (rires) et le mec fait genre “Woaw !” Et après bizarrement, il a produit Noob, La Flanders company, en DVD, voilà… » (Entretien avec Davy Mourier). 21 En parallèle, la société Ankama – qui a fait fortune avec le jeu en ligne à succès Dofus et les différentes créations qui en ont découlé – est entrée au capital de NoLife afin de permettre à la chaîne de survivre. Davy Mourier qui est persuadé que la série a besoin de moyens plus conséquents pour se développer et a entendu dire que Tot – l’un des fondateurs d’Ankama – « aimait les gens qui faisaient des choses », le rencontre en convention et lui présente la série en lui expliquant ses besoins. Tot accepte de compléter le financement la fin de la saison 3 et lui propose de produire en interne la saison 4 – mais en la diffusant sur son site et via un lecteur maison. Par la suite le duo Monsieur Poulpe et Davy Mourier propose à Ankama une émission radio qui deviendra un web talk-show : J’irai loler sur vos tombes. Cette émission leur permet de rencontrer « des tonnes de gens du milieu », et un grand nombre d’acteurs actifs ou périphériques de la création vidéo sur Internet : Simon Astier, François Descraques, 10 minutes à perdre, l’équipe de Bref, Katsumi, Alexandre Astier, Giedré, Le Ciné du Comité, etc. Pour les créateurs, ces rencontres avec « des gens qui fabriquent des choses » sont aussi stimulantes que frustrantes. « Poulpe est frustré, je pense, mais il le dit pas et moi je suis très très frustré artistiquement ! Parce que Nerdz c’est fini, on a fait la saison 4, on a terminé la saison 4 de Nerdz. Et J’irai loler sur vos tombes, c’est cool, mais il y a pas de création artistique, c’est pas drôle… Enfin si c’est drôle, on fait quelques sketchs de temps en temps, mais c’est pas une websérie, c’est pas… Et moi je suis fan des Inconnus, de la télé des Inconnus, je suis fan des Nuls… Les Monthy Python, c’était trop fou… » (Entretien avec Davy Mourier). Ils proposent alors à Ankama d’engager François Descraques dans l’optique de lui faire réaliser une émission de sketchs sur internet, « Parce que ça n’existe pas ». De cette collaboration naît donc le Golden Show, d’abord produit et diffusé par Ankama. L’émission quittera ensuite Ankama pour être produite par Regular Production la société d’Alexandre Astier et diffusée sur Golden Moustache, agrégeant ou amenant avec elle nombre de créateurs aujourd’hui centraux dans l’écosystème de YouTube. 22 Mais les voies de cette arrivée « en ligne » sont multiples. En effet, en parallèle de Nerdz et des émissions produites pour Ankama, Davy Mourier s’est entre temps remis à la BD au travers d’un blog – Badstrip – sur lequel il s’oblige à mettre en ligne une planche par jour. Or, constatant qu’il n’a pas toujours le temps de produire une planche, il décide en 2007, alors qu’il est en week-end en Ardèche, de se filmer et de mettre la vidéo sur son blog (via Dailymotion). Contre toute attente, cette vidéo rencontre un certain succès, et il continue donc à poster de plus en plus régulièrement des vidéos : « Là, j’ai commencé à faire des vidéos sur Dailymotion… Et je racontais ma vie ! Vraiment, c’est du vlog… le début du vlog, avant même qu’on appelle ça du vlog. Et après ce que je fais, bah du coup ça marche, donc je fais soit une BD, soit une vidéo, sur mon blog. Jusqu’à… Jusqu’au moment où les vidéos commencent à prendre plus le pas sur les BD. » (Entretien avec Davy Mourier). Enfin, les autodidactes les plus récents ont un profil relativement différent des précédents. Ils ont en effet débuté très jeunes – Adèle Castillon a par exemple commencé à 13 ans – et donc sans réelle formation, inspirés par les générations précédentes et/ou par leurs réussites31. Au-delà même des questions d’accès au matériel, diffuser ses vidéos en ligne implique d’avoir accès à d’une équipe de personnes disposant des compétences nécessaires à l’écriture, l’interprétation, la réalisation, le montage et la diffusion des vidéos, ou d’endosser soi-même tout ou partie de ces casquettes. Cependant, là encore, la majeure partie des mondes de l’art se caractérise par l’absence de monopole professionnel et de contrôle des formations sur les métiers et les recrutements. À la différence d’autres professions comme celles d’avocat ou de médecin, la sélection et la reconnaissance ne dépendent pas directement et en premier lieu de la formation, mais du jugement du public, 31 http://www.parismatch.com/People/Adele-Castillon-Ma-jeunesse-est-un-atout-1258772 23 des pairs, des institutions, etc. La possibilité de réussir sans diplôme reconnu n’est donc pas le propre de la création en ligne, et semble au contraire être l’une des caractéristiques d’un certain nombre d’activités artistiques, telles que comédien, metteur en scène, scénariste ou réalisateur (Alexandre, 2015 ; Becker, 2015 ; Bregman, 1997). Comme le souligne Howard S. Becker : « On ne peut pas empêcher le jeune M. Dupin d’acheter une guitare et de chercher à devenir une vedette du rock, ou décourager Mlle Dupin de prendre des leçons de danse et de rêver d’être, un jour, une grande étoile de ballet (ou de la danse moderne). De plus, tous les arts veulent également être en position de trouver une personne de génie, alors même que l’on ne sait jamais où émergera le prochain artiste d’exception. Quel que soit le lieu (grande école nationale très réputée ou lieu improbable), il arrive souvent qu’un inconnu, sans diplôme ou sans être passé entre les mains d’un professeur renommé, se révèle être un individu rare, un artiste du plus haut rang. » (Becker, 2015). À cette absence de barrières à l’entrée s’ajoute une tendance à la formation « sur le tas » tout au long des carrières. Certains des créateurs les plus éloignés des formations artistiques se sont ainsi progressivement formés eux-mêmes au jeu d’acteur et nombreux sont ceux qui soulignent les progrès que les premiers podcasteurs ont pu faire en termes de jeu ou réalisation. Cependant, la question de la formation des youtubeurs n’appelle pas de réponse univoque et nombre de créateurs rencontrés se caractérisent par la solidité de leurs formations et de leurs compétences initiales. Une proportion significative d’entre eux a en effet suivi des cursus en lien direct avec leur activité. La prédominance des formations professionnalisantes de comédien sur notre corpus est par exemple frappante : Cours Florent, Cours Simon, conservatoire d’arrondissement parisien, École Jacques Lecoq, etc. Une part également importante des personnes rencontrées a suivi un cursus 24 de formation aux métiers de l’audiovisuel : École supérieure de réalisation audiovisuelle (Esra), licence de cinéma, École internationale de création audiovisuelle et de réalisation (Eicar), BTS audiovisuel, etc. Une part significative des podcasteurs, pourtant régulièrement qualifiés d’autodidactes dans les discours médiatiques32, semble également avoir suivi des formations en rapport avec leur activité. Norman Thavaud a par exemple suivi une licence de cinéma à Paris-1 Panthéon-Sorbonne33 et a sans doute pu bénéficier d’apprentissages informels par son père qui est lui-même réalisateur et directeur pédagogique de l’École Préparatoire aux Métiers du Cinéma et de l’Audiovisuel34. Il semble par ailleurs qu’un certain nombre de ces créateurs aient suivi des formations dans d’autres secteurs artistiques comme l’art, le graphisme ou la radio. Or, comme le montre assez nettement Olivier Alexandre dans ses travaux sur les carrières de réalisateurs – et nous pourrions sans doute extrapoler et étendre ce constat aux créateurs sur YouTube –, les voies d’accès à cette activité sont « fortement décloisonnées ». Selon l’auteur, « Le développement d’un faisceau de compétences artistiques, techniques et/ou humaines dans un secteur artistique adjacent (théâtre, danse, musique, photographie, etc.) est [ainsi] tout aussi susceptible de constituer l’assise d’une pratique cinématographique. » (Alexandre, 2015). Des formations en communication, en journalisme ou des cursus en grandes écoles – IEP ou en école de commerce notamment – apparaissent également assez répandus. Si nous nous plaçons du point de vue des créateurs – de leurs déclarations –, celles-ci ne semblent pas avoir joué un quelconque rôle dans leur parcours artistique. Pierre Croce déclare par exemple en interview 32 http://teleobs.nouvelobs.com/la-selection-teleobs/20170508.OBS9142/ne-ratez-pasles-youtubeurs-expliques-aux-parents.html 33 http://www.liberation.fr/ecrans/2011/10/25/tete-a-clics_770142 34 http://www.mediaflec.com/lecole/ecole-preparatoire/ 25 se considérer comme autodidacte puisqu’il a suivi un cursus en école de commerce35. Il semble pourtant que la relative fréquence de ce genre de formation ne soit pas anodine et qu’elles permettent sans doute l’acquisition d’un certain nombre de compétences susceptibles d’être mobilisées dans les carrières de ces créateurs. Des compétences en gestion, en marketing, en communication ou en évènementiel sont en effet susceptibles d’être des atouts dans leurs carrières. Teddy Férent, après une école de commerce et un parcours professionnel en communication et événementiel, a décidé de quitter son emploi pour aider des amis à développer une société de production, considérant que l’évènementiel et la production étaient deux missions se rejoignant sur de nombreux aspects et que ses compétences devraient lui permettre de s’en sortir. « J’ai dit bah je peux essayer de développer un petit peu la partie commerciale, parce que j’en faisais un petit peu ; un peu la partie com, parce qu’ils avaient pas de site web, donc leur faire un petit site ; et puis, gérer la prod parce que c’est pas très éloigné de gérer un truc d’évènementiel tout ça… » (Entretien avec Teddy Férent). Baptiste Lorber, fondateur du site 10mn à perdre, après avoir obtenu un master 1 de l’EFAP (École Française des Attachés de Presse) en Communication/ Nouveau Média/Production audiovisuel36, a travaillé six mois à Radio Nova en tant que journaliste-auteur37 avant d’être concepteur-rédacteur pour l’agence de publicité Buzzman et d’y gérer le blog BuzzmanTV38 : « je faisais 35 http://www.20minutes.fr/magazine/noel/pierre-croce-jattends-que-mes-fansmenvoient-des-cadeaux-de-noel-219029/ 36 Nous nous appuyons ici sur son profil LinkedIn. 37 http://www.vma.fr/fiche.cfm/663293_baptiste-lorber 38 https://web.archive.org/web/20090722203101/http://www.buzzman-tv.com/ 6:00 26 des petits articles de ce qui pouvait buzzer sur Internet »39. Ne pouvons-nous pas estimer que cet ensemble de compétences accumulées au cours de ses études et de ses différents postes a été pour lui un atout, vis-à-vis de ses capacités à exister en ligne et à gérer son activité ? Grandpamini affirme d’ailleurs que c’est à son contact qu’il a appris à se servir de façon plus efficace des différents réseaux sociaux. Baptiste Lorber a également créé sa propre société de production40, et ce dès le lancement du site 10mn à perdre – en 2010. Il est d’ailleurs intéressant de constater que parmi les créateurs que nous avons rencontrés et plus largement parmi les youtubeurs en général, ceux qui créent leur propre structure de production ou en ont le souhait, sont souvent ceux qui ont les formations les moins en lien avec les métiers artistiques. C’est par exemple le cas de Pierre Croce, qui après son école de commerce, a travaillé chez Dailymotion – il est d’ailleurs probable que les compétences acquises dans sa formation comme l’expérience accumulée lors de son passage chez Dailymotion soient des atouts dans sa carrière – avant de se lancer dans le stand-up puis sur YouTube et de créer – en 2016 – sa propre société de production Alors évidemment41. Il semble que ce soit également le cas de l’équipe derrière la chaîne Lolywood – qui s’est rencontrée sur les bancs de l’université Paris-Dauphine42 et notamment au travers de la télévision étudiante Channel 9. Ils ont en effet créé leur propre société, Des mecs sérieux, qui s’occupe également d’autres chaînes à succès : La chaîne de Jeremy, Pat La Réalisation, Jigmé, Seb la frite, Youcook…43 Swann Périssé, titulaire d’un master à Sciences Po Paris en Étude de la communication et des médias, 39 https://www.youtube.com/watch?v=h_zcTHW6bRc 40 WorldWide Zboub Productions, la société a été dissoute en 2014 https://www.societe.com/societe/worldwide-zboub-productions-523042075.html. 41 https://www.societe.com/societe/alors-evidemment-821067725.html. 42 http://laplumedauphine.fr/2016/12/11/passes-4-lolywood/ 43 www.profilculture.com/mobile/annonce/commercial-159482.html (consulté le 31 janvier 2017). 27 est très inspirée par ce choix de certains de ses pairs de créer leur propre structure, et envisage également de créer la sienne. « Moi je suis team Pierre Croce tu vois ! Moi je veux avoir deux employés, faire les trucs dans mon bureau, je veux pas des networks qui me mettent des wordkeys pour avoir plus de clics, c’est de la merde […] Nicolas Meyrieux, pareil qui a monté sa boîte […] qui s’appelle Nicolas Meyrieux Prod, un truc comme ça… Je le vois jeudi tu vois. Donc moi je suis en train de construire le modèle tu vois, je vois pleins de gens [qui ont monté leur structure] et il y a des gens je me dis non, et il y a des gens je me dis si. » (Entretien avec Swann Périssé). Si ce lien apparaît relativement logique pour ceux ayant suivi des cursus à Sciences Po, en école de commerce, ou en gestion, il semble également qu’il puisse être étendu à d’autres créateurs ayant suivi des formations moins directement en lien avec la gestion de projet ou le marketing. C’est semble-t-il le cas des formations pour des professions libérales, telles que psychologues ou médecins. Il est ainsi frappant de voir l’importance de ces formations parmi les youtubeurs ayant créé leur structure. C’est notamment le cas de Keyvan Khojandi – qui est psychologue de formation, de Nicolas Meyrieux – qui a d’abord entamé des études de médecines puis de kiné avant d’arrêter pour devenir comédien44 –, qui ont tous deux créé leur structure, ou encore d’une créatrice rencontrée, également psychologue de formation, qui nous a confié chercher à créer sa propre structure. 44 http://www.lesinrocks.com/2016/04/18/actualite/nicolas-meyrieux-l-humoristeconscient-flingue-travers-de-societe-scene-youtube-france-4-11818799/. 28 1.1.2. Exister sur Internet Les raisons expliquant l’arrivée des youtubeurs dans un univers de création de vidéos sont variées. Deux d’entre elles semblent cependant particulièrement prégnantes. Une alternative au système de production et de diffusion classique La plateforme ouvre d’abord la possibilité d’exercer son métier en s’affranchissant des contraintes du système classique, de ses lenteurs, de ses lourdeurs ou de son manque d’imagination. Il s’agit parfois d’un « moyen stratégique de parer à la raréfaction des sollicitations professionnelles pour les individus préalablement insérés » (Alexandre, 2015). Le comédien Lucien Maine, se plaignant à ses débuts du manque de diversité des rôles qu’on lui proposait, a ainsi écrit un court-métrage avec un rôle pour lui dans un tout autre registre. « En fait moi j’avais envie de jouer un personnage qu’on me donnerait pas instinctivement. Et donc c’est comme ça que j’ai eu l’idée de jouer un mec qui se travestit et qui se prostitue. C’est hyper dark, c’est vraiment super super dark mais au final ça a été une super expérience à faire, je me suis teint les cheveux… tu sais j’étais vraiment dans mon délire, j’ai envie de faire des rôles qui me demandent des efforts, qui me demandent de l’investissement, et tout ça, donc j’ai fait ça. » (Entretien avec Lucien Maine). De même, Sophie Imbeaux explique son choix de faire des courts-métrages par une volonté de créer ses propres opportunités. Intervieweur : Et donc tu fais des courts-métrages, c’est-à-dire ? Tu fais quoi ? Tu les tournes toi ? Tu… 29 Sophie Imbeaux : Alors je les tourne jamais moi parce que je considère que le place du réal c’est pas la mienne. Je sais pas toucher à une caméra, mais vraiment je sais pas appuyer sur le bouton. Par contre, j’ai une idée, mais j’ai toujours des images dans la tête mais je ne sais pas comment le transmettre avec des plans. Donc je leur dis, voilà ce que j’ai en tête et puis je vous laisse le travailler en image. Intervieweur : Et donc comment t’en viens à faire ça ? Sophie Imbeaux : Parce qu’en fait j’ai envie de me créer du travail. J’ai envie de me créer du travail parce que encore une fois je me dis que personne va venir me chercher, je me dis je suis pas bankable, je suis pas une jeune première… j’ai un agent qui bosse bof bof… […] Du coup bah j’ai pas beaucoup de travail, bah je me dis je vais m’en créer, c’est pas grave et je vais me faire plus de visibilité. […] Et voilà pourquoi je me mets à écrire, et avec Aude on se dit oh on aimerait bien faire le Nikon [un festival de courtmétrage], c’est une belle visibilité, Cédric Klapish c’est le Président. De façon significative, Keyvan Khojandi en créant sa propre structure de production s’accorde également la possibilité de porter des projets qui l’intéressent en tant qu’acteur – même s’il ne se contente pas de produire et de soutenir des projets dans lesquels il est ou serait interprète. « L’idée c’est de commencer à se dire, voilà comment arriver là ? Bah il faut passer par ces étapes-là ! Concrètement ces étapes-là c’est quoi ? Bah c’est du temps ! Et c’est du temps de perdu très souvent. Parce qu’il faut rencontrer les bonnes personnes. Donc soit tu passes du temps à essayer de rencontrer les bonnes personnes que tu peux ne jamais rencontrer. Qu’est-ce que c’est une bonne personne en plus ? C’est en phase avec toi artistiquement, qui va pas essayer de te niquer la gueule. Qui va s’occuper de toi, qui va être motivé par te mettre en avant. Trop de perte de temps donc je me suis dit, encore une fois la logique c’est de faire exister des projets. Avec le vivier de talents qu’il y a autour de moi, et cetera. Donc 2013, je commence à me dire 30 là concrètement, est-ce que je créerais pas une structure de production ? Pourquoi ? Parce que ça va me permettre, bizarrement, de changer de registre. » (Entretien avec Keyvan Khojandi). Qu’il s’agisse de faire ses propres contenus ou de participer à des chaînes existantes, pour de nombreux comédiens, leur activité en ligne représente simplement une opportunité supplémentaire de jouer ou d’écrire sans nécessairement que la question de la rémunération ne soit centrale. C’est par exemple le cas de Teddy Férent, qui a proposé à ses amis Jérôme Niel et Axel Maliverney de les aider pour la commande de MTV d’une quarantaine d’épisodes de La Ferme Jérôme, sans penser nécessairement à une contrepartie financière. Ses amis ont accepté et lui ont offert de le rémunérer : « Ce qui était cool parce que moi à la base je pensais pas être rémunéré (…) donc quand on m’a fait, on va te payer, j’ai fait ouais bah c’est cool, c’est pas la peine, mais c’est cool ! » (Entretien avec Teddy Férent). L’idée d’apprendre à travailler, à se « faire la main » revient à de nombreuses reprises. « Comment on aurait pu faire pour montrer ce qu’on savait faire si on avait attendu des budgets télé ou si on avait pas eu YouTube pour les diffuser ? On aurait pu le faire effectivement, on aurait pas eu les budgets télé, on l’aurait fait entre nous sans être payés on s’en fout, mais qui l’aurait vu ? Tu vois ? Là, c’est trop bien, c’est qu’on a l’idée, tu fabriques, tu diffuses et en plus on a des retours immédiats sur les gens. C’est trop bien, c’est comme ça que tu testes tes trucs aussi quoi. On s’est fait la main ! » (Entretien avec Vanessa Brias). Maud Lazzerini en est venue à produire et à réaliser des vidéos sur YouTube notamment afin d’atteindre le volume d’heures d’intermittence nécessaires. Fraîchement débarquée des États-Unis, elle travaille dans la 31 société de production d’un ami de l’ESRA qui à l’époque collabore beaucoup avec le Studio Bagel et qui lui propose de travailler sur une vidéo YouTube, elle le fait, puis continue en attendant de pouvoir réaliser son long métrage. Intervieweur : YouTube pour toi c’est un tremplin? Enfin tu en profites? Maud Lazzerini : Je pense pas que j’en profite professionnellement, dans le sens où YouTube par exemple va m’aider à lancer mon long métrage ou des choses comme ça. Parce que mon univers est beaucoup trop éloigné, vraiment trop. Je suis dans un féminisme burlesque engagé, et c’est pas quelque chose encore que je retrouve représenté de façon massive sur le web. Ça existe, ça existe sur YouTube, mais c’est déjà clairement pas le domaine dans lequel je travaille et c’est pas eux qui ont les grands médias de diffusion. Par contre, c’est un tremplin dans le sens où voilà j’ai jamais tant réalisé, parce que voilà je voulais faire des courts-métrages hyper, hyper léchés entre guillemets, c’était des choses qui prennent du temps, faut trouver l’argent, donc faire plus d’un court-métrage par an… surtout qu’après il faut trouver les distributeurs, il faut faire les festivals, donc ça me prenait au moins un an… […] Et un an de tournage pour tourner… enfin je sais que par exemple, j’ai des amis qui font ça, de faire la démarche d’aller d’abord tenter les financements, CNC, et cetera, moi je veux tourner et je veux aussi me faire la main. Pour de nombreux créateurs, c’est également une certaine frustration et un certain agacement qui les ont amenés à envisager de diffuser leur création en ligne. C’est notamment de Davy Mourier qui rencontrait un succès d’estime avec sa série Nerdz, son émission J’irais loller sur vos tombes ou le Goldenshow, mais qui regrettait que la diffusion restreinte de la chaîne Nolife n’empêche le plus grand nombre d’y accéder. Constatant que Nerdz était très régulièrement rediffusé illégalement sur Dailymotion par des fans, il a dès lors cherché à convaincre sa maison de production de pouvoir diffuser ses contenus en ligne. Aussi a-t-il mis en ligne le Goldenshow, dès que la situation a pu évoluer et qu’il s’est retrouvé désengagé de son producteur initial. 32 La démarche de Matthias Girbig ou de Benoit Blanc, si elle diffère par la situation de départ, reste portée par le même objectif. Tous deux ont en effet conduit de nombreux projets de séries et de formats courts. Dans les deux cas, plusieurs de leurs projets ont séduit des producteurs et ont significativement progressé dans les processus de décision et de production, avant d’être systématiquement abandonnés ou annulés par des éléments extérieurs : licenciement de la personne en charge du projet, conflit soudain entre le producteur et la chaîne, etc. Dans le cas de Benoît Blanc, une anecdote illustre assez bien ces situations de frustration et la lassitude qui peut en découler. Elle concerne un projet de programme court proposé à Canal+ : « Ça ne s’est pas fait parce que l’année où Canal nous a dit c’est bon, c’est l’année où Messier a viré plein de gens. Et donc nous on avait reçu une info. Alors c’était pas sûr à 100 %, mais c’était quasiment sûr que c’était bon, on avait même une proposition de grille des programmes qui devait être pas très loin avant les Guignols, et puis c’était la grande époque de Canal, donc on était… juste les hommes les plus heureux du monde quoi ! Et puis finalement, Messier est arrivé, la nana s’est fait virée, celle avec qui on était… où tout allait bien et ça avançait super bien et on était à ça… on voulait pas trop… mais c’était quand même… Messier est arrivé, elle a trouvé une lettre sur son bureau, elle était plus là et puis tout a… Et c’est la seule année ou la rentrée de Canal n’a pas changé sa grille. Et nous on devait être dans une des deux grilles. Donc on attendait de savoir si c’était la grille dans laquelle on était qui était validée et à la rentrée il n’y en avait aucune des deux. C’est la seule année, en tout cas à l’époque, où Canal avait la même grille à la rentrée. Donc on a été à ça d’y passer et on a été dégoûté. » (Entretien avec Benoît Blanc). Face à cette accumulation et au temps investi et considéré comme perdu, une diffusion web devient dès lors le moyen de diffuser ses projets sans attendre une quelconque validation. Cette démarche n’est pas exclusive et n’empêche pas le créateur de montrer le programme, une fois diffusé, à des producteurs susceptibles de l’acheter. 33 L’idée de laisser une trace par une diffusion en ligne est aussi souvent évoquée, notamment pour les artistes de spectacle vivant. Cet art étant en effet éphémère par définition, « ça meurt le jour où tu as dit ta dernière réplique » (Entretien avec Paul Lapierre). Pour Nicolas Berno, il s’agissait même d’exister : « Et puis moi, ça me permettait de faire de l’image, de montrer que j’existais. Parce que quand tu fais du théâtre tu n’existes pas pour la plupart des gens, parce que s’ils viennent pas te voir sur scène, t’existes pas. » (Entretien avec Nicolas Berno). Comme au théâtre, le besoin « d’un retour immédiat du public » est également mentionné. Ce lien entre la volonté d’avoir un retour du public et le théâtre se retrouve d’ailleurs dans le rapport aux meet-ups – ces évènements lors desquels les youtubeurs vont à la rencontre de leur public – ou aux commentaires. Plusieurs youtubeurs passés par le théâtre, explique en effet que ce sont pour eux des opportunités de retrouver ces interactions et ces retours. Intervieweur : Et vidéo city, ces trucs-là quand tu y vas ça t’importe toi d’aller faire des rencontres, des meet-ups des trucs comme ça ? Lucien Maine : Ouais grave ! Grave, mais parce que c’est cool en fait de voir des êtres humains et pas des pseudos ! C’est quand même stylé de voir des gens en chair et en os et… et surtout pour nous c’est un egoboost de malade ! Parce que les gens ils viennent te dire : je t’adore ! Ah bon ? Je mérite vraiment d’être adoré ? Non je crois pas ! Et les gens qui viennent nous voir… Il y a pas de hater qui vient dire j’aime pas, en vrai. Non ils le disent sur Internet bien sûr, mais en vrai moi j’ai personne qui m’a dit… Le plus blessant, entre guillemets, qu’on m’ait dit, c’est ouais chez pas, je te connais pas, je connais Golden, mais je te connais pas. C’est pas grave, c’est pas blessant du tout ! Les gens qui viennent me parler c’est parce qu’ils ont bien aimé mes vidéos, ils aiment bien ma gueule, ils trouvent que je suis marrant 34 ou ils trouvent que je suis un bon acteur, donc ils vont me dire que des trucs cools ! C’est, tu prends un bain chaud hyper agréable avec de la mousse, ça sent bon, il y a des fleurs et des bougies… c’est génial ! […] et en plus c’est une manière, je trouve, de redonner un peu, je trouve. Parce que sans un public hyper enthousiaste on crève ! » (Entretien avec Lucien Maine). Ce besoin de retour a motivé Benoit Blanc à développer un site pour son premier programme vidéo mis en ligne, car à l’époque les plateformes ne permettaient pas encore les commentaires. Benoit Blanc : J’ai proposé ce truc-là à Fred, je lui ai dit bah voilà, tu sais ce qu’on pourrait faire, avec Internet, on n’attend pas, on balance direct, on fait, on tourne un week-end par mois. […] Et après je diffuse du lundi au vendredi, comme ça, ça fait un truc en continu sur notre… en gros on s’en fout de la télé, on fait notre sauce sur Internet. Et à l’époque, il n’y avait pas autant de monde. Et l’idée aussi c’était de faire… C’est-à-dire qu’au départ j’étais même pas sur Dailymotion, j’étais nulle part, j’avais créé un site. Pour que les gens puissent faire des commentaires en direct. Parce qu’à l’époque je suis pas sûr que sur Dailymotion tu pouvais faire des commentaires sous les vidéos, je sais plus. Mais en tout cas, j’avais fait un site pour la diffusion et les gens pouvaient faire des commentaires pour dire, “ça, c’est bien”, “allez par-là les gars”, et cetera. Intervieweur : Et pourquoi tu voulais ça ? Benoit Blanc : Parce que je voulais… j’en avais marre d’attendre qu’une télé bloque les choses, je voulais pouvoir aller directement face au public, et pouvoir avoir un retour direct. Comme je faisais de la rue, et puis à l’hôpital, j’avais… et même en salle. J’avais ce retour public direct et j’en avais marre de cette intermédiaire de merde qui bouchait tout, des bureaux, des gens qui doivent décider, tout ça. Et donc j’avais envie qu’on mette le truc, et je me suis dit, mais même, faisons même la création avec le public quoi. Avec ce côté, c’est frais, il y aura un côté faux live quoi. 35 C’est également cette idée d’interaction avec le public qui a conduit Lucien Maine à se laisser convaincre par son amie de se prêter au jeu de la communication sur les réseaux sociaux. Cette dernière lui a en effet rappelé que, plus jeune, il adorait en apprendre plus sur les groupes dont il était fan. « Je me dis, si j’étais quelqu’un d’autre je m’en foutrais de ma vie à moi… mais j’ai pris un peu de recul avec ça grâce à ma meuf notamment, qui m’a dit “mais tu sais quand tu es fan de quelqu’un, t’aimes bien voir sa life en fait, t’aimes bien avoir l’impression d’être un peu son pote”. Parce que moi quand j’étais adolescent et que j’étais fan de Nirvana, bah dès que je voyais une interview de Nirvana, j’étais là… Oh trop bien, parce que je les entendais parler, je les voyais vivre ! Et je me dis s’il y a des gens qui aiment bien Golden ou ce que moi je fais, me voir parler directement à eux, ou faire des blagues directement à eux, pour eux, ou dire “ah bah là je suis vraiment trop con, on m’a invité au cinéma pour une avant-première, mais c’est la semaine prochaine et je suis comme un con devant le ciné”… bon bah voilà, je me dis ils seront certainement contents de le voir, je me mets à leur place et… mais vraiment modestement parce que j’ai pas du tout l’impression d’être intéressant, mais bon je me dis voilà, j’essaye de tourner les trucs de manière un peu rigolote… » (Entretien avec Lucien Maine). Se faire connaître et reconnaître Pour beaucoup, YouTube est un moyen d’être vu et d’élargir son audience. Marjorie Le Noan, qui disposait déjà d’une communauté en ligne – acquise au travers d’un blog et de Twitter – décide de se lancer en ligne pour se donner l’opportunité d’être vue. « Je faisais rien de concret, tu vois, pas de pièce, pas de… et du coup quand ça a commencé à marcher sur Twitter je me suis dit, pourquoi pas ouvrir une chaîne YouTube, vu que j’ai déjà une communauté sur Twitter, si je commence à faire des vidéos, peut-être qu’ils iront les voir. Et c’est là que j’ai 36 commencé à faire des vidéos. Un peu stratégiquement en fait, en me disant bon bah je suis comédienne, ce serait peut-être pas mal de le montrer en fait ! […] Après il y avait pas vraiment trop de réflexion non plus, je m’attendais à rien. Mais je me suis dit ah on va essayer, ça a marché avec le blog. J’ai fait un blog, franchement le blog il a duré 6 mois et déjà tu vois ça m’a permis de créer une belle communauté […] Et là, je me suis dit, YouTube, ça vaut le coup de le tenter, en fait… » (Entretien avec Marjorie Le Noan.). Les images permettent également de faire une « bande démo »45 et de se faire repérer plus efficacement. C’est notamment le cas de Sophie Imbeaux qui a dès le début cherché à tourner dans des courts-métrages. « Je me suis dit bon sang, il me faut des images et il me faut la fameuse bande démo du comédien. Il me fallait des images donc j’ai fait plein de courtsmétrages étudiants. » (Entretien avec Sophie Imbeaux). Cependant, les courts-métrages permettent certes d’avoir de l’image, mais les festivals exigent souvent, quand ils les diffusent, une forme d’exclusivité, interdisant la diffusion en ligne pour la durée du festival ou des festivals concernés et éventuellement tout au long de la diffusion du court-métrage en cinéma, empêchant donc ces œuvres d’être vues plus largement. « Tu as deux choix quand tu commences à produire ou à réaliser des courtsmétrages. Soit, tu rentres dans un circuit qui va te permettre d’être diffusé en festival… mais qui suppose pour l’énorme majorité, une exclusivité, que ton film ne soit pas visible en ligne en fait. Donc pendant longtemps nos films n’ont pas été visibles en ligne parce qu’on a fait beaucoup de festivals. » (Entretien avec Paul Lapierre). 45 Parmi les comédiens rencontrés, plusieurs évoquent d’ailleurs le progrès permis par ces plateformes pour la diffusion des bandes démo. 37 Les plateformes, au contraire, n’imposent aucune exclusivité et permettent potentiellement de montrer son œuvre au plus grand nombre, ou plus simplement de la laisser exister pour éventuellement rencontrer son public. « Là tu fais un film, une fois, bam tu le mets en ligne, et t’en entends parler et ça te donne du travail pendant… Encore aujourd’hui probablement ça me donne encore du travail, ça fait partie de tout ce qui me donne du boulot… donc c’est assez incomparable en termes d’efforts et de suite. [rire] C’est fou quoi ! C’est fou, en termes de visibilité, ta pièce tu dois harceler les gens pour qu’ils viennent la voir, les pourrir sur Facebook, des flyers, des affiches, ça te coûte des fortunes. Là, tu peux même laisser traîner ton truc, par hasard il y a quelqu’un qui va venir le voir. Ça fera trois vues, mais par hasard quelqu’un peut voir ton truc. Donc en termes de ressenti, mine de rien la visibilité sur Internet c’est du tout au tout, pour avoir vu les deux versants, c’est incroyable ! » (Entretien avec Paul Lapierre). De plus, on peut considérer que la création vidéo en ligne avec ses moyens et ses équipes restreintes comme le théâtre ou le court-métrage offre davantage d’opportunités de contourner les classiques barrières à l’entrée pour se faire repérer dans le métier. Pierre-Michel Menger, lors de ses travaux sur l’activité de comédien a en effet mis en lumière l’écart dans l’accès au métier entre le cinéma, la télévision et le théâtre. Il constate que les comédiens ont « deux fois plus de chances d’obtenir un rôle principal au théâtre qu’au cinéma ou à la télévision » (Menger, 1997, p. 63), mais également que les chances d’avoir un rôle significatif (et non un petit rôle ou une figuration) étaient très significativement plus élevées au théâtre. Or, il ne s’agit pas seulement d’être vu, mais également d’être identifié, visible en tant qu’individu et pas uniquement comme membre d’un collectif. Cet objectif de visibilité motive les membres de collectifs à vouloir créer leur propre chaîne, à exister par eux-mêmes. 38 « Parce que Golden c’était souvent, quand on me croisait dans la rue c’était souvent “ah t’es le mec de Golden”, et j’avais pas cette identité que je voulais en fait pour mon spectacle. Alors que là, avec la chaîne YouTube on a plus tendance à dire “ah t’es Greg Romano”, donc je continue les projets avec Golden, mais c’est vrai que je suis un peu moins présent et c’est vrai que je veux plus privilégier ma chaîne. » (Entretien avec Greg Romano). C’est également le cas d’autres membres de Golden Moustache qui indiquent vouloir que leurs noms ne soient pas systématiquement associés au collectif. « L’autre fois, il y a Télé Loisir qui a fait un article sur moi, mon rapport aux séries télé. Et le titre c’est Lucien Maine, entre parenthèses Golden Moustache, adore Game of Thrones parce qu’ils font une bonne place aux rôles de femmes. Bon OK… Il y a marqué Golden Moustache derrière mon nom, forcément ! Et quand il y a des gens qui me reconnaissent dans la rue, ils me disent “ah Golden Moustache” enfin parfois ils se trompent, mais… Ils connaissent pas mon nom, tu vois ? Rarement. Mais c’est pas grave hein, ça va venir, peut-être… Et c’est pas un égo mal placé, mais je me dis, OK je suis forcément assimilé et potentiellement, bah… Il y a des gens qui doivent se dire ah ouais, mais non il est chez Golden. Il doit pas être intéressé par faire autre chose parce qu’il est chez Golden. Alors que c’est, non, moi je suis vraiment intéressé pour faire un maximu.m de trucs avec un maximum de gens ! » (Entretien avec Lucien Maine). Il prévoit ainsi de lancer sa chaîne pour pouvoir porter ses propres projets. « Parce que j’ai un court-métrage que j’ai envie de faire. Je l’ai écrit il y a trois ans, au début de Golden. Et il est trop lourd pour Golden, c’est un truc un peu ambitieux, il y a un gros budget. Enfin par rapport à un sketch Golden. Donc c’est trop lourd, mais j’ai vraiment très envie de le faire, donc je me dis si je fais des petits trucs, si je commence à avoir un petit peu d’abonnés, tout ça, bah il y a peut-être une prod qui va me dire, bah on te donne 30 000 balles pour faire ça et… J’ai envie de le faire. […] Donc tu vois, c’est un truc qui me 39 tient à cœur et je me dis bon bah il faut… en fait, il faut que je me démerde tout seul aussi ; il faut pas que je compte que sur Golden parce que… voilà, il faut que je sois indépendant ! » (Entretien avec Lucien Maine). Il s’agit ainsi de pouvoir exister seul et de ne pas être enfermé dans le collectif, afin d’être visible pour d’autres projets. Un autre comédien rencontré nous explique ainsi envier ses amis qui ont réussi à percer, à évoluer hors du collectif et pour qui les projets se multiplient. Cette volonté d’« indépendance » s’explique notamment par la crainte de perdre en visibilité. La place dans des collectifs n’est en effet ni infinie, ni garantie à terme ; l’arrivée de nouveaux talents ou simplement le fait d’avoir une communauté moins importante peut amener à être moins souvent choisi pour un rôle ou à voir ses propositions de scénario moins souvent sélectionnées. YouTube est également un moyen de se rendre visible en facilitant les passerelles avec d’autres secteurs culturels. Les youtubeurs ont en effet des activités artistiques multiples. Matthias Girbig, Keyvan Khojandi et Grandpamini sont par ailleurs musiciens – pour ce dernier, c’est la profession qu’il déclare en début d’entretien – ; David Azencot, Grandpamini ou encore Greg Romano ont été animateurs ou chroniqueurs radio ; Davy Mourier, Navo, ou Éléonore Costes sont eux scénaristes de bande dessinée – Davy Mourier est aussi dessinateur – ; Teddy Férent travaille sur un livre ; enfin, une part significative des artistes rencontrés sont également auteurs pour la télévision, le cinéma, le stand-up ou encore la radio. Benoit Blanc, Paul Lapierre ou encore Matthias Girbig ont obtenu des prix et vu leurs courtsmétrages sélectionnés dans des festivals, ou dans le cas de celui de Benoit Blanc, diffusé dans de nombreux pays par des diffuseurs locaux. Enfin, la grande majorité d’entre eux ont ou ont eu une activité de comédien de théâtre. C’est notamment le cas de Grandpamini, qui a notamment été un participant régulier du Grand Mezze animé par Édouard Baer et François Rollin, ou de Nicolas Berno qui a tenu le rôle-titre de la pièce Push up de Roland Schimmelpfennig dans une mise en scène de Gabriel Dufay qui a connu un certain succès. 40 Mais c’est sans doute avec le monde du stand-up que les liens sont les plus nombreux. Une majorité de youtubeurs rencontrés venant ou allant en effet vers le stand-up ou les spectacles humoristiques : Navo, Davy Mourier, Lucien Maine, Greg Romano, David Azencot, David Salles, Guilhem Malissen, Éléonore Costes ou encore Sophie Imbeaux. Un certain nombre de youtubeurs ont ainsi investi la plateforme et les collectifs de vidéastes, dans l’objectif avoué de promouvoir leur spectacle. C’est notamment le cas de Pierre Croce ou de certains membres du Jamel Comedy Club, comme Dedo ou Yacine Belhousse. Une activité sur ces plateformes représente pour eux le moyen d’acquérir suffisamment de notoriété pour mettre en lumière leur spectacle et augmenter sa fréquentation. Pour Greg Romano par exemple, l’activité en ligne a avant tout vocation à amener davantage vers son spectacle. « Mon métier premier c’est vraiment humoriste, auteur et comédien. Et j’ai fait YouTube pour justement m’amener une notoriété, pour amener les gens à mon spectacle. » (Entretien avec Greg Romano). Il explique avoir commencé à écrire et à jouer pour Golden Moustache sur l’invitation de son ami Navo, puis s’est rendu compte du potentiel relais que pourrait constituer YouTube pour son spectacle. « En fait, j’ai commencé à y prendre goût et à kiffer faire des sketchs, donc j’ai continué là-dessus. Et je me suis rendu compte que ça m’apportait une notoriété qui n’était pas négligeable pour mon spectacle. Parce qu’il y avait un peu plus de monde qui venait, et j’ai lancé ma chaîne YouTube il y a genre 5 ans, 4 ans. Mais je publiais rien du tout, je publiais que des conneries, en fait, je publiais que des teasers pour mon spectacle et je comprenais pas que les gens s’en foutent complètement des teasers de spectacles, ils veulent voir du sketch. » (Entretien avec Greg Romano). Pour cet artiste qui interprète un spectacle très personnel – il y revient notamment sur sa maladie génétique – il est essentiel que son activité et sa 41 notoriété en ligne rejaillissent sur son spectacle. Ainsi, quand la question de son activité sur les réseaux sociaux est abordée, il déclare : « Je suis pas en mode, je veux de la notoriété parce que j’ai envie d’être connu parce que c’est cool. Je suis en mode, je veux de la notoriété, je veux être connu parce que je veux qu’il y ait des gens qui viennent à mon spectacle, parce que moi toute ma vie c’est le spectacle et c’est ça qui est important ! Et en plus comme j’ai un message à faire passer un peu dans mon spectacle, où, tu vois, je raconte vraiment ma vie, où je me livre et souvent quand on sort du spectacle, on dit “ça me donne la patate, ça me permet de relativiser sur plein de choses”. Et c’est ma plus grande fierté d’entendre ça à la fin du spectacle. Et donc voilà, j’ai besoin de partager là-dessus en fait. Je suis pas à la recherche d’une notoriété juste pour faire de la notoriété. » (Entretien avec Greg Romano). À l’inverse, de ceux qui promeuvent sur YouTube un spectacle préexistant, d’autres, à l’image de Norman, de Ludovik, des membres du collectif Le Woop ou plus ponctuellement de ceux de Golden Moustache, ont profité de leur célébrité acquise en ligne pour se produire sur scène. De même, la volonté de développer des projets pour la télévision, le cinéma ou les plateformes de SVOD semble partagée par la quasi-totalité des acteurs rencontrés. Comme le souligne Paul Lapierre, cette potentielle visibilité permise par ces plateformes serait un moyen de se faire repérer pour d’autres projets. Les plateformes ont d’ailleurs depuis longtemps été perçues comme des marchepieds vers les médias traditionnels : « One of the most striking ambitions of YouTube users is to become part of the professional media world of stars and fame » (Van Dijck, 2007, p. 7). 42 1.1.3. Le règne de la débrouille Nombre de créateurs, voire de collectifs, fonctionnent le plus souvent, pour leurs diffusions Internet et notamment pour leur chaîne de jeunes talents, en équipe restreinte et avec peu de moyens selon des règles proches de celles décrites pour l’économie du court-métrage : « produits dans des conditions financières “acrobatiques”, à l’arraché, avec une grande part d’ingéniosité, de débrouillardise, de mise en commun des forces de travail de tous les membres des équipes des films » (Bregman, 1997, p. 41‑42). Cette économie du court-métrage est très largement déficitaire, mais joue un rôle de « recherche et développement » (R & D) pour l’industrie du film. Dans ce contexte, les structures adossées à une société de production de long métrage – ou dans notre cas une chaîne de télévision ou un producteur de télévision – sont parmi les seules à parvenir à l’équilibre : « la production de films courts est alors un département de recherche et développement explicitement conçu comme tel, la création de cette “structure-fille” correspondant à l’intégration de cette fonction de R & D, et peut-être plus encore à un rôle sociologique d’initiation aux métiers de producteur et de réalisateur. » (Bregman, 1997, p. 49‑50). On retrouve des phénomènes identiques dans l’univers du théâtre. « L’économie du secteur et le fonctionnement des organisations théâtrales, souvent de très petite taille, ne seraient pas viables sans le recours aux ressources de polyvalence professionnelle qui relativisent la distinction pure et stable entre fonctions d’interprétation, fonctions de création et fonctions de gestion et d’administration. C’est ce qui nous conduit à concevoir l’artiste lui-même comme une micro-organisation, et à récuser ainsi la distinction simple entre des pôles étanches de la division du travail artistique. » (Menger, 1997, p. 61). 43 Sur YouTube, face aux moyens limités, il est également conseillé que chacun assure le maximum de rôles. Nicolas Berno explique par exemple qu’il s’est formé lui-même au montage en se promenant dans les salles de montage de Golden Moustache et en demandant des conseils et de l’assistance aux personnes présentes. Lucien Maine s’est lui formé à la réalisation en coréalisant ses premières vidéos avec des réalisateurs confirmés. « Bah, me former au montage, c’est juste parce que pour le coup sur Internet, que ce soit de l’auto proclamation ou pas, c’est le royaume de la débrouille ! C’est-à-dire que comme il n’y a pas beaucoup d’argent, il y a pas de quoi payer un monteur, un réalisateur… Donc c’est pas toujours une volonté mégalomaniaque, c’est… faut que je sois autonome pour que j’aie le moins de choses à demander aux autres parce que je pourrais pas les payer. Donc souvent ça naît de ça. […] Dans ce cas, bah [je me forme] avec les potes qui me disent bah viens pendant une heure je t’explique. Ou en observant, en se mettant dans les bancs de montages de potes qui montent des trucs et puis en prenant des notes et voilà. À Golden on avait la dir de prod, qui est Julie Coudry, qui est géniale, qui sait faire du montage aussi et qui avait donné un peu de son temps pour nous apprendre les rudiments, et puis moi sinon je me baladais à la post prod de Golden, et puis entre deux trucs je disais, tiens là je bloque, je sais pas comment on fait tel truc ? Et ben c’est simple, tu fais tel truc, tel truc. Et voilà. » (Entretien avec Nicolas Berno). La multiactivité, et l’impératif de formation « sur le tas » qui l’accompagne, ne sont pas uniquement des réponses aux problèmes budgétaires. Pour les youtubeurs, elles peuvent également être considérées comme des facteurs d’employabilité, en leur permettant d’assurer plusieurs fonctions sur un tournage. Cette multiactivité permet également de multiplier les opportunités d’exercer son activité principale, de se créer des opportunités : un comédien qui est par ailleurs auteur, réalisateur ou producteur, est susceptible par les projets qu’il porte avec ses autres « casquettes » d’augmenter significativement ses opportunités de rôle. C’est notamment le cas de la plupart des comédiens membres de collectifs rencontrés. Dans leur cas, il s’agit le plus souvent de 44 proposer d’écrire et éventuellement de réaliser pour soi : de proposer des sketchs ou des courts-métrages dans lesquels on pourra plus certainement jouer. « En principe, je pense un peu à moi et je me dis… parce que pour moi le but d’être à Golden c’est pas d’écrire, c’est de jouer ! Donc si j’écris un truc, autant que je l’écrive pour moi parce que sinon ça sert à rien ! » (Entretien avec Greg Romano). Les profils des personnes rencontrées diffèrent donc assez sensiblement. Cependant, il est une constante que nous retrouvons systématiquement : tous aspirent de longue date à être des créateurs, même si tous ne sont pas engagés directement ou avec la même intensité dans cette démarche. Dans la majorité des cas, les membres de notre corpus ont toujours rêvé d’un avenir de comédien, d’auteur ou de réalisateur. D’autres, à l’image de David Azencot, ou de Teddy Férent doivent à des interventions extérieures d’avoir envisagé une carrière dans la création46. 1.2. Des codes de création Il importe désormais de se demander si, à cette diversité de parcours, de motivations ou de stratégies, correspond une diversité de manières de créer ; s’il existe une création ou une créativité propres à ces plateformes et le cas échéant de définir ce qui les caractérise. Nous aborderons cette question en nous concentrant sur deux aspects : la liberté que permettrait la plateforme et l’esthétique qu’elle aurait fait naître. 46 Ce dernier avait cependant déjà quitté son emploi pour travailler avec des amis au développement d’une société de production. 45 1.2.1. Un espace de liberté Les créateurs revendiquent la liberté, à la fois formelle et de fond, permise par la plateforme. Sur le plan formel, par leur structure même, les plateformes libèrent les créateurs d’un certain nombre de contraintes propres aux médias traditionnels. Marie Auburtin (2016) a pu montrer dans ses travaux sur les plateformes de diffusion de contenus culturels de France Télévision – Culturebox – et de Arte – Arte Concert – que ces dernières, en sortant d’une logique de flux et de cases, permettaient aux chaînes une plus grande liberté formelle dans les contenus diffusés. Ce constat vaut aussi pour la diffusion sur YouTube : alors que les contenus télévisuels sont en général contraints par une case et le temps qui lui est attribué, les plateformes d’hébergement de vidéos rendent cette limite caduque. Nul n’empêche en effet un créateur de diffuser des contenus de la durée de son choix ou de faire varier les durées. Contrairement à la télévision, où les programmes ont en général une durée standard qui ne sera amenée à varier qu’à la marge, sur le web les durées sont libres d’évoluer en fonction du contenu et du projet du créateur. Cette situation est particulièrement visible dans le cas de chaîne produisant systématiquement des vidéos prototypes, indépendantes les unes des autres – Babor Lelefan a par exemple fait le choix de réaliser une vidéo de plus d’une heure47 quand ses vidéos habituelles ne dépassent guère la dizaine de minutes. Mais elle concerne aussi des chaînes aux programmes plus standardisés, comme Les recettes pompettes – un programme « calibré flux » selon Vanessa Brias – ou Parlons peu… parlons cul !, deux chaînes dont la durée des vidéos peut varier de plus de 25 %. Navo et Kyan Khojandi se sont par exemple saisis de cette opportunité pour offrir au public internaute des versions longues de leur programme Serge le mytho – une version plus courte et plus calibrée étant diffusée sur Canal+. 47 https://www.youtube.com/watch?v=CYOuaWTYHpk 46 Les vidéos étant diffusées gratuitement sur des plateformes proposant des millions d’autres vidéos, elles auraient cependant une obligation d’efficacité, sous peine de voir leur visionnage interrompu trop tôt. De fait, les formats courts sont souvent privilégiés. « T’es obligé d’être vachement plus rapide parce que les gens ils ont plus le temps, ils ont besoin que ce soit vite et drôle, et si dans les cinq premières secondes ils sont pas accrochés ils vont zapper. Chose que tu fais pas au cinéma, tu t’installes pas au cinéma en disant “attention je reste dix minutes”, mais si ça me fait chier, je me casse! Mais c’est parce que c’est gratuit, donc la gratuité t’impose une manière d’écrire différente. Ça t’impose d’être directement intéressant et d’intéresser les gens. » (Entretien avec Marion Seclin). Pourtant pour nombre de créateurs la diversité de formats est finalement la règle. Vanessa Brias : C’est du cas par cas. Le format sketch c’est un format qui va très bien sur YouTube parce que les gens le consomment sur leur iPhone, chez eux devant leur ordi, vite fait, c’est 3min… c’est entre 3 et 8 minutes… tu vois il y a effectivement ce format standard, du coup entre 3 et 6. Après il y a un milliard d’autres choses qui ont été faites aussi. On a fait des tutos en 15 minutes, il y a Pompettes [Les recettes pompettes] qui est quand même une émission calibrée flux, qui fait 26 minutes et qui est sur YouTube. Tu as des gens qui font de l’information, tu as de la vulgarisation scientifique, sociologique… T’as Professeur Feuillage qui fait aussi des choses complètement différentes, en fait t’as 25 milliards de formats possibles… Intervieweur : Donc, il y a pas une façon de faire pour YouTube ? Vanessa Brias : Ah non! 47 Intervieweur : Il y a des gens qui m’ont dit, il faut que sur YouTube ça soit monté rapidement, il faut que ce soit court Vanessa Brias : oui, c’est sûr que si t’analyses les datas et que tu le fais en terme scientifique, et que tu te dis… un truc marche… que si un truc marche c’est par rapport à son nombre de vues, oui tu vas voir que ce qui marche, c’est le podcast et le sketch court. Mais bon, si on indexe la réussite d’un truc sur son nombre de vues, autant crever, pour moi au contraire t’as des programmes hyper qualitatifs qui font 10 000 vues et c’est super, tu vois! Navo et Kyan Khojandi se sont également saisis d’une autre des spécificités de la consultation de vidéos sur Internet pour leur première série Bref. Ils ont effet profité des possibilités de navigation offertes à leurs internautes pour incruster dans leurs vidéos un certain nombre d’indices et de dédicaces visibles uniquement en interrompant la vidéo aux moments clé. Intervieweur : Dans Bref, vous avez fait plein de petites vignettes, de dédicaces cachées pour lesquelles il faut mettre pause, c’est parce que dès le début vous saviez qu’il allait y avoir un DVD ou c’est pour ceux qui regardent sur Internet ? Bruno Muschio dit Navo : C’est pour ceux qui regardent sur Internet ! Intervieweur : Dès le début, vous vous êtes dit ça ? Bruno Muschio dit Navo : Oui, enfin dès le début on s’est dit on va mettre des trucs. Moi j’aimais beaucoup ça parce que je me souviens que dans, attends… les inconnus, dans un sketch où ils font un film chiant, où ça parle beaucoup, c’était, je crois un film espagnol en noir et blanc. La blague c’est que le mec se met à parler et il parle tellement et il dit tellement de choses que t’as des sous-titres de plus en plus gros, jusqu’à 48 ce qu’ils prennent tout l’écran, t’as tout l’écran de sous-titres. Et je me souviens que quand j’étais petit j’avais essayé de mettre pause pour essayer de lire ce qu’il y avait écrit dans les sous-titres et à la toute fin, ils avaient écrit “et pour les gens qui mettent sur pause avec leur magnétoscope, allez plutôt voir notre spectacle”. Et je me suis dit, wow, les inconnus ils ont pensé au fait que moi j’allais mettre une pause et en fait ça crée une complicité. C’est-à-dire que je sais que 99 % des gens n’ont pas mis la pause à ce moment-là, moi je l’ai mis en me disant il va rien se passer, et ils ont pensé à moi en se disant, il y a un gars qui va arrêter et pour lui on va se dire ça ! Et pareil dans Futurama, donc c’est les deux trucs qui m’avaient marqué. […] Et en fait ce genre de rapport au public, c’est-à-dire de dire, au cœur du cœur de mon public, il y a les ultras-fans, je veux qu’eux aussi il est un truc. Moi je fais partie des gens qui mettent des pauses, donc je veux que quand les gens mettent pause, ils aient des blagues. Donc dans tous les interfaces, les trucs comme ça on a mis des choses. Et ce qui s’est passé c’est qu’au bout des 40 premiers épisodes, il y a des mecs, dont un principalement, qui a créé un Tumblr qui s’appelait Bref 3 000, parce qu’il avait remarqué, très rapidement au bout de 4, 5 épisodes, que 3 000 c’était l’espèce de marque parodique qu’on faisait dans Bref. Donc il a fait Bref 3 000 et il a tout relevé, enfin il a pas tout relevé tout seul, mais il a créé la plateforme où tout le monde relevait tout et faisait ses propositions en faisant “vous avez remarqué que là… ” même des fois ils trouvaient des trucs qu’on avait pas fait exprès. Regardez, ils ont poussé jusque-là. Putain, on a fait ça ? [rire] Et donc quand on s’est rendu compte de ça, c’est devenu un jeu, et dans la session deux on leur cachait des messages de temps en temps. Une fois, on leur avait caché : “Alors les mecs de Bref 3000, vous avez toujours pas de copine ? Au lieu de mettre des pauses, trouvez l’amour !” Et ils étaient encore plus contents. Et donc c’était dans la même démarche de faire un truc pour nous. Je l’ai pas fait d’un point de vue marketing en me disant mmhh, les 12 secrets de Bref qui vont vous étonner. C’est pas ça, c’était quand j’ai mis une pause, j’étais trop content qu’ils m’aient fait une blague, donc je vais mettre des blagues pour les gens qui vont mettre des pauses. 49 Intervieweur : Et quand tu fais ça, tu fais ça en te disant que les gens vont faire ça sur leur magnétoscope ou sur le player de Canal, ou tu ne te poses pas la question, juste tu veux faire ça et… Bruno Muschio dit Navo : Bah à la base c’était sur le player de Canal Intervieweur : Mais dès que vous le pensez, vous vous dites que les gens pourront mettre pause sur le player de Canal ? Bruno Muschio dit Navo : Oui, bah d’ailleurs on avait demandé à Canal, on leur avait dit il y a bien un bouton pause… Cette façon de faire est courante dans les vidéos sur Internet. Certains, à l’image de Vincent Tirel sur sa chaîne Astrid, vont même jusqu’à cacher les URL de vidéos bonus non référencés sur YouTube. D’autres, à l’image d’Inernet, profitent des habitudes de consultation sur terminaux numériques pour dissimuler des plaisanteries audibles que lorsqu’on écoute leur vidéo avec un casque. Si ce genre de pratique n’est pas spécifique à la consultation ou la diffusion numérique – rien n’empêche en effet un spectateur télé de mettre régulièrement sur pause ou d’utiliser un casque audio –, elles sont grandement facilitées par les dispositifs techniques et les habitudes et pratiques de consultations qui y sont liées (Auburtin, 2016). En complément de cette liberté formelle, les plateformes permettent également une liberté de fond. N’étant pas soumises aux mêmes régulations que la télévision, elles offrent la possibilité de s’octroyer des libertés interdites ailleurs. C’est le cas notamment du placement de produit, qui est interdit dans les programmes télévisuels48 – à l’exception des fictions – mais qui est pour l’instant autorisé sur Internet. C’est aussi le cas de la consommation d’alcool, la loi interdisant la présentation « complaisante » de boissons 48 http://www.csa.fr/Television/Le-suivi-des-programmes/Les-communicationscommerciales/Le-placement-de-produit 50 alcoolisées dans les programmes de radiodiffusion et de télévision49. De fait, une émission comme Les recettes pompettes, dans laquelle le présentateur et son invité préparent une recette en buvant de manière répétée et affichée des shoots de vodka, n’aurait pu être diffusée sur une chaîne classique50. De plus, si rien ne garantit que le contenu rencontre un public, il y est plus facilement possible de traiter de sujets de niche, d’aborder des thématiques complexes ou encore de s’essayer à de nouveaux horizons. Récemment, c’est par exemple à la fiction audio que deux des principaux youtubeurs – Cyprien51 et Antoine Daniel52 – se sont essayés. Pour de nombreux créateurs, les plateformes offrent la possibilité d’essayer rapidement, de se tromper, sans que cela ait de conséquences dramatiques. « C’est génial d’avoir tout le temps ça. Mais c’est que du vase communicant. C’est-à-dire que nous on veut tous faire du cinéma, moi je veux absolument en faire. La télé, j’aime créer des objets qui peuvent aller dans ce cadre-là et ça, c’est cool. Après YouTube, c’est toujours là, c’est toujours à notre 49 http://www.csa.fr/es/Espace-juridique/Deliberations-et-recommandations-du-CSA/ Recommandations-et-deliberations-du-CSA-relatives-a-d-autres-sujets/Deliberation-du17-juin-2008-relative-a-l-exposition-des-produits-du-tabac-des-boissons-alcooliques-et-desdrogues-illicites-a-l-antenne 50 En décembre 2016, le CSA s’est cependant saisi de ce dossier et a mis en garde Studio Bagel (qui produit l’émission) contre ce qu’il estime être un manquement à la loi. Le Conseil a en effet estimé « que la chaîne YouTube Les Recettes pompettes by Poulpe relevait du régime des services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) défini à l’article 2 de la loi du 30 septembre 1986 » et que par conséquent « Studio Bagel Productions, l’éditeur du service, [était] donc tenu de respecter les obligations applicables à cette catégorie de services, en veillant notamment à appliquer les dispositions du décret du 12 novembre 2010 relatif aux SMAD et à la délibération du 20 décembre 2011 relative à la protection du jeune public, à la déontologie et à l’accessibilité des programmes sur les SMAD ». (http://www.csa.fr/Espacejuridique/Decisions-du-CSA/Service-Les-Recettes-Pompettes-by-Poulpe-sur-YouTubequalification-et-mise-en-garde-de-l-editeur). Jusqu’à maintenant cette mise en garde n’a toutefois pas empêché la société de continuer à diffuser le programme en ligne. 51 https://www.youtube.com/playlist?list=PLN-TcjS0qZKXFfIUWXxv9bvs19868yJiJ 52 https://www.youtube.com/watch?v=hjz5JHCAhk8 51 accès, on peut toujours le faire. Si un jour on a une idée et demain on veut la tourner, on le fait ! On le fait encore des fois hein, t’as des idées, tu le fais en deux secondes et demie, on le fait entre potes et c’est cool ! Ça jamais, bien sûr, qu’on se passera jamais de ça ! Parce que c’est l’espace de liberté, c’està-dire que les temps sont tellement longs en cinéma et en télé qu’Internet, c’était trop bien, c’est que, on faisait, et deux semaines après c’était diffusé. Tout était fait en… donc ça non on s’en passera jamais. Mais ça peut pas être notre cœur d’activité, c’est ça que je veux dire, financier… » (Entretien avec Vanessa Brias). Pour Maud Lazzerini, il s’agit même d’une liberté de créer : Maud Lazzerini : YouTube ça m’a permis comme aucun endroit de me faire la main, et aussi de répondre à des exigences et des contraintes que j’ai jamais eues. Par exemple mes courts-métrages je les ai tournés en Alexa. Intervieweur : Alexa? Maud Lazzerini : Alexa, c’est la caméra que tu ne verras jamais sur YouTube! Intervieweur : ça se fait en 5D sur YouTube Maud Lazzerini : C’est ça [rire], parfois des Red, hein, ça existe. Mais c’est vraiment la caméra numérique, la meilleure, voilà, c’est le graal du graal, c’est avec celle-ci que tous les longs métrages les plus ambitieux sont tournés, et tous mes courts-métrages je les ai toujours tournés avec l’Alexa, du coup j’ai été un peu pourrie gâtée! Sur Bachelorette Party, on en a eu pour 38 000 € de matériel pour deux jours de tournage, donc vraiment, la machinerie qu’il faut, les camions qu’il faut, l’équipe qu’il faut, enfin tout en fait. La série d’objectifs que je veux et j’ai pas besoin de… et d’un seul coup maintenant je me retrouve avec mon Sony maintenant que je me suis acheté dans les mains et l’objectif qui est sur le Sony et… et du coup, voilà, ça m’apprend à… 52 Intervieweur : comme tu me disais sur l’Esra, à être moins élitiste Maud Lazzerini : C’est pas tant élitiste, c’est trouver des combines. De réussir ce que je veux, parce que souvent je suis très très exigeante, même si c’est un sketch je vais vouloir être très très ambitieuse visuellement. Mais vu que je fais aussi les budgets, j’ai conscience de la limite de budget donc ça m’apprend à faire ces compromis-là. Un compromis entre l’exigence et l’objet pour pas que ce soit trop exigeant et complètement raté parce que c’est le plus gros risque. Donc voilà ça m’a appris un exercice que je pense je n’aurais jamais fait autrement. La liberté connaît cependant certaines limites. Les exemples de censure de vidéos sur YouTube – qui peuvent mener à une démonétisation voire à une suppression complète –, ou tout au moins de plainte à ce sujet53, sont nombreux. La liste des contenus considérés comme incompatible avec la monétisation est ainsi longue et sur certains aspects sujette à interprétation : « Sujets controversés et événements sensibles », « Drogues et substances ou produits dangereux », « Actes dangereux ou pernicieux », « Contenus incitant à la haine », « Langage inapproprié », « Utilisation inappropriée de personnages issus de divertissements familiaux », « Contenus provocants et dénigrants », « Contenus à caractère sexuel » ou encore « Violence »54. De plus, si les youtubeurs sont, dans une certaine mesure, indépendants des médias traditionnels, ils redoutent les réactions de leurs abonnés. Cette appréhension les menant parfois à une autocensure formelle ou idéologique. Une des créatrices rencontrées estime ainsi que cette crainte de ne pas être compris de la communauté, de décevoir, voire de perdre des abonnés, freine certains youtubeurs dans leur créativité les poussant parfois à l’autocensure. 53 http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/09/02/des-videastes-accusent-youtubede-censure-qui-ne-dit-pas-son-nom_4991794_4408996.html 54 https://support.google.com/youtube/answer/6162278?hl=fr 53 1.2.2. La construction d’une esthétique web Comme toute forme de production audiovisuelle, le web a ses codes et ses traditions locales. Ainsi, la création humoristique et les « blagues visuelles » sont particulièrement bien représentées sur le web francophone. Évoquer une esthétique web revient par exemple souvent à évoquer le podcast. Nous pourrions par exemple citer le cas la web-série du Latte Chaud dans laquelle un des personnages principaux – interprété par Natoo – est youtubeuse : « Oui, je pense qu’il y a une façon de créer et que YouTube a créé des codes. Même des codes de réalisation. […] Il y a des effets de styles qui ont été, enfin même la podcast, c’est devenu un effet de style. […] Donc on essaie de faire avec un objectif un peu plus léché et cetera, mais il y a quand même une réalité de la podcast et de ce que c’est censé être. » (Entretien avec Maud Lazzerini). Outre les effets « podcasts », certains travers de ces plateformes peuvent être considérés comme des codes de la création YouTube. Nous pourrions ainsi notamment évoquer les vignettes ou les titres racoleurs – et souvent en décalage avec le contenu réel – qualifiés de « putaclic ». La diversité des contenus réalisés par les créateurs web est cependant plus complexe que la caricature à laquelle ils sont bien souvent réduits et il importe de nuancer cette spécificité du web. Nous pouvons tout d’abord nous demander si cette question d’une éventuelle spécificité ne pourrait pas être transposée à d’autres domaines de la production audiovisuelle. Ne pourrions-nous pas en effet nous demander s’il existe une manière spécifique de créer pour les chaînes privées ou pour le service public ? Ou encore si davantage qu’une distinction entre contenus web et « traditionnels », il ne serait pas plus cohérent de distinguer la création humoristique – fortement représentée sur le web francophone – d’une création plus « sérieuse » ? Cette distinction est d’ailleurs ressortie à plusieurs reprises de nos entretiens. 54 Maud Lazzerini par exemple, explique notamment lorsque nous évoquons les codes de la création sur YouTube, qu’il y en a certes « parce qu’il y a quand même une manière de réaliser… le web. De réaliser l’humour aussi d’abord, c’est bien de réaliser ce qui est drôle et de faire des blagues visuelles. » Certains programmes de télévision peuvent d’ailleurs partager de nombreux points communs avec la création web. Ainsi, la chronique de Kyan Khojandi – un des créateurs de la série Bref – Le Festival de Kyan, diffusée entre 2009 et 2010 dans l’émission On achève bien l’info sur France 4, peut être considérée comme podcast, un format pourtant caractéristique du web. « Le Festival de Kyan, il est dans une chambre et tout… bah en fait c’est vrai que ça ressemble au podcast qui ont été faits après. Finalement en le faisant à la télé, il était quand même dans les premiers à faire ce truc d’adresse directe à la caméra depuis sa chambre. Alors que lui, c’était pour répondre à une contrainte, c’était dans une émission qui s’appelait On achève bien l’info et il fallait faire avec ce qu’il avait, c’est-à-dire une seule pièce et lui il a dit, bon bah écoute je prends une pièce, je la décore comme une chambre, et on imagine que je suis dans ma chambre et que je suis un mec dans ma chambre qui explique des films et tout viendra d’effets de camera, de cuts, de chose comme ça… c’est vrai qu’il fait partie des premiers à… Je pense que d’autres gens le faisaient à cette époque, mais je pense que c’est la première fois que je voyais… un podcast, un mec seul dans sa chambre qui parle d’un thème et lui c’était le cinéma. » (Entretien avec Bruno Muschio dit Navo). La professionnalisation de la création de contenus sur les plateformes ne signifie par ailleurs pas que celle-ci soit affichée ou revendiquée. Certains youtubeurs ou spécialistes du marketing viral semblent volontairement privilégier une esthétique « amateur » (Lange, 2008). Ainsi, les vlogs, ces productions relativement légères et personnelles, qui semblent souvent prendre comme décor la chambre du youtubeur – Jean Burgess et Joshua B. Green les qualifient même de « domestiques » (2009, p. 96) –, ne seraient pas 55 spécifiquement l’œuvre d’usager amateur, mais bien souvent d’acteurs usant de YouTube « in an entrepreneurial way » (2009, p. 96). Plusieurs des podcasteurs les plus célèbres ont d’ailleurs, en se professionnalisant, fait le choix de reproduire leur chambre ou leur salon dans un studio de tournage55. C’est notamment le cas de Cyprien qui assume ce choix en introduction d’une de ses vidéo56. Ce choix ayant suscité un début de polémique dans les commentaires de la vidéo, il a par la suite publié un commentaire – republié sur Twitter57 – détaillant les raisons qui ont motivé cette décision : « J’ai changé de décor car il y a continuellement du bruit (voitures, sirènes, travaux) et des variations de lumière (nuages) chez moi, c’est laborieux de tourner devant une fenêtre bruyante. J’aurais pu mentir et faire croire que j’avais déménagé, mais je préfère vous dire la vérité. Dans un mini studio la lumière est stable et je n’ai aucun problème de son, c’est pour vous proposer des vidéos de meilleure qualité. Beaucoup de youtubeurs utilisent un décor spécial (SalutLesGeeks, Smosh etc.) Et j’ai adoré construire mon petit décor avec mes mangas, mes figurines, mes cadres ! Pour ceux qui préfèrent quand je tourne dans mon appart, dites-vous que je n’ai rien changé dans ma manière de faire mes vidéos, j’ai des idées, j’écris ce qui me fait marrer, je tourne et je monte, comme d’hab ! Dans tous les cas un jour je déménagerai donc autant que mon nouveau décor soit mieux pensé. Je comprends que certains préfèrent que jamais rien ne change, mais moi j’aime bien aller de l’avant. Après si certains jugent une vidéo sur l’endroit où c’est tourné et pas sur le contenu, malheureusement je n’y peux rien. 55 https://boudoir.hypotheses.org/193 56 https://www.youtube.com/watch?v=vGMlUD2rG68 57 https://twitter.com/monsieurdream/status/536539406187114496 56 J’espère que vous comprendrez, et pour ma part je prépare plein d’autres vidéos (dans ce décor et même ailleurs) ». D’autres créateurs préfèrent ne pas revendiquer, voire dissimuler, les éléments en rapport avec cette professionnalisation. Cette promotion de l’amateurisme n’est pas un phénomène isolé. Dans un tout autre domaine, Sophie Preudhomme, dans ses travaux sur la pornographie et les sexcams constate un phénomène similaire, dans lequel les performeurs tout en se professionnalisant, revendiquent cette pratique comme un loisir : « Pourtant, les performeurs ne cessent de décrire cette activité plutôt comme un loisir, un plaisir, un passe-temps, un moyen de vivre de nouvelles expériences ou encore de satisfaire leurs désirs… Désigner leur activité comme telle relève d’un choix, puisque chacun – du moins les performeurs réguliers – a bien conscience des enjeux économiques, temporels et structurels au sein desquels il se trouve. Difficile d’affirmer avec certitude les raisons de ce positionnement. Mais, au-delà de la difficulté certaine d’assumer aujourd’hui ce type d’activité professionnelle, il s’avère manifeste, cela s’est vérifié lors de l’observation participante, que l’excitation des voyeurs est intimement liée au déploiement d’un personnage, porté par le performeur, qui corresponde à l’authenticité recherchée par ces voyeurs sur ces plateformes, puisqu’elles sont dites « amateurs ». L’illusion d’un pur amateurisme doit donc demeurer quasiment totale » (Preudhomme, 2016). Des contenus directement produits par des entreprises ou à vocations publicitaires adoptent d’ailleurs volontairement les codes et les aspects des contenus amateurs, dans l’objectif de mieux se faire accepter par la communauté ou de passer pour des créations spontanées et désintéressées (Welbourne & Grant, 2016). Un bon exemple de ce phénomène se retrouve dans le livre Hands-On Guide to Video Blogging and Podcasting : Emerging Media Tools for Business Communication (Felix & Stolarz, 2013, p. 5) qui explique en détail comment filmer avec une webcam tout en utilisant un dispositif de prise de son plus performant afin de faire passer un contenu 57 pour amateur, sans qu’il ne le soit réellement et en préservant sa qualité. Une technique qui se rapproche de l’astroturfing. Ce terme tiré d’AstroTurf (une marque de pelouse artificielle pour terrain de sport) est employé pour qualifier les campagnes de communication d’entreprises privées ou d’institutions cherchant à donner l’impression que le message est porté et défendu par des citoyens ordinaires (Boulay, 2012). Outre la valorisation de l’esthétique amateur, de nombreux traits communs des vidéos produites pour Internet découlent de contraintes techniques et budgétaires qui sont au cœur de la création. Nombre de réalisateurs ont ainsi adapté leur scénario aux contraintes financières comme ce fut le cas de Davy Mourier pour la création de la série Nerdz sur la chaîne Nolife : « À l’époque, à la télé, il y avait le truc qui marchait, c’était caméra café. Et je me dis… C’est malin la caméra qui bouge pas, ça permet de gagner du temps. Du coup, bah je me suis dit, bah un geek il est devant sa télé, donc si on met la caméra dans la télé, c’est gagné quoi ! Parce que c’est la télé qui regarde le mec qui regarde la télé ! Donc du coup je pars avec cette idée-là, et je convoque Monsieur Poulpe et Didier Richard. » (Entretien avec Davy Mourier). De même, l’image des productions YouTube arbore souvent des couleurs et une lumière assez vives, presque saturées. Or, ce qui pourrait ressembler à un standard du web serait en réalité guidé par des raisons économiques : « Pour des raisons qui à la base étaient économiques, et du coup l’idée, par exemple justement de saturer une image, de donner des effets, ils veulent peut-être de mettre des flairs de post prod, c’est une façon de… voilà c’est du maquillage ! C’est-à-dire on n’a pas le bon matériel pour faire une belle image, du coup on va maquiller notre image pour la rendre belle. Ce qui est une image… par exemple l’image web et l’image ciné, ça n’a rien à voir. Et ce qui est toujours hyper compliqué parce que du coup les youtubeurs se sont habitués visuellement à avoir ces images-là et à les définir comme 58 belles images. Et je pense d’ailleurs que ça va influencer le cinéma, il va y avoir de plus en plus de films qui vont avoir des images comme ça, et qui sont vraiment des images… pour moi, si je vais vraiment dans l’excès, et que je veux critiquer cette image, je vais l’appeler image scène de ménage, tu vois ! Pour moi c’est vraiment ça, c’est-à-dire une image où tu as un lieu une couleur, où tu n’as aucune subtilité, t’as… voilà, t’as le décor qui est autant éclairé que les personnages, voilà… pour moi c’est… ça brûle mes yeux quoi ! Du coup, c’est vraiment une image qui… bah c’est une image maquillage, parce que quand tu la regardes sans la regarder, c’est dynamique, c’est coloré, c’est joli et aussi… c’est du maquillage ! Donc après voilà, le regard des youtubeurs s’habitue aussi à ça, du coup aussi maintenant [c’est] clairement une demande ». Cette situation mènerait d’ailleurs cette image à se standardiser, les créateurs ayant fini par considérer qu’une belle image devait ressembler à cela : « Le web a été tellement habitué à ça qu’il y a une vraie demande, et s’est vraiment éduqué à se dire que ça, c’était vraiment une image web et… comme tu as dit une image produite, alors que c’est une image post produite, d’une certaine manière, tu vois c’est vraiment en post prod qu’elle va se créer et pas sur le plateau ». 59 -2Les youtubeurs au cœur d’une économie en restructuration Si elles rencontrent un indéniable succès d’audience, les plateformes d’hébergement de vidéos ont très vite été confrontées à la recherche d’un modèle économique pérenne afin d’atteindre ou d’accroître leur rentabilité (Wasko & Erickson, 2009 ; Kim, 2012 ; Welbourne & Grant, 2016 ; Bullich, 2014). Dans cet univers, les MCN émergeants jouent un rôle majeur et les relations avec les industries culturelles se renouvellent. 2.1. Les plateformes d’hébergement à la recherche d’un modèle économique pérenne La recherche de rentabilité se structure essentiellement autour de deux grandes logiques socio-économiques : l’abonnement et le modèle publicitaire. 2.1.1. Le modèle de l’abonnement : un succès limité ? Dans le premier cas, il s’agit pour les plateformes de développer leurs revenus en incitant les internautes à souscrire un abonnement payant. YouTube, Vimeo et dans une moindre mesure Dailymotion ont ainsi axé une partie de leur stratégie vers le développement d’une telle offre. C’est Dailymotion qui en décembre 2012 lance le premier, une véritable offre de contenus payante, avec Dailymotion Kids +, une évolution de son 61 service gratuit DM Kids lancé en 200858. Ce service de vidéo à la demande par abonnement, interrompu depuis, proposait la consultation « en illimité plus de 1 000 épisodes de vos héros préférés pour 4,49 € par mois »59. Dailymotion tente ensuite une incartade vers la vidéo à la demande classique (VOD), et lance en février 2013 Open VoD60. Cette plateforme de VOD interrompue en août 2015, reposait sur un modèle proche de celui de la plateforme d’Apple – Dailymotion prélevant 30 % du prix de la location – et donnait accès à des contenus de France Télévision, du Paris SaintGermain, de Journeyman Pictures, à une centaine de films de Gaumont61 et, à partir d’octobre, à plus de 300 films du catalogue de Warner – l’offre s’étant ensuite étoffée pour atteindre un millier de références62. En parallèle, le groupe, en novembre 2013, lance, en s’associant avec Canal+ et uniquement au Canada, une offre d’abonnement à 7,99 $ par mois – interrompue depuis63. Ce service accessible uniquement via la plateforme proposait à l’abonné d’accéder à une sélection de programmes de la chaîne, de films européens et de séries produites par Canal+. Ce partenariat entre Canal+ et Dailymotion, qui a pris fin en octobre 201564, impliquait également 58 http://www.zdnet.fr/actualites/avec-dm-kids-dailymotion-veut-fideliser-lesenfants-39385588.htm. 59 https://web.archive.org/web/20130610093735/http://www.dailymotion.com/fr/ kidsplus. 60 http://www.frenchweb.fr/dailymotion-offre-de-vod-payante-openvod-desormaisdisponible-dans-34-pays/99937. 61 http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2013/06/13/32001-20130613ARTFIG00433dailymotion-met-l-accent-sur-les-videos-payantes.php. 62 http://blog.dailymotion.com/2013/10/02/dailymotion-annonce-la-distribution-ducatalogue-warner-bros-en-vod/. 63 http://quebec.huffingtonpost.ca/2015/11/03/canal-canada-fin-_n_8463964.html 64 http://quebec.huffingtonpost.ca/2015/11/03/canal-canada-fin-_n_8463964.html 62 la diffusion en accès libre des contenus diffusés « en clair » et une offre de VOD avec la location de films français et européens65. YouTube de son côté, tente, dès février 200966, une première entrée dans l’univers du payant. La plateforme de Google introduit un mode hors ligne, offrant aux fournisseurs de contenus la possibilité de laisser télécharger leurs vidéos – sans DRM, mais avec des conditions d’usages décidées par le détenteur des droits –, gratuitement ou contre une participation financière (présentée comme modique)67. En mai 2013, YouTube va plus loin et lance un service de chaînes payantes accessible uniquement par abonnement pour un coût mensuel variant entre 99ct et 6,99 $68. Parmi les 54 premières chaînes partenaires, celle de l’Ultimate Fighting Championship (UFC) – la plus importante ligue mondiale de sports de combat – et celle de Sesame Street – série télévisée à l’origine du Muppets Show – sont largement mises en avant. En novembre 2014, c’est une offre d’abonnement dédiée à la musique qui est lancée, YouTube Music Key, qui pour 9,99 $ donne accès en illimité et sans publicité à l’ensemble des chaînes musicales69. Pour les utilisateurs de smartphone et de tablette, le service permet également de continuer à écouter sa musique une fois l’écran en veille. En octobre 2015, YouTube Music Key devient YouTube Red, s’enrichit de nouvelles options70 – notamment d’un mode hors connexion –, étend l’accès illimité et sans publicité à l’ensemble des contenus YouTube – et non plus aux seules chaînes musicales –, et propose à ses abonnés l’accès des 65 https://www.vivendi.com/wp-content/uploads/2013/10/20131016_CP_Groupe-C+et-Dailymotion_Lancement-Canal+-Canada.pdf 66 Les dates annoncées ici correspondent aux dates de lancement américaines. 67 https://youtube.googleblog.com/2009/02/youtube-goes-offline.html. 68 https://youtube.googleblog.com/2013/05/yt-pc-2013.html. 69 https://youtube.googleblog.com/2014/11/youtube-music-2014.html. 70 https://youtube.googleblog.com/2015/10/red.html. 63 contenus originaux – films et séries – créés en partenariat avec YouTube par des stars de la plateforme71. Si rien n’est officiellement annoncé, il semblerait d’ailleurs que l’arrivée en France de YouTube Red soit imminente. Les rumeurs sont en effet nombreuses et certains articles annoncent déjà son arrivée, ainsi que celle de séries exclusives YouTube Red72. Plus récemment, fin février 2017, YouTube a lancé sur le marché américain une offre de télévision payante baptisée YouTube TV73, qui pour 35 $ par mois donne accès – via une application – aux programmes en direct de plus de 40 chaînes, dont les principaux networks américains, avec la possibilité d’enregistrer en direct des programmes dans le cloud – gratuitement et en illimité – et d’accéder aux contenus exclusifs YouTube Red. La plateforme Vimeo mise elle aussi sur le développement d’une offre payante, toutefois la forme et la place qu’elle accorde à la réalisation de cet objectif diffèrent assez significativement de ce que nous avons pu voir chez ses concurrents. Vimeo se revendique comme une plateforme pour les créateurs74 et axe sa stratégie en direction de ces derniers. De fait, l’offre payante proposée est double et s’adresse tant l’usager consommateur – le public – qu’aux fournisseurs de contenus. Elle prend d’une part la forme d’un service de vidéo à la demande, lancé début 2013, et nommé Vimeo on demand75. Cette offre de VOD, diffère cependant assez largement de celles proposées par Dailymotion ou par les acteurs classiques de la VOD. Il s’agit en effet d’un service de VOD ouvert – en théorie – à tous les créatifs. Ces derniers pouvant faire le choix de mettre à la location, à la vente ou encore 71 https://youtube.googleblog.com/2015/10/red-originals.html. 72 https://www.lesecrans.fr/digital/actualites-digital/youtube-se-lance-creation-de-seriefrancaise/ 73 https://youtube.googleblog.com/2017/02/finally-live-tv-made-for-you.html. 74 http://www.zdnet.fr/blogs/digital-home-revolution/vimeo-l-ambition-du-modelepayant-pour-tous-les-createurs-de-videos-39827176.htm 75 https://vimeo.com/ondemand 64 de rendre disponibles par abonnement leurs vidéos, et fixent librement leur prix76 et le ou les pays de diffusion – Vimeo prélevant ensuite 10 % sur chaque transaction. Le créateur peut également adopter un système dit de « tip » avec Tip Jar. Cette option interrompue en juillet 201577 laissait à l’internaute la possibilité de verser librement un montant au créateur (un tip) – Vimeo prélevant 15 % de la somme versée par l’internaute78. Il s’agit d’autre part pour Vimeo de s’adresser directement aux créateurs en leur proposant des services premium accessibles par abonnement. Inaugurés en octobre 2008 avec Vimeo Plus79 – facturé 60 € par an –, puis complétés en août 2011 par Vimeo Pro80 – 168 € par an –, ces abonnements annuels offrent aux créateurs un certain nombre de services81 : davantage d’espace de stockage pour héberger leurs vidéos, un processus de mise en ligne accéléré, la possibilité de ne pas afficher de publicités sur sa chaîne, des outils de gestion statistique et marketing, ou encore, dans le cadre des formules Pro et Business, la possibilité de mettre ses vidéos sur la plateforme Vimeo on demand. Jusqu’en juillet 2010 il était également nécessaire d’avoir un abonnement payant pour pouvoir mettre en ligne des vidéos en haute définition82. Nous le voyons donc, à la différence de Dailymotion ou de YouTube, l’offre payante développée par Vimeo s’adresse davantage aux fournisseurs de contenus qu’aux internautes. Par ailleurs, nous constatons que le 76 https://help.vimeo.com/hc/fr/articles/235764787-Commencer- %C3 %A0-vendreavec-Vimeo-On-Demand 77 https://vimeo.com/blog/post/introducing-vimeo-creator-services-helping-creator 78 https://web.archive.org/web/20120921120626/https://vimeo.com/help/faq/tip_jar 79 https://vimeo.com/blog/post/presenting-vimeo-plus 80 https://vimeo.com/blog/post/announcing-vimeo-pro-a-new-account-for-businesses 81 https://help.vimeo.com/hc/fr/articles/228068968-Comparer-les-abonnements-Vimeo 82 https://vimeo.com/blog/post/global-settings-and-unlimited-hd-embedding 65 développement de cette offre est bien plus continu que celui des offres de YouTube et Dailymotion, marqués par d’importantes et régulières ruptures stratégiques – particulièrement dans le cas de Dailymotion pour qui l’ensemble des offres et des services payants proposés semble avoir été interrompu. En près de treize années d’existence, la plateforme française a en effet connu maintes orientations stratégiques. Ces projets et les offres qui les ont accompagnés n’ont cependant pas réussi à ralentir la baisse de fréquentation83. En juillet 2017, le site s’est d’ailleurs « recréé à partir d’une page blanche », sous une nouvelle forme censée promouvoir des « contenus premium »84. Signe sans doute du peu de succès de ces tâtonnements stratégiques, la presse peu convaincue par la stratégie du groupe y voit déjà une « relance de la dernière chance »85. Si YouTube fait indéniablement preuve d’une plus grande continuité dans ses orientations, celles-ci restent relativement mouvantes et il n’est guère possible, en l’état des informations diffusées par la filiale de Google, de juger de leur bien-fondé. Le modèle de développement de YouTube ne repose d’ailleurs pas uniquement sur le développement d’une offre payante, mais s’inscrit également dans la logique de sa société mère en fondant une part essentielle de sa croissance sur les revenus publicitaires. 83 http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/les-resultats-de-dailymotion-en-chutelibre-1248817.html 84 https://press.dailymotion.com/archives/1494 85 www.lemonde.fr/economie/article/2017/07/05/dailymotion-ou-la-relance-de-laderniere-chance_5156037_3234.html 66 2.1.2. Le modèle publicitaire à l’épreuve des contenus amateurs L’autre grand modèle de développement de ces plateformes s’inscrit dans la logique d’opérateurs qui tirent la majeure partie de leurs revenus des ventes d’espaces publicitaires. Pour comprendre la place de ces modèles dans l’économie numérique, les économistes ont développé la notion de marché biface ou multiface (Rochet et Tirole, 2006). Ces marchés réunissent plusieurs groupes d’agents (à chaque groupe, son versant), chacun des membres de ce groupe ayant potentiellement intérêt à interagir avec les membres du groupe d’au moins un autre versant. Ainsi, la présence d’agents sur le versant no 2 rend plus attractif le bien vendu sur le versant no 1. La particularité des marchés multiversants est donc la présence d’externalités de réseaux croisées entre agents économiques86. Pour en bénéficier, la plateforme doit s’assurer que les différents consommateurs concernés par les marchés sur lesquels elle opère embarquent à bord de la plateforme, car si un groupe manque à l’appel sur un versant, la demande tend à disparaître sur l’autre versant. Pour régler ce problème, on peut par exemple offrir gratuitement un bien à une catégorie d’agents ou bien investir sur un versant en particulier en espérant que les effets sur l’autre versant suffiront à rendre l’investissement profitable. Dans le cas d’une subvention totale, un versant du marché devient accessible gratuitement. Ainsi, dans les médias (télévisions, radios et presses gratuites) ou les plateformes en ligne (YouTube), sur une des faces du marché, l’entreprise propose gratuitement des contenus au public. Sur l’autre face, elle vend de l’audience aux annonceurs publicitaires. 86 La notion d’externalité de réseau, utilisée à l’origine pour spécifier les caractéristiques des infrastructures de télécommunications, renvoie tout d’abord à des effets clubs positifs : l’utilité d’un bien ou d’un service pour un utilisateur dépend positivement du nombre d’utilisateurs de ce bien ou de ce service. L’externalité peut dépendre directement du nombre d’utilisateurs du bien (téléphone, Internet…), de la variété et de la qualité des services et biens complémentaires ou encore du nombre d’utilisateurs sur un autre marché (dans le cas d’un marché multi-versant). 67 Les annonceurs donnent plus de valeur à une entreprise qui capte une forte audience ; l’entreprise utilise ces ressources publicitaires pour proposer des contenus attractifs. La gratuité sur le premier versant permet donc de soutenir l’attractivité du deuxième versant. Si les plateformes communautaires relèvent, comme les médias, d’un modèle de marché biface, elles s’en distinguent toutefois : alors que les médias traditionnels reposent sur une sélection limitée (ne serait-ce que techniquement) de contenus et visent pour chacun une audience forte, les plateformes communautaires reposent sur l’agrégation d’audiences – depuis quelques consultations jusqu’à plusieurs milliards – de contenus mis en ligne à l’initiative d’internaute. Le modèle initial de YouTube, porté par les contributions amateurs des internautes, se révèle finalement contradictoire avec l’émergence d’une logique de marché biface. En ne correspondant pas aux codes de la communication médiatique classique et en ne permettant pas un contrôle de l’image aussi soutenu que les médias traditionnels ou les blogs, le modèle des plateformes ne constitue pas un médium fiable pour les stars et les grandes compagnies. Michael Strangelove, estimait ainsi en 2010 que : « YouTube provides a platform that may indeed undermine the cultural power of corporate media producers. » (2010, p. 112). Les contenus amateurs, trop imprévisibles et inégaux, n’étaient en effet en 2009 que 5 % à réussir à intéresser les annonceurs et à accueillir des publicités (Snickars & Vonderau, 2009). Le succès d’audience rencontré par ceux-ci reste lui aussi très relatif. YouTube recensait ainsi en avril 2017, 164 millions de chaînes n’ayant pas atteint les 10 000 vues cumulées, l’ensemble de ces chaînes ne représentant pas plus de 5 % du total des vues de la plateforme. Depuis le mois d’avril 2017, l’entrée dans le programme de monétisation est d’ailleurs limitée aux chaînes ayant atteint une audience cumulée de 68 10 000 vues87. Cette modification des conditions d’accès a vocation à éviter que des contenus non compatibles avec les conditions d’utilisation de service puissent accueillir des publicités88 – l’entrée dans le programme étant conditionnée, une fois le palier atteint, à une vérification des contenus et de leur compatibilité avec la politique de YouTube. À l’autre extrémité, un faible nombre de chaînes atteignent des statistiques de visibilité véritablement significatives. Ainsi, début 2017, seules deux chaînes de marque comptabilisaient plus d’un million d’abonnés – Disney et Ubisoft – et seule une centaine de créateurs français de contenus atteignaient ce palier. Cette relative rareté des chaînes à forte visibilité représente une double limite au projet de croissance des plateformes et à la mise en place d’une dynamique de marché biface profitable. D’une part, parce que ces dernières sont parmi les plus susceptibles d’accueillir d’importantes campagnes publicitaires – et donc de susciter d’importants et onéreux achats d’espaces. D’autre part, car les créateurs de ces chaînes auront davantage de chance, en obtenant des revenus plus élevés que la moyenne, de chercher à se professionnaliser et donc à produire des contenus plus attractifs et à en produire plus régulièrement. 87 https://youtube-creators.googleblog.com/2017/04/introducing-expanded-youtubepartner.html 88 La plateforme a fait ce choix suite à une polémique qui a éclaté en Grande Bretagne en mars 2017 et qui a conduit la filiale locale de l’agence de publicité Havas et de grandes marques britanniques à retirer leurs publicités de la plateforme (www.lemonde.fr/ pixels/article/2017/03/17/havas-retire-ses-publicites-de-google-et-youtube-en-grandebretagne_5096515_4408996.html). Le Times a en effet révélé dans une enquête que des publicités pouvaient apparaître sur des vidéos extrémistes (www.thetimes.co.uk/edition/ news/taxpayers-fund-extremism-csdn0npsf). En janvier 2018, de nouvelles polémiques ont conduit la plateforme à modifier encore une fois les conditions de monétisation pour éviter que des publicités puissent être associées à des contenus choquants, racistes ou faisant l’apologie du terrorisme et éviter ainsi la fuite des annonceurs. 69 Les contenus plus professionnels, a priori plus attractifs, davantage susceptibles d’intéresser des annonceurs (Bastard, Bourreau, Maillard, & Moreau, 2012) permettent d’augmenter le revenu moyen par vidéo. Pour accroître leurs recettes publicitaires, la stratégie de YouTube, Dailymotion ou encore Facebook, passe ainsi par une mise en avant de contenus plus professionnels (Wasko & Erickson, 2009 ; Kim, 2012 ; Welbourne & Grant, 2016). Le partage de revenus publicitaires comme incitation à la professionnalisation Pour inciter leurs utilisateurs à produire des vidéos plus facilement monétisables, les plateformes ont mis en place une stratégie double. Celle-ci repose d’un côté sur un partage des revenus publicitaires avec les créateurs, et de l’autre côté sur des structures de soutien et d’accompagnement pour les créateurs les plus prometteurs. Elles développent également en parallèle une politique de promotion des « success stories » de certains vidéastes. YouTube, au travers du YouTube Partner Program, propose ainsi à ses partenaires de partager les revenus publicitaires. Ce programme initialement réservé aux seules entreprises partenaires a été ouvert en mai 2007 aux youtubeurs les plus populaires89 avant d’être élargi à tous les usagers en décembre de cette même année90. Le mode de rémunération, souvent présenté dans la presse comme correspondant à un ratio de 1 $ pour 1 000 vues, serait en réalité plus complexe. Premièrement, le fait d’accéder au programme de monétisation ne garantit nullement que des annonceurs décident de diffuser leur publicité sur cette chaîne (Bastard et al., 2012). Deuxièmement, le prix de l’espace peut être négocié plus ou moins cher en fonction de la notoriété de la chaîne, de l’attractivité des contenus ou du lien entre la thématique et le produit promu. La rémunération peut ainsi osciller significativement. Une publicité 89 https://youtube.googleblog.com/2007/05/youtube-elevates-most-popular-users-to.html. 90 https://youtube.googleblog.com/2007/12/partner-program-expands.html. 70 sur la chaîne d’un youtubeur star se négociera donc souvent plus cher, tout comme une chaîne YouTube spécialisée et reconnue sur une thématique de niche sera, même si son nombre d’abonnés n’est pas comparable avec celui de youtubeurs plus célèbres, particulièrement attractive pour un annonceur dont le produit cible ce même public de niche. La place accordée aux métriques dans l’architexte91 de la plateforme est un autre signe de cette incitation à la professionnalisation. Selon Marine Siguier, « le cadrage formel de la plateforme encourage une logique de palmarès » (Siguier, 2017). Pour l’auteure, la plateforme soumet ses contenus à une logique de classement permettant de les hiérarchiser. Elle identifie notamment trois types de marqueurs de ce qu’elle qualifie de « valorisation sémiotique de la visibilité » (2017). Un marqueur de continuité discursive, qui en incitant à visionner d’autres vidéos – le plus souvent de la chaîne – inscrit tous contenus dans une logique sérielle. Des marqueurs quantitatifs de popularité, au travers d’indication du nombre de vues ou d’abonnés – nous pourrions sans doute y ajouter la somme des votes en faveur ou en défaveur de la vidéo. Et enfin les marqueurs de participation du public, qui s’incarnent autour d’un certain nombre d’incitations à la participation, comme les boutons d’abonnement, de partage et les options de vote – illustrées par un pouce orienté vers le haut pour les votes favorables et un pouce orienté vers le bas pour les votes défavorables. Cette stratégie d’accompagnement à la professionnalisation et de partage des revenus, un temps adoptée par Dailymotion, a finalement été abandonnée par la plateforme, qui a annoncé en avril 2017 que les UGC ne seraient plus monétisés92. La plateforme souhaite en effet se concentrer – avec la nouvelle 91 Selon Yves Jeanneret et Emmanuel Souchier l’architexte numérique désigne « tous les outils situés en amont de la production des textes, qui les conditionnent et en balisent l’écriture » (Jeanneret & Souchier, 1999). 92 http://advertising.dailymotion.com/fr/refonte-de-dailymotion-nouvelle-ux-contenupremium-et-plus/ 71 version de son site lancé le 5 juillet 2017 – sur les contenus « premium », les PGC. Dernier arrivé sur le marché des plateformes d’hébergement de vidéos, Facebook semble lui se caler sur la stratégie développée par YouTube et ouvrir progressivement le partage de revenus publicitaires à un nombre de plus en plus large de créateurs93 – à l’heure actuelle, le programme reste néanmoins limité à un nombre restreint de partenaires94. Longtemps sujet tabou (Grünewald & Haupt, 2014)95, l’argent qui circule dans le milieu des youtubeurs a progressivement fait l’objet de discussions. Les vidéos sur le sujet, plus ou moins sérieuses, ont d’ailleurs fleuri. Nous pouvons notamment citer L’argent sur YouTube du Rire Jaune (avril 2015), La pub sur YouTube de Bapt & Gaël (janvier 2016) ou encore Où part ma YouTube Money ? de Pierre Croce (juin 2016). Cet affichage plus direct a sans doute également été motivé par l’enquête ouverte en 2015 par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF). Cette dernière reprochait en effet à un certain nombre de youtubeurs de promouvoir dans leurs vidéos des produits et des marques sans l’indiquer clairement96. À la suite de cette enquête, les vidéos sponsorisées ont commencé à être annoncées plus clairement, des mentions étant même ajoutées a posteriori sur des vidéos déjà publiées97. La plupart des acteurs rencontrés ont cependant souligné le manque de rentabilité et l’instabilité du partage de revenus. Aucun ne vivait d’ailleurs de 93 http://www.numerama.com/business/129657-facebook-veut-surpasser-youtube-enpayant-du-contenu-de-qualite.html 94 https://siecledigital.fr/2017/02/24/facebook-monetiser-videos/ 95 Ceci peut toutefois s’expliquer par les conditions contractuelles de YouTube qui interdisent aux partenaires d’évoquer le montant et les conditions de leur rémunération. 96 http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/03/07/publicite-dissimuleepremieres-sanctions-contre-les-youtubeurs-avant-l-ete_4878086_3234.html 97 https://www.nextinpact.com/news/98840-video-sponsorisee-par-ea-mention-clairedans-video-cyprien-gaming.htm 72 ces seuls revenus, et tous semblaient ne le considérer comme envisageable que pour les plus gros youtubeurs et surtout pour ceux adoptant un format de vidéos très léger – le podcast ou le vlog. Comme le déclare Matthieu Marot : « Aujourd’hui, l’écosystème économique de YouTube n’est pas fiable. C’està-dire, tu ne peux pas financer tes vidéos uniquement avec le rev share [le partage de revenus publicitaires] que t’as sur YouTube ». (Entretien avec Matthieu Marot). Les critiques qui ont trait à ce manque de fiabilité se concentrent essentiellement sur deux aspects. Le premier aspect a trait à la baisse des revenus publicitaires. En effet, il semblerait que depuis le début de l’année 2017 le revenu moyen par millier de vues soit en forte baisse. Un des créateurs rencontrés nous explique ainsi que dans son cas il a été divisé par deux. Cette baisse trouverait son origine dans la polémique qui a éclaté en mars 2017 (cf. supra) et dans le retrait de nombreuses marques du marché publicitaire. Le second aspect concerne les changements dans l’algorithme de mise en avant de la plateforme – qui selon les youtubeurs seraient trop fréquents – et l’opacité qui accompagne ces changements. Une modification au second semestre 2016 a notamment provoqué une fronde chez les youtubeurs – nombre d’entre eux ont d’ailleurs fait des vidéos sur le sujet98. Selon eux, cette modification a non seulement modifié la mise en avant de certaines vidéos en ne les affichant plus systématiquement dans la liste des dernières vidéos des chaînes auxquelles chaque utilisateur est abonné, mais il semblerait également qu’elle ait donné lieu à un grand nombre de désabonnements involontaires – certains abonnés auraient été automatiquement désabonnés à chaque sortie d’une nouvelle vidéo. 98 Notamment https://www.youtube.com/watch?v=OqcqT2npcZQ et https://www. youtube.com/watch?v=TqIA_kDNUXs 73 Cette situation, croisée à l’architexte des plateformes, a conduit à la sédimentation de pratiques spécifiques (Siguier, 2017). Les incitations du dispositif de ces plateformes et de ses artefacts semblent en effet avoir été intégrées dans les pratiques des youtubeurs et dans leurs discours. Les incitations à s’abonner, à attribuer un vote positif ou encore à partager la vidéo sont ainsi récurrentes, arrivant même parfois dès le début de la vidéo. Ces réflexes, qui sont pourtant régulièrement critiqués par les youtubeurs euxmêmes, traduisent une réelle logique de valorisation des métriques. Pour la majeure partie des créateurs, il importe également pour développer des projets plus ambitieux, voire simplement pour pouvoir vivre de leur activité, de viser d’autres industries audiovisuelles au modèle plus affirmé (cf. supra, partie 1). Nombreux sont ainsi les créateurs à envisager de travailler pour la télévision ou des plateformes de VOD par abonnement essentiellement dans le but de disposer de budgets plus conséquents ou de pouvoir se payer eux et l’ensemble de leur équipe. Les deux créateurs de la chaîne YouTube, Et Bim, ont eux décidé dès la fin de leurs études d’audiovisuel, de créer une société de production de films institutionnels afin de pouvoir financer leurs projets de création plus personnels. Une logique de formation et de soutien technique Si le partage de revenus offre, pour des créateurs initialement amateurs, des opportunités de professionnalisation plus significatives que sur les plateformes antérieures (Bullich, 2015), il ne garantit pas pour autant une montée en gamme des contenus. Il n’apporte en effet que peu de réponses aux problèmes de manque de compétences ou de moyens techniques auxquels un certain nombre de ces créateurs font face. 74 YouTube, dans l’optique de répondre à ces problématiques, explique vouloir « investir dans la créativité »99 et soutenir la création professionnelle. La compagnie déclare ainsi en préambule d’un billet sur son blog officiel : « Over the past four years, YouTube has gone through a dramatic transformation. We’ve seen the fidelity of our videos evolve from the grainy footage of webcams to the crystal clear beauty of 4K. We’ve seen teenagers who began by vlogging in their bedrooms emerge as media heavyweights, with passionate followings and shows that draw more fans than similar shows on cable TV. And we’ve seen partner revenue continue to grow at a healthy pace, giving our creators the chance to do what they love by finding their fanbase on YouTube. Today, more than 1 billion viewers visit YouTube every month to follow their favorite shows and channels and our daily watchtime continues to grow at 50 percent annually. »100 YouTube a ainsi mis en place, en plus d’un « Guide du Créateur » et de multiples blogs (Bullich, 2014), un certain nombre de programmes et de structures, tels que Nextup, YouTube Creator Institute, ou encore les YouTube Space. La société a par exemple fait l’acquisition en mars 2011 de la société Next New Networks, une entreprise spécialisée dans la production de webséries et de contenus audiovisuels pour Internet. Intégré dans la société au sein d’un département YouTube Next lab and audience development – dirigé par Lance Podell le président de Next New Networks101 – l’équipe a pour objectif de développer l’offre d’accompagnement à la professionnalisation de YouTube102. Cette branche YouTube Next lab and audience development a ainsi initié en 2011 le programme NextUp, destiné à découvrir et à accompagner vers la 99 https://youtube.googleblog.com/2014/09/investing-in-creativity.html. 100 https://youtube.googleblog.com/2014/09/investing-in-creativity.html 101 http://www.nytimes.com/2011/03/08/technology/08youtube.html. 102 https://youtube.googleblog.com/2011/03/supercharging-next-phase-in-youtube.html. 75 professionnalisation des youtubeurs prometteurs103. Il prend la forme d’un concours ouvert à tout youtubeur ayant entre 10 000 et 100 000 abonnés104. Lors de la première édition française – également en 2011 –, les gagnants se voyaient offrir : « Un financement de 20 000 € pour produire un nouveau projet, acheter de nouveaux outils et devenir un pro sur YouTube ; une participation au campus de créateurs YouTube, où les partenaires bénéficieront d’un accompagnement individuel et apprendront un certain nombre de techniques de production auprès de spécialistes et d’experts de YouTube ; la promotion de leurs créations et de leur chaîne ; la possibilité d’entrer en contact avec une communauté particulière de jeunes créateurs talentueux du monde entier. »105 Dailymotion a également mis en place en 2011 un fonds de soutien de 50 000 € : la Bourse Dailymotion. Ce programme, interrompu après la deuxième édition, a permis le financement de 17 projets de vidéos106. Toujours en 2011, YouTube met en place le Creator Hub107 108 – le Club Créa en français –, qui propose aux créateurs des services, des conseils, des formations, de l’assistance, des forums ou encore d’assister à des évènements comme des meetup de youtubeurs, des conférences ou des formations. Ces différents services sont accessibles aux youtubeurs en fonction de la popularité de leurs chaînes, celle-ci évoluant par palier : graphite (1 à 1 000 abonnés), opale (1 000 à 10 000), bronze (10 000 à 100 000), et silver 103 https://youtube.googleblog.com/2011/03/youtube-nextup-are-you-next-big-thing.html. 104 https://web.archive.org/web/20110321230852/http://yt-creators.appspot.com/nextup/rules. 105 https://france.googleblog.com/2011/06/ouverture-des-candidatures-pour-youtube.html. 106 https://web.archive.org/web/20120920054335/http://www.dailymotion.com/fr/creative-fund 107 https://youtube.googleblog.com/2011/03/apply-to-youtube-creator-institutes.html. 108 https://www.youtube.com/yt/creators/fr/index.html. 76 (plus de 100 000 abonnés). Plus récemment est également née la Creator Academy109, une plateforme plus spécifiquement dédiée à la formation. En juillet 2012, la compagnie ouvre au cœur de Londres un espace à destination de ses créateurs110. Le lieu se veut à la fois un espace de formation, de rencontre et de collaboration entre les créateurs – le tout accessible à tout usager ayant plus de 1 000 abonnés sur sa chaîne –, mais également de tournage, avec la mise à disposition de studios et de matériels – accessible à partir de 10 000 abonnés. La firme ouvre ensuite des lieux similaires – désormais baptisés YouTube Space – dans d’autres villes : Los Angeles, Berlin, Tokyo, New York, Sao Paolo ou encore Paris en octobre 2015111. Dailymotion a également ouvert à Paris en janvier 2014 un espace similaire, le Dailymotion Studio112. Détruit par l’explosion d’un immeuble voisin en avril 2016113, le studio n’a cependant pas rouvert. Vincent Bullich décrit ces espaces comme des « lieux d’enseignement et de production » qui « proposent des programmes intensifs de formation via des ateliers pratiques, des cours ainsi que des conférences, et mettent à disposition des équipements haut de gamme ainsi que l’assistance d’experts dans un but explicite de pérennisation de l’activité professionnelle des internautes » (Bullich, 2015). Ainsi, historiquement, les acteurs des plateformes d’hébergement de vidéos ne produisent pas à proprement parlé de contenus, et n’ont donc pas de nécessité ou d’intérêt particulier dans la promotion ou la mise en avant de tels ou tels contenus. Cette situation tend cependant à évoluer et les plateformes s’investissent de plus en plus dans la promotion de contenus originaux, dans 109 https://creatoracademy.youtube.com/. 110 https://youtube-creators.googleblog.com/2012/07/introducing-youtube-creator-space.html. 111 https://youtube.googleblog.com/search/label/YouTube %20Space %20Paris. 112 http://www.dailymotion.com/video/x187bdx_dailymotion-ouvre-ses-studios-detournage_news 113 http://www.huffingtonpost.fr/2016/04/01/videos-explosion-paris-gaz-studiosdailymotion_n_9592238.html 77 la mise en place de partenariats d’exclusivité sur certains contenus, ou encore dans l’accompagnement d’un certain nombre de créateurs prometteurs. Cette tendance à une certaine forme d’éditorialisation de l’offre des plateformes, nécessaire à l’instauration et à la pérennisation d’un marché biface réellement profitable, atteint son point d’orgue dans la mise en place des MCN. 2.2. Les MCN, structures de convergence entre nouvelle économie et économie traditionnelle des contenus La naissance et le développement des MCN illustrent la stratégie de montée en gamme des contenus visibles sur les plateformes. Ces structures d’un nouveau genre, réunies sous l’étiquette MCN, ont su s’insérer dans l’économie des plateformes d’hébergement de vidéos et y jouer un rôle majeur. Elles sont un moyen pour YouTube de maintenir et d’encourager les acteurs des industries de la culture et des contenus à diffuser leurs contenus sur sa plateforme, mais également de favoriser l’arrivée de nouveaux contenus de qualité professionnelle. Dans leur acception la plus restreinte, les MCN sont des intermédiaires de YouTube, des entreprises extérieures, sur lesquelles YouTube s’appuie pour l’aider à canaliser les contenus de sa plateforme et en faire un environnement plus attractif pour les annonceurs. YouTube les présente ainsi : « Les réseaux multichaînes (collectivement appelés “les réseaux”) sont des fournisseurs de services tiers affiliés à plusieurs chaînes YouTube. Ces prestataires proposent différents services comme le développement de l’audience, la programmation de contenu, la collaboration entre créateurs, la gestion des droits numériques, la monétisation et/ou les ventes. »114 114 https://support.google.com/youtube/answer/2737059. 78 Si leurs domaines d’intervention se rejoignent sur de nombreux aspects, ces acteurs sont en réalité extrêmement variés et se distinguent par leurs origines, leur cœur de métier ou leur stratégie. Une grande diversité d’acteurs se cache derrière l’étiquette très générale de MCN. Tout à chacun semble en effet pouvoir créer son MCN, la plateforme ne paraissant en effet pas exercer de contrôle a priori. Certains acteurs sont ainsi très modestes ou font preuve d’un certain manque de rigueur – quand il ne s’agit pas d’escroquerie (voir infra) – quand d’autres ont un poids considérable comme le MCN de Disney, Makers studios, fondé en 2009115. Au-delà de la taille, c’est également dans l’étendue de leurs missions et de leur périmètre d’action que s’exprime cette diversité. Sous cette notion protéiforme de MCN se regroupent en effet tant des sociétés de production que des régies publicitaires. 2.2.1. Plateformes et groupes audiovisuels : à chacun son intérêt pour les MCN Sous plusieurs aspects, l’essor des MCN116 peut être considéré comme une forme de rencontre entre les acteurs historiques des industries culturelles et ceux des plateformes. La philosophie même sur laquelle ils reposent joue un rôle d’interface entre ces deux écosystèmes. Pour les plateformes, cela représente, via la collaboration avec des acteurs reconnus de la production audiovisuelle, une opportunité de montée en gamme. Pour les acteurs historiques de l’audiovisuel, il s’agit d’incarner à la fois une porte d’entrée dans un nouvel écosystème de création, un nouveau monde de l’art, et une première incursion dans un nouveau modèle de diffusion et de valorisation. 115 La rentabilité n’étant pas à la hauteur de l’audience, Disney a annoncé en 2017 vouloir réduire fortement le nombre de créateurs sous contrat et privilégier les relations avec ceux disposant d’une vaste audience. 116 Nous nous intéressons dans cette partie, uniquement aux structures opérant en France. 79 YouTube : conforter le soutien à la professionnalisation YouTube s’investit activement dans le développement et la création de structures de production de contenus. Selon le New York Times117, la société accompagne les structures naissantes sur les aspects légaux – et notamment sur les questions relatives aux droits d’auteurs – et techniques – comme par exemple les problèmes rencontrés lors de la mise en ligne de vidéo sur la plateforme. Signe supplémentaire de la volonté de la plateforme de soutenir ce type de structure, la filiale de Google a lancé en juillet 2010 un appel à projets pour la création de programmes originaux pour sa plateforme, avec à la clé une bourse – d’une dotation globale de 5 millions de dollars118. Cette bourse, pouvant atteindre les 100 000 $, est en réalité une avance sur recettes sur le partage de revenus publicitaires. « The goal of YouTube Partner Grants is to act as a catalyst by infusing additional funds into the production budgets of a small group of YouTube partners who are at the forefront of innovation. Funds from YouTube Partner Grants will serve as an advance against the partner’s future YouTube revenue share. This additional funding can allow partners to invest in better cameras, achieve higher production quality, expand their marketing efforts, expand their staff, or just hire more talent. Anything that will help them evolve their art, business, and ultimately the entire creator community. We look at this as an investment that will bring an even richer body of content for our users and advertisers and raise the creative bar for online video. »119 Il s’agit pour YouTube d’inciter des entreprises partenaires – un certain nombre ayant été directement démarchées – à lancer une chaîne ou à produire davantage de contenus sur leur chaîne. En contrepartie, ces 117 http://www.nytimes.com/2011/04/11/business/media/11youtube.html. 118 https://youtube.googleblog.com/2010/07/investing-in-future-of-video-youtube.html 119 https://youtube.googleblog.com/2010/07/investing-in-future-of-video-youtube.html 80 dernières s’engagent en effet sur un volume de production pour la première année. En 2012, la société lance une opération similaire en France, et ce sont 13 chaînes qui sont créées par 11 entreprises : - Doctissimo Play, une chaîne bien-être et santé (Lagardère) ; - Euronews Knowledge, une chaîne en anglais d’actualité et de reportages (Euronews) ; - FFSK, une chaîne d’humour (Kabo Production) ; - HuHa, une chaîne d’humour et d’animation (ChannelFlip) ; - It’s big, une chaîne de divertissement dédiée à la Street culture et à la parodie (Endemol) ; - La tribu, une chaîne sur la famille (AuFeminin) ; - Let’s cook, une chaîne de cuisine décalée (Troisième œil) ; - Marmiton, une chaîne de cuisine (AuFeminin) ; - Rendez-vous à Paris, une chaîne sur la vie parisienne (Capa Prod.) ; - Studio Bagel, une chaîne d’humour (Black Dynamite) ; - Taratata on air, une chaîne musicale (Air Productions/Banijay Group) ; - Very Watch, une chaîne sur les médias et la télévision (Troisième œil) ; - X-Treme Video, une chaîne dédiée aux sports extrêmes. Ces chaînes ont rencontré un succès relatif. Sur les treize chaînes initiales, cinq ont arrêté de produire de nouveaux contenus – FFSK et It’s big depuis 2 ans, HuHa et Very Watch depuis 3 ans et Let’s cook depuis 4 ans – ; deux ont changé de ligne éditoriale – Rendez-vous à Paris qui se qualifie désormais de chaîne « 100 % webséries “around the world” »120 et La tribu qui est entre temps devenu Gifted121, et a progressivement abandonné la thématique famille pour se recentrer sur un public de jeunes adultes – et la plupart stagnent entre 120 https://www.youtube.com/user/missrendezvousparis/about 121 En référence à Gifted Agency, l’agence dédiée aux talents et aux influenceurs du Groupe aufeminin. 81 200 000 et 300 000 abonnés – FFSK et HuHa n’ont eux-mêmes pas dépassé le cap des 100 000. Exception notable cependant, Studio Bagel qui a en juillet 2017 plus de 3 millions d’abonnés, cumule près de 500 millions de vues et a entre-temps été racheté par le groupe Canal+. Le poids des groupes audiovisuels De leur côté, les acteurs historiques ne restent pas passifs et sont nombreux à s’être engagés dans cette économie. Il est en effet frappant de constater que les principales chaînes de télévision, sociétés de production ou encore les plus grands groupes Internet sont ou ont été engagés dans de telles structures. Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de regarder la liste des porteurs de projets sélectionnés par YouTube pour son appel à la création de chaînes : Lagardère, Aufeminin, Endemol, Capa Prod., etc. Les chaînes de télévision, si elles sont absentes de la liste des chaînes partenaires lancées suite à l’appel à projets de YouTube, sont toutefois au cœur de cet écosystème. Le groupe M6 a par exemple créé en 2012 une structure dédiée à la vidéo en ligne, Golden Moustache122. Lancée en parallèle, mais en dehors de l’appel à projets de YouTube, cette structure est entre-temps devenue un acteur majeur de la fiction Internet francophone. Le groupe Canal+ a quant à lui lancé en novembre 2013 la Canal Factory – qui joue à la fois le rôle de producteur de contenus ou de simple régie publicitaire –, mais a entre-temps fait le choix de racheter Studio Bagel, et de dissoudre la Canal Factory dans ce dernier. 122 Nous disons notamment, car le groupe a en progressivement créé une myriade de structures dédiés aux tutoriels – Minutefacile, lancée en 2012 –, à la beauté – Rose Carpet, lancée en 2014, et Vloggist lancée en 2016 –, à la musique – Cover Garden, lancée en 2014 –, à l’e-sport – NopainNogame, lancée 2015 –, ou encore à la danse – Dot move, lancée en 2016. 82 Arte a dès 2011 lancé sa plateforme Arte Creative, et défend à travers elle le projet d’« offrir aux internautes le meilleur de la création numérique, et repérer, accompagner et valoriser les talents émergents du monde entier »123. France Télévision, a lancé l’année suivante, en octobre 2012, la plateforme Studio 4.0. – devenue en février 2015 Studio 4 –. Cette plateforme a entretemps été complétée par IRL – lancé en novembre 2015 – et France TV MCN. Enfin TF1, a fait le choix de créer des partenariats ou de prendre des participations dans des structures existantes – Finder Studio et Studio 71. Les structures liées aux chaînes de télévision ou aux sociétés de production occupent d’ailleurs une place de choix dans l’écosystème francophone, puisqu’à l’exception de quelques gros youtubeurs indépendants, les principaux créateurs sont soit adossés à leurs structures, soit à Mixicom, le leader français. Si tous ces acteurs sont présents, tous n’ont cependant pas la même stratégie. Pour Canal+ et Studio Bagel, la diffusion à la télévision reste un objectif central. En effet, avant même son rachat, Studio Bagel fournissait déjà à la chaîne une part significative de ses programmes courts. Suite à son rachat, la structure a été intégrée à Canal+, mais tout en restant une structure à part entière, dédiée notamment à la création web ou au brand content. Studio Bagel s’est également fondu dans la chaîne pour devenir son département Création digitale – qui lui-même dépend de la Direction de la création originale de Canal+. Les cadres de Studio Bagel assument d’ailleurs des fonctions équivalentes au sein du département Création digitale et de Studio Bagel. 123 http://download.pro.arte.tv/archives/presse/3544838.pdf (consulté le 20 octobre 2017). 83 Groupe TF1 MCN ou société de production – Finder Studio : structure créée par Makever, mais en partenariat avec TF1 publicité (la chaîne semble également en être actionnaire) – Studio 71 : participation de 6,1 % en janvier 2017 et lancement de Studio 71 France – IRL : lancé en novembre 2015 France – Studio 4.0 : lancé en octobre 2012 puis remplacé par Studio 4 Télévisions – Studio 4 : lancé en février 2015 – France TV MCN – Studio Bagel : lancé en novembre 2012, Canal+ en a acquis 60 % en mars 2014 (100 % aujourd’hui) Canal+ – Canalfactory : lancé en novembre 2013 – Maker Studios : participation de 5 % (en septembre 2013) revendue en avril 2014 Arte – Arte Creative : lancé en mars 2011, dédié à la création web et plus largement à toutes les créations contemporaines – Minutefacile : dédié aux tutoriels, lancé en 2012 – Golden Moustache : dédié à la l’humour, lancé en novembre 2012 – Rose Carpet : dédié à la beauté pour les 16-25ans, lancé en avril 2014 M6 – Cover Garden : dédié à la musique, lancé en novembre 2014 – NopainNogame : dédié à l’e-sport, lancé en juin 2015 – Vloggist : dédié à la beauté pour les 25-40ans, lancé en janvier 2016 – Dot move : dédié à la danse, lancé en janvier 2016 Le rôle de Studio Bagel au sein du groupe Canal peut sous certains aspects être envisagé comme celui d’un département de recherche et développement : le web permettant de faire émerger de potentiels futurs programmes – essentiellement des programmes courts – pour l’antenne. Ce processus a ainsi permis de faire émerger des programmes comme le format court anglophone What the fuck France, le programme court La Conf de presse du collectif Yes vous aime – ces derniers ont depuis développé un programme de prime time pour Comédie+, une autre chaîne du groupe Canal –, ou encore la série Le Département. À propos de ces derniers, Matthieu Marot, 84 Responsable du développement au sein de Studio Bagel et Canal+ explique ainsi : Matthieu Marot : On avait créé Le Département dans un premier temps sur YouTube et Canal+ se rendant compte du potentiel une fois que la saison été créé sur YouTube nous a commandé des épisodes pour Canal+ Intervieweur : Canal+ n’était pas dès le début… Matthieu Marot : Bah si tu veux c’est ça qui a été un peu marrant, en tout cas sur Le Département, c’est que nous au départ on savait qu’il y avait un potentiel télé, que sur le papier, c’est-à-dire à l’état de script, on l’a présenté à Arielle Saraco, qui est donc la directrice de la création originale à Canal. Elle, sur le papier, était pas convaincue du truc. Elle nous a dit ouais je sais pas… et nous on s’est donc servi de ce merveilleux outil qui est YouTube, qui est… en tout cas nous à Canal+ on le considère comme ça. YouTube, c’est notre laboratoire pour tester des formats qu’ensuite on va proposer à la télévision. Et donc c’est comme ça que… Arielle s’est rendu compte une fois qu’elle a vu ça sur YouTube, elle a dit ah oui en effet c’est cool et donc on va le faire sur Canal. … Ce schéma s’est reproduit pas mal de fois. Ce dernier décrit sa mission actuelle comme ceci : « détection de talent, détection de projets où on sent qu’il y a un vrai potentiel antenne, qu’on va potentiellement piloter et tester sur Internet, mais avec un vrai objectif derrière qui est d’arriver en télé ». Il ajoute toutefois que la diffusion web des programmes, même en cas de diffusion télé, reste selon lui essentielle. La relation entre Golden Moustache et M6 fonctionne différemment. Si la chaîne est la première des chaînes privées à s’être tant investie sur la création Internet, sa grille ne lui permet pas de laisser une grande place à ces programmes sur son antenne. Si Canal+ a en effet une grande culture du programme court et de nombreuses émissions susceptibles de les accueillir, M6 et ses autres chaînes ont bien moins de place réservée à ce type de 85 formats. Trois prime times ont certes été produits pour W9, mais le cœur de l’activité de Golden Moustache n’est pas de créer des contenus pour les chaînes du groupe. Golden Moustache, s’est ainsi progressivement développé comme une société de production de télévision – entre autres activités –, mais qui, à la différence des structures de Arte, Canal+ ou France Télévision, produit et vend également des programmes pour d’autres chaînes : Golden Moustache a ainsi produit Allons enfants !, un documentaire sur la jeunesse diffusé sur France 4, et Golden Moustache fait son cinéma diffusé sur Comédie+. Pour M6 comme pour Canal+, la majeure partie des contenus produits avec comme objectif une diffusion en télévision sont également diffusés sur Internet – le plus souvent après une période d’exclusivité pour la chaîne et son service de télévision de rattrapage. C’est notamment le cas des programmes produits par Studio Bagel pour Canal+, qui sont systématiquement diffusés sur les chaînes YouTube concernées – à l’exception du sketch show Le Tour du Bagel dont seuls les principaux sketchs sont rediffusés sur Internet. C’est également le cas des programmes produits par Golden Moustache pour les trois prime times sur W9, dont les sketchs ont ensuite été progressivement diffusés sur la chaîne YouTube de Golden Moustache. Cette logique d’incubation de talents ou de recherche et développement (R&D) peut être étendue aux sociétés de production audiovisuelle, nombreuses à s’être lancées dans l’aventure : Endemol Shine, Capa Prod., Air Production, Black Dynamite, Banijay Group, Troisième œil, Joji prod, Tout Sur l’Ecran productions, etc. EndemolShine Beyond124 par exemple, semble défendre certains de ses talents comme le ferait un producteur « traditionnel ». Dans le cas de la chaîne French Ball notamment, qu’ils ont lancée en partenariat avec le collectif Frenchnerd, leur démarche est ainsi de les accompagner dans la production et dans le développement de nouveaux 124 Il s’agit du département dédié à la création numérique d’Endemol Shine. Le département préexistait à la fusion entre Endemol et Shine Group sous le nom d’Endemol Beyond. 86 formats, mais aussi de rechercher des financements, des coproductions ou des diffuseurs. La websérie Rock macrabre, réalisée par François Descraques – figure de proue du collectif Frenchnerd – a par exemple été vendue à Studio 4 et coproduite par Endemol Beyond et IRL. En ce sens, Endemol ne s’éloigne donc pas trop fortement de son cœur de métier125. Pour les acteurs de l’audiovisuel public, ces plateformes et de façon plus large la diffusion en ligne, offrent également une opportunité nouvelle d’assurer leurs missions de service public. Pour France Télévision et Arte, il n’est en effet pas question de produire des contenus « monétisables », mais plutôt de produire des contenus innovants et d’accorder une place aux nouvelles écritures et à la nouvelle création. En ce sens, nous pouvons voir dans ces structures un moyen complémentaire pour ces groupes de répondre à leur mission de service public audiovisuel – il est d’ailleurs explicitement mentionné dans le cahier des charges de France Télévision que la société « veille à exploiter les possibilités offertes par la technologie numérique, en matière de format, de qualité d’image et de son, et de distribution et développe une offre de services de communication au public en ligne », mais également qu’elle « contribue au renouvellement des genres et à la diversité des formats : promotion de nouvelles écritures et de nouveaux talents, thèmes adaptés en permanence pour être en phase avec l’évolution de la société. »126 Les différentes entités « Internet » de France Télévision appartiennent d’ailleurs à la Direction des Nouvelles Écritures et du Transmédia. 125 Ce constat particulièrement valable pour la fiction peut devenir plus discutable pour d’autres genres de formats vidéo (beauté, le lifestyle, le gaming, etc) ; une différence sans doute due à la plus grande facilité qu’ont les contenus de fictions à s’insérer dans les grilles des chaînes, ainsi qu’aux plus grandes possibilités de valorisation publicitaire et de partenariat de ces autres contenus. 126 http://www.csa.fr/content/download/16051/304192/file/Cahier %20des %20 charges %20de %20la %20soci %C3 %A9t %C3 %A9 %20nationale %20de %20programme %20 France %20T %C3 %A9l %C3 %A9visions.pdf (Consulté le 20 octobre 20117). 87 Les contenus développés au sein de ces entités peuvent également être diffusés sur les antennes du groupe. Chez France Télévision ce fut notamment le cas sur France 4, puisque jusqu’à la récente réorientation de la chaîne, France 4 avait dédié une case aux contenus de la plateforme Studio 4.0 – il est d’ailleurs indiqué dans le cahier des charges de la chaîne que : « France 4 renforce son engagement en faveur de l’innovation et de la création par la mise à l’antenne de nouveaux formats. France 4 a également vocation à prendre les risques nécessaires aux avancées éditoriales de la société ». C’est désormais la chaîne France.info qui diffuse une partie de ces productions sous forme de « capsules ». La diffusion sur l’une comme l’autre des chaînes implique cependant de s’intégrer dans le flux et dans ses contraintes de grilles. Les formats atypiques ont ainsi de fortes chances d’en être exclus. C’est d’ailleurs le cas de la websérie Martin sexe faible ou du programme de vulgarisation des questions écologiques Professeur feuillage. Ces deux programmes, produits par IRL, sont parmi ceux rencontrant le plus de succès sur la plateforme Studio 4 ou sur sa chaîne YouTube, mais sont trop longs pour être diffusés à l’antenne parmi les capsules. Détachées des contraintes de grilles imposées par le flux – dans lequel sur une case horaire et sur une chaîne donnée, un programme se substituera nécessairement à un autre –, ces plateformes libèrent donc les chaînes d’un certain nombre de limites, sur la forme comme sur le contenu. Marie Auburtin (2016) a d’ailleurs montré que ces mêmes entités se saisissaient également des possibilités offertes par les plateformes de diffusion – au travers cette fois-ci de plateformes propriétaires : CultureBox pour France Télévision et Arte Concert – pour proposer une offre de captations de spectacles vivants plus riche et plus complexe. Faisant de ces plateformes « des laboratoires qui [leur] permettent […] d’expérimenter des formats et des contenus variés » (2016, p. 351), mais également « de rappeler et de renforcer leurs valeurs » (2016, p. 350) tout en respectant leurs obligations. Les chaînes de télévision ou les sociétés de production ne sont pas les seules à investir ce marché. Un grand nombre de structures y sont en effet déjà 88 engagées : des sociétés de production de film institutionnel, des groupes Internet, des labels musicaux et bien entendu des pures players et des indépendants – quelques youtubeurs ayant fait le choix de créer leur propre structure. Parmi les plus importants, citons : EndemolShine (EndemolShine Beyond), Disney (Maker Studios), Webedia (Mixicom et Melberries), Believe Digital (Believe Digital Studios) ou encore NRJ Group (Share Fraiche). 2.2.2. Des missions diverses Les MCN interviennent sur différents aspects. Ils ont notamment pour objectif de soutenir les carrières des artistes qui y sont affiliés et de veiller au respect de leurs intérêts – sur ce point leur périmètre d’intervention peut parfois se confondre avec celui d’un agent –, de s’assurer du respect des droits d’auteurs, de sécuriser et de développer les revenus publicitaires, ou encore de produire et de développer de nouveaux contenus originaux sur le web (Grünewald & Haupt, 2014). Accompagner la production et la monétisation Historiquement, l’une de leurs missions principales est de veiller au respect de la propriété intellectuelle et le cas échéant de négocier directement avec les ayants droit (Lobato, 2016, p. 4). Le premier MCN, Vevo, est ainsi créé en avril 2009 par YouTube et Universal Music Group127 et trouve son origine dans le conflit entre YouTube et les ayants droit. Il est censé répondre au souhait des majors de voir leur catalogue mieux protégé et mieux monétisé. Le projet est rejoint deux mois après son annonce par Sony Music128, puis 127 https://youtube.googleblog.com/2009/04/announcing-vevo-partnership-with.html. 128 https://www.sonymusic.com/sonymusic/vevo-and-sony-music-entertainment-joinforces-for-world-class-premium-online-music-video-service/. 89 par EMI la veille du lancement de la plateforme129. La quatrième major, Warner Music, ne rejoindra finalement le site qu’en août 2016130. Vevo est à la fois une plateforme autonome de diffusion de contenus vidéo musicaux131, une chaîne musicale YouTube132, et gère en plus les chaînes YouTube des artistes signés chez les majors impliquées133. Il a pour vocation de devenir un canal de diffusion du catalogue des majors, mais également d’augmenter la monétisation de leurs vidéos en attirant davantage d’annonceurs et en négociant de meilleures rémunérations. C’est d’ailleurs autour de ce dernier aspect que semble se développer la notion de MCN : YouTube permet en effet à Vevo de négocier directement avec les annonceurs la vente des espaces publicitaires dans et autour des vidéos (McIntosh, 2016), faisant ainsi de Vevo une régie publicitaire. La gestion des espaces publicitaires et de leur valorisation est ainsi devenue l’un des cœurs de métier des MCN. Ils agrègent, affilient ou gèrent des chaînes YouTube, et les accompagnent dans des domaines variés, allant de la production à la monétisation, en contrepartie d’un pourcentage sur leurs revenus publicitaires (Cunningham, Craig, & Silver, 2016, p. 2). Pour les youtubeurs de leurs réseaux, ces structures agissent donc en tant que régie publicitaire, en négociant directement avec les annonceurs la vente d’espace publicitaire, des partenariats, des placements de produits, etc. « To name a few instances: Beauty vloggers try to make a living out of YouTube’s advertising shares and the ‘YouTuber’ seems to become a recognized profession. 129 http://www.universalmusic.com/vevo-announces-agreement-with-emi-music/. 130 http://www.wmg.com/news/vevo-and-warner-music-group-announce-partnership-21561. 131 https://hq.vevo.com/. 132 https://www.youtube.com/vevo. 133 Le nom des chaînes se voit alors complété du nom de Vevo (ex : LadyGagaVevo). 90 Commercial entrepreneurs have founded multichannel networks (MCN) » (Grünewald & Haupt, 2014, p. 2). Les MCN peuvent également leur assurer un accompagnement d’un point de vue technique et artistique, en leur fournissant des moyens de production – matériel, studio, équipes techniques, des conseils ou en encore d’éventuelles formations. De manière plus globale, les MCN jouent également le rôle de structures de production. Néanmoins, leur rôle et les moyens attribués peuvent parfois significativement s’écarter des modèles en vigueur dans la création audiovisuelle traditionnelle. Les chaînes produites par des MCN disposent en effet souvent d’un budget global pour un nombre de vidéos défini pour une saison. Tout écart de budget sur une vidéo se répercute ainsi automatiquement sur celui des autres vidéos. Ce mode de financement serait également l’une des raisons des teasers et des bêtisiers : ces derniers permettraient à moindre coût de livrer deux vidéos supplémentaires et ainsi d’augmenter le budget global par vidéo en y transférant les sommes déjà provisionnées. De plus, afin d’optimiser les coûts, les tournages sont souvent regroupés sur une même journée et un même lieu et il n’est pas rare que trois ou quatre vidéos soient filmées en une seule journée. Ce système permet de réduire un certain nombre de frais (une seule régie, un seul jour de location pour le matériel), mais également de limiter les coûts de personnel ou dans le cas fréquent de participations bénévoles de limiter au maximum l’effort demandé. La régie publicitaire et la production de contenus de fiction, que ce soit pour Internet ou pour la télévision, ne sont cependant pas les seuls cœurs de métier des MCN. Un autre pan de l’activité de Studio Bagel, Golden Moustache, Mixicom ou EndemolShine Beyond concerne la production en sous-traitance et surtout le brand content. Le modèle économique de ces structures repose en effet en large partie sur le brand content – la création de contenus publicitaires. Ainsi, parmi les plus importantes structures de ce type, seules celles de France Télévision et d’Arte ne semblent pas y recourir. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si Mixicom, un ancien éditeur 91 de presse gratuite, est aujourd’hui le principal MCN français134. Racheté par le groupe Webedia en septembre 2015, il est initialement le seul indépendant des grands MCN français. Cette activité peut prendre différentes formes et se valorise de plusieurs façons. La première et la plus visible pour le grand public, consiste à faire une publicité avec un ou plusieurs talents maison. Cette publicité étant en général écrite et produite par les équipes du MCN. Dans ce cas de figure, il peut s’agir d’une publicité classique ou d’une vidéo que le client se chargera ensuite de diffuser en télévision, en ligne ou sur ses réseaux sociaux. Mais le partenariat peut également impliquer que le MCN le partage lui aussi sur ses réseaux sociaux, voire que la vidéo soit diffusée directement sur l’une de ses chaînes. Ce sont bien entendu des options supplémentaires, qui ont un coût : la communauté se valorise et ce n’est pas la même chose pour une marque visant un jeune public de faire une publicité avec Golden Moustache, Studio Bagel ou Cyprien, sans garantie qu’elle rencontre son public cible, que d’être diffusée directement par Golden Moustache, Studio Bagel ou Cyprien auprès de leur communauté. « La marque Studio Bagel elle se valorise. Si les clients veulent un truc Studio Bagel, si c’est brandé Studio Bagel, ça a un prix » (Entretien avec Vanessa Brias). Une autre forme, nettement moins visible pour le grand public, consiste pour le MCN à écrire et à tourner la publicité. Dans ce cas, le client vient d’une part chercher un type d’écriture particulier, mais également les moyens et le style de production. C’est justement sur ce point que se concentre la troisième forme : il arrive que les MCN ne prennent en charge que la production exécutive. Dans ce cas, ce sont le style visuel et les coûts de fabrication de ces équipes qui sont recherchés. Vanessa Brias, ancienne directrice de production à Studio Bagel l’explique ainsi : 134 Le groupe représente les trois principaux youtubeurs français (Cyprien, Norman et Squeezie) et 6 des 10 premières chaînes YouTube en France. 92 « Mais parce que si tu regardes ce qu’on faisait. Avec les montants, c’est fou. En fait nous, notre pôle, enfin moi mon pôle prod exé, ça se valorise de malade, c’est une production value de ouf. Parce qu’on a des putains de réals… Ludoc, Théo, qui ont une vision de malade, on a des putains de costumiers. Donc du coup, ils étaient là, “mais moi cette image je la veux”. Quand tu vois les pubs dégueulasses à la télé, ils étaient là “mais comment ils font ?” Nous on était là, une bande de 25 ans, 30 ans, comme ça, “nous on sait faire, regardez, on triche, un hélico on le fait dans un camion”, enfin tu vois… Donc ça, ça se valorise oui ! » (Entretien avec Vanessa Brias). Ces différentes activités, bien plus lucratives que le seul partage de revenus publicitaires proposé par les plateformes, semblent aujourd’hui faire partie du cœur de métier de la plupart des MCN. Des soutiens controversés Les MCN font l’objet d’un certain nombre de critiques. YouTube avertit d’ailleurs les créateurs de ce risque, en rappelant que « les réseaux multichaînes et les autres fournisseurs de services tiers ne sont en aucun cas approuvés par YouTube ou Google » et souligne – en gras sur la page – que « Rejoindre un réseau multichaîne n’est pas une démarche à prendre à la légère pour un créateur YouTube »135. Il semble en effet qu’un nombre conséquent de structures soit apparu suite à l’impulsion donnée par la plateforme. Or, la plateforme semblant adopter une logique assez proche de celle des magasins d’applications, en procédant à une validation quasi systématique de tout nouveau MCN136, n’évaluant éventuellement ces structures qu’a posteriori et en réaction à des plaintes. Il découlerait de cette situation un certain nombre d’abus commis par des structures malhonnêtes. 135 https://support.google.com/youtube/answer/2737059. 136 En pratique il s’agit d’un compte gérant plusieurs chaînes activable très simplement. 93 Plus largement, et au-delà des abus de ces structures, il est notamment reproché aux MCN une tendance à signer un trop grand nombre de chaînes137 sans nécessairement les accompagner (Lobato, 2016) ou plus largement – à l’instar de la plupart des financeurs ou des diffuseurs de productions audiovisuelles – une tendance à rationaliser avec excès l’activité des youtubeurs (Grünewald & Haupt, 2014). Sur Internet, les témoignages de youtubeurs déçus de leur MCN ne manquent pas. Cela semble notamment être le cas de certains de ceux ayant signé chez l’américain Machina, comme le rapporte un journaliste de Slate.fr138 citant les propos de deux youtubeurs – Simon Gosselin et Antoine Daniel – qui estiment que ce sont des « escrocs »139 et que leurs pratiques sont « un scandale »140. « Oui, je suis tombée dans le piège dans lequel tout le monde tombe, c’est Wizdéo qui te dit, “oui, on va t’aider à booster ta chaîne et tes vues, mais pour ça il faut que tu nous donnes ton argent” [rire] donc je touchais quasiment rien donc j’ai fait yeah ! Et j’ai signé avec eux pour deux ans ! Woah l’enfer… » (Entretien avec Marjorie Le Noan). Cependant, parmi les créateurs rencontrés la situation semblait bien moins conflictuelle – à l’exception notable d’un collectif créé de toute pièce par un nouveau MCN, et pour qui les écarts d’attentes et les exigences de la structure – habituée aux modes de fonctionnement de la télévision – ont 137 Par signer des chaînes nous évoquons le fait de signer des contrats de partenariats avec des créateurs dans l’objectif de les affilier à leur régie publicitaire et d’appliquer une retenue sur chaque transaction publicitaire – que le MCN en soient ou non à l’origine. Les plus puissants d’entre eux peuvent ainsi administrer plusieurs milliers de chaînes (Grünewald & Haupt, 2014). 138 http://www.slate.fr/story/115203/mcn-groupes-youtubeurs. 139 https://twitter.com/ChubbyCoon/status/765959772902416385. 140 https://twitter.com/MrAntoineDaniel/status/765981984330055680. 94 mené à une situation relativement délicate. Ainsi, si certains confessent avoir changé de MCN, car la relation ne fonctionnait pas et que la structure en question ne leur apportait pas grand-chose, cela semble être dû moins à des comportements abusifs qu’à des différences de projet ou à des questions financières (au sujet du budget alloué à la réalisation de vidéo, de leur rémunération). Un second hiatus est d’ailleurs en lien avec la précarité de leur statut. D’une part – et c’est là encore surtout vrai pour ceux appartenant à des collectifs –, la relation de travail entre youtubeur et MCN peut être relativement discontinue. Pour la majeure partie des créateurs rencontrés, la relation avec le MCN n’est pas celle entre un créateur et sa régie – les deux partageant alors les revenus publicitaires selon un pourcentage défini contractuellement –, mais plutôt celle entre un producteur et des travailleurs culturels – le youtubeur étant alors simplement employé ou non pour chacun des projets de vidéo. Étant payé en droits d’auteur ou en cachet d’interprète, un youtubeur dont les projets de vidéos ne seraient pas choisis pendant un certain temps, ou qui ne serait pas lui-même casté comme acteur pour les autres vidéos de la chaîne, verrait ses revenus diminuer drastiquement. Or, bien souvent, rien ne le lie contractuellement à cet employeur et rien ne garantit donc que la situation évoluera. Même dans le cas où la chaîne est plus directement liée aux créateurs et où ceux-ci sont et seront nécessairement partie prenante de tous projets, la question de la précarité se pose. Il est en effet reproché au MCN, quand ils endossent un rôle de production, de ne pas assez investir dans la création. C’est notamment le cas de la chaîne Inernet, qui a un temps travaillé avec d’Endemol Beyond pour finalement partir au Studio Bagel. Ils expliquent que c’est Endemol qui les a poussés à développer de nouvelles choses et à tester de nouveaux formats, mais que le problème de cette collaboration était financier. Ils les ont rencontrés par leur agent – Daphné Thavaud, qui représentait alors deux des talents de cette chaîne – qui a montré à Endemol leur travail : 95 « Leur directeur artistique a vu ça et leur a dit, c’est génial… c’est une grosse niche, mais vous avez un univers génial, il faut qu’on essaie de faire un truc. Nous on peut essayer de vous aider. Je pense qu’il faut que vous développiez d’autres choses, il faut que vous sortiez du studio. C’est eux qui nous ont poussés à faire ça, on l’avait déjà un peu en tête, mais… Ils nous ont un peu poussés à le faire. Et donc du coup… Ils nous payaient pas, mais ils nous donnaient les moyens ! Notamment ce teaser-là qui a nécessité quand même pas mal de moyens. C’était des moyens matériels grâce à eux, on n’aurait pas pu le faire sans eux. Et après… oui des moyens de régie et de logistique, même si très rapidement ils se sont rendu compte que sans argent concret, ils ne pouvaient pas nous aider plus que ça. Parce qu’ils disaient oui, on aura de l’argent pour la régie, pour s’occuper de la logistique de prod tout ça, très vite ils se sont rendu compte qu’on travaillait de manière professionnelle et que c’était pas une cam et un mec […] et qu’en fait c’était plus compliqué que ça. Donc très vite on s’est retrouvé un peu tout seul à gérer les choses donc… bon c’était déjà quelque chose qu’on faisait depuis un moment donc on s’en foutait à moitié… c’était juste un peu dur parce que bon, on n’avait plus 20 ans… » (Entretien avec Matthias Girgbig). Cette collaboration a cependant mené Inernet à se réinventer, et la plupart de leurs formats actuels sont nés à ce moment-là : « Donc c’est quand même grâce à eux, dans leur bureau et dans cette idée qu’on avait que ces moyens à disposition qu’on a développé ces sketchs-là [n’ayant pas de studio de tournage, Endemol leur a proposé d’exploiter un étage inoccupé de bureaux dans leurs locaux]. Il y avait le truc du pressing, que j’avais en tête depuis un moment, et qu’on a fait dans un pressing comme ça à l’arrache. Trois heures de tournage ! Et cet autre sketch, qui s’appelle La jungle, qui était aussi dans un bureau, donc chez Endemol aussi. Et ah oui les TAC, les “Tout à coup”, qui était à la base une demande d’Endemol de se dire, bah parmi les sketchs que vous faites, essayez de réfléchir à un format qu’on puisse vendre à la télé. Un programme court, un peu un truc genre… caméra fixe, un truc simple qu’on puisse en tourner plein dans une journée. Et 96 donc on s’est dit, il y a des bureaux, on a réfléchi un peu au début à… on avait ce truc en tête depuis un moment d’un truc… c’était pas tout à coup, c’était quand soudain… où on se disait, une situation basique et là d’un coup, un polichinelle qui sort, et là d’un coup un autre truc… on a commencé à avoir plein d’idées comme ça, et là est né “Tout à coup” et notamment “Tout à coup au bureau” parce qu’on avait tous ces bureaux à disposition. Et de là est parti cette envie de se dire bah voilà on a un peu cet univers… je fais un peu un bond dans le temps là. On avait fait quand même pas mal de sketchs dans les bureaux et on s’est dit, il pourrait y avoir une série qui se passe… enfin tous les sketchs qu’on a faits dans les bureaux, potentiellement ça pourrait être la même entreprise, une entreprise de dingue, mais la même ! Et donc on s’est dit, plus tard donc, là on était plus chez Endemol, si on fait une web-série, c’est une web-série dans laquelle… et puis entre-temps, le stagiaire [un sketch tourné dans ces bureaux] a énormément marché et donc a pris ce filon-là. » (Entretien avec Matthias Girgbig). Faciliter les pratiques collaboratives Les MCN jouent également un rôle actif dans les pratiques collaboratives des youtubeurs. Afin d’augmenter le nombre d’abonnés et de vues – et donc les revenus publicitaires – ils ont en effet tout intérêt à encourager et à organiser les collaborations, dans l’espoir de faire profiter les youtubeurs de la visibilité et de la reconnaissance de leurs pairs141. Ils incitent donc activement leurs youtubeurs à s’inviter mutuellement dans leurs vidéos, à se parodier, à se citer, etc. Pour Grünewald et Haupt : « MCNs thus empower YouTubers in their social, cultural and economic value creating activities through the rationalization of cultural and social networking and through at the same time accumulate and foster YouTubers cultural and social 141 Cet aspect sera plus largement abordé dans la suite de cet ouvrage. 97 capital leading to more gains in attention and thus accumulation of economic capital. » (2014, p. 15). Ils sont également à l’origine de certains collectifs, castant des youtubeurs ou des artistes pas encore actifs sur ces plateformes142. C’est notamment le cas du collectif The Station 143 créé par Maker Studios en 2009144 et qui rassemble à son lancement neuf des plus célèbres youtubeurs aux États-Unis ou de Cover Garden créé par le groupe M6 en 2014145. Nous retrouvons aussi ce cas à plusieurs reprises dans notre corpus – sans même nous attarder sur le cas de Studio Bagel et de Golden Moustache, qui sont en quelque sorte des collectifs nés de la volonté de MCN. C’est notamment le cas du collectif Good Monique, né de la volonté de la plupart des MCN de créer « une chaîne de filles », et finalement mise en place par Finder Studios146. « C’était par le biais de Daphné [Thavaud] qu’il y a eu le projet Finder Studio. Elle m’a dit il y a des mecs, une prod… à la base c’était une prod télé, mais maintenant ils veulent faire du web. Ils veulent monter un groupe de meufs, est-ce que ça t’intéresse ? Va au rendez-vous, vois si ça t’intéresse… et j’y suis allée. À l’époque tout le monde voulait faire une chaîne de meufs, c’était le grand truc tu vois. » (Entretien avec Marjorie Le Noan). Autre exemple, le lancement de chaînes anglophones, avec notamment Funny Bones lancée en 2016 par Studio Bagel. Cette chaîne, montée à l’initiative de Studio Bagel sous l’égide de David Azencot, n’a cependant pas rencontré de 142 Il peut par exemple s’agir de comédiens ou d’auteurs de télévision. 143 https://www.youtube.com/user/TheStation. 144 http://willvideoforfood.com/2009/09/07/top-youtube-stars-convene-the-station-amodern-brat-pack-and-youtube-youtopia/. 145 http://www.cbnews.fr/digital/une-nouvelle-chaine-youtube-pour-m6-a1016188. 146 https://www.meltybuzz.fr/good-monique-quand-on-s-est-rencontrees-ca-a-faitboom-exclu-a351295.html. 98 réel succès. Suite au buzz de la vidéo La bise de Paul Taylor – l’un des auteurs et comédiens de Funny Bone –, elle s’est d’ailleurs finalement recentrée sur Paul Taylor et est devenue What the fuck France. Le lancement de chaînes thématiques est en lien direct avec les stratégies publicitaires : il s’agit de créer un nouveau format et une nouvelle communauté susceptibles d’être compatibles avec davantage de marques et d’opérations. C’est ainsi, par exemple, que Studio Bagel a lancé la chaîne dédiée au sport La biscotte, une dédiée au jeu vidéo, Studio Gaming, ou encore une chaîne cinéma, Studio Movie : « C’est la création d’une nouvelle chaîne, d’une nouvelle marque. D’un nouveau territoire qu’on explore avec le Bagel, qui était donc le cinéma. Avec une vraie logique au départ de faire des opérations spéciales avec des distributeurs. De faire des vidéos un peu brand content. Et donc une logique, une vraie logique de chaîne YouTube, c’est-à-dire une trentaine de vidéos par saison, en format sketch, 3 à 5 minutes. » (Entretien avec Matthieu Marot). Pour faciliter les stratégies de valorisation, plusieurs créateurs nous ont confié s’être vus imposer la présence de guests dans leur vidéo de lancement ou plus généralement dans leur format. Contrairement à ce que nous aurions pu penser, ces invitations à la collaboration ne se limitent pas aux créateurs qui feraient partie de la même structure. D’une part, car de telles pratiques semblent consubstantielles de l’activité des youtubeurs. Le plus souvent, l’absence de relation contractuelle entre les youtubeurs et les MCN ne permet d’ailleurs pas aux MCN d’exiger une quelconque exclusivité – de telles clauses sont apparemment rares et coûteuses et les youtubeurs sont davantage payés au coup par coup. D’autre part, même si plusieurs personnes nous confessent que ces aventures en dehors des écuries n’ont pas forcément toujours été appréciées – « forcement, c’est-à-dire, il ne faut pas non plus trop abuser sur le truc » –, surtout au début – « si au début, si », de nombreux youtubeurs – et de nombreux cadres de ces structures, eux-mêmes issus de cette communauté 99 – ont entamé cette logique de collaboration avant l’essor des MCN et n’entendent pas arrêter : « Nous on s’en fout complètement, parce qu’en fait on a existé avant que eux arrivent. Donc c’est pas [eux] qui allaient changer le fait qu’on se connaissait depuis plusieurs années, pour certains depuis 15 ans et d’autres depuis 2, 3 ans. Donc en fait Internet on est toujours partis du principe que ça nous appartient, c’est pas eux. C’est-à-dire que nous on l’a créé, on a rendu le truc visible et eux ils sont venus, ils se sont dit “ah putain ça marche, on va investir”. Oui d’accord, mais nous avant on était producteur-diffuseur, on avait besoin de personne, donc vous vous êtes venus, on a nos codes, on est potes, donc en fait si on veut jouer dans les vidéos des uns et des autres on le fera. Ou alors payez des exclus de malades mentales, mais il y en pas, donc je vois pas pourquoi on ne jouerait pas dans les vidéos des uns et des autres. » Pour les MCN, la collaboration serait d’ailleurs plutôt profitable. Tout d’abord, car elle leur permet à eux aussi de faire appel à des talents extérieurs à leurs écuries. Ainsi, de nombreux talents de Golden Moustache sont par ailleurs auteurs pour Studio Bagel. Elles permettent également à chacun de profiter de la visibilité des autres et donc de faire grandir la communauté. Enfin, cette économie est encore jeune et peu rassurante pour les investisseurs extérieurs, et les échecs ne sont sans doute souhaitables pour personne. Un bon exemple de cet intérêt commun est sans doute le cas du film Le Manoir, premier vrai film de youtubeurs, au succès attendu par l’écosystème YouTube français. Les créateurs, comme les MCN, souhaitaient en effet tous la réussite de ce projet et étaient nombreux à le promouvoir147. 147 Le film en question n’a cependant pas rencontré le succès escompté, se limitant lors de son exploitation en salle à 218 683 entrées (http://www.jpbox-office.com/fichfilm.php?id=17199). 100 2.3. Un vivier de talents et d’audience pour les industries culturelles L’ensemble des industries culturelles manifeste son intérêt pour les youtubeurs et les passages des créateurs comme des contenus entre les univers sont fréquents. Pour les acteurs historiques de ces industries, la communauté des youtubeurs est devenue un moyen efficace de repérer et de développer des talents ou d’accroître l’audience des programmes. Le secteur de l’édition s’est notamment emparé assez tôt du phénomène. Si le récent succès du livre de la youtubeuse Natoo, vendu à plus de 100 000 exemplaires148, a mis en lumière et sans doute accéléré cette tendance, le phénomène est plus ancien149 et concerne aujourd’hui un nombre significatif de youtubeurs célèbres : ainsi début 2017, parmi les 10 premiers youtubeurs, 7 ont écrit – ou coécrit – au moins un livre. Plusieurs youtubeurs rencontrés nous ont d’ailleurs confié en écrire un, et un nous a expliqué que c’est son MCN qui lui a fait savoir que s’il souhaitait écrire un livre, ils pouvaient le mettre en contact avec un éditeur. L’univers des jeux vidéo tend quant à lui à se rapprocher des youtubeurs afin de renforcer la promotion de jeux. Il s’agit surtout pour les acteurs de cette industrie d’inciter les youtubeurs les plus célèbres à faire des vidéos dédiées à leur production – des vidéos de session de jeu, des critiques, des parodies, etc. Enfin, comme nous avons déjà pu le voir dans la partie précédente, il existe un lien fort et réciproque entre ces vidéastes et l’univers du spectacle vivant ; il est en plus indéniable que les gros producteurs s’intéressent à ces nouveaux 148 https://www.actualitte.com/article/monde-edition/blogueurs-et-youtubeursprennent-la-plume/65552 (consulté le 7 juillet 2016). 149 Dès 2015 EnjoyPhoenix sortait son autobiographie et la première bande dessinée sur Le Joueur du Grenier date de 2012. 101 talents. C’est par exemple le cas de Kader Aoun, l’un des principaux producteurs de one man show français qui a repéré Norman et a travaillé avec lui afin de développer son one man show. C’est également le cas, avec une logique sans doute plus éphémère, des organisateurs d’évènement type Zapping Amazing150. Les liens avec l’industrie audiovisuelle sont tout particulièrement étroits et les contenus circulent entre les univers. D’une part puisque des productions initialement destinées à la télévision ou au cinéma rencontrent un réel succès sur le net. Nous pourrions notamment citer les courts-métrages diffusés en festival avant d’être mis en ligne, nombreux sur les chaînes des créateurs rencontrés. Certaines séries diffusées à la télévision proposent également et en complément des web-séries. C’est notamment le cas de Fais pas ci, Fais pas ça – Quand les parents sont pas là !, diffusé sur la plateforme Studio 4 entre les saisons 5 et 6. La série Hero Corp a, elle, connu trois extensions web avec Les Survivants – diffusée entre les saisons 2 et 3 –, Les Prémonitions de Kyle – diffusée en parallèle de la saison 3 – et enfin La voie de Klaus qui assurait la transition entre les saisons 3 et 4. Enfin, nous pouvons citer le cas des diffusions de programme de télévision sur les plateformes d’hébergement de vidéo ou au sein des plateformes de télévision de rattrapage des chaînes. Certains programmes y rencontrent en effet une audience plus que conséquente. Plusieurs créateurs rencontrés dont les programmes étaient diffusés à la fois en antenne et en ligne semblent même estimer que leurs programmes sont essentiellement regardés en ligne. Les créateurs de la série Bref (Navo et Kyan Khohandi) ont d’ailleurs, dès le début de leur collaboration avec Canal+, insisté pour avoir le droit de diffuser les rediffusions des épisodes sur leur page Facebook. Pour leurs séries suivantes – Bloqués et Serge le Mytho –, la diffusion sur YouTube des épisodes a même été « une condition sine qua none » du projet. 150 http://www.zappingamazing.com/. 102 À l’inverse, un certain nombre de contenus initialement créés pour Internet sont ensuite diffusés à la télévision ou au cinéma. Les plateformes d’hébergement de contenus sont en effet rapidement devenues « the Home Depots of the television industry. » (Van Dijck, 2007, p. 6) une sorte d’espace de fourniture de matériaux bruts que les chaînes pourraient réemployer et valoriser. Ce phénomène constaté par Van Dijck dès 2007, semble 10 ans plus tard avoir connu une accélération notable, et l’implication des structures de production ou des collectifs de vidéastes n’est en définitive qu’un pas supplémentaire dans leur imbrication avec les youtubeurs. L’industrie télévisuelle semble ainsi avoir désormais fait de ces plateformes une pépinière dans laquelle elle développerait de nouveaux talents et de nouveaux formats. Il s’agit pour elle de laisser incuber un certain nombre de créateurs estimés prometteurs, de tester des formats, de diffuser ou de racheter certaines vidéos à succès (Cailler, 2011) ou encore de recruter leur créateur. Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de voir le grand nombre de youtubeurs devenus chroniqueurs dans des émissions ou plus récemment la diffusion par TF1 à l’été 2017 de la série Presque adulte, interprétée par trois des plus célèbres youtubeurs français – Norman, Cyprien et Natoo – et coécrite par deux autres youtubeurs – Julien Josselin et Flober. Un certain nombre de nombre de programmes sont également rachetés par des chaînes de télévision : c’est notamment le cas de La Ferme Jérôme qui fut déclinée dès 2012 sur MTV, ou plus récemment de Cocovoit repris par la chaîne Comédie+ et de la série Le Département de Inernet diffusé sur Canal+ – mais la liste est ici loin d’être exhaustive. Des films ou des séries produites pour le web ont également connu des diffusions en cinéma. C’est par exemple le cas de la plupart des séries du collectif Frenchnerd – Le visiteur du Futur ou La théorie des balls notamment – dont les saisons ont été diffusées lors de soirées évènement, du film des Suricate, Les dissociés, diffusé lors d’une tournée d’avant-première au travers du pays, ou encore plus récemment de la série audio de Cyprien, L’épopée temporelle, dont le dernier épisode a été présenté au Forum des images lors d’une soirée évènementielle. Mais ce sont surtout les youtubeurs qui se tournent vers le cinéma. Ainsi, dès 2012, le youtubeur Norman interprétait 103 le rôle principal du film Pas très normal activité de Maurice Barthélémy. En mars 2017, huit des dix premiers youtubeurs français151 avaient joué dans des films ou participé à des doublages. Le film Le Manoir est sans doute un signe encore plus fort de cet intérêt. Le film sorti sur les écrans le 21 juin 2017 et produit par Gaumont est en effet fortement identifié comme un film de youtubeurs. Il est ainsi écrit par le youtubeur Kemar et les rôles principaux y sont interprétés principalement par des youtubeurs ou des acteurs en lien avec cet écosystème152 : Kemar (près de 1,2 million d’abonnés sur sa chaîne), Natoo (plus de 3 millions d’abonnés sur sa chaîne), Mister V (plus de 3,7 millions d’abonnés sur sa chaîne), Ludovik (plus actif sur Facebook il a près de 1,5 million de fans), Jérôme Niel (près de 1,2 million d’abonnés sur sa chaîne) Vincent Tirel (membre du collectif Suricate qui a plus de 500 000 fans sur Facebook), Vanessa Guide, Lila Lacombe, Baptiste Lorber (qui a plus de 800 000 abonnés sur sa chaîne Bapt et Gaël et près de 500 000 sur sa chaîne 10mn à perdre) et Delphine Baril. Signe de l’intérêt du 7e art pour cet univers, le Centre National du Cinéma, a lancé en juin 2016 le projet et la chaîne CNC talent, destinés à valoriser et à soutenir la création culturelle sur ces plateformes153. Ce projet consiste d’une part à financer via des appels à projets des productions de talents du web – productions ensuite diffusées sur la chaîne CNC talent –, d’autre part à créer des liens entre le monde du cinéma et la sphère des youtubeurs. Il s’agit dès lors de profiter de la visibilité des youtubeurs pour mettre en avant le cinéma ou des films récents, via des « entrevues » entre un youtubeur et des acteurs ou des réalisateurs154, des « après-séances » – un ou des youtubeurs reviennent sur un film et donnent leur avis155, des vidéos plus didactiques – « apprends151 Pour ce chiffre comme pour les suivants nous nous appuyons sur les données d’Influence Panel http://www.influencepanel.com/ (consulté le 12 mars 2017). 152 http://www.madmoizelle.com/le-manoir-film-755749. 153 http://www.cnc.fr/web/fr/dernieres-actualites/-/liste/18/9629264 (consulté le 7 juillet 2016). 154 https://www.youtube.com/playlist?list=PLzJKFhCcO10jGoVULIwOPIXr3r20DPCCi. 155 https://www.youtube.com/playlist?list=PLzJKFhCcO10gxudmH6v1EkcCw0RjBlcqP. 104 moi » – au travers desquelles un youtubeur explique des aspects historiques, techniques ou artistiques du cinéma156, ou encore de vidéos « coulisses » dans lesquelles un youtubeur se promène dans les coulisses de grands évènements dédiés au cinéma157 – le Festival de Cannes par exemple. En octobre 2017, le CNC a lancé un fonds d’aide aux créateurs vidéo sur Internet (voir encadré). Il s’appuie sur la récente modification de l’article 1609 sexdecies B du code général des impôts, qui étend désormais la taxe sur la vente et la location de vidéogramme à la diffusion en ligne de l’ensemble des opérateurs proposant des services en France, à titre onéreux ou gratuit, (CGI, 2017). Le fonds en question est, selon le CNC, « dédié aux projets d’expression originale française en première diffusion gratuite sur Internet. »158 Il se compose de deux aides distinctes. La première est une aide à la création, ouverte à tous créateurs de vidéos ayant plus de 10 000 abonnés ou ayant obtenu au cours des 5 dernières années un prix dans un des 50 festivals reconnus par le CNC. Plafonnée à 30 000 €, cette aide « vise à permettre aux créateurs vidéo un saut créatif qualitatif de leurs contenus, en leur donnant les moyens de leurs ambitions » et concerne tous « projets d’œuvres d’expression originale française […] avec un travail de scénarisation. »159 La seconde est quant à elle une aide à la structuration et s’adresse plus spécifiquement à des personnes morales – association ou entreprise. Cette aide d’un montant maximal de 50 000 € est destinée à la création ou au développement de chaîne « diffusant des vidéos d’expression originale française d’intérêt artistique et culturel de tous genres (fiction, documentaire, docu-fiction, vlog, tutoriels, podcast…), avec une valorisation du travail d’écriture et une intensité 156 https://www.youtube.com/playlist?list=PLzJKFhCcO10gDWHYGeqN7gkuwcqox2mxN. 157 https://www.youtube.com/playlist?list=PLzJKFhCcO10jR6F98RJf7ge7S42YbBeAK. 158 http://www.cnc.fr/web/fr/cnc-talent. 159 http://www.cnc.fr/web/fr/aide-a-la-creation 105 du besoin en moyens techniques. »160 Ce fonds manifeste la volonté du CNC de prendre en compte la création numérique et traduit une volonté de « faire du YouTube français le plus beau YouTube du monde »161. Le rôle du CNC dans l’accompagnement des nouvelles formes de création « En quelques années, le numérique a changé en profondeur nos vies et révolutionné notre rapport aux œuvres. De nouvelles plateformes sont apparues, comme YouTube, qui est devenu un espace de création et de production à part entière avec ses codes esthétiques, ses règles sociales, ses conduites économiques et ses créateurs. Mais il fallait adapter notre modèle de financement de la création, inventé il y a plus de 70 ans, à l’univers numérique. A chaque révolution technologique, la force du CNC a toujours été de se réinventer et d’intégrer les nouveaux diffuseurs – télévisions, vidéo, fournisseurs d’accès à Internet – pour qu’ils ne détruisent pas notre modèle, mais au contraire, le renforcent et contribuent au développement de la création. L’enjeu est immense : bâtir le CNC du XXIe siècle qui prenne la mesure de la révolution numérique, dans toutes ses dimensions. Nous nous sommes battus en France et auprès de la Commission européenne pour que les nouveaux acteurs, les plateformes numériques, soient intégrés dans l’exception culturelle et contribuent, comme tous les diffuseurs, au financement de la création. Ce combat pour la taxe dite « YouTube », je l’ai mené au nom de la création, car c’est sur ces plateformes que fleurissent aujourd’hui les nouvelles écritures et les talents de demain. Une nouvelle génération a inventé un langage qui lui est propre sur Internet et qui génère des centaines de millions de vues. Il fallait la reconnaître, la soutenir, l’accompagner. En octobre 2017, nous avons lancé le premier fonds totalement dédié à la jeune création numérique pour soutenir tous les vidéastes du web, youtubers, vidéo créateurs, encourager la qualité de leurs projets et accompagner leur professionnalisation. Car qui sait si ce n’est pas là, sur Internet, que naîtront les Truffaut, les Godard, ou les Fellini de demain ? Le CNC est là pleinement dans son rôle historique : accompagner les avantgardes artistiques, l’émergence libre de nouvelles écritures et de nouveaux talents ». Propos recueillis auprès de Frédérique Bredin, Présidente du CNC, mars 2018 160 http://www.cnc.fr/web/fr/aide-aux-chaines-numeriques 161 Citation de Julien Neutres, le Directeur de la création, des territoires et des publics du CNC, durant la conférence de presse de présentation du fonds (le 3 octobre 2017). 106 -3Communautés et réseaux : un monde de l’art à l’ère numérique Ayant assisté à certains meetups de youtubeurs, Lange explique que ce mode de fonctionnement, tel qu’elle a pu l’observer et tel que les participants lui ont décrit, serait en réalité un monde de l’art. Un système dans lequel des groupes ou des réseaux de personnes échangent et collaborent pour produire de l’art, le promouvoir – en mettant en avant certains contenus de leurs pairs – et le diffuser. Ce fonctionnement n’est évidemment pas propre à YouTube : « In this sense, the art world, or ‘media world’ of advanced amateur or ‘proteur’ video maker makers may use YouTube to engage in a different genre of participation than would be found in other artistic genres and mediated social networks. » (Lange, 2008, p. 99). Conceptualisée par Becker au cours des années 70 avant d’être consacrée dans son ouvrage Art Worlds162 en 1984, la notion de monde de l’art analyse la production artistique comme une activité fondamentalement collective, s’organisant autour d’un réseau structuré d’acteurs interagissants et coopérants dans un objectif commun –conscient ou non – de création. Toute activité artistique aurait ainsi une dimension collective et impliquerait pour sa création, sa diffusion, et même sa réception, la coopération d’un grand nombre d’acteurs. Pour l’auteur qui, comme le souligne Benghozi, « donne une définition volontairement imprécise de ces mondes de l’art » (1990, p. 133), la notion même de création artistique est ouverte. L’auteur suggère ainsi de s’intéresser, non pas à l’art pour ensuite définir ceux qui collabore à sa production, mais 162 Ouvrage traduit en français en 2010 sous le titre Les Mondes de l’art. 107 plutôt de s’intéresser à des groupes « who cooperate to produce things that they, at least, call art » (Becker, 1976, p. 704). Il y aurait donc un monde de l’art partout où des personnes collaborent à la création d’un objet qu’ils considèrent comme artistique. En ce sens, l’écosystème de la création vidéo en ligne constitue sans conteste un monde de l’art. Une multitude de travaux aborde la question des mondes de l’art. Nous en mentionnons trois, qui, par certains de leurs aspects, éclairent notre objet d’étude : l’art contemporain en Tunisie, les débuts de la radio et la télévision amateur aux États-Unis, et le monde du rap français. Dans leurs travaux sur la scène de l’art contemporain en Tunisie, Wafa Gabsi et Ilham Boumankhar, mettent ainsi en lumière les pratiques de collaboration des artistes. Les auteurs mettent en lumière la façon dont ces manières de faire permettent aux artistes de gagner en visibilité ou d’élargir leur réseau. Mais ces pratiques de collaboration offrent également aux artistes des possibilités « de confronter [leur] travail à la diversité des regards, de s’exposer à la critique et à la médiation » (2011, p. 5). Jose Van Dijk, s’appuyant sur les travaux de Susan Douglas (2004) et de Brian Winston (1998), fait lui un parallèle entre l’évolution de YouTube et les débuts de la radio amateur aux États-Unis. Il rappelle que, bien plus que sur de simples groupes de bidouilleurs équipés et prédisposés, c’est sur une vraie communauté d’usagers, – une communauté ayant développé un langage, des rituels, des règles qui lui étaient propres – que s’est appuyé cet essor et cette prise en compte des pratiques amateurs. Selon l’auteur, ces pratiques de collaboration et la constitution de réseaux de participants, permettraient de passer de la disponibilité d’une technologie de production et de diffusion accessible, à un changement institutionnel et, dans le cas de YouTube à la mise en place d’un système audiovisuel bidirectionnel (Van Dijck, 2007). 108 Enfin, c’est au travers du rap français et de la pratique du featuring163 que Karim Hammou aborde les pratiques collaboratives. Cette pratique serait, plus qu’une trace d’interconnaissance – toutes les rencontres ne menant pas à une collaboration –, une marque de reconnaissance, le « signe d’un jugement de valeur entre artistes » (2010, p. 6). Il montre ainsi que les raisons économiques ne seraient pas au cœur de cette pratique – elles seraient même euphémisées –, quand, à l’inverse, « le respect et l’honneur accordés au partenaire » seraient mis en avant (2010, p. 6). Cette collaboration correspondrait dès lors à un échange de biens symboliques et son économie relèverait majoritairement de celle du don. Il s’agirait d’une relation doublement orientée, dans laquelle l’artiste hôte marquerait une reconnaissance artistique vis-à-vis de l’artiste invité, quand l’artiste invité accorderait à son hôte une reconnaissance de statut, une « authentification professionnelle » (2010, p. 8). Ces pratiques permettraient ainsi de mesurer « la grandeur artistique en un temps donné » : celle-ci pouvant être envisagée comme l’association « des invitations que lui ont fait d’autres artistes et qu’il a acceptées (reconnaissance artistique directe), et l’ensemble des invitations qui ont été faites à ces artistes qui l’ont reconnu artistiquement (reconnaissance artistique indirecte). » (2010, p. 8). Ces différents résultats nous semblent pouvoir être transposés à la création sur YouTube et permettent de mettre en lumière les pratiques de collaboration dans cet écosystème. En effet, si sur YouTube les parcours des créateurs, leurs motivations ou encore leurs voies d’accès à la création de vidéos en ligne, sont variés et nombreux, l’importance de la communauté et du réseau dans les carrières, et leur caractère structurant, sont à l’inverse des traits uniformément partagés. 163 Cette pratique particulièrement représentée dans le mouvement Hip Hop (et qui s’est depuis étendue à de nombreux autres genres musicaux) est décrite par Hammou comme « l’invitation faite par un artiste à un autre artiste de participer à l’une de ses chansons. » (2010, p. 2). 109 3.1. L’importance des rencontres et de la sociabilité Il est frappant de constater l’importante sociabilité des créateurs rencontrés. Ils ont d’importants cercles relationnels et une tendance à développer facilement des contacts. Leur activité de créateur, qu’elle soit en ligne ou hors ligne, repose d’ailleurs de manière générale sur des rencontres nombreuses, des amitiés tissées et des relations soutenues. Pour Lucien Maine, qui a rejoint Golden Moustache sur l’invitation de son ami Navo, les amitiés et les affinités jouent ainsi un rôle essentiel : Lucien Maine : Chloé commence à bosser un peu en prod avec les gens de Madmoizelle, parce qu’ils avaient repérés, parce que Madmoizelle a des défauts, mais Madmoizelle est très fort pour repérer les gens de talents. Et ils avaient repéré Marion et Natoo, qui à la base devaient faire des vidéos toutes les deux pour Madmoizelle. Natoo elle était au tout début de sa chaîne, Marion aussi… je crois qu’elle était encore flic à l’époque. Et elles galéraient un peu toutes les deux, elles avaient pas trop d’idées, elles arrivaient pas à trouver leur ton, c’était un peu galère. Donc ça traîne, ça traîne, ça traîne. Mais au final, Marion a l’idée de faire Mad Giver. Elle le propose, elle fait une première vidéo, enfin elle écrit une première vidéo. Et elle a besoin d’un mec (rire) bien gaulé et qu’à pas peur d’être en slop. Et Chloé, qui est ma meilleure pote, avec qui on part en vacances et tout… Enfin, elle sait comment je suis foutu, et elle sait que je m’en branle de montrer mon cul. Elle m’appelle en me disant “ah on aurait besoin de quelqu’un, toi ça pourrait te faire marrer ? ” “bah oui carrément !”, “bah vas-y go !” Et donc voilà ça s’est fait vraiment… “bon bah on tourne après-demain !” Intervieweur : Et donc ça, c’est après Golden Moustache ? Lucien Maine : Non, c’était un peu avant. Un tout petit peu avant je crois. Mais genre 6 mois avant ! Tout s’est [il fait un bruit d’explosion]… Tout s’est précipité un peu vite, et voilà… et on s’entend trop bien avec Marion, on rigole bien, et c’est pour ça qu’elle me fait revenir dans d’autres épisodes. 110 À la base je devais être juste le plan cul d’un soir dont elle a découpé le slop, et au fur et à mesure je reviens… voilà et on avait même à un moment écrit un Mad Giver de mec, pour renverser la tendance, je sais plus pour la SaintValentin, je crois, et on l’a pas tourné au final parce qu’on avait autre chose à faire. Voilà, mais ça, c’était en parallèle de Golden. C’est un petit monde hein, un tout petit monde ! Intervieweur : Et donc si je reprends le fil : Golden, Mad Giver… Golden tu deviens titulaire, comment ça se passe ? Lucien Maine : Oui oui, en fait, bah c’était… ça se jouait beaucoup à la motivation en fait. Les deux premières saisons, ça se jouait beaucoup à la motivation, c’est si t’étais là, si t’avais vraiment envie de faire des trucs. Et puis moi, j’ai pas envie de… En fait, j’avais vraiment vraiment envie de me faire ma place parce qu’enfin j’étais hyper heureux et épanoui de ce que je faisais. Parce que moi j’ai grandi en regardant les Nuls et les Inconnus et les Monthy Python, et les Robins des bois… enfin voilà, je rêvais de faire ça, depuis longtemps ! Donc là j’avais vraiment une occasion, bah de faire des sketchs, de faire des trucs marrants. Et puis en plus de traîner avec des gens que je respectais énormément et que j’admirais aussi… Enfin, tu vois… Vincent [Tirel], Adrien Ménielle, Flober, enfin tous ces gens-là… tu te dis woaw trop cool, je suis avec eux ! Et de rencontrer des nouveaux gens, Akim [Omiri] je l’avais croisé deux trois fois sur scène en stand-up, mais je le connais pas vraiment et on a vachement sympathisé, enfin… Et au final… mais Golden c’est pour ça… ça a très bien marché pour ça aussi, on s’entend tous vraiment très très bien, et on a tous une très très belle dynamique. En fait, on a des humours très très proches et c’est pour ça que… tout est cohé… relativement cohérent ! Et voilà donc j’étais à fond. Nous pourrions aisément imaginer que les répliques de type « lui c’est un pote », entendues lors des entretiens à propos des autres youtubeurs, sont des formules d’usages voire des exagérations, cependant ces relations se révèlent en réalité bien réelles. Nous avons en effet pu nous en rendre 111 compte au fur et à mesure de l’avancée de notre terrain, quand des créateurs nous expliquaient avoir entendu parler de nous par d’autres personnes rencontrées – sans que nous ayons dit au (x) premier (s) que nous allions rencontrer le second – et avait donc de fait rencontré et discuté avec au moins l’une de ces personnes au cours des derniers jours. « Je sais plus avec qui j’ai parlé qui m’avait dit qu’il t’avait vu et tout, donc c’est aussi pour ça que j’ai accepté. » (Entretien avec Nicolas Berno). Au-delà même de la communauté YouTube (cf. infra), leur parcours semble marqué par un grand nombre de rencontres, mais surtout par une forte capacité à entretenir ces relations. Il est ainsi frappant de constater la récurrence avec laquelle les histoires d’amitiés reviennent. Plus frappant encore, l’importance que ces relations jouent dans leurs parcours. 3.1.1. Des rencontres fondatrices Les amitiés de jeunesse, celles en ligne ou dans divers milieux culturels et professionnels sont souvent fondatrices dans les carrières des youtubers. Les amitiés d’enfance ou d’étudiants L’importance des amitiés d’enfance dans les parcours est remarquable. C’est notamment le cas de Slimane-Baptiste Berhoun, qui a commencé à faire des vidéos, enfant, avec son meilleur ami Mathieu Poggi, et qui a finalement développé sa websérie pour continuer à tourner avec lui. « Ma motivation première en fait c’était que mon meilleur pote, avec qui j’ai fait les 400 coups, il tourne aussi dans le visiteur du futur, sauf qu’on a une seule séquence en commun, et dans cette séquence où moi je suis un robot et je suis éteint et lui… donc en fait on peut même pas rigoler ensemble. […] 112 Et du coup je me dis c’est trop con, je suis en colloc, je découvre la colloc, bah viens j’écris une colloc et on est en colloc tous les deux et j’écris autour de ça. Donc l’idée, c’était de tourner avec lui puisque c’était avec lui déjà que je faisais mes premiers sketchs quand j’étais au collège, tu vois on rentrait du collège, on posait le caméscope sur le buffet et on faisait les cons devant la caméra. Et j’aimais bien ce côté, “dix ans plus tard les mecs ont progressé, mais ils font toujours les cons, mais avec de meilleurs moyens.” » (Entretien avec Slimane-Baptiste Berhoun). Si Slimane-Baptiste Berhoun a fait le choix d’une carrière artistique en faisant des études de cinéma, Mathieu Poggi, professeur de judo164, a suivi un cursus STAPS, et s’est intégré dans l’écosystème de la création vidéo en ligne à force de tourner dans les projets de son ami, et plus largement dans les projets du collectif Frenchnerd. Il a ensuite profité de ces premières opportunités pour se professionnaliser et tourner en dehors des projets du collectif (il a notamment joué dans le film, Mais qui a retué Pamela Rose de Kad Merad et Olivier Baroux). Également significative, l’amitié entre Florent Dorin et François Descraques qui se sont connus en primaire et ont commencé à faire des vidéos ensemble165, avant que le premier n’embrasse une formation de comédien au Cours Florent et le second un BTS audiovisuel. David Marsais et Grégoire Ludig du Palmashow, se sont eux connus au collège et ont commencé à écrire des sketchs avant d’envisager ensemble une carrière artistique. Pour Navo, c’est son amitié avec Kheiron, rencontré à 6 ans, « qui est un pote d’enfance, nos parents bossent ensemble », qui l’a indirectement amené à se tourner vers la création. 164 http://www.levisiteurdufutur.com/personnages-5-matteo-mathieu-poggi.html 165 http://blog.dailymotion.com/2011/02/18/focus-motionmaker-francois-descraques/. 113 Bruno Muschio dit Navo : Quand j’ai 25 ans, en 2008, Kheiron se lance dans le stand-up. Et comme on est potes d’enfance, et toutes les conneries qu’on a écrites ensemble, enfin tout ce qu’on a écrit c’était ensemble. Au moment où il se lance dans le stand-up, il me propose d’être son coauteur. Intervieweur : Mais vous écriviez déjà des trucs avant ? Bruno Muschio dit Navo : Oui, mais comme juste des gens passionnés, on écrivait des trucs pour aucune raison ! Ce qui était à un moment plutôt cool parce que c’est comme ça que tu te formes, on se dit vient on écrit un dessin animé, alors que c’est impossible de faire un dessin animé. Mais tu dis vas-y, on s’en fout on l’écrit, viens on fait comme un Simpson […] On écrivait du théâtre, on a fait de l’impro ensemble et du théâtre ensemble, où d’ailleurs on a rencontré Yacine Belhousse. […] Et puis à un moment lui il veut faire du stand-up, il m’en parle, je lui file des coups de main. Et puis à force de filer des coups de main, il me fait bah viens avec moi. Et donc c’était l’époque, c’était la saison 2 ou 3 du Jamel Comedy Club. Et en gros le principe, c’est que tu vas au Comedy Club, donc le théâtre de Jamel, et pendant un mois ou deux, quasiment tous les soirs, tu joues pour répéter ce que tu vas faire dans l’émission de télé. Et donc moi je l’accompagne tous les soirs, quand je sors du taf je viens avec lui et il joue. On voit avec le directeur artistique ce qui va, ce qui va pas, on réécrit des trucs. Et moi là-bas je rencontre tous les autres, du Jamel Comedy Club. Et moi je suis un gars dans l’ombre, et donc du coup je suis détendu, j’ai pas de stress de faire une émission. Et donc du coup je propose, enfin je discute avec les gens, ils me disent “ah j’y arrive pas, ça marche pas trop”, “ah tu devrais faire ça”, et c’est à ce moment-là que je me dis ah, mais en fait c’est super comme taf, c’est vraiment ce taf que je veux faire ! L’importance des liens familiaux et notamment des fratries mérite également d’être soulignée. Les deux exemples les plus emblématiques sont les frères Descraques ou les frères Ménielle, très présents sur YouTube et dont les parcours semblent fortement imbriqués. Dans le cas des premiers, c’est 114 François Descraques, plus âgé de 6 ans, qui a commencé à faire des vidéos et qui a entraîné son frère Raphaël. Il explique ainsi dans une interview qu’il a commencé à faire jouer son frère, car il n’avait pas d’autres acteurs à disposition. « Moi j’étais en CM2, parce que c’est le premier truc que j’ai fait quand j’ai eu ma caméra, j’ai fait des courts-métrages avec des legos, puis après je me suis dit autant prendre des comédiens, mais j’en avais pas. Alors il y avait Raphaël, qui devait avoir 5 ans, et je lui dis bah tiens prends ce chapeau, saute par la fenêtre (rire). Je lui faisais faire n’importe quoi, et il le faisait ! »166 Par la suite, son frère interprète avec Florent Dorin l’un des deux rôles principaux de sa série Le visiteur du futur, avant de se former à la réalisation, et de rejoindre Golden Moustache – dont il écrit et réalise le sketch de lancement – et de fonder avec Flober, Julien Josselin dit Julfou et Vincent Tirel le collectif Suricate. De nombreuses relations étudiantes semblent également avoir joué un rôle clé dans ces carrières. C’est évidemment le cas d’amitiés nées dans le cadre de formations en relation avec ces métiers comme celles nées dans le cadre du Cours Florent ou du Cours Simon. Paul Lapierre y a ainsi rencontré Florent Dorin avec qui il a joué, mais surtout Juliette Tresanini, devenue sa compagne, et grâce à laquelle il est rentré dans l’univers de la vidéo en ligne. C’est également le cas de Éléonore Coste qui y a rencontré Florent Dorin, qui l’a ensuite introduit dans l’équipe du Visiteur du futur. Lucien Maine y a aussi rencontré directement et indirectement un grand nombre de comédiens et d’auteurs avec qui il a ensuite collaboré. Les exemples dans les formations aux métiers de l’audiovisuel sont également nombreux. Nous avons déjà évoqué le cas de Maud Lazzerini se liant d’amitié avec David Tuil durant ses études à l’ESRA et qui, par la suite, a travaillé sur 166 http://www.levisiteurdufutur.com/bonus-15-comment-on-s-est-rencontre.html. 115 des vidéos de youtubeurs grâce à lui. Slimane-Baptiste Berhoun et François Descraques se sont également rencontrés et sont devenus amis au cours de leur BTS audiovisuel. La relation de travail qui naît entre eux, dès leurs premiers courts-métrages étudiants, est à double sens : « en fait, on se file des coups de main, quand il réalise, je cadre, quand je réalise, il cadre ; on se fait lire nos scripts, on se fait des retours, moi je retouche ses dialogues, lui il retouche ma structure, voilà on se complète un peu comme ça » (Entretien avec Slimane-Baptiste Berhoun). L’EICAR – École internationale de création audiovisuelle et de réalisation – a également permis à un certain nombre d’amitiés et de collectifs de naître. C’est notamment le cas pour le collectif Les Parasites – formé à l’origine d’anciens étudiants de l’EICAR puis rejoint par des comédiens rencontrés lors de tournages167 – ou pour Et Bim – Ambroise Carminati et Andréa Vistoli, les deux fondateurs, se sont rencontrés à l’EICAR. La promotion dont sont issus ces deux collectifs a d’ailleurs hébergé un certain nombre d’autres créateurs officiant aujourd’hui sur YouTube. C’est notamment le cas de Nadja Anane qui est entre autres réalisatrice et chef opératrice pour Golden Moustache, Studio Bagel ainsi que pour de très nombreuses autres chaînes et projets YouTube. Il est intéressant de constater que non seulement ces amitiés ont fait naître des collectifs et que ces derniers collaborent entre eux – tous travaillent d’ailleurs régulièrement ensemble et une partie des membres des Parasites et de Et bim se sont d’ailleurs rejoints pour créer la série Cocovoit –, mais que c’est également ces échanges qui semblent avoir fait naître leur intérêt pour les plateformes d’hébergement de vidéos. Ambroise Carminati : On a eu une bonne promo à l’EICAR Intervieweur : Mais vous parliez de ça, de YouTube entre vous ? 167 http://qgdesartistes.fr/les-parasites/ 116 Ambroise Carminati : Non à l’EICAR on voulait faire du cinéma. On va, on en fera un jour, c’est sûr. Non non, on parlait pas trop de chaîne YouTube. Mais c’est avec Guillaume168 ça, c’est au contact de Guillaume, que j’ai été sensibilisé à ça. Il dit voilà la communauté, montrer les choses… Et lui il est très fort pour faire du social engineering, nous on n’est pas du tout fort sur Et bim, on fait ça vraiment à l’arrache, eux ils ont, c’est un modèle de développement de communauté, c’est très fort ! Les amitiés étudiantes ne comptent pas uniquement dans des cursus créatifs. Dans le cas d’Allison Chassagne, c’est au cours de sa licence d’Économie et gestion à Dauphine et de son Master Études cinématographiques et audiovisuelles – cohabilité par l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, Paris Dauphine, l’ENS et l’EHESS – que sont nées certaines de ces amitiés fondatrices. Dans le premier cas, il s’agit de relations nées dans le cas de sa participation à la chaîne de télévision étudiante Channel 9. « Quand je suis allée là-bas [à Dauphine], j’ai tout de suite été happée par le monde étudiant, les assos. […] Et surtout, je me suis retrouvée à remplacer mes cours de théâtre par une assos qui s’appelle Channel 9. Je sais pas si tu en as entendu parler parmi les gens que tu as vus. C’est une assos en fait, où notre délire c’était de faire un peu comme les nuls tu vois, genre on est potes et on fait des sketchs. Et on se met aucune limite. Toute notre année était vraiment régie par ça, et donc du coup on était la télé étudiante de la fac. Et donc c’est là où j’ai appris à filmer, à écrire des sketchs, à faire du montage. Donc c’était hyper cool, je me suis vraiment mise à fond, et j’étais même au bureau » (Entretien avec Allison Chassagne). Allison Chassagne y a connu les membres de la chaîne Lolywood – « c’est mes potes avec qui j’ai fait des conneries à la fac ! » – avec qui elle tourne 168 Guillaume Desjardin, l’un des fondateurs du collectif Les Parasites. 117 ponctuellement et qui lui proposent de faire des collaborations pour accroître la visibilité de sa nouvelle chaîne. C’est également le succès de Lolywood qui lui permet d’envisager plus sérieusement une carrière : « oui ils créent un truc, donc je me dis ah putain c’est possible… c’est possible en fait, tu vois d’en vivre et tout… » (Entretien avec Allison Chassagne) La rencontre, dans le cadre de leur master, avec Sarah Rashidian, l’une des fondatrices de la chaîne Kidults a également joué un rôle essentiel ; Allison Chassagne a ainsi été invitée à collaborer aux Kidults d’abord ponctuellement puis en tant que membre à part entière du collectif. Une intense activité en ligne L’activité en ligne est naturellement propice aux rencontres sur YouTube ou d’autres plateformes. Or si notre entrée dans le sujet se fait par YouTube, les artistes ne se limitent pas à ce seul médium. Parmi les plus célèbres youtubeurs français, un grand nombre a par exemple débuté en hébergeant ses contenus chez la plateforme concurrente Dailymotion. YouTube permet également depuis 2007 d’intégrer sur un site tiers des vidéos hébergées sur la plateforme – il est même possible de les monétiser169. Pour Beuscart et Mellet (2015), les comptes sur ces plateformes – YouTube et MySpace avant lui – ne seraient en définitive que le centre de l’activité en ligne de l’usager (Beuscart & Mellet, 2015), son « phare » (Cardon, 2009). Un nombre important de vidéastes a ainsi été actif sur d’autres plateformes – et pour certains, l’est toujours. Nombre d’entre eux ont par exemple démarré leur activité sur des forums, sur MySpace ou sur Twitter. C’est par exemple le cas de Grandpamini qui a très tôt été actif sur MySpace et pour qui le site de réseau social a longtemps été la pierre angulaire de sa présence 169 https://youtube.googleblog.com/2007/10/youtube-content-partners-video-units.html. 118 en ligne170. D’autres, à l’image de Lucien Maine, Teddy Férent ou Marjorie Le Noan ont d’abord existé en ligne au travers de Twitter – pour cette dernière c’est d’ailleurs cette forte présence sur le site de micro blogging qui lui a permis de se faire reprérer. Nombreux sont ainsi les « twittos » à se mettre à la création de vidéos, semblant considérer ce support comme une simple extension de leur pratique. Inversement, Babor Lelefan qui a d’abord commencé par créer des vidéos, est aujourd’hui davantage visible sur Twitter ou comme auteur sur le site Internet Tagel – qu’il a contribué à lancer avec Studio Bagel – et auparavant sur celui de Golden Moustache dont il était rédacteur. Les blogs et les sites Internet amateurs semblent également avoir joué un rôle fort dans le parcours sur Internet de plusieurs créateurs. Paul Lapierre par exemple, a dès 2001, lancé et géré un site parodique dédié à l’émission Loft Story, au travers duquel il a rencontré un succès certain. Navo a lui acquis une réelle notoriété dans le monde des blogs et notamment des blogs BD, avec son blog La Bande Pas Dessinée171, qui a été sélectionné dans plusieurs festivals et a donné lieu à la publication de trois volumes chez Vraoum. Pour Grünewald et Haupt, si YouTube est promu comme une communauté unique et clairement délimitée, en réalité, il n’en est rien. Ces auteurs ont en effet pu constater lors de leurs entretiens que les pratiques des youtubeurs ne s’arrêtaient pas seulement à YouTube. Pour garder contact et échanger avec leur public, leurs fans ou leurs pairs, ils mobiliseraient au contraire tout un ensemble de réseaux sociaux, comme Facebook, Twitter ou encore Instagram (Grünewald & Haupt, 2014). Cette mise en dispositif de YouTube et des autres réseaux sociaux est d’ailleurs clairement affichée, les youtubeurs invitant généralement leur audience à les suivre sur leurs différents comptes. À ces réseaux nous pourrions aujourd’hui rajouter Snapchat, tant les 170 Il revient d’ailleurs sur ses débuts dans le documentaire Cuir Moustache – Une histoire d’internet. https://www.youtube.com/watch?v=h_zcTHW6bRc&feature=youtu.be. 171 http://www.labandepasdessinee.com. 119 youtubeurs semblent y être présents, et y font régulièrement référence dans leurs vidéos172. De plus, YouTube lui-même, en permettant de partager les vidéos sur la plupart des réseaux sociaux, ou de les intégrer directement à d’autres pages web – et de pouvoir les visionner sans pour cela repasser par le site –, ne limite pas son audience à la plateforme ou à ses usagers (Lange, 2008). Des lieux culturels au cœur des rencontres Au-delà de l’activité en ligne, la participation à divers lieux culturels ou encore la rencontre dans la cadre de « petits boulots » alimentaires jouent un rôle important. Les lieux culturels et notamment les théâtres et les scènes de stand-up sont propices à des rencontres et à faire naître des amitiés en lien avec la création. C’est le cas de Navo qui y a rencontré une bonne partie des créateurs avec qui il a ensuite collaboré et qui y a surtout compris qu’il ferait de la création son métier. C’est également le cas de Greg Romano qui, aspirant de longue date à monter sur scène, s’est décidé en voyant une scène ouverte près de chez lui. Les rencontres se sont alors enchaînées le conduisant à travailler comme auteur et comédien pour Golden Moustache : Greg Romano : L’histoire c’est qu’il y avait un café à côté de chez moi et j’ai vu qu’il y avait une scène ouverte et je suis allé là bas. […] C’était le café de Paris, c’était le Chinchman Comedy Club, il y avait Françoise qui s’en occupait et je lui ai dit “est-ce que je peux venir jouer ?” et… et elle m’a dit “dans la semaine”. J’ai dit “non, j’ai pas encore écrit le sketch, dans un mois ?” Comme ça, ça m’a donné en fait une date butoir. Donc j’ai écrit mon premier sketch et un mois après je suis allé le jouer pour la première fois de ma vie. Ça s’était très bien passé, j’ai décidé de le rejouer la semaine d’après, et j’étais allé un peu avec la confiance parce que la première s’était très bien 172 Il suffit pour s’en convaincre de taper « j’ouvre vos snap » dans la barre de recherche de YouTube. 120 passée, et la seconde s’est très mal passée. Donc c’était ma première leçon un petit peu, d’humour. Et après j’ai commencé à écrire un one man entier, j’ai commencé à le jouer, et… de là j’ai rencontré des humoristes, notamment Kyan Khojandi qui m’a mis en scène pendant un certain temps, et Navo, son coauteur. On faisait une scène ouverte qui s’appelait le Bordel Comedy Club au théâtre Galabru. Intervieweur : Comment tu as atterri sur cette scène ouverte toi ? Greg Romano : En fait le métier d’humoriste c’est un petit milieu, donc tout le monde se connaît, donc tout le monde se connaît sur les scènes ouvertes. Et donc on a commencé à faire cette scène ouverte (…) On était tout un groupe, un crew, il y avait Kheiron, il y avait Seb Mellia, il y avait Arsen, il y a Sanaka, il y avait Nadia Roz à l’époque, on était vraiment… un Crew ! Et donc j’ai commencé à bosser avec Kyan (…) Et il y a un 5 ans, il y a Navo qui a été nommé directeur d’écriture de Golden Moustache, pour remplacer Vladimir juste un certain temps, parce que Vladimir bossait sur un autre projet. Et Navo m’a dit, “est-ce que tu veux venir faire un essai, écrire ?” Et j’ai dit “ouais pourquoi pas”, et donc c’est là que ça a commencé Golden Moustache pour moi. De manière générale, les scènes ouvertes semblent être de réels incubateurs de rencontres et de création, et ont largement influencé le parcours de certains de leurs participants. C’est par exemple le cas du Bordel Comedy Club, qui a indirectement servi de terreaux à la série Bref qui réunit un grand nombre de ses fidèles, et où se sont notamment rencontrées les actrices du duo de la chaîne Parlons peu, mais parlons cul – Juliette Tresanini et Maud Bettina-Marie173. C’est également le cas de la scène du Paname Comedy Club sur laquelle se croisent novices de la scène et célébrités, et qui a donné lieu 173 http://teleobs.nouvelobs.com/actualites/20160616.OBS2762/parlons-peu-parlonscul-maud-et-juliette-les-youtubeuses-anti-tabous.html. 121 à de nombreuses rencontres et collaboration174. Swann Perissé a un ainsi fait un premier pas dans la vidéo en ligne en y rencontrant Norman, dont elle assurait la première partie, et qui l’a invitée dans une de ses vidéos. Elle y a également rencontré de nombreux autres créateurs qui vont l’influencer dans son travail, comme Pierre Croce ou Nicolas Meyrieux. Pour Sophie Imbeaux, qui a également fait de nombreuses rencontres au travers de sa participation récurrente au FIEALD – une scène ouverte dont elle a été une des animatrices –, c’est l’une des amitiés qu’elle a nouées avec ses partenaires du spectacle Les colocataires, qui l’a amenée à faire des vidéos en ligne. « Par les colocataires, j’ai un contact chez AuFeminin, un contact d’un casting qui s’appelle ÉtoileCasting175. Qui est un site de casting pour les jeunes entre guillemets. Et une de mes amis des Colocataires, Delphine Grand, me dit ça y est il y a un casting, vas-y postules-y. Et c’est pour Marmiton et c’est pour être chroniqueuse pour Marmiton176. Et il s’avère que je suis prise et que je me retrouve à aller aux quatre coins de la France, un programme sur YouTube, et à interviewer des gens et à rentrer dans leur cuisine et à leur dire… Et à cuisiner avec eux. Et moi, l’objectif c’était de regarder ce qu’il y avait de particulier dans leur cuisine pour faire un épisode à chaque fois différent et dire, bah chaque cuisinier est différent parce que sa cuisine est différente… […] Pour un an demi je travaille pour Marmiton. Et en fait AuFeminin, développait pas mal sa chaîne YouTube, parce qu’il avait besoin de vachement de contenus. Et cette fameuse fille de ÉtoileCasting, Raphaëlle Du Boÿs, qui m’a beaucoup aidée, m’a dit attends AuFeminin recherche un truc pour un programme, qui s’appelle les filles expliquées aux 174 Ce ne sont bien entendu là que des exemples et nous pourrions tout aussi bien citer le Jamel Comedy Club, La Nouvelle Seine et ses soirées Premières fois, le FIEALD ou encore le Pranzo. 175 Une société du groupe AuFeminin. 176 Une autre société du groupe AuFeminin. 122 mecs, passe le casting. Et je me retrouve à passer ce casting-là. […] Et bah je le fais et je l’ai, et voilà. On est parti sur une autre aventure sur YouTube avec Les filles expliquées aux mecs. Et là, on a une vraie prod, on est payé avec de vrais cachets, un vrai truc quoi ! » (Entretien avec Sophie Imbeaux). Des opportunités offertes par des milieux professionnels multiples Les « petits boulots » alimentaires sont également propices aux rencontres. C’est le cas de Benoît Blanc qui a rencontré une grande partie des gens avec qui il a par la suite collaboré au cours de ses différents emplois alimentaires, ou par le biais de son travail au Rire médecin – où il a rencontré Alexandre Pavlata avec qui il a cofondé la Compagnie numéro 8. Il a d’ailleurs développé un projet de série pour Canal+ avec certains d’entre eux. « Alors eux, c’est encore d’autres gens. Bah c’est avec lui que j’ai fait Ça sent le fromage, Frédéric Ruiz, et un autre Benjamin, et un autre qu’est parti, maintenant qui bosse pour Sony Picture au Canada, et qui bosse sur les films, qui est directeur Layout chez Sony Picture et qui avant été chez Mac Guff, et qui est un mec hyper talentueux, très sympa. […] Et eux je les ai rencontrés à Paris pendant mes petits boulots. […] C’est des potes de petits boulots. En fait, j’en ai rencontré un de la bande, Benjamin, en travaillant comme ouvreur au Théâtre de l’Est parisien, on était ensemble. Et puis après j’ai bossé avec un autre de la bande au Costes, on était voiturier, c’est Ben qui m’a fait rentrer là-dedans. Et assez vite, voilà moi j’avais… enfin eux, il était déjà très, c’était des réals, dessinateurs et scénaristes. Et puis moi, j’avais pas mal d’envies, d’idées, de créer, et cetera. Donc assez vite on a monté un projet qui s’appeler Les collocs. » (Entretien avec Benoit Blanc). Le cas d’Audrey Pirault est également parlant. Si elle a toujours voulu faire du théâtre, elle s’est d’abord contentée d’une pratique amateur et a fait des études de psychologie. Une fois son diplôme obtenu, elle décide ne pas se lancer immédiatement en tant que psychologue et occupe pendant un an 123 et demi des emplois alimentaires. C’est dans ce contexte qu’elle candidate à un emploi en agence de communication, sur les conseils d’une amie, et se retrouve à travailler dans le bureau voisin des membres de la chaîne 10mn à perdre. Elle se lie d’amitié avec eux et à chaque fois que ces derniers ont besoin d’une fille pour un rôle, ils le lui proposent. « Je me dis que je vais pas être psy tout de suite, parce que j’avais eu un stage de dernière année un petit peu lourd émotionnellement, donc je me dis que je vais prendre un peu de temps. Et en fait, pendant ce temps-là, qui durera au final, je suis allée bosser à droite, à gauche, pour des amis. J’ai bossé pendant six mois dans une société où j’étais responsable commerciale, ça m’a pas plu, je suis partie. Et après ça j’allais retourner à la psycho et j’ai une amie qui m’a fait “attend, parce que j’ai une copine, qui a un copain…”, donc tu sais, déjà, quand ça commence à faire trois niveaux de connaissance, ça commence à faire beaucoup, genre, ouais OK, “qui cherche quelqu’un en agence de com”. J’ai quand même dit ouais “OK banco”, je vais passer les entretiens… De toute façon, voilà, moi j’ai jamais menti sur mon CV, donc voilà. Et en fait, j’ai été prise en agence de com. Et en fait, quand j’arrive en agence de com, mes voisins de bureau sont 10 mn à perdre. Donc il y avait Baptiste Lorber, Hugo tout seul et Grandpamini. […] Je les connaissais pas du tout et je les découvre en les connaissant, donc du coup, je dis bah je vais regarder ce que vous faites. Et vu que moi, j’étais donc leur voisine de bureau, qu’on avait le même âge, que je faisais quand même du théâtre en parallèle, et qu’au-delà ça on rigolait bien ensemble, et bah si tu veux, vu qu’ils étaient quand même que des garçons, dès qu’ils avaient besoin d’une fille. Parce qu’à l’époque eux ils tournaient quand même avec l’iPhone, des tout petits trucs, enfin c’était vraiment tourné à l’arrache, rien à voir avec aujourd’hui. Et donc du coup ils me demandaient “Audrey est-ce que tu peux venir tourner avec nous”. Ce que je faisais et moi ça m’amusait beaucoup. Et puis jusqu’au jour où on a fait une vidéo où ils m’ont payée. En sachant que moi j’étais vraiment à mon bureau et je raccrochais de mon téléphone et je disais, “ouais OK d’accord j’arrive !” Et en fait, il y a une des vidéos sur laquelle j’ai été payée et je me suis dit “mais attends, là si on me 124 paye pour faire ça, ça veut dire que… Bah en fait ça peut être mon travail !” […] Et du coup je vais voir mon patron et je lui dis “bah j’arrête mon travail qui me plaît pas”, et du coup il me dit “OK, de toute façon, t’étais pas la meilleure” (rire) et du coup je me suis inscrite au cours Florent. » (Entretien avec Audrey Pirault). 3.1.2. Devenir youtubeur et le rester : le rôle des relations personnelles À toutes les étapes, de leur arrivée sur le site à la gestion de leur carrière, les relations personnelles nouées auparavant jouent un rôle fondamental pour les youtubeurs. Un certain nombre de youtubeurs ont débuté très jeunes et semblent s’être lancés en ligne pour suivre leurs modèles. Ce phénomène rejoint celui évoqué par H. Stith Bennett dans ses travaux sur les musiciens de rock (2017) qui montre l’importance de l’autodidaxie par mimétisme dans les parcours de certains musiciens. Il s’agit dès lors le plus souvent d’imiter des groupes et des compositions appréciés, d’apprendre à faire pareil, avant d’éventuellement faire des contenus originaux. Ce phénomène n’est évidemment pas absent du web. Nous pouvons notamment citer le cas des nombreuses parodies de Bref. Cependant, le mimétisme ne ressort pas de notre terrain comme une des principales motivations pour venir travailler sur YouTube. Ceci est sans doute dû au profil des personnes rencontrées : ils sont en effet relativement « âgés », et ont souvent connu les débuts de YouTube en tant qu’adulte et créateur déjà engagés dans une carrière artistique. Parmi les modalités d’arrivée sur YouTube, l’incitation ou l’invitation à faire est un point de départ nettement plus fréquent. Cette intervention extérieure semble d’ailleurs avoir pesé dans la majeure partie des carrières des créateurs rencontrés. Nicolas Berno a par exemple été contacté par Slimane-Baptiste Berhoun, un ami rencontré sur des tournages de films institutionnels, pour jouer un rôle dans la websérie Les opérateurs. Il a ensuite été invité à 125 nouveau pour jouer un rôle dans la dernière saison du Visiteur du futur, où il a rencontré de nombreux youtubeurs et notamment Flober qui l’a par la suite invité à jouer – puis à écrire – sur la chaîne Golden Moustache. Greg Romano, a lui rencontré sur des scènes ouvertes Bruno Muschio dit Navo et Kyan Khojandi (les deux créateurs de la série Bref) avec qui il a sympathisé, avant de débuter avec eux une collaboration sur son spectacle – Kyan Khojandi le mettant en scène et Navo en devenant le coauteur. Ils l’ont par la suite convié pour un petit rôle dans la série Bref. Puis, Navo ayant un temps assuré la direction artistique de Golden Moustache, l’a convié au sein du collectif et il y est resté. C’est également le cas de Lucien Maine, qui avait lui rencontré Navo lors d’échanges en ligne, et a été invité par ce dernier à jouer sur Bref, avant d’être lui aussi invité à venir chez Golden Moustache. « Et là, encore une fois, Navo, été 2012, m’appelle un jour en me disant tu connais Golden Moustache ? Je dis ouais ! Vraiment ça fait un an que je regarde les vidéos en me disant putain c’est trop bien, j’aimerais trop faire ça ! Et il me dit bah là je remplace le directeur artistique de Golden Moustache qui est sur un projet annexe pour trois-quatre mois, et je leur ai dit que je connaissais des gars et qu’ils seraient bien pour Golden. Et donc là, il fait venir Greg Romano et moi. On arrive à Golden au début de la saison 2 de la chaîne. […] Donc on arrive chez Golden, on propose des textes et… première réu, je propose Top Wesh, et ils m’ont dit ah trop bien, on fait pas de parodies, mais ça va être marrant ! […] et je propose Top Wesh et un autre sketch qui s’appelle Rock Star du quotidien, qui a été fait, mais pas sorti sur YouTube [il a uniquement été diffusé sur le site]. Qui est un peu raté a posteriori parce que c’était très léger comme idée, mais… […], mais voilà ça se lance comme ça… Navo connaissait le… j’avais Giflor le sketch, c’était pas juste un sketch à la base, j’avais un projet de série Giflor, et il savait que je bossais depuis un moment là-dessus, sur ce concept-là et il m’a dit, mais c’est avec Golden qu’il faut que tu fasses Giflor ! J’ai dit OK 126 go, et au final le sketch est pas du tout comme j’aurais aimé qu’il soit, mais j’étais content de le faire. Mais là normalement il y a peut-être un deuxième Giflor qui va revenir dans les mois, semaines qui viennent. On l’a pas tourné encore, mais c’est un peu compliqué parce qu’on veut que ce soit vraiment fat. Il faut qu’il y ait une grosse réal, on change complètement le style, c’est vraiment Giflor begins, comme les Batman quoi ! » (Entretien avec Lucien Maine). Dans une moindre mesure, c’est aussi à une influence extérieure que Paul Lapierre doit son arrivée sur YouTube. Sa compagne Juliette Tresanini, actrice de théâtre et de télévision, a en effet été démarchée par Finder Studio – une société de production se lançant dans la production de contenus web – pour participer au lancement d’une chaîne comique de filles et l’a par la suite impliqué de façons de plus en plus soutenue sur ses différents projets. Teddy Férent est sans doute celui pour lequel les incitations extérieures ont été les plus décisives. Il raconte en effet avoir connu Jérôme Niel et Axel Maliverney – alors coauteur du premier – par un très bon ami qui était leur colocataire, et être très rapidement devenu l’un de leurs proches. Dès lors, ces derniers vont régulièrement l’inciter à se mettre à créer et à se mettre en avant. C’est par exemple Axel Maliverney qui le voyant régulièrement faire des plaisanteries sur Facebook pour son cercle d’amis, lui a conseillé de se mettre aux tweets et de les diffuser largement. De la même façon, c’est en voyant son enthousiasme lorsqu’ils faisaient des vidéos, que ses amis lui ont suggéré d’en faire à son tour. Plus tard, alors que Jérôme Niel et Axel Maliverney ont débuté leur programme La ferme Jérôme sur MTV, il leur a proposé de l’aide pour l’écriture des épisodes et ces derniers, confrontés notamment à la difficulté de tenir les délais, ont accepté son aide. Kemar, qu’il a rencontré par l’intermédiaire de Jérôme Niel et Axel Maliverney, et avec qui il a entre-temps sympathisé, l’a par la suite spontanément intégré à deux projets : un premier pour Dailymotion qui n’a pas abouti, puis La Biscotte, une chaîne à vocation comique de Studio Bagel qui se concentre sur la thématique du sport. 127 Une fois devenus youtubeurs, les créateurs se forment et s’informent mutuellement sur les questions de communication, de réseaux sociaux ou de plateforme. Un comédien explique par exemple à quel point d’autres personnes ont eu un rôle déterminant en lui indiquant la meilleure façon de mettre ses contenus en ligne. « Quand j’ai fait le Visiteur du futur, j’étais entouré de gens qui avait dix ans de moins que moi, comme Ludovik, comme Raph Descraques et tout… et je les voyais faire des Vine177, je les voyais poster des vidéos de tournage sur tels trucs, sur machin, et tout… je disais “ouais c’est cool, c’est marrant”. Vine je trouvais ça marrant parce que c’était de la création, c’était du court-métrage de 6 secondes. Moi j’avais pas de talent pour ça, je me disais “putain, je suis sûr que ceux qui sont font des trucs supers, ils ont des secondes en rab !” […] Et puis c’est Vincent Tirel, qui m’avait dit un jour, après un tournage qu’on avait fait ensemble sur un court-métrage à lui, sur un sketch qui s’appeler Franchement, Le magot. Et il m’a dit, “mais mec”, parce que je commençais à voir que c’est vrai que quand on avait un certain nombre de followers on avait bêtement plus de crédibilité pour certains réalisateurs, pour certains employeurs, on devenait plus attractif commercialement, enfin tout ça. Et je dis “ouais, mais tu vois moi je ne suis pas youtubeur, je sais pas faire” et Vincent m’avait dit, “mais moi non plus je suis comme toi !” Vincent il est de ma génération, il a une trentaine d’années, moi je trouvais ça con, je trouvais ça nul, hyper égocentrique. Mais il me dit, “moi c’est Julfou qui m’a dit que je devrais m’y mettre pour juste au moins que les gens qui me suivent soient contents de me suivre”. Il m’a dit, mais “tu sais quoi, tu prends Instagram, tu mets des photos de tournage, tu mets des petits trucs, c’est rien, mais ça leur fait vraiment plaisir”. Et donc j’ai fait ma première photo pour Instagram sur le tournage 177 Vine est une application et un réseau social, suspendu en octobre 2016, qui permettait à ses utilisateurs de partager des vidéos d’une durée maximale de six secondes. La notion de « secondes en rab » renvoie donc, sur un mode humoristique, à l’idée que certaines vidéos, en raison de leur qualité, donnent l’impression de dépasser la contrainte des six secondes… 128 de ce sketch-là et puis… et puis j’ai continué. Au départ je m’y suis mis, j’ai vraiment fait, “allez, je vais jouer le jeu”. Et puis après ça m’amusait, donc Instagram c’est celui sur lequel je me suis le plus développé, c’est ma plus grosse communauté sur Instagram. Et puis après il y a eu Twitter, et puis Twitter je me suis dit, “ah ouais ça peut être marrant”. Je voyais les tweets de Vincent Tirel qui me faisaient beaucoup rire et je me suis dit “ah ouais c’est vrai que ça peut être marrant de faire ça”. Donc, quand j’ai une inspiration je tweete et puis sinon je m’en sers, “je fais tel truc à tel endroit”, et voilà… mais du coup je vois qu’effectivement quand on poste de temps en temps des choses, quand on dit qu’on fait tel truc, tel truc ou qu’on est trop content […] bon bah ça peut servir à ça aussi. Donc je m’y suis mis aussi. » (Entretien avec Nicolas Berno). Plusieurs personnes expliquent également avoir appris au contact de leurs pairs les règles d’une visibilité optimale, comme Grandpamini, conscient d’avoir appris au contact de Baptiste Lorber, les règles de fonctionnement des réseaux sociaux : Grandpamini : C’est important d’avoir toujours des pages actives, pour que l’algorithme ne descende pas. En fait si ta page reste active sur Facebook, l’algorithme ne descend pas, comme ça quand tu as besoin de présenter un truc à un maximum de monde tu le mets. Et il y a plein de gens qui ont une page juste pour faire leur pub et ils sont jamais visibles parce qu’ils mettent rien d’autre que leurs pubs. Intervieweur : Et ça tu le sais comment ? Grandpamini : Ah ça c’est des années de pratique YouTube… et de pratique Facebook… Intervieweur : Donc t’y fais attention à ça ? 129 Grandpamini : Ah oui bien sûr ! Oui pour voir ce qui se passe. Quel truc est plus liké que tel autre… Voir un peu comment ça s’organise quoi. Qu’est-ce qu’il faut faire. Avec Baptiste, on a vachement appris ça. Baptiste, il est très fort pour ça. Comment poster sur un truc sur YouTube et sur Facebook et sur Twitter en même temps… De quelle manière ? Est-ce que tu le postes sur ta page personnelle, est-ce que tu le postes sur ta page fan ? Par exemple si tu fais une vidéo sur YouTube, tu postes sur ta page fan et après tu le repostes pas sur ta page Facebook, tu prends le post de ta page fan pour le remettre sur ta page Facebook, comme ça crée un lien vers ta page fan… enfin, c’est tout un imbroglio ce truc à savoir comme ça. Par exemple, tu postes jamais un lundi ! […] Intervieweur : Et donc ça c’est Baptiste qui t’a appris à… Grandpamini : Oui, c’est lui parce que lui il est vachement là-dedans, et il vient d’un… c’est son business et il vient d’une agence de com, d’une agence de pub et il voit la potentialité d’une vidéo… La gestion de carrière est également un aspect sur lequel les échanges de conseils entre pairs sont importants. Un des comédiens rencontrés, qui se décrit comme assez peu habile pour se vendre, explique ainsi s’être vu conseillé un agent par un des membres de son collectif : « J’ai pas d’agent parce que je suis un peu fainéant pour tout ce qui est démarche. Je suis un peu nul pour ça. Je suis pas très fort pour aller harceler les gens et dire “prends moi, je suis formidable !” Je sais pas très bien me vendre, je sais pas très bien démarcher. Voilà, mais là, là c’est Tarik Seddak qui m’a dit, mais mon agent elle est bien tu devrais la rencontrer, c’est lui qui a fait le boulot à ma place. Donc là, je l’ai rencontré, ça s’est plutôt pas mal passé, il faudrait que je fasse des photos… ça aussi c’est un truc pour lequel il faut que je me motive… » (Entretien avec Lucien Maine). 130 Un autre témoigne avoir suggéré à un youtubeur de valoriser son nom, d’en « faire une marque », affirmant que c’est ce qu’ont compris tous ceux qui ont réussi. « Je discutais avec Nico et je lui disais, mais mec, faut brander en fait, enfin il faut te créer une marque, ta propre marque ! Tous les mecs qui ont compris ça dans ce business-là, ils sont aujourd’hui à un autre level ! Parce qu’ils ont capitalisé là-dessus, sur le fait d’avoir une audience et sur le fait, au-delà de leurs… de leurs envies créatives, de créer un… une marque autour de qui ils sont. Norman il a fait ça, Cyprien il a fait ça, Squeezie il a fait ça, Natoo elle a fait ça… c’est, je parle d’eux, parce que c’est des gens qui étaient là il y a plus longtemps tu vois ! Mais… et il me dit ouais, mais j’ai peur que ça fasse prétentieux ! Prétentieux de quoi ? Mais tu crois que The Rock il s’est posé la question de la prétention, je dis non il a fait le truc ! Il me dit ouais, mais The Rock il était déjà catcheur… Non The Rock c’était un catcheur pas forcément très connu, je lui dis il y a plein de catcheurs qui sont à Hollywood et il y en a un dont tu retiens le nom aujourd’hui c’est The Rock ! Et tu le vois plus comme un catcheur, tu le vois comme un business man en fait ! Parce que tu le vois sur Instagram, c’est un mec sympa, il a compris, même s’il a 47 ou 48 ans il a compris que le monde actuel, il fonctionne avec les réseaux sociaux, il est hyper moderne et en même temps… il est intelligent, il a monté un business, il a plusieurs boîtes de production et aujourd’hui il est fort parce que, parce que il existe en tant qu’acteur, il existe en tant qu’auteur s’il veut, en tant que je sais pas quoi… entertainer ! Il fait plein de trucs, plein de shows, mais c’est lui le leader du truc, tu vois. Faut créer son empire en fait ! » (Entretien avec Keyvan Khojandi). Les pratiques d’entraide ne s’arrêtent pas aux frontières de YouTube. Ainsi, quand Canal+ demande à Navo s’il connaît un talent pour leur pool d’auteurs, il suggère le nom d’Ambroise Carminatti. Greg Romano explique lui que l’entraide s’étend également à d’autres domaines, comme la radio ou l’écriture. 131 « On s’aide beaucoup aussi, on donne beaucoup les numéros de téléphone. Quand on peut pas bosser sur un truc, on met un pote dessus donc… » (Entretien avec Greg Romano). 3.1.3. Les pratiques collaboratives au cœur de la création Les collaborations sont omniprésentes dans les parcours des créateurs que nous avons rencontrés, et bien souvent récurrentes. Tous ont en effet participé aux créations d’autres youtubeurs et tous ont également invité d’autres youtubeurs à collaborer. Sur les 31178 créateurs rencontrés, 8 ont par exemple participé au programme court Bref, 21 aux vidéos des collectifs Golden Moustache et Studio Bagel, et 7 à la chaîne Parlons peu… parlons cul ! Cette omniprésence des pratiques collaboratives est d’autant plus frappante qu’aucun des créateurs ne semble en être exclu. En effet comme le montre le tableau, tous collaborent ou accueillent d’autres créateurs d’au moins une autre chaîne de notre corpus. Et si certains acteurs semblent a priori moins enclins à collaborer que d’autres, c’est souvent soit parce que leur rôle le leur permet moins – les directeurs artistiques ou les réalisateurs étant moins souvent invités à participer à une vidéo d’une autre chaîne –, soit parce qu’ils sont en cours d’intégration dans ce réseau de collaboration. Certains créateurs, relativement extérieurs à ce réseau au début de notre recherche y sont ainsi rentré progressivement. Nous ne pouvons également que constater l’absence de cercle(s) isolé(s) de créateurs. Il s’agit en effet plutôt de réseaux qui se croisent et s’entrecroisent. Les créateurs les plus intégrés ne sont d’ailleurs pas ceux au succès le plus affirmé. Aux vues du profils des créateurs concernés, 178 Nous intégrons dans ce total deux cadres de structures de production (Vanessa Brias et Vladimir Rodionov) qui occupent ou ont occupé des rôles clé dans la création. 132 nous pouvons même nous demander si cette sur-intégration n’est pas davantage liée à une volonté d’exister pleinement – et donc de trouver sa place – dans le réseau et dans cet écosystème. Les pratiques collaboratives, indéniablement synonymes pour les youtubeurs de valeur ajoutée professionnelle, n’en demeurent pas moins sincères. Les relations en ligne semblent par exemple être pour les youtubeurs quelque chose de relativement personnel, la plupart d’entre eux tenant par exemple à répondre eux-mêmes aux messages des fans – même quand ils ne sont plus capables de répondre à tous. Les youtubeurs stars, eux-mêmes, semblent y attacher une réelle importance et toujours considérer ceci comme très personnel179 (Grünewald & Haupt, 2014). De la même façon, si les collectifs sont parfois fortement imbriqués avec un projet entrepreneurial – la mise en place ou l’affiliation à un MCN – ils semblent néanmoins fondés sur de réelles affinités artistiques ou amicales, et sont apparemment un réel moteur de progression et de créativité pour ses membres. 179 Un certain nombre de tâches peuvent pourtant être pris en compte par les MCN, ce pourrait donc être le cas des échanges avec la communauté. 133 134 Représentation des collaborations entre les créateurs rencontrés « Et donc je continue sur Comédie. J’arrive à convaincre de continuer les Top 8 avec Et Bim et donc de facturer à la boîte, parce que mine de rien ça me gêne un peu d’être facturé en dehors de Et Bim, bon voilà. Donc en janvier on continue les Top 8 avec Comédie avec Et Bim et donc voilà on fait toute la saison comme ça. Et donc Darfimbabwour, et MSF et… c’est une année très très chargée quand j’y pense… en parallèle, en septembre 2015 quand je rentre chez Comédie, quand on est en train de faire le montage de Darfimbabwour… avec des copains des Parasites et avec des copains à droite à gauche avec qui on a déjà tourné sur nos films ou certains avec qui je me disais putain il y a vraiment, faudrait qu’on fasse plus de trucs avec eux. Et ben on se réunit, on a des idées, autour du covoiturage. Et il y en a un qui m’avait dit, ah ce serait bien de faire des sketchs en voitures et donc je dis… vraiment, c’est vraiment le truc classique, je me réveille la nuit tu vois, ou je sais plus un soir et je me dis, mais attends, mais c’est trop con, c’est ça le taf d’un producteur, c’est de… on se réunit on voit si l’idée elle est faisable et tout, et donc je les appelle, j’envoie des textos, je dis les gars ça vous dit, on se voit cette semaine, tous ensembles, on est six ou sept et on discute vraiment de faire un truc sur le covoiturage, on se réunit et on en parle. On dit voilà, moi j’aimerais bien faire ça, quels formats ça pourrait être ? De la fiction, du sketch, des caméras cachées… On a quelques réunions préparatoires et on décide de tourner cinq vidéos de covoiturage, pour nous, à l’arrache, dans ma maison de campagne, avec Bastien [Ughetto], Jules [Dousset], Mehdi [Ortelsberg]. Donc je fais rencontrer Mehdi, Jules, Bastien. Bastien je le connaissais pas très bien je le rencontre un peu plus. Guillaume [Desjardins], je le connaissais très bien. […] Jules c’est un pote de l’Eicar aussi. Jules, il connaissait bien Les Parasites, il connaissait tout le monde Jules. Sauf Mehdi qui arrive du Laboratoire de l’acteur et de mon long-métrage, et de plein de trucs. Et Mehdi c’est un comédien que j’aime beaucoup, et avec qui je m’entends bien et que je trouve intelligent et très bon auteur donc… C’est des gens tu les gardes près de toi ! Tu vois en fait tu dis, on ne sait pas, mais on est bien ensemble c’est trop bête, c’est comme ça que ça se construit ! » (Entretien avec Ambroise Carminati). 135 Comme dans le monde de la musique où les collaborations sont fondées à la fois sur des affinités artistiques et humaines, et la volonté de trouver sa place dans l’industrie, YouTube est un « buddy business » pour reprendre la formule de Maike Engelmann qui estimait que « The music business is a ‘buddy’ business » (Pilmis, 2007). Un Youtubeur interviewé par Lange en marge d’un meetup déclarait : « I know these people, better than I know my own neighbours I know these people. I know what they’re about and what they do and… it was like going to a family reunion, that’s what it was about… [YouTube] is a community in every way that your city is a community. » (Lange, 2008, p. 93). Le lien social et les affinités jouent un rôle capital dans les processus créatifs (Amabile, Conti, Coon, Lazenby, & Herron, 1996; Banks, Calvey, Owen, & Russell, 2002), participant à la construction d’un réseau personnel entrepreneurial et créatif (Beeching, 2010). La créativité devient ainsi « un processus social plus qu’une capacité innée180 » (Engelmann, Grünewald, & Heinrich, 2012, p. 38), au sein duquel le tissu relationnel permet d’acquérir davantage de capital social et culturel, et donc de capital économique. Les échanges entre pairs ouvrent la voie au partage et à la diffusion de compétences. La communauté joue en effet un rôle fondamental dans l’acquisition par les artrepreneurs de compétences, culturelles, sociales ou encore techniques (Engelmann et al., 2012)181. Grünewald et Haupt notent ainsi que nombre de leurs enquêtés ont acquis certaines compétences – 180 « Creativity here is a social process more than natural ability » (Engelmann, Grünewald, & Heinrich, 2012, p. 38). 181 Les auteurs empruntent cette expression une autre recherche – à laquelle a également contribué Grünewald – qui s’est intéressée aux musiciens de la région berlinoise et à la façon dont ils développaient leur carrière en adoptant des logiques entrepreneuriales en plus des considérations artistiques et esthétiques, devenant ainsi des « artrepreneurs » (Engelmann et al., 2012). 136 comme le montage vidéo par exemple – directement sur YouTube ou via des aides et des conseils d’autres youtubeurs (2014, p. 5). Ces relations sont également des marche-pieds vers d’éventuelles collaborations. Celles-ci peuvent prendre un grand nombre de formes : coécriture, coréalisation, participation technique au tournage (prise de vue, prise de son, etc.), figuration, dialogue entre vidéo, etc. Certains youtubeurs tendent même à se regrouper en collectif de créateur, concevant ensemble des contenus pour une chaîne commune (Grünewald & Haupt, 2014). Pour Grünewald et Haupt, les musiciens, devenus des artrepreneurs, seraient en quête de nouveaux contextes de création et verraient dans YouTube un moyen de créer de « précieuses relations » avec des pairs. Ils auraient ainsi la possibilité de collaborer et d’échanger d’une façon réellement différente et nouvelle (2014). 3.2. La communauté des Youtubeurs, facteur d’identité et de reconnaissance Les youtubers contribuent à l’élaboration d’un sentiment d’appartenance à une communauté qui joue à la fois un rôle identitaire pour chacun et celui d’une reconnaissance vis-à-vis des autres membres. Un certain nombre d’acteurs professionnels ou professionnalisés sont très impliqués dans la communauté et entretiennent de véritables affinités avec d’autres usagers (Lange, 2009). Cette perméabilité des activités et des contenus entre les différents youtubeurs de la communauté serait ce qui ferait la différence entre les pratiques sur YouTube de ceux que Burgess et Green qualifient d’« entrepreneurial vloggers » et des médias traditionnels (2009). Selon les auteures, les « entrepreneurial vloggers » sont impliqués dans les logiques de partage des revenus publicitaires, et peuvent du fait de leur très grande notoriété et des marques fortes qu’ils représentent être assimilés à des entreprises médiatiques classiques. Cependant, ce qui les distingue des 137 acteurs traditionnels des industries culturelles qui évoluent sur la plateforme, mais ne font que transposer sur YouTube « the same one-way model of participation we know from broadcasting », est justement leur appartenance à la communauté. Ils en sont des membres actifs et en maîtrisent, adoptent et enrichissent les conventions esthétiques et sociales. Dans une certaine mesure, ce serait justement cette implication dans la communauté et cette grande maîtrise de ces formes et de ces pratiques propres à YouTube – Burgess et Green parlent même de virtuosité – qui serait à l’origine de leur succès en ligne (2009). Pour Grünewald et Haupt, ces artrepreneurs favoriseraient, par l’intensité de leurs pratiques relationnelles et culturelles, la création de valeur économique, « de nouvelles convergences culturelles, économiques et sociales » (Grünewald & Haupt, 2014, p. 2)182. La distinction artificielle entre pratiques amateurs et professionnelles ou entre logiques lucratives ou non, ne permet donc pas une bonne compréhension du phénomène YouTube et de sa communauté. Il serait dès lors plus cohérent de s’intéresser aux pratiques de ces acteurs en lien avec leur participation à la communauté : « The key analytical distinction, rather, hinges on the extent to which content producers understand YouTube as a participatory medium, and work responsively and proactively within it, rather than attempting to import models of content and experiences from somewhere else. » (Burgess & Green, 2009, p. 104). Les youtubeurs stars participent à l’élaboration d’un sentiment d’appartenance à YouTube et à sa communauté, « a sens of YouTube-ness » (Burgess & Green, 2009, p. 100). Ainsi, si Alison Wheeler a débuté à la télévision, ou si Aude Gogny-Goubert a été assistante-metteure en scène et metteure en scène de la Comédie Française, quand Pauline Clément – du collectif Yes Vous Aime – en est pensionnaire ; ce serait avant tout parce qu’elles participent à ce YouTubeness qu’elles sont considérées comme youtubeuses. 182 En anglais dans le texte : « new convergences of culture, economy and sociality ». 138 Comme tout monde de l’art, la communauté YouTube est porteuse d’identité. « Parmi les diverses explications possibles de la désirabilité des métiers artistiques, il faut accorder une importance particulière à cette association de l’individualisme et du risque, non seulement pour qualifier la situation des créateurs indépendants et isolés, mais aussi celle des professionnels travaillant en équipe dans des organisations par projet. Ces valeurs nourrissent une forte identification avec une communauté professionnelle, moins sur la base de l’intégration de chacun dans un groupe homogène, que sur celle d’une organisation en réseau des liens de travail. » (Menger, 2002, p. 29). La communauté est donc au cœur de ce sentiment commun d’appartenance, ce « YouTube-ness ». C’est sur elle que reposent ces plateformes183, qui suscitent « la multiplication des activités de contribution » (Proulx, 2011, Bruns, 2008). « L’être en commun engendré par internet » (Caillé, 2014, p. 7) y serait renforcé, pour y jouer un rôle central. Conformes aux caractéristiques du dispositif défini par Viviane Couzinet (2009), ces plateformes seraient un moyen de diffusion, « favorisant la création de liens sociaux entre le producteur de l’information, celui qui permet sa circulation et celui qui se l’approprie » (Stassin & Chaudiron, 2011, p. 3). Elles favorisent « un accroissement de la “participation” et de la “collaboration” des internautes dans la production de contenus ou, tout du moins, dans leur mise en visibilité » (Bullich, 2015). Pour Fanny Georges, le web 2.0 conduit à un déplacement de l’identité numérique, de l’identité déclarative – central dans le web 1.0 – vers les identités agissantes et calculées. L’activité – les interactions sociales, les partages et les publications d’information, etc. – et la quantité – nombre d’amis, de followers, de retweets, etc. – seraient ainsi mises en avant, « Incitant l’utilisateur à nourrir continuellement la structure identitaire qui le manifeste 183 YouTube, mais également MySpace, les blogs, les plateformes de crowdfunding, les réseaux sociaux, etc. 139 pour exister dans sa communauté » (Georges, 2009, p. 168). L’auteure propose d’ailleurs d’envisager l’identité de ceux qu’elle qualifie d’interacteurs au prisme de la notion de décentration développée par Annabelle Klein et Jean-Luc Brackelaire (2013). Pour ces auteurs, la décentration serait « une désignation [de soi] à partir des multiples images de soi qui sont renvoyées au narrateur, et un double travail d’identification et de différenciation des récits entre eux » (2013, p. 74). George propose elle de considérer les marques de ces interactions – relation, partage, adresse directe aux autres usagers, etc. – comme des signes, des données chiffrées qui « place constamment l’utilisateur face à son reflet dans le miroir des valeurs culturelles locales, le conduisant à s’interroger par exemple sur les raisons de la croissance ou de la décrue des “demandes d’amis”. » (Georges, 2009, p. 173). Dans le cas de YouTube, Agnès Gayraud & Guillaume Heuguet constatent une forte incitation de l’utilisateur à se « connecter », comme une incitation à renforcer ses identités agissantes et calculées : « Ainsi, la consultation de l’URL youtube.com permet d’observer une forte redondance de signes suggérant à l’utilisateur de s’inscrire. Sous la catégorie “s’inscrire”, nous résumons un ensemble de formes observables à l’écran : dans un ordre de lecture gauche-droite, haut-bas, ce sont un bouton “Connexion”, un autre “Vidéos à regarder”, le syntagme “Des chaînes pour vous”, un bouton “S’abonner” et enfin un bouton “Se connecter”, surplombé d’une sorte de légende “Connectez-vous maintenant pour consulter vos chaînes et vos recommandations”. » (2015, p. 11). Promu comme une « community-driven platform » (Snickars & Vonderau, 2009, p. 10), YouTube est devenu, pour ses participants actifs, un vrai site de réseau social, « dans lequel les vidéos sont le principal moyen de connexion sociale entre les participants184 » (Burgess, 2008, p. 102). Il serait une plateforme de participation 184 « in which videos (rather than ‘friending’) are the primary medium of social connection between participants. » (Burgess, 2008, p. 102). 140 culturelle, sur laquelle différents acteurs, des individus, des entreprises, des usagers entrepreneurs, participent et contribuent à un système culturel (Burgess & Green, 2009 ; Grünewald & Haupt, 2014). Les pratiques collaboratives au sein de cet univers peuvent intervenir pour différentes raisons : envie d’échanger sur ses passions, volonté d’avoir des retours sur son travail, d’apprendre de ses pairs et de partager des compétences, quête de nouveaux contextes de création, envie de création collaborative, etc. Alternativement usagers, consommateurs et producteurs, les youtubeurs s’abonnent à d’autres chaînes, sont parmi les premiers publics de leurs vidéos, commentent, votent, dénichent de nouvelles créations et de nouveaux créateurs, partagent leurs découvertes et leurs coups de cœur, s’impliquent dans les discussions et les débats de la communauté YouTube. Leur relation avec leur audience repose elle aussi sur une participation active et passe, notamment, par des échanges directs dans les commentaires ou via d’autres réseaux sociaux (Burgess & Green, 2009). Anandam Kavoori propose de se saisir des concepts de « produser » – développé par Alex Bruns dans ses travaux sur le web collaboratif (Bruns, 2008) – pour définir ces acteurs au profil hybride qui remettent en cause les modèles traditionnels de la production et de la consommation (2015). 3.3. Des réseaux qui se croisent et se recroisent Les réseaux, loin d’être indépendants, ont au contraire tendance à se croiser et à s’entremêler. Tout au long de nos entretiens, nous avons pu nous rendre compte que ces rencontres et ces relations ne sont pas linéaires, mais au contraire réticulaires. Nombreux sont les créateurs à avoir rencontré, indépendamment et dans des contextes très variés, chacun des membres d’un collectif avec lequel il va ensuite collaborer. Cet entrelacement des réseaux s’explique notamment parce que les créateurs ont souvent d’importants cercles relationnels. Ils entretiennent en effet des relations avec un très grand nombre de personnes, ce qui augmente la probabilité de rencontrer des acteurs de ces 141 réseaux artistiques. De plus, véritables « touche-à-tout » des milieux culturels, ils multiplient les occasions de rencontres aussi bien dans la bande dessinée, les blogs, le théâtre, le stand-up, la télévision ou encore la musique. Au-delà même des rencontres organisées par YouTube ou directement en lien avec cette activité – les fameux aperotube –, ils semblent que ces créateurs, en véritables animaux sociaux, aient tissé un intense réseau, les liant fermement à ces univers de créations. Les anecdotes de rencontres sont nombreuses et bien souvent sans lien apparent. Qu’il s’agisse d’amitiés de jeunesse, de liens familiaux, de relations professionnelles ou encore d’autres pratiques numériques ou culturelles, les lieux et les contextes d’entrée dans le réseau sont en réalité extrêmement variés et n’ont pour beaucoup que peu de lien avec YouTube. N’envisager ce réseau et ses logiques au seul prisme de la pratique artistique et des sociabilités qui y sont liées, n’en atténue d’ailleurs que peu le caractère diffus : la bande dessinée, la musique, le théâtre ou encore le stand-up, sont autant de mondes de l’art en interaction avec la création sur YouTube. La formule « c’est un petit monde », entendue à de multiples reprises au cours des entretiens, apparaît finalement comme particulièrement peu adéquate, tant ce « monde » s’étend sur un vaste territoire. Les rencontres sont multiples et les personnalités se croisent. Lucien Maine : Navo, je l’ai rencontré via son blog. Oui, dans ces années-là, 2006, 2007. Et il avait fait un post où il avait parlé d’un truc vraiment très dur dans sa vie, quand il s’était fait largué par sa nana… Et il avait l’air de ne pas aller bien. On n’était pas potes, on se connaissait pas, et je lui ai envoyé un message en disant, putain j’aurais plein de trucs à te dire à ce sujet, parce que j’ai eu une expérience similaire, mais bon… enfin si on avait été pote, je t’aurais proposé d’aller boire une bière, mais voilà, bon courage. Et là, il m’a renvoyé un mail en disant bah, allons boire une bière ! Voilà, bah… tu vois dans les inspirations géniales de Navo. De dire bon OK, tu sais la spontanéité folle. Et 142 donc on s’est dit, ouais OK, tu fais quoi demain ? On s’est retrouvé à Bastille, on est allé boire une bière, et là on s’est rendu compte qu’on avait plein de potes en commun. On connaissait Bun Hay Mean en commun, Pénélope Bagieu, on avait vraiment des gens qu’on connaissait… Intervieweur : Comment tu les connaissais ? Lucien Maine : Ah Pénélope en fait je l’ai connu bien avant qu’on fasse des blogs en fait, c’était, ami d’ami, je l’ai rencontrée comme ça et après on est sorti ensemble pendant un an et demi. […] Et en fait lui, il connaissait Pénélope via son blog, et moi je disais, ah, mais moi je la connaissais d’avant. Et voilà on s’est retrouvé plein de trucs. Kyan aussi, Khojandi, lui commençait à être pote. Intervieweur : Tu le connaissais d’avant ? Lucien Maine : Oui parce qu’en fait… j’ai rencontré Bun à un barbecue… Intervieweur : Donc par des potes de potes… Lucien Maine : Bah c’est le milieu artistique… […] en fait c’était une vieille pote du cours Simon aussi, qui m’avait invité à un barbecue, ça faisait trois ans que je l’avais pas vu. Je fais ah trop cool, j’y vais, j’apporte des bières, et je rigole avec Bun, et il me fait oh je fais du stand-up. Et ça m’intéressait déjà le stand-up à cette époque-là, donc je fais je vais venir te voir. Je vais le voir, c’est trop bien, son premier spectacle il était trop marrant ! Et c’était au Moloko à l’époque, ça existait encore à Pigalle. Et en allant voir Bun plusieurs fois, je rencontre Kyan qui fait sa première partie à l’époque. Et Kyan super, on discute on sympathise, machin. Il me dit, ah moi aussi j’étais au cours Simon… Kyan aussi il y était, mais plus tard, après moi. Et donc, on parle des profs, enfin voilà. Et donc Navo avait rencontré Kyan via tout ce milieu du stand-up. Et donc on discute pendant huit heures, on se dit ah trop bien, on s’échange les numéros et donc on se voit souvent, tout ça. 143 Certaines personnes jouent des rôles pivots dans ces réseaux. Bruno Muschio dit Navo, l’un des deux cocréateurs de la série Bref, est par exemple cité par plusieurs des créateurs rencontrés comme l’une des personnes leur ayant mis le pied à l’étrier. Il a en effet joué un rôle central dans le monde du stand-up parisien, réunit un grand nombre de créateurs sur Bref (menant ainsi à des rencontres), inviter des créateurs à le rejoindre en ligne lorsqu’il a assuré le rôle de directeur artistique de Golden Moustache ou encore fait intégrer Ambroise Carminati au pool d’auteurs de Canal+. Ce dernier raconte d’ailleurs sa rencontre avec lui avec un très grand enthousiasme, considérant ses encouragements comme « une marque de confiance » qui lui donnerait « envie de continuer » : Intervieweur : Donc du coup, vous faites C’est marrant la vie ? Ambroise Carminati : Alors, websérie hyper impliquante, on tourne pendant trois semaines, on fait tourner tous les copains de l’école de théâtre et tout. Parce qu’après mon école de ciné, j’ai fait encore deux ans de théâtre en parallèle. Intervieweur : t’as fait quoi ? Ambroise Carminati : Le laboratoire de l’acteur. Où j’ai rencontré les comédiens de La règle du jeu [son premier film], où j’ai rencontré des autres comédiens avec qui je travaille encore aujourd’hui et où moi-même j’ai développé mon jeu de comédien à fond, et c’était important pour moi. […] Donc c’est marrant la vie est une websérie qui… qui a pas marché au sens des millions de vues, mais en revanche ça nous a apporté deux trucs extraordinaires. Un, ça a cristallisé, ça a fédéré les gens autour de nous. Nos amis techniciens, acteurs et tout… parce mine de rien c’est très important dans ce métier d’être actif et de montrer que tu vas au bout des projets, que tu tournes, tu tournes… et c’est ça qui est l’enfer, c’est que quand tu fais rien, c’est affreux, tu te dis, il se passe des trucs et je suis pas dedans. Donc ça, ça a continué à réunir du monde. Mais bon, ça, c’est notre capacité avec 144 Andréa, à réussir à monter des projets un peu ambitieux. Parfois on les fait pas, mais voilà… Et surtout, ça a été repéré par les mecs de Bref. Kyan Khojandi et Navo, qui… sont des stars à l’époque, parce que Bref c’était un an avant, et parce que nous… on les aime beaucoup évidemment. Et quand on va à Cannes au mois de mai suivant… Intervieweur : Et comment ils le repèrent, tu sais ? Ambroise Carminati : Bah il y a un retweet à un moment. Et c’est très simple tu vois un retweet, tu vois le nom, tu fais attends, c’est bizarre, c’est lui ? Mais il parle de moi ? Mais il a retweeté, putain c’est un truc de fou ! Et tu fais, ouais il y a Kyan Khojandi et Navo qui ont retweeté un épisode de notre série en faisant, ah très très cool la websérie machin… Et là, tu fais OK, j’ai une fenêtre ! (rire) Enfin, on l’a pas contacté, juste on était trop contents. De toute façon, la confiance c’est essentiel dans ce métier. Les marques de confiances il faut les accepter ! Donc à Cannes au mois de mai 2013, on croise Kyan et Navo, à une soirée. Un de nos potes les croise à une soirée et fait, ah, mais vous savez qu’ils sont là C’est marrant la vie, et un déjeuner est organisé et on déjeune Andréa, Kyan, Navo et moi, tous les quatre. Intervieweur : Ah ouais ! Ambroise Carminati : On est comme des oufs ! Intervieweur : Et c’était qui ce pote ? Ambroise Carminati : C’est Mathieu Lardier, c’est un comédien, qui joue dans Merci Facebook 2, dans La règle du jeu… dans C’est marrant la vie. Intervieweur : Mais qui ne connaissait pas spécialement Kyan et Navo ? 145 Ambroise Carminati : Non, qui les croise en soirée et… mais c’est génial parce que le fait qu’il aille leur parler, qu’il donne mon numéro à Navo, direct on s’envoie des textos, vous faites quoi ? Et on déjeune ! Donc là, nous on est en mode petits frères, ils nous racontent, oui ne vous faites pas baiser, soyez intègres, c’est bien les gars continuez et tout… et moi je fais putain on est à Cannes, on déjeune avec les mecs qui ont retourné Internet et le format court à la télé… Et depuis Navo est un pote et un conseil hyper important pour moi, pour Et Bim, et il suit ce qu’on fait et… évidemment on suit ce qu’il fait… on est allé à leur spectacle, au spectacle de Kyan, on bouffe avec eux après, enfin voilà… il y a une espèce de relation, on se sent privilégiés et on sent que ces mecs ont détecté en nous quelque chose et ça nous donne encore plus envie de continuer ! De manière moins directe, Davy Mourier semble lui aussi avoir joué un rôle structurant dans la communauté. C’est autour de lui et de ses premiers projets – Nerdz et le Golden Show – qu’un grand nombre d’acteurs aujourd’hui incontournables sur YouTube se sont rassemblés. C’est notamment le cas de Vanessa Brias, qui fut directrice de production pour Studio Bagel, Golden Moustache, Le Golden Show ou encore Le Visiteur du futur. Mais également Clément Maurin – un ingénieur du son qui a par la suite travaillé pour Golden Moustache et la plupart des projets du collectif Frenchnerd –, Rémy Argaud – un cadreur et monteur qui a par la suite travaillé pour Golden Moustache et la plupart des projets du collectif Frenchnerd – ou encore Marjolaine Vialle – une maquilleuse qui a par la suite travaillé pour Golden Moustache, Studio Bagel et la plupart des projets du collectif Frenchnerd. Daphné Thavaud – sœur de Norman et agent de nombre de youtubeurs et François Descraques ont également eu un rôle pivot. La première, en tant qu’agent très implantée dans le milieu, semble avoir provoqué directement ou non un grand nombre de rencontres et de collaborations. Le second, à travers ses diverses séries, a amené un grand nombre de créateurs à travailler ensemble – il a, de plus, l’habitude de travailler régulièrement avec les mêmes collaborateurs. 146 3.4. Intégrer la communauté Les logiques d’interaction et d’engagement dans un réseau sont le résultat d’une « quête de visibilité » des usagers (Gabsi & Boumankhar, 2011, p. 5). Au-delà de l’égalité d’accès de principe à la plateforme, le niveau de visibilité est inégal et diverses stratégies mises en œuvre pour se rendre plus visible. 3.4.1. La quête de visibilité Pour Yoganarasimhan, plus un auteur a un réseau social riche et diffus, plus ses vidéos sont susceptibles de rencontrer le succès (Yoganarasimhan, 2012). Les relations, les amis, les fans, sont autant de potentiels relais de diffusion et de validation des contenus, et donc autant de moyens de gagner des téléspectateurs (Jenkins, Ford, & Green, 2013). Le regroupement au sein de collectifs, de cercles, serait ainsi un moyen de gagner en visibilité. Bérengère Stassin et Stéphane Chaudiron montrent que les blogs tendent à se regrouper pour former un réseau, tirer parti de leur cercle de notoriété mutuel (2011), et profiter « du caractère viral et épidémiologique (Leskovec, McGlohon, Faloutsos, Glance & Hurst, 2007) de la diffusion de l’information au sein de la blogosphère. » (Stassin & Chaudiron, 2011, p. 4). Henry Jenkins, estime quant à lui que ce serait essentiellement la capacité à être partagé – spreadability – qui générerait de la valeur (Jenkins, 2007). Par le biais des réutilisations, des remaniements, des partages, les contenus gagneraient du sens, élargiraient leur audience, attireraient de nouveaux marchés et généreraient de la valeur (Burgess, 2008). La mise en ligne d’une vidéo par un usager pourrait être vue comme l’amorce d’un dialogue, d’une discussion avec son audience – ou tout au moins son audience potentielle. Par le biais des commentaires, des votes, des compteurs de vues se construit un échange d’informations – quand il se limite aux métriques –, de point de vue, d’encouragement, de suggestion, 147 etc. À mesure que l’audience croît, « la relation avec les fans serait une source de retours critiques, d’amélioration, d’orientation pour les vidéos à venir et de motivation185 » (Grünewald & Haupt, 2014, p. 7). Leur rôle, loin d’être passif, peut être envisagé au prisme de la place de l’usager créateur. En effet, en devenant créateur, il demeure souvent fan et reste lui-même la première audience d’autres youtubeurs (Grünewald & Haupt, 2014). Cette discussion ne s’adresse pas qu’aux fans, mais, également et surtout, aux pairs, ou à ceux dont on aimerait être reconnu comme pair. Au travers d’un video-based dialogue, le youtubeurs chercherait ainsi à entrer en relation avec d’autres youtubeurs (Strangelove, 2010). Ce dialogue vidéo, étape préalable à une reconnaissance et à une éventuelle collaboration, serait même pour certains créateurs la principale motivation. Leur activité et surtout la diffusion de leur production, n’ayant pas nécessairement pour vocation une diffusion massive ou un quelconque succès, mais plutôt le retour et l’éventuelle validation des pairs (Lange, 2008). Il s’agit d’avoir un retour, de savoir ce que d’autres disent de leur travail, pour éventuellement s’améliorer, ou plus simplement être confortés dans son envie de faire des vidéos. Un youtubeur explique par exemple qu’il ne s’est vraiment senti youtubeur qu’en recevant un feed-back d’un youtubeur célèbre (Grünewald & Haupt, 2014, p. 8). Cette aspiration peut parfois être ciblée, et ne viser qu’un cercle restreint de créateurs estimés, comme l’a montré Pauline Adenot dans ses recherches sur les chaînes de vulgarisation scientifique (2016). 3.4.2. Égalité d’accès, visibilité inégale YouTube, comme MySpace avant lui, offre une « égalité formelle », « en permettant à tout un chacun de se construire une page, de mettre à disposition des contenus musicaux, vidéo ou graphiques, et de se construire un réseau d’amis » 185 « As the audience grows over time, relationships with fans are a source of critique and improvement, orientation for upcoming videos, and motivation. » (Grünewald & Haupt, 2014, p. 7). 148 (Beuscart, 2009, p. 142). S’il n’y a pas de réelle barrière à l’entrée, rien n’assure cependant l’usager d’y trouver une place. En effet, une égalité d’accès ne suffit pas à être vu. La multiplication et l’ouverture des canaux de communication ne garantissent en effet pas la visibilité (Bastard, Bourreau, Maillard, & Moreau, 2012 ; Beuscart & Mellet, 2015). L’offre de vidéo sur YouTube est de fait quasi infinie, ou tout au moins illimitée, chacun pouvant à chaque instant l’enrichir. Elle repose de plus sur un mode de consommation délinéarisé, dans lequel l’offre n’est plus rivale et chaque contenu est en concurrence permanente (Auburtin, 2016). Or, non seulement la démultiplication de l’offre ne signifie pas nécessairement que les consommations vont se diversifier, mais il semblerait même que cellesci tendent au contraire à se concentrer sur des produits stars (Beuscart, Beauvisage, & Maillard, 2012). Le principe classique de the winner takes all de l’économie de l’attention s’applique – une prime au gagnant – et favorise les quelques contenus les plus visibles dans une logique de diffusion virale des vidéos. (Burgess, 2008, p. 102). Dans le domaine des productions musicales, les chercheurs du projet Panic montrent une inégalité importante entre les productions issues de l’industrie et celles des UGC. Selon eux, cette inégalité se jouerait notamment au niveau « des pages qui valorisent l’offre », ces dernières ayant davantage tendance à s’intéresser aux contenus des majors (Bastard et al., 2012, p. 17). De plus, si YouTube insiste dans ces discours sur l’ouverture à tous de sa plateforme, il aurait selon les auteurs tout intérêt à promouvoir les contenus des grands acteurs des industries culturelles : « Pour attirer les maisons de disques (dont dépend la présence de morceaux soumis à leurs droits d’exploitation), les internautes (qui viennent consulter des morceaux d’artistes reconnus) et les annonceurs (qui souhaitent voir leurs publicités associées à des “contenus” de qualité). » (Bastard et al., 2012, p. 17). Une certaine reproduction des modèles et des structures serait ainsi à l’œuvre. 149 Cependant, à l’exception notable de la musique, la majeure partie des chaînes à succès ne sont pas issues des industries de la culture, mais des UGC186 (Lorenc et al., 2013). Ainsi, si les contenus traditionnels des industries culturelles – clip musical, bande-annonce, etc. – conservent une nette longueur d’avance en termes de visibilité187, les contenus non originellement professionnels engendreraient un plus fort engagement, davantage de vues, de votes et de commentaires, mais également avec des commentaires plus tournés vers le dialogue et l’échange (Lo, Esser, & Gordon, 2010). Ces contenus, plus originaux dans leur forme, seraient donc davantage portés par des acteurs extérieurs aux industries classiques. Certaines vidéos amateurs occupent d’ailleurs une place centrale parmi les vidéos les plus vues. C’est notamment le cas de la vidéo Charlie bit my finger qui a atteint près de 850 millions de vues188. Si même les contenus soutenus ou produits par des acteurs des industries de la culture et de la communication ne sont pas assurés de « sortir du lot » (Lebtahi, 2014) – voire dans une certaine mesure seraient, en comparaison des moyens dont ils disposent, davantage confrontés à des échecs (Burgess & Green, 2009 ; Strangelove, 2010) –, le fait de disposer de ressources financières ou techniques supérieures ne mène donc pas davantage au succès et à la popularité au sein de la communauté YouTube (Welbourne & Grant, 2016). Pourquoi seuls certains contenus et certains vidéastes atteignent « le buzz » ou une notoriété pérenne ? Nous avons vu (voir supra) que les capacités relationnelles permettent aux youtubeurs une plus grande visibilité et sont au 186 Les auteurs parlent d’UGC et de PGC comme des user-generated channels et professionalgenerated channel (ces sigles correspondent en général à des contents – des contenus – et non à des channels – des chaînes – comme c’est le cas ici). 187 Alors que la vidéo de youtubeur la plus vue en France en 2016 plafonnait à une dizaine de millions de vues, les clips les plus populaires d’un artiste comme Jul atteignent régulièrement les 50 millions de vues (la plus populaire étant à presque 150 millions de vues). 188 https://www.youtube.com/watch?v=_OBlgSz8sSM. 150 cœur de leur créativité et de leur réussite (Burgess & Green, 2009 ; Castells, 2013 ; Grünewald & Haupt, 2014). Ces plateformes fonctionnent en effet selon un mode de publication autoritative – laissé à la seule appréciation de l’auteur –, dans lequel la validation du contenu se fait a posteriori par la communauté (Broudoux, 2007). Dès lors, le fait de s’intégrer dans la communauté est donc essentiel. Au travers de deux exemples, Burgess et Green mettent assez nettement en avant l’importance de l’intégration dans la communauté vis-à-vis du succès sur YouTube. Elles rapportent ainsi le cas d’une youtubeuse, Orlova, dont les nombreuses collaborations avec d’autres youtubeurs – plus et moins connus qu’elle – ont non seulement permis d’augmenter sa visibilité, mais ont également joué le rôle d’un « cri » adressé à la communauté (Burgess & Green, 2009, p. 98). À l’opposé, les auteures relatent l’arrivée d’Oprah Winfrey sur la plateforme. Cette star de la télévision américaine s’est notamment vu reprocher le côté unilatéral des échanges de sa chaîne, un fonctionnement considéré par la communauté comme contraire à ses modes de fonctionnement. La communauté craignant notamment que le succès de cette chaîne soit le début d’une forme de « colonisation » par les médias traditionnels qui imposeraient alors leurs règles. Cependant, cette chaîne n’a finalement pas rencontré le succès attendu, et ce serait en grande partie parce qu’Oprah Winfrey n’aurait pas su s’insérer dans la communauté (Pilmis, 2007, p. 2). 3.4.3. Les stratégies d’intégration Pour s’intégrer à la communauté, les youtubeurs disposent d’un arsenal de stratégies, plus ou moins performantes. Une des premières stratégies peut être qualifiée de spamming. Il s’agit pour le participant de s’abonner à un très grand nombre de chaînes dans l’espoir que les utilisateurs s’abonnent en retour. Selon Lange – l’auteure 151 – qui rapporte un ratio de 10 % d’abonnements en retour – le succès de la méthode repose sur le sens de la réciprocité qui amène une grande partie des gens à retourner des vues, des commentaires ou des abonnements (Lange, 2008). Cette première méthode reste cependant discutable, et ne susciterait de la part des autres usagers qu’un engagement très faible. Bien que cette technique relativement décriée ait connu son heure de gloire avec MySpace (Beuscart, 2009) avant de fortement décliner, elle semble encore relativement présente sur YouTube. Une seconde stratégie repose sur une interpellation plus ou moins frontale d’autres usagers. Il peut par exemple s’agir d’un commentaire, d’un tweet ou d’un retweet adressé à l’utilisateur afin d’attirer son attention – ou de commentaires et d’adresses régulièrement répétés. Si le nombre de commentaires ou d’adresses directes peut être relativement élevé pour des youtubeurs rencontrant un certain succès, il semblerait cependant qu’un commentaire intelligent ou drôle puisse suffire à engager un échange, voire à inciter à regarder le travail du commentateur (Lange, 2007, p. 367). De manière plus subtile, l’interpellation peut aussi se faire au travers de vidéo hommage, de parodie, de reprise – les covers –, etc. L’objectif étant d’interpeller, non pas par une adresse directe, mais par la mise en avant d’un capital culturel, de références et de codes communs, tout en flattant l’ego du créateur initial dont le travail devient le moteur d’une création nouvelle. Ainsi, Grünewald et Haupt mettent-ils en lumière l’importance des covers dans les stratégies relationnelles des musiciens sur YouTube (2014). Dans cette quête d’intégration dans la communauté, les stratégies de cross promotion jouent un rôle important. Comme dans le cas des interpellations, il s’agit de collaboration, de citation, mais également de parodie, de reprise, de réponse, etc. (Grünewald & Haupt, 2014) La collaboration entre la youtubeuse Andy Raconte et le trio de la chaîne Lolywood en est un excellent exemple : à l’occasion de la Saint-Valentin 2016, ils ont réalisé ensemble deux vidéos sur un premier rendez-vous, fournissant chacun le point de vue d’un des deux partenaires. Les deux vidéos reprenaient la même structure et 152 un grand nombre de plans communs, mais s’entrecoupaient des réactions en aparté – de la femme chez Andy Raconte189, et de l’homme chez Lolywood190 – et invitaient ensuite le spectateur à aller sur la chaîne partenaire pour visualiser la seconde vidéo. Cette logique de cross promotion, qui permet pour les youtubeurs un partage de visibilité, se met en place le plus souvent entre youtubeurs de notoriété et de statut équivalents – ou entre youtubeurs d’un même MCN. La notoriété des youtubeurs joue en effet un rôle clé de valeur d’échange. Les petits youtubeurs aspirant à profiter de celle des plus célèbres. Greg Romano a ainsi demandé à son ami Pierre Croce de faire une vidéo avec lui pour accroître son nombre d’abonnés et ainsi accéder au YouTube Space et aux moyens de tournage mis à disposition. « Et un jour, j’ai appris la présence du YouTube Space, donc je suis allé voir un ami du YouTube Space et je suis allé lui demander comment on faisait pour l’intégrer, il m’a dit il faut 10 000 abonnés. […] Je lui dis bah moi j’en ai 400 ça va être dur ! Il m’a dit, ta seule façon de faire, c’est de faire une vidéo avec un youtubeur déjà connu. J’aimais pas trop le principe, mais il m’a dit, c’est la seule façon. Et donc, comme j’ai connu Pierre, Pierre Croce, on se connaissait en tant qu’humoriste, il m’a dit, écoute avec plaisir, on fait une vidéo ensemble et… Et donc on a fait une vidéo normale, où on testait un jeu, et avant il a dit, voilà Greg a besoin de 10 000 abonnés donc, je devais en avoir 3 000 à l’époque donc il a besoin de 7 000 abonnés, je lui prête comme ça il s’engage à faire des vidéos, et on est parti dans un délire. Et en fait, il y a eu un gros engouement et je suis monté facilement à 50 000. […] Et en fait, je me suis rendu compte qu’il y a beaucoup de gens qui me connaissaient de Golden Moustache, qui n’étaient absolument pas au courant que j’avais une chaîne YouTube, parce que je sortais rien et donc après il y a eu un 189 https://www.youtube.com/watch?v=f4UGpjvxqqw (consulté le 19 mars 2017). 190 https://www.youtube.com/watch?v=p_5ZFMdsYEw (consulté le 19 mars 2017). 153 engouement. Après c’est clair qu’il y a eu beaucoup de désabonnements, de gens qui étaient un peu déçus de la suite, je sais pas, ou il y a des gens qui s’étaient abonnés parce que Pierre l’avait dit, mais pas forcément parce qu’ils étaient fans de mon univers. » (Entretien avec Greg Romano). Ce transfert peut ainsi se faire de multiples façons : par des collaborations, des citations, des recommandations explicites, etc. Grünewald et Haupt soulignent cependant le régime d’inégalité dans ces relations. Ils rapportent différentes situations : un youtubeur a par exemple envoyé de nombreux messages à d’autres youtubeurs pour leur demander de collaborer avec eux ; une stratégie qui s’est avérée payante. D’autres, ayant une renommée plus conséquente, ont au contraire reçu nombre de demandes de youtubeurs moins connus (une manière de faire qui leur rappellerait les stratégies qu’ils ont pu adopter à leurs débuts). Il ne faudrait cependant pas penser que cet échange ne serait qu’unilatéral, comme nous avons pu le voir avec le monde du rap et la pratique du featuring (Hammou, 2010), l’invité, en mettant l’hôte dans une situation de pouvoir et de choix, lui permet également d’asseoir sa notoriété et sa légitimité auprès de la communauté (Adenot, 2016). Pour Van Dijk, ceux qu’il appelle les you-sers (les utilisateurs de YouTube), sont en effet tous des médiateurs. « First of all, every you-ser is a viewer and, by extension, a browser and evaluator of audiovisual content » (Van Dijck, 2007, p. 10). Ce jugement peut être transposé aux youtubeurs ou à leurs collectifs191. Nombreux sont par exemple ceux qui invitent des youtubeurs moins connus ou en parlent dans leurs vidéos. Certains collectifs de youtubeurs ont même développé des pépinières, des programmes dédiés à de jeunes youtubeurs, à l’image de Golden Moustache et de son lab. Lorsque les statuts et la notoriété des youtubeurs sont très différents, certains développent des stratégies de mise à niveau et tentent de créer une 191 Certains MCN, comme Golden Moustache ou Studio Bagel, se présentent sous la forme de collectifs au sein desquels des Youtubeurs se rassemblent pour réaliser des vidéos. 154 situation plus égalitaire. Pour Sophie Imbeaux, il s’agit ainsi d’« échanger » de la visibilité contre de la production de contenus : elle contacte d’autres chaînes, en leur proposant des sketches spécifiquement écrits pour eux, dans l’optique au travers de cette collaboration, de profiter de leur visibilité. Intervieweur : Tu fais des collaborations aussi ? Sophie Imbeaux : Ouais ! Intervieweur : Avec les Kidults notamment ? Sophie Imbeaux : Bah en fait c’est un moment donné où je me dis, il faut peut-être être un peu plus visible et ils m’ont l’air drôles, ils m’ont l’air sympas. Et du coup, je les contacte un petit peu spontanément en disant, écoutez, j’ai écrit des trucs pour vous si ça vous chauffe vous me dites. […] Et j’ai fait ça avec deux collectifs, j’ai fait ça avec les Kidults et 22 h 22, qui est un petit collectif. […] Le but c’est de tourner avec eux, pour avoir un peu plus de visibilité et fait. Pour pouvoir créer une communauté, pour qu’on puisse plus me suivre et pour avoir le choix. Parce que c’est ça en fait, l’objectif final c’est d’avoir le choix dans les projets. Cette logique de transfert et ce poids de la notoriété comme monnaie d’échange semblent pleinement intégrés par les créateurs. Ainsi, même s’il a demandé à Pierre Croce et à plusieurs amis humoristes de collaborer pour des vidéos, Greg Romano explique ne pas leur avoir demandé de partager ses vidéos, et ne l’avoir fait qu’avec Topito ou avec Golden Moustache, qu’il considère comme des sites Internet en quête de contenus. Greg Romano : Quand j’ai sorti le « entre vous et moi », je lui ai dit [à quelqu’un de chez Topito] ça vous dérange pas de faire une mise en avant sur Facebook et il me fait oui, mais nous il nous faut vraiment la vidéo pas en mode YouTube, parce que c’est plus difficile de partager du YouTube sur Facebook, mais on la réupload et tout. On fait du cross, du cross… 155 machin là… J’ai dit OK pas de problème, donc ils me l’ont fait sur mes deux premières quoi. Après je leur ai pas demandé sur les autres, mais en tout cas ils l’ont fait et c’est cool parce que ça m’a permis aussi d’avoir un autre nombre de vues aussi sur Facebook… qui était bien, au-delà aussi de YouTube ! Intervieweur : Et il y a qu’à eux que t’as demandé la mise en avant… Greg Romano : Bah j’ai demandé aussi à Golden, mais Golden a juste partagé le lien YouTube. Mais sinon ouais, j’ai demandé qu’à eux Intervieweur : Et pourquoi à Topito et pas aux autres ? Greg Romano : Parce que Topito, je les connais Intervieweur : OK, pourquoi t’as pas demandé à Pierre [Croce]… Pierre l’a fait ? Greg Romano : Non… non parce que c’est différent de demander à Pierre, tu vois parce que Topito ils proposent du contenu, Pierre il a déjà ses vidéos et je vois pas pourquoi… il proposerait… c’est comme si, c’est comme si deux humoristes sont en train de jouer leur spectacle, et que l’autre partage… tu vois il le partage si c’est vraiment un super pote, mais je vois pas l’utilité de partager un autre spectacle alors que t’es déjà en train de galérer à faire ta promo à toi. Sauf si par exemple, moi ça m’est arrivé plusieurs fois, comme ils savent que je suis de Nice, j’ai des potes qui me font, putain je joue à Nice, t’as des potes à Nice, tu peux partager ? Oui là je partage ! Salut les potes niçois, j’ai mon pote untel, qui joue à 17 h et c’est drôle… Intervieweur : C’est plus parce que Topito et Golden c’est des entreprises quoi ? 156 Greg Romano : Ouais voilà, c’est ça, et parce que eux aussi ça leur fait du contenu. Alors qu’un mec comme Pierre je pense qu’il a pas besoin de contenu, il a tout ce qu’il faut comme contenu. Après ils peuvent partager eux-mêmes, si ça leur plaît ! Le dernier type de stratégie consiste pour les créateurs à identifier un type de vidéo, peu présent, mais susceptible – en s’adressant par exemple à un public de niche ou au contraire en faisant référence à des contenus très populaires – de rencontrer un certain succès. Grünewald et Haupt rapportent ainsi le cas d’un musicien, qui a pu, grâce à son activité, se faire connaître et collaborer avec un célèbre rappeur allemand en jouant du piano sur son album. Il leur explique avoir initialement cherché ce qui semblait manquer musicalement sur YouTube et avoir choisi en adéquation, avec ses goûts, de faire des reprises au piano de morceaux de rap allemand. Il a ensuite envoyé ses reprises aux artistes concernés sur leur profil Facebook personnel. Pour les auteurs, cette approche n’était cependant envisageable que parce le youtubeur disposait déjà en amont de réelles compétences techniques et d’un bon réseau de relations. Les stratégies mises en œuvre n’ont en effet pas toujours le succès escompté. Grünewald et Haupt citent ainsi l’exemple d’un youtubeur ayant deux chaînes YouTube aux destinées inégales : une chaîne principale pour ses créations musicales, rencontrant un succès modeste et une chaîne plus parodique qui rencontre, elle, un réel succès. Or, si les vidéos parodiques lui ont certes permis de nouer des relations avec d’autres youtubeurs plus connus et de sortir du lot, il n’arrive toutefois pas à profiter de cette notoriété de sa seconde chaîne pour valoriser la première, à transférer ce capital d’une chaîne à l’autre (2014, p. 7). De plus, l’intégration – ou pas – dans la communauté joue un effet d’auto – renforcement des inégalités de notoriété. Pour Grünewald & Haupt, cette économie en réseau est une économie globale dans laquelle le capital social, culturel et économique convergent, les deux premiers se renforçant 157 mutuellement et pouvant être transformés en capital économique. Le capital culturel étant nécessaire à la mise en place de collaboration, le capital social augmentant les chances de collaboration et permettant une plus grande acquisition de capital culturel. L’intégration et la participation dans un réseau reposeraient en partie sur le capital culturel, social et économique initial de l’usager. Plus celui-ci sera faible ou éloigné de l’ensemble des participants de la communauté, plus il sera difficile pour l’usager de trouver sa place dans la communauté, d’en comprendre les codes et les pratiques, mais également et surtout d’y contribuer et de l’enrichir (Castells, 2013 ; Engelmann et al., 2012). Ces inégales destinées face à la notoriété relèveraient donc de capacités inégales à s’insérer et à exister dans la communauté, mais également à collaborer, à partager et à valoriser les ressources créatives et sociales de chacun. 158 Conclusion Bien souvent objet de fantasmes sur les revenus financiers qui y circuleraient, de moqueries sur la qualité des contenus que l’on y trouverait, d’a priori sur les jeunes écervelés que l’on y rencontrerait, la communauté YouTube et plus particulièrement celle de fiction, a rarement fait l’objet d’une analyse approfondie. Au terme de notre étude, cette communauté révèle, au-delà de l’outil de placement de produits, de diffusion ou de promotion d’œuvres, la vitalité de l’espace de création et de production qui y prospère. Trois aspects ressortent particulièrement de ce travail. Le premier concerne les créateurs présents sur ces plateformes et l’appellation qui leur est donnée – et que nous employons dans cet ouvrage – : « youtubeur ». Les individus qui travaillent dans cet écosystème viennent en effet d’horizons variés, et leurs motivations et leurs pratiques le sont tout autant. En ce sens, il nous semble que l’appellation youtubeur et les fictions et imaginaires qui y sont rattachés (Flichy, 2001) véhiculent un certain déterminisme technique (MacKenzie & Wajcman, 1999). Trop souvent perçue comme le point de départ d’une évolution – pour ne pas dire d’une révolution – du système médiatique, ayant permis à des amateurs d’atteindre une visibilité inédite, YouTube et les autres plateformes s’inscrivent en réalité dans une tendance plus profonde avec d’une part ce qu’il est convenu d’appeler « le sacre de l’amateur » (Flichy, 2010) et la promotion d’un mode de publication autoritatif, c’est-à-dire sous forme d’autopublication sans validation ex ante (Chartron, 2016) et d’autre part une augmentation des canaux de diffusion avec l’apparition de la TNT et la démultiplication des chaînes gratuites, ou encore l’augmentation vertigineuse du nombre de festivals – un phénomène que Ronström qualifie de « festivalisation » (Ronström, 2014). 159 Les plateformes, en devenant une caisse de résonnance, ne permettent en somme qu’une cristallisation de ces tendances. Certains des acteurs rencontrés pour cette étude s’étaient déjà saisis des possibilités en ligne offertes par le web collaboratif et plus largement Internet pour diffuser différents contenus musicaux, vidéo, informationnels ou plus simplement des tweets. Pour d’autres, YouTube est un canal supplémentaire de diffusion qui complète une activité traditionnelle dans le théâtre ou l’audiovisuel. La plateforme leur permet d’exercer leur métier en s’affranchissant des contraintes du système classique, de ses lenteurs, de ses lourdeurs ou de son manque d’imagination, mais également de montrer leur travail, d’acquérir visibilité et légitimité dans un cadre plus libre tout en respectant des contraintes budgétaires, des codes et une esthétique web qui se sont construits progressivement au cours des années. Le second point a trait à la place des acteurs historiques de l’audiovisuel. Celle-ci trouve notamment son origine dans la quête de rentabilité des plateformes. En effet, malgré leur incontestable succès d’audience, les plateformes d’hébergement de vidéos ont rapidement été confrontées à la recherche d’un modèle économique pérenne. Les contenus amateurs étant fondamentalement moins attractifs pour les annonceurs, elles ont été amenées à mettre en place une certaine éditorialisation de leur offre, promouvant des contenus plus professionnels et inventant des formes de soutien et d’accompagnement à la professionnalisation pour les créateurs les plus prometteurs. Cette éditorialisation de l’offre atteint son point d’orgue avec l’émergence des MCN, structures d’un nouveau genre, qui jouent un rôle désormais central dans la convergence entre les acteurs historiques des industries culturelles et l’économie des plateformes numériques. Mais davantage que la question de la présence de ces acteurs historiques, c’est la question du sens que ceux-ci donnent à leur implication dans leur stratégie et leur projet qu’il nous faut poser. Pour les structures liées aux acteurs de l’audiovisuel privé, l’apparente logique d’incubation mise en place, croisée à la baisse globale des revenus 160 publicitaires sur YouTube, amène à se questionner sur l’avenir de ces structures. Si elles peuvent de prime abord être envisagées comme un moyen pour ces anciens acteurs d’élargir et de renouveler leur cœur de métier – en devenant notamment des agences de communication ou de production –, il semble néanmoins que leur champ d’action tende au contraire à se recentrer sur la production de contenus destinés à être diffusés, à plus ou moins court terme, sur des canaux traditionnels – télévision ou cinéma. Pour les chaînes publiques, l’objectif n’est pas ou plus celui d’une diffusion classique. En témoigne notamment l’évolution du groupe France Télévision ; les récentes modifications dans la grille de France 4 et l’absence de place à l’antenne accordée aux fictions produites par Studio 4, tout comme l’audace dont fait preuve France Télévision dans les types de programmes financés – Studio 4 a d’ailleurs axé sa vidéo de rentrée, Le jury192 sur ce thème – sont le signe de cette tendance. De façon assez éloquente, le slogan de Studio 4, « Les séries radicalement web », n’invite d’ailleurs pas à élargir leur diffusion mais plutôt à trouver des relais aux structures de la diffusion classique, trop contraintes pour proposer des programmes audacieux. Ce constat, croisé à celui qu’a pu faire Marie Auburtin dans ses travaux sur les plateformes culturelles d’Arte et de France Télévision (2016), invite ainsi à questionner la place de ces plateformes dans les missions de service public et le rôle d’aiguillon de la recherche de formats ou d’écritures innovantes qu’elles occupent ou occuperont. Le troisième et dernier point est en rapport avec l’importance de la communauté. La communauté et les réseaux de relations entre ses membres constituent une nouvelle forme de « monde de l’art » spécifique à l’univers numérique. Au-delà de l’activité en ligne, la participation à divers lieux culturels favorise les rencontres ; les relations personnelles sont cruciales dans la gestion des carrières, la montée en compétence ou l’épanouissement de la créativité. Nombre de youtubeurs ont des activités artistiques multiples 192 https://www.youtube.com/watch?v=EP3JJ2FSkvI. 161 et les passerelles sont fréquentes entre secteurs culturels et entre membres des réseaux ; en effet, ceux-ci ne fonctionnent pas selon une logique de « noyaux durs » indépendants, mais ont, au contraire, tendance, afin de partager ou de collaborer, à se croiser et à s’entremêler de manière variée selon les périodes et les projets. La capacité de chacun à s’insérer dans un ou plusieurs réseaux et à s’intégrer dans la communauté est essentielle ; en effet, malgré l’apparente facilité d’accès à la plateforme, tous les apprentis vidéastes ne rencontrent pas le même succès et se rendre visible reste un défi majeur. Au terme de cette recherche c’est la cohérence d’une ou de plusieurs communautés de youtubeurs qui mériterait d’être questionnée en prolongeant nos travaux vers d’autres domaines que celui de la création de fiction. Le colloque « Youtubeurs, Youtubeuses. Figures – formats – savoirs – pouvoirs » organisé en 2017 par l’équipe Prim de l’Université de Tours193, a en effet confirmé que nombre de nos résultats étaient transposables à d’autres champs de la création sur YouTube. Néanmoins, certains points de dissension sont également apparus et nécessitent d’être interrogés. C’est notamment le cas de l’importance des formations, de la place des grands groupes audiovisuels ou encore du rapport aux partenariats. Si les liens et les pratiques de collaboration entre acteurs de la fiction semblent avérés, rien n’atteste aujourd’hui que cette réticularité soit applicable à l’ensemble des acteurs de la création sur YouTube. 193 L’ensemble des communications a été filmé et est consultable sur la chaine YouTube de l’équipe Prim : https://www.youtube.com/channel/UCSB2ND_Nqei7Jo-2UhEahmg 162 Liste des personnes rencontrées Créateur�rice�s Allison Chassagne : auteure et comédienne sur les chaînes The kidults (3 829 abonnés) (35 695 fans Facebook) et Glamouze (24 130 abonnés194). Elle est également cocréatrice de la seconde chaîne. Ambroise Carminati : cocréateur de la chaîne ET BIM195 (43 109 abonnés) et de la série Cocovoit (19 322 abonnés et diffusée sur Comédie+) sur lesquelles il est auteur, comédien et réalisateur. Il est également au pool d’auteur de Canal+ et a coécrit la chronique quotidienne de Marion Seclin sur France 2 pour l’émission AcTualiTy (10 978 abonnés). Audrey Pirault : cocréatrice des chaînes Le Latte Chaud (568 801 abonnés) et Good Monique (95 763 abonnés) sur lesquelles elle est auteure et comédienne, elle a également participé en tant que comédienne à la chaîne 10 minutes à perdre (486 544 abonnés et deux programmes courts diffusés sur Canal+). A aussi sa chaîne personnelle Air Pirault (117 672 abonnés). Babor Lelefan : auteur et comédien sur la chaîne Golden Moustache (2 895 370 abonnés), rédacteur pour le site de Golden Moustache puis pour Tagel le site de Studio Bagel (site dont il a participé au lancement). A également sa chaîne personnelle BABOR LELEFAN (21 471 abonnés) (154 576 fans sur Facebook). 194 Pour ces chiffres comme pour les suivants, il s’agit du nombre d’abonnés YouTube ou de fans fin septembre 2017. 195 Les noms de chaînes sont repris de YouTube avec la casse choisie par leur-s auteur-e-s. Il est donc normal que certains soient en majuscules et d’autres non. 163 Benoit Blanc : auteur et comédien sur la chaîne Inernet (238 705 abonnés et une série diffusée sur Canal+), cocréateur, auteur et comédien de la série BLAT (2 119 abonnés) et de l’émission Ça sent le fromage (diffusée sur un site dédié). Bruno Muschio dit Navo : cocréateur, coauteur et coréalisateur des séries Bref (296 673 abonnés), Bloqués (761 584 abonnés) et Serge le mytho (291 711 abonnés), toutes trois diffusées sur Canal+. Il a également été coauteur sur les deux derniers épisodes du Golden Show (environ 1,1 et 1,7 millions de vues), et directeur artistique de Golden Moustache (2 895 370 abonnés) et auteur pour la série audio de Cyprien Lov L’épopée temporelle (de 1 à 4 millions de vues par épisode). Il est également auteur de BD, artiste de stand-up et coauteur de nombreux artistes. David Azencot : auteur et comédien sur la chaîne Studio Bagel (3 095 260 abonnés et une partie importante des contenus ont été diffusés sur Canal+). A également sa chaîne personnelle David Azencot (674 abonnés). Il est également artiste de stand-up. David Marsais : cocréateur, acteur et auteur de la chaîne Palmashow (2 854 513 abonnés, et des diffusions sur D8, W9 en quotidienne ou en prime time, ainsi qu’un long métrage La folle histoire de Max et Léon qui a fait plus de 1,2 millions d’entrées). Il a également fait des sketchs sur scène à ses débuts. David Salles : comédien, il a participé à la série Deadlandes de François Descraques (diffusée sur France 4), à des épisodes de Bref (296 673 abonnés et diffusé sur Canal+) et à de nombreuses vidéos de Studio Bagel (3 095 260 abonnés) et de Golden Moustache (2 895 370 abonnés). Il est également artiste de stand-up. Davy Mourier : cocréateur, auteur et comédien du Golden Show et de la chaîne du même nom (218 846 abonnés), de la série Nerdz, rediffusée en 164 ligne par la suite sur la chaîne PoulpeetDavy (6 675 abonnés), et de la série REBOOT (13 647 abonnés) dont il a également réalisé les deux saisons. Il a également sa chaîne personnelle Davy Mourier (51 150 abonnés) (101 060 fans Facebook). Il est également auteur et illustrateur de bandedessinée et artiste de stand-up. Éléonore Costes : auteure, comédienne et réalisatrice de certaines de ses vidéos sur la chaîne Golden Moustache (2 895 370 abonnés) et comédienne dans les web-séries Le visiteur du futur (watchthevisitor 165 439 abonnés, diffusée sur France 4) et Rock Macabre (diffusée sur la plateforme Studio 4 et sur la chaîne FrenchBall (512 561 abonnés)). A également sa chaîne personnelle Eleonore Costes (12 939 abonnés). Elle est également musicienne et artiste de stand-up. Gaël Mectoob : cocréateur, auteur et comédien des chaînes 10 minutes à perdre (486 544 abonnés) et Bapt&Gael (857 650 abonnés), et de la série d’animation Bapt et Gaël et les aventures de la couille cosmique (d’abord diffusée exclusivement sur Canalplay puis reprise sur la chaîne Bapt&Gael). Il est auteur et comédien pour Studio Bagel (3 095 260 abonnés et une partie importante des contenus ont été diffusés sur Canal+) et coscénariste de la série José (diffusée sur OCS) et dans laquelle il joue. Grandpamini : auteur et comédien sur la chaîne 10 minutes à perdre (486 544 abonnés et deux programmes courts diffusés sur Canal+). A également sa chaine Grandpamini (13 512 abonnés) sur laquelle il fait des podcasts et des clips de ses musiques. Greg Romano : auteur et comédien sur la chaîne Golden Moustache (2 895 370 abonnés). A également sa chaîne personnelle Greg Romano (100 806 abonnés). Il est également artiste de stand-up. Guilhem Malissen : acteur, auteur et réalisateur sur ses deux chaînes personnelles Masculin Singulier (134 681 abonnés) et Hangover Cuisine 165 (27 093 abonnés) et sur la chaîne Le Club (22 782 abonnés) qu’il a créée avec Pierre Lapin. Il est également artiste de stand-up. Kaza (de son vrai nom Karim Hachemi) : cocréateur de la chaîne SideKick (379 913 abonnés) sur laquelle il est auteur, réalisateur et ponctuellement acteur. Il a également été durant de nombreuses vidéos le coauteur de JHON RACHID (1 081 685 abonnés), et est intervenu en tant qu’auteur pour de nombreuses chaînes de Mixicom dont notamment Le Latte Chaud (568 801 abonnés). Keyvan Khojandi : producteur et compositeur pour la chaîne Parlons peu… Parlons Cul ! (447 620 abonnés), réalisateur, compositeur et parfois comédien et auteur pour la chaîne de Maud Bettina-Marie (134 698 abonnés). Lénie Cherino : cocréatrice de la chaîne Professeur Feuillage (66 939 abonnés) sur laquelle elle est auteure et comédienne, elle a également joué dans la série Le visiteur du futur (watchthevisitor 165 439 abonnés) et dans un certain nombre de web-séries FrenchBall (512 126 abonnés). Lucien Maine : auteur, comédien et réalisateur de certaines de ses vidéos sur la chaîne Golden Moustache (2 895 370 abonnés). A également sa chaîne personnelle Lucien Maine (1 056 abonnés). Il est également artiste de stand-up. Marion Seclin : auteure et comédienne sur la chaîne Studio Bagel (3 095 260 abonnés et une partie importante des contenus ont été diffusés sur Canal+), sur MadmoiZelle (349 929 abonnés), chaîne pour laquelle elle fait aussi des chroniques, et sur la chaîne de vulgarisation scientifique String Theory FR (93 972 abonnés) dont elle est devenue la directrice artistique. Elle a été chroniqueuse quotidienne sur France 2 pour l’émission AcTualiTy (10 978 abonnés) durant la première partie de la saison 2016-2017 et anime désormais Cette Semaine Madame, une émission hebdomadaire de 3 minutes sur Canal+. A également sa chaîne personnelle Marion Seclin (123 323 abonnés) sur laquelle elle ne fait que relayer des vidéos auxquelles elle a participé. 166 Marjorie Le Noan : cocréatrice des chaînes Le Latte Chaud (568 801 abonnés) et Good Monique (95 763 abonnés) sur lesquelles elle est auteure et comédienne, elle a aussi deux chaînes personnelles : Marjorie Le Noan (100 413 abonnés) sur laquelle elle assure tous les rôles et Retromorrow (19 387 abonnés) une chaîne anglophone sur laquelle elle assure la quasitotalité des rôles (la réalisatrice du Latte Chaud s’occupant de la réalisation). Matthias Girbig : cocréateur de la chaîne Inernet (238 705 abonnés et une série diffusée sur Canal+), sur laquelle il est auteur et comédien, Matthias Girbig (3 265 abonnés). Maud Lazzerini : réalisatrice sur la chaîne Le Latte Chaud (568 801 abonnés) et Mam’s (8 473 abonnés, lancée en septembre). Elle réalise également des vidéos ponctuelles pour d’autres chaînes de Mixicom. Nicolas Berno : auteur, comédien et réalisateur de certaines de ses vidéos sur la chaîne Golden Moustache (2 895 370 abonnés), il a également joué dans les web-séries Le visiteur du futur (watchthevisitor 165 439 abonnés, diffusée sur France 4) et Les opérateurs (diffusée sur la plateforme Studio 4 et sur la chaîne Dailymotion de Studio 4, avec un minimum de 100 000 vues par épisodes). A également sa chaîne personnelle Nicolas Berno (10 604 abonnés). Paul Lapierre : réalisateur pour la chaîne Parlons peu… Parlons Cul ! (447 620 abonnés), et acteur principal de la web série Martin sexe faible (diffusée sur la chaîne Studio 4 mais 15 701 fans sur la page Facebook du programme). Slimane-Baptiste Berhoun : cocréateur du collectif Frenchnerd et de la chaîne FrenchBall (512 126 abonnés), il joue dans la série Le visiteur du futur (watchthevisitor 165 439 abonnés), et a créé, écrit, joué et réalisé un certain nombre de séries du collectif : Scred TV (entre 50 et 80 000 vues par épisode, collectif cocréé avec François Descraques), Le Guichet (entre 100 et 250 000 vues par épisodes), J’ai jamais su dire non (entre 400 000 et 1 million de 167 vues par épisode), Les Opérateurs (entre 100 et 200 000 vues par épisode), La Théorie des balls (entre 800 000 et 1,5 million de vues), Le Secret des Balls (entre 500 et 800 000 vues). Sophie Imbeaux : cocréatrice de la chaîne La Douche (3 045 fans sur Facebook) sur laquelle elle est auteure et comédienne, et avec laquelle elle a rejoint à la rentrée 2017 Le lab de Golden Moustache (2 895 370 abonnés pour la chaîne principale, mais les vidéos du Lab sont diffusées sur le site). A également été auteure et comédienne pour la série Les filles expliquées aux mecs diffusée sur la chaîne Aufemininlatribu (devenue depuis GIFTED 223 743 abonnés) et animatrice de l’émission Dans ma cuisine sur la chaîne de Marmiton (280 700 abonnés). Elle est également artiste de stand-up. Swan Perissé : auteure et comédienne sur sa chaîne personnelle Swann Périssé (120 910 abonnés). Elle est également artiste de stand-up. Teddy Férent : auteur et comédien sur la chaîne La Biscotte (186 313 abonnés) et pour le programme Devine le film ! conçus avec son collectif Les Milous pour la chaîne FFSKetch (18 801 abonnés). Il est également coauteur d’un artiste de stand-up. Autres acteurs de l’écosystème YouTube Adrien Labastire : Fondateur et Directeur général adjoint de Golden Moustache (2 895 370 abonnés). Julien Neutres : Directeur de la Création, des Territoires et des Publics au CNC, Cécile Delacoudre : Chargée de mission à la Direction de la Création, des Territoires et des Publics au CNC. Donatien Bozon : Directeur du YouTube Space, il a auparavant été Responsable senior des partenariats et des contenus chez Dailymotion et 168 Business Development Manager chez Base79 (un des principaux MCN mondiaux). Julien Brault : Directeur de la diversification et du digital d’EndemolShine France, qui gère notamment les chaînes FrenchBall (512 126 abonnés) et Le Woop (3 074 084 abonnés). Matthieu Marot : Talent Manager puis Responsable du développement à Studio Bagel (3 095 260 abonnés et une partie importante des contenus ont été diffusés sur Canal+). Ancien Responsable Communication & Projets Web du Montreux Comedy Festival. Pauline Augrain : Chef du service de la création numérique à la Direction de l’Audiovisuel et de la Création Numérique au CNC. Vanessa Brias : Productrice exécutive sur le Golden Show (218 846 abonnés) et Le visiteur du futur (watchthevisitor 165 439 abonnés, diffusée sur France 4), puis directrice de production chez Golden Moustache (2 895 370 abonnés) et Studio Bagel (3 095 260 abonnés et une partie importante des contenus ont été diffusés sur Canal+). Elle a également joué dans de nombreuses vidéos, qu’elle a produit ou non. Vladimir Rodionov : Cofondateur et directeur artistique de Golden Moustache (2 895 370 abonnés), créateur, auteur et réalisateur du collectif Le Comité de la Claque (4,3 millions de vues sur l’ensemble de leurs 101 vidéos, une partie de leurs créations a été diffusée sur TF1, NT1 et France 4) et la série Ma Pire Angoisse (8 709 abonnés, diffusée sur Canal+ dans Le Before du Grand Journal (292 630 abonnés), puis sur Comédie+). 169 Bibliographie Adenot, P. (2016). Les pro-am de la vulgarisation scientifique : de la co-construction de l’ethos de l’expert en régime numérique. Itinéraires. 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Exister sur Internet ������������������������������������������������������������������������������������������������ 29 1.1.3. Le règne de la débrouille ��������������������������������������������������������������������������������������� 43 1.2. Des codes de création����������������������������������������������������������������������������������������� 45 1.2.1. Un espace de liberté����������������������������������������������������������������������������������������������� 46 1.2.2. La construction d’une esthétique web ������������������������������������������������������������������� 54 2 - Les youtubeurs au cœur d’une économie en restructuration ��������������������������������������������������������������������������������������������� 61 2.1. Les plateformes d’hébergement à la recherche d’un modèle économique pérenne���������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 61 2.1.1. Le modèle de l’abonnement : un succès limité ? ���������������������������������������������������� 61 2.1.2. Le modèle publicitaire à l’épreuve des contenus amateurs ����������������������������������� 67 2.2. Les MCN, structures de convergence entre nouvelle économie et économie traditionnelle des contenus ����������������������������������������������������������������������� 78 2.2.1. Plateformes et groupes audiovisuels : à chacun son intérêt pour les MCN������������ 79 2.2.2. Des missions diverses ������������������������������������������������������������������������������������������� 89 2.3. Un vivier de talents et d’audience pour les industries culturelles �������������� 101 3 - Communautés et réseaux : un monde de l’art à l’ère numérique ���������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 107 3.1. L’importance des rencontres et de la sociabilité ������������������������������������������ 110 3.1.1. Des rencontres fondatrices����������������������������������������������������������������������������������� 112 181 3.1.2. Devenir youtubeur et le rester : le rôle des relations personnelles ���������������������� 125 3.1.3. Les pratiques collaboratives au cœur de la création ������������������������������������������� 132 3.2. La communauté des Youtubeurs, facteur d’identité et de reconnaissance ����137 3.3. Des réseaux qui se croisent et se recroisent������������������������������������������������� 141 3.4. Intégrer la communauté ������������������������������������������������������������������������������������ 147 3.4.1. La quête de visibilité �������������������������������������������������������������������������������������������� 147 3.4.2. Égalité d’accès, visibilité inégale ������������������������������������������������������������������������� 148 3.4.3. Les stratégies d’intégration ���������������������������������������������������������������������������������� 151 Conclusion�������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 159 Liste des personnes rencontrées������������������������������������������������������������ 163 Bibliographie���������������������������������������������������������������������������������������������������������� 171 182 YouTube, une communauté de créateurs LES CAHIERS DE l’EMNS L’EMNS – École des Médias et du Numérique de la Sorbonne – est un pôle pluridisciplinaire de recherche et de formation créé par l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, en partenariat avec des entreprises et des institutions publiques. Dirigée par Joëlle Farchy, elle a pour vocation de décrypter l’actualité des médias et de la culture à l’ère numérique. Scène de la vie culturelle - B. Louessard, J. Farchy Cet ouvrage révèle, au-delà des nombreux fantasmes que véhicule YouTube, la vitalité de cet espace de création et de production. Il étudie les intervenants impliqués dans la production de fictions ayant rencontré le succès et montre comment se conjuguent placement de produit, promotion de contenus et valorisation publicitaire mais également comment ces pratiques participent d’une transformation de l’offre de fiction, en particulier avec les multi-channels networks, sortes de chaînes de télévision 3.0. Scène de la vie culturelle LES CAHIERS DE L’EMNS YouTube est devenu un moyen de diffusion protéiforme qui brouille définitivement les frontières entre amateurs et professionnels. Les réseaux actifs au sein de la communauté de producteurs de vidéos ont donné naissance à une nouvelle forme de « monde de l’art », spécifique de l’univers numérique, qui n’a cependant fait l’objet que de peu de travaux. Bastien Louessard Avec Joëlle Farchy 15 euros youtubers.indd 1 10/04/2018 15:31