II. Quelques définitions du mythe 1. Définition du Petit Robert Le dictionnaire Le Petit Robert propose cinq définitions du mot « mythe » : 1. Récit fabuleux, transmis par la tradition, qui met en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine. ➙ fable, légende, mythologie. Mythes théogoniques, cosmogoniques, eschatologiques. Mythes chrétiens, païens. Mythes amérindiens. « Un mythe est une histoire, une fable symbolique, simple et frappante » (Rougemont). Mythes grecs d'Orphée, de Prométhée. « Le Mythe de Sisyphe », essai de Camus. ▫ Par extension Représentation de faits ou de personnages souvent réels déformés ou amplifiés par l'imagination collective, une longue tradition littéraire. ➙ légende. Mythes littéraires (Don Juan, Don Quichotte, Faust, Hamlet…). Le mythe napoléonien. Le mythe de l'Atlantide. 2. Fig. Pure construction de l'esprit (➙ idée). « Le pécheur en soi est un mythe » (Mauriac). ▫ Fam. Affabulation. ➙ invention. Son oncle à héritage ? C'est un mythe ! il n'existe pas. 17 3. Expression d'une idée, exposition d'une doctrine ou d'une théorie philosophique sous une forme imagée. ➙ allégorie. Le mythe de la caverne chez Platon. 4. Représentation idéalisée de l'état de l'humanité dans un passé ou un avenir fictif. Mythe de l'Âge d'or, du Paradis perdu. ➙ utopie. « Nos mythes actuels conduisent les hommes à se préparer à un combat » (G. Sorel). 5. (avant 1865) Image simplifiée, souvent illusoire, que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d'un individu ou d'un fait et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation. Le mythe du bon sauvage, du héros. Le mythe de la galanterie française. « Le mythe est une parole choisie par l'histoire : il ne saurait surgir de la “nature” des choses » (Barthes). Détruire les mythes. ➙ démystifier, démythifier. 2. Définition de Mircea Eliade1 (1907-1986) 1986) Mircea Eliade est sans conteste l’un des ethnologues et historiens des religions les plus Eliade, Mircea, Aspects du mythe, Paris, Gallimard « idées », 1963 ; réédition Folio essais, 1988, p. 15. 1 18 illustres car il est presque le seul qui ait contribué plus que personne à la réhabilitation du mythe dans la pensée moderne. Selon lui : Le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des "commencements". Autrement dit, le mythe raconte comment, grâce aux exploits des Êtres Surnaturels, une réalité est venue à l'existence, que ce soit la réalité totale, le Cosmos, ou seulement un fragment : une île, une espèce végétale, un comportement humain, une institution. C'est donc toujours le récit d'une "création" : on rapporte comment quelque chose a été produit, a commencé à être. Le mythe ne parle que de ce qui est arrivé réellement, de ce qui s’est pleinement manifesté. Les personnages du mythe sont des Êtres Surnaturels. Ils sont connus surtout par ce qu’ils ont fait dans le temps prestigieux des "commencements". Les mythes révèlent donc leur activité créatrice et dévoilent la sacralité (ou simplement la "surnaturalité") de leurs œuvres. En somme, les mythes décrivent les diverses, et parfois dramatiques, irruptions du sacré (ou du "sur-naturel") dans le Monde. C'est cette irruption du sacré qui fonde réellement le Monde et qui le fait tel qu'il est aujourd'hui. 3. Définition de Gilbert Durand 19 Selon Gilbert philosophe, Durand sociologue (anthropologue, et mythographe français)1 : Le mythe apparaît comme un récit (discours mythique) mettant en scène des personnages, des situations, des décors généralement non naturels (divins, utopiques, surréels etc.) segmentables en séquences ou en petites unités sémantiques (mythèmes) dans lesquels s’investit obligatoirement une croyance – contrairement à la fable ou au conte. Ce récit met en œuvre une logique qui échappe aux principes classiques de la logique d’identité. 4. Définition de Philippe Sellier Dans son article « Qu’est-ce qu’un mythe littéraire ? »2, Philippe Sellier rappelle qu’un mythe est : Un récit fondateur, un récit instaurateur qui explique comment s’est fondé le groupe, le sens de tel ou tel interdit, l’origine de la condition présente de l’homme. Le mythe est tenu pour vrai et remplit une fonction « sociale et religieuse » dans la mesure où il se présente comme le Durand, Gilbert, Structure Anthropologique de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1992, p. 64. 2 Sellier, Philippe, «Qu’est-ce qu'un mythe littéraire?», in Littérature, 1984, n° 55, pp. 112. 1 20 ciment du groupe. C’est un intégrateur social qui propose des normes de vie à partir desquelles les personnages agissent en vertu "d’une logique de l’imaginaire". 5. Définition de Pierre Grimal (1912-1996) Pour Pierre Grimal1 : Le mythe répond à un besoin fondamental de l’esprit humain (...) Tout ce qui en nous, n’est pas éclairé par la connaissance rationnelle appartient au mythe. Celui-ci n’est que la défense spontanée de l’esprit humain en face d’un monde inintelligible ou hostile (...) Les mythes sont inséparables de toutes pensées, dont ils forment un élément essentiel et vital. Sans eux, la conscience humaine est mutilée, blessée à mort. Essayer de les mieux connaître, ne serait-ce que du dehors, c’est pénétrer plus avant dans la pensée des hommes. 6. Définition d’André Green Depuis toujours, le rêve et le mythe ont possédé au moins un trait en commun : ils sont tous deux porteurs d’une extraordinaire sollicitation à l’interprétation. L’incessante opération de déchiffrement qu’ils appellent tient moins au caractère énigmatique de leur contenu qu’au fait qu’ils sont eux-mêmes les Grimal, Pierre, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, PUF, Paris, 1999, p.12. 1 21 produits d’une interprétation : ils interprètent un donné inconnu sans savoir ni ce qu’ils interprètent ni comment ils l’interprètent. Un sentiment obscur fait sentir à leur contact que le savoir qu’ils véhiculent est la création d’un sens qui ne fut ni donné ni révélé, mais transformé. Les stratégies interprétatives peuvent différer et, avec elles, le résultat de l’interprétation, mais le fait de la compulsion à interpréter demeure. Interpréter un rêve ou un mythe, c’est donc interpréter du déjà interprété […] Rêve et mythe font « comme si » l’histoire qu’ils racontaient offrait la même signification qu’une histoire intelligible au niveau du sens commun et pourtant cet enchaînement, cette pseudo-intelligibilité, déclenche une impression à la fois d’incohérence et de mystère.1 André Green, « Le mythe : un objet transitionnel collectif », Le Temps de la réflexion, Paris, Gallimard, 1980, p. 100-101. 1 22