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MUSEES 03janvier2019

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USAGES DES TIC AU MUSEE NATIONAL DU CAMEROUN:
ENTRE BALBUTIEMENTS ET PISTES DE DEVELOPPEMENT.
ICT’s USE AT THE NATIONAL MUSEUM OF CAMEROON: BETWEEN
BALBUTIMENTS AND TRACKS OF DEVELOPMENT.
Par Martial Sylvain Marie ABEGA ELOUNDOU,
Enseignant-Chercheur,
Laboratoire DICEN-IdF (EA 7339
Résumé :
S’intéressant à l’usage des TIC au Musée National du Cameroun au moment où
se posent des questions sur la restitution de l’important patrimoine culturel
africain domicilié en France, ce texte analyse dans un contexte africain
d’insuffisances de ressources ; les démarches de conservation et de valorisation
du patrimoine culturel muséal via des TIC. Par une enquête quantitative et une
méthode qualitative, et mobilisant des démarches interactionniste et
transactionnelle, la réflexion révèle : des visiteurs au profil essentiellement
scolaire et universitaire, des médiations numériques et culturelles exclusivement
assurées par les guides muséaux ; une faible autonomie du public dans le
parcours muséal ; des caractéristiques ethniques et linguistiques facilitatrices de
la compréhension et de l’assimilation des connaissances culturelles médiatisées,
l’identification et l’enracinement culturels des publics par des objets
patrimoniaux médiatisés, des artefacts numériques actant comme révélateurs de
l’altérité et du sentiment d’appartenance culturelle et nationale. Cet existant
inspire des efforts de modernisation des musées africains, d’appropriation des
TIC et d’adaptation des offres de services dans une perspective de
développement durable.
Mots-clés : musée, insuffisances de ressources, TIC, usages, appropriation,
médiation numérique, médiatisation, représentations, développement durable.
Introduction
Les musées africains sont interpellés par l’actualité brûlante de la restitution
du patrimoine culturel africain détenu par la France. Savoy et Sarr (2018) font
ressortir dans leur rapport Restituer le Patrimoine Africain, que 90% du patrimoine
des biens culturels de l’Afrique Sub-saharienne se trouve hors du continent. Le
seul Musée du Quai Branly regorge de 70 000 œuvres d’art -dont 7 838
d’origine camerounaise-confisquées à l’Afrique notamment lors de la période
coloniale. Au-delà « des accords bilatéraux à conclure avec chaque Etat africain qui en
fera la demande afin de prévoir la restitution de biens culturels transférés hors de son territoire
d'origine » pendant la période susmentionnée ; se pose la question de la capacité
actuelle et immédiate des pays africains à conserver, développer et valoriser le
patrimoine ainsi revendiqué. Les défenseurs du statut quo soutiennent que
l’Afrique n’est pas prête à recevoir un tel patrimoine, d’autres nuancent, à
l’instar d’Hamady Bocoum, Directeur Général du nouveau Musée des
Civilisations Noires de Dakar : « Le plus important c’est le principe. Je pense que l’une
des conditions quand même, c’est d’avoir des équipements adaptés ». Les démarches
d’équipement des musées des pays africains passent sans doute par un état de
l’art -c’est le cas de le dire-, notamment pour ce qui concerne les ressources
TIC. La présente réflexion porte précisément sur l’introduction et les usages
des TIC au Musée National du Cameroun. Ladite institution est située à
Yaoundé, dans un bâtiment qui constitue en lui-même un objet patrimonial
chargé d’Histoire. Construit en 1930 par le Gouverneur français Marchand,
l’édifice qui abrite le Musée National a servi -avant l’indépendance du pays en
1960- de résidence aux représentants de l'autorité administrative française au
Cameroun. Vers la fin des années 1940, cet immeuble devient le palais des
gouverneurs, ceci jusqu’en 1950. A partir de 1960, les services de la Présidence
du Cameroun y sont logés, faisant de cette enceinte, le théâtre central de la vie
politique nationale jusqu’en 1980. Le bâtiment est transformé en Musée
National du Cameroun en 1988. Des travaux de rénovation y sont entrepris de
2009 à 2015, provoquant une fermeture de six années de l’institution. L’actuel
Musée National s’étend sur une superficie de 5000 mètres carrés, avec une
trentaine de salles équipées en objets d’art, divers outils d’exposition et de visite
dont les TIC. Se positionnant comme le symbole de la régénération et de la
renaissance de la culture camerounaise, ce musée donne à voir un riche
patrimoine culturel constitué d’objets d’art divers du Cameroun. Mais, cet
important patrimoine semble contraster avec la modicité des moyens affectés
aux démarches de modernisation numérique des activités du Musée National.
La problématique et les objectifs de l’étude
Des questions se structurant autour des thématiques de l’usage et de
l’appropriation des TIC au Musée National du Cameroun, ainsi que des
représentations qui en résultent, sont posées par le présent travail : quels types
de TIC y sont mobilisés? Quels en sont les usages et appropriations dans un
contexte caractérisé par l’insuffisance des ressources ? En quoi les TIC
progressivement introduites dans les activités du Musée National viennent-elles
modifier/reconfigurer lesdites activités ? Quelles opinions et perceptions en
résultent ? Quelles pistes de développement envisager pour une meilleure
appropriation de l’objet patrimonial muséal, une meilleure valorisation et
vulgarisation de la richesse du musée par les TIC?
L’objectif de ce travail est de comprendre dans des contextes africains
caractérisés parfois par des pénuries, les usages et appropriations des TIC dans
les processus de médiation dans les musées. Il s’agit également de déterminer
les pistes de développement des musées africains, appelés aujourd’hui à assurer
la gestion d’un plus grand nombre de biens patrimoniaux.
Explorations épistémologiques: quelques concepts et théories
La « médiation numérique » dans le cadre de cette étude est comprise
comme la médiation culturelle par les technologies, l’une des définitions de
Sandri (2016) rappelée par Badulescu (2018). Globalement, la médiation est
dans ce travail, saisie au sens de la « médiation conjointe » qui articule la
médiation numérique, muséale et sociale, comme précisé par De la Ville et
Badulescu (2018), appelés par Badulescu (2018).
Le concept de médiatisation est considéré comme la mise en forme d'un
contenu à travers un média, un processus de création de dispositifs médiatiques
ou de communication dans lequel la scénarisation occupe une place
prépondérante tel qu’expliqué par Peraya et Meunier (2004), eux-mêmes
évoqués par Garsallah (2008).
Les usages « bricolés » sont entendus dans le sens de Comtet (2009), c’est-àdire comme ceux captant la perspective exclusivement utilitariste de l’usage des
TIC. Cette approche dérive de celle de Lévi-Strauss (1962) qui étudie
« L’intelligence pratique des hommes », et de celle de Ciborra (2004b) qui se penche
sur le fossé entre la théorie de l’usage des TIC et la pratique du développement
de ces dernières ; pour mettre à jour des « pratiques d’improvisation et de
débrouillage ». Ceci permet de comprendre comment le personnel du Musée
National fait parfois preuve d’inventivité, à partir de l’équipement disponible
mais insuffisant/non adapté, pour atteindre des objectifs de médiation.
Les usages « prescrits » procèdent de la perspective de Chaptal (2007) et
Dauphin (2012) c’est-à-dire de celle des usages recommandés lors de la
mobilisation des TICE ; mais pour les mettre en parallèle avec ceux réellement
observés.
L’appropriation des TIC en contexte muséal est ici comprise au sens de
Betaille, Nanard & Nanard (2001) cités par Andreacola (2014), elle-même
inspirée par De Certeau (1990), Jaureguiberry & Proulx (2011) ; dont les
travaux révèlent des pratiques de manipulation, de détournement, de création
dans les habitudes supposées de consommation des usagers des TIC. Ce
concept est alors mobilisé dans la perspective d’une plus forte implication des
publics visiteurs aux expositions du musée.
Le présent travail appelle aussi l’approche interactionniste qui «considère
séparément le contexte, les facteurs personnels, les processus psychologiques et les variables
temporelles », pour montrer les interactions entre ces composantes, afin d’en saisir
les corrélations ; comme montré par Eidelman, Gottesdiener et Le Marec
(2013 : paragraphe 09 du document en ligne).
Le sens de l’interactionnisme compris dans l’évaluation des apprentissages par
Morissette (2010) est aussi évoqué: il s’agit d’une perspective qui situe l’angle
d’analyse de l’individu dans un ensemble complexe d’activités sociales, dans des
comportements humains compris comme parties prenantes d’un contexte
d’interactions. Il s’agit aussi d’un interactionnisme symbolique, c’est-à-dire
s’ancrant dans l’étude des « phénomènes sociaux sous l’angle des interactions qui lient les
acteurs au quotidien, cherchant à rendre compte des significations qu’ils engagent dans ces
interactions » (Morissette, 2010 : paragraphe 07 du document en ligne). Et c’est ici
que les fondements de la sociologie compréhensive de Mead (2006), axés sur les
problématiques liées à l’univers des significations auxquelles les acteurs se
réfèrent et aux logiques qui sous-tendent leurs actions ; croisent les approches
de la réception et des représentations propres aux SIC. Ce qui au demeurant fait
écho aux constats d’Eidelman, Gottesdiener et Le Marec (2013 : paragraphe 09
du document en ligne), selon lesquels « Les travaux qui portent spécifiquement sur la
réception des expositions se trouvent au carrefour de plusieurs domaines de recherches, dont la
psychologie et les sciences de l’éducation, la sociologie de l’art et de la culture, les sciences de
l’information et de la communication». Le présent travail emprunte ainsi le
mouvement des premières études d’évaluation-au XXème siècle aux Etats-Unis
avec Samson, Schiele & Di Campo (1989) - des expositions muséales axées sur
la réception. Il s’agit dans le cadre de cette réflexion, de considérer de manière
précise comment le visiteur-acteur est en interaction constante avec la situation
muséale et dans quelle mesure sa « visite est une expérience sociale, culturelle, affective,
voire politique, qui s’intègre dans des corps de pratiques et dans des rapports aux territoires,
aux institutions, aux médias». (Eidelman & Roustan 2008 ; Le Marec, 2007)
convoqués par Eidelman, Gottesdiener et Le Marec (2013 : paragraphe 07 du
document en ligne).
Le concept de représentation est dans le cadre de ce travail considéré comme la
somme de plusieurs approches : « une construction mentale, plus ou moins chargée
affectivement, constituée à partir de ce que la personne a été, et de ce qu’elle projette, guidant
son action et le comportement qu’elle va adopter », comme dans la compréhension de
Postic, De Ketele (1988 : 37) évoqués par Cordier (2011), qui résume au
demeurant le concept de représentation comme à la fois le reflet d’une relation
entre le sujet et l’objet, laquelle cristallise les valeurs et normes du groupe social
auquel appartient le sujet. Etudier les représentations des publics en musée,
c’est aussi se situer dans le courant de pensée de Samson, Schiele & Di Campo
(1989), Gottesdiener (1987), Le Marec & Chaumier (2009) dont les travaux
portent sur les évaluations centrées sur la réception des expositions.
Nous plaçons également le concept de représentation aux côtés de celui très
voisin de construction du sens, considérant qu’ «Au cours de ses parcours dans
l'espace muséographique, le visiteur mobilise […] ses références cognitives, affectives, sociales,
sa capacité à analyser, à rendre compte et à mettre en pratique ses logiques d'appropriation,
prenant directement part à la production du sens et à la construction de ses connaissances »,
comme expliqué par Vol (1998 : 6).
Mobilisant l’approche transactionnelle, nous considérons à l’instar d’Altman &
Rogoff (1987) appelés par Eidelman, Gottesdiener et Le Marec (2013), que
l’exposition se compose entre autres d’aspects psychologiques, temporels et
environnementaux ; lesquels se conjuguent au cours de la visite du public pour
notamment produire des connaissances et des savoirs.
L’approche transactionnelle est ici consignée du point de vue des Sciences de
l’Information et de la Communication-SIC-, c’est-à-dire sous leur aspect
communicationnel au sens de Renault (2007) : en plus de la dimension
matérielle, les transactions comportent également une dimension
communicationnelle, ceci par la perspective commune aux acteurs en situation
qui mobilisent un langage qui leur est propre. Cette pensée est dans le sillage de
Dewey (1938 :106) qui expliquait que l’approche transactionnelle oblige «
l’individu à adopter le point de vue des autres individus, à voir et à enquêter d’un point de vue
qui n’est pas strictement personnel, mais leur est commun à titre d’“associés” ou de
“participants” dans une entreprise commune ». Y faisant suite, Zacklad montre que « le
concept de transaction, que nous empruntons à Dewey et Bentley (1949), correspond […] à
des interactions productives, le plus souvent associées à des rencontres (mais pouvant être
également largement asynchrones), permettant la transformation d’un artefact médiateur et des
personnes parties prenantes pour réaliser une performance.» (Zacklad, 2013 : 193).
Considérations méthodologiques
Le travail a combine une étude quantitative articulée à une
démarche qualitative, aussi bien pour le personnel du musée que pour
les visiteurs.
S’agissant de la méthode quantitative, deux types de questionnaires
(sur papier) ont été distribués au cours du mois d’août et de septembre
2018 au Musée National : l’un destiné au personnel de cette institution,
l’autre aux visiteurs. Les objectifs de ce recueil de données sont
essentiellement de comprendre le niveau d’intégration et d’usage des
TIC au Musée National, de même que les perceptions et
représentations qui en résultent ; notamment au sein du public visiteur.
Nous en avons visé un échantillon de 100, mais n’avons obtenu que 84
remontées. Les raisons avancées par les dirigeants du Musée National
(sur la faible taille des répondants) portent sur la période choisie pour
mener l’enquête : les mois d’août, septembre, octobre correspondent à
la « basse saison » du musée, les visiteurs -notamment occidentauxpréférant les périodes de décembre, janvier et février pour y effectuer
des déplacements. Une lecture analytique des données et informations
recueillies sur le terrain est menée dans les lignes qui suivent, en deux
mouvements: l’examen des données issues des entretiens avec le
personnel du Musée National, puis la lecture des informations
collectées auprès des publics visiteurs. La technique de tris-à-plat est
utilisée (avec le logiciel SPSS 18) pour ce qui concerne le traitement de
des données provenant de 84 répondants. La méthode de régression
probit avec le logiciel Stata 12 est aussi mobilisée, avec pour objectif
d’analyser la causalité entre les variables qualitatives binaires.
Dans l’étude qualitative, nous analysons les données provenant des
entretiens individuels en face-à face et en focus group, aussi bien pour le
personnel du musée que pour le public visiteur.
Analyse des données, résultats empiriques et théoriques.
Dans cette section, un examen est effectué des données issues
respectivement de l’enquête menée auprès du personnel du Musée National du
Cameroun, de l’investigation quantitative effectuée auprès des publics visiteurs,
et des entretiens conduits auprès de tous ces interviéwés.
Réflexions sur les données collectées au niveau du personnel du Musée
National
Sans nier l’importance des concepts théoriques, ce paragraphe est
essentiellement nourri par des données (notamment des représentations) issues
du terrain, nous inscrivant dans une approche faisant écho aux réflexions
d’Urbas (2014 : 312) selon lesquelles
«…du point de vue des SIC, l’analyse de situations concrètes permet de dépasser le
seul cadre d’une transmission d’informations, pour s’interroger sur l’importance des
formes du tiers dans le contexte de construction du sens».
Après avoir décrit les missions assignées au Musée National ainsi que le
patrimoine culturel que donne à voir cette institution, ce paragraphe aborde
tour à tour les équipements TIC en place au musée, le profil des personnes y
travaillant ; ainsi que les perceptions qu’elles ont de l’usage des TIC au sein de
cet établissement.
Les missions assignées au Musée National du Cameroun
Réouvert officiellement le 15 janvier 2015 à la suite des travaux de
réhabilitation ayant commencé en 2009, le Musée National du Cameroun est
devenu un cadre de conservation, d’exposition, de préservation et de
promotion du patrimoine culturel national. Cette institution a entre autres pour
missions :
- d’acquérir, rassembler, classer, conserver et présenter au public des
collections d’œuvres ayant un intérêt historique, scientifique, technique
et artistique ;
- de favoriser la connaissance de ces collections par le suivi scientifique,
tout en développant la fréquentation du Musée ;
- de concourir à l’éducation, à la formation et à la recherche dans les
domaines de l’histoire de l’art, de l’archéologie et de la muséographie.
Que donne globalement à voir le Musée National du Cameroun ?
Les visiteurs peuvent découvrir dans cette institution les instruments de
musique patrimoniale du Cameroun exposés dans trois salles. Une autre pièce
d’exposition est réservée aux parures et tenues patrimoniales ; tandis qu’un
espace est dédié à l’architecture patrimoniale. Ici sont magnifiés l’esthétique, les
savoir-faire et les matériaux locaux du Cameroun. Dans la partie supérieure du
musée, le visiteur peut contempler des archives photos qui retracent l’Histoire
politique, sociale, économique et culturelle du Cameroun, ainsi que l’exposition
de quelques collections du Musée des Peuples de la Forêt, exposition consacrée
exclusivement à la maternité ; et qui symbolise la naissance douloureuse de la
nation camerounaise. Le musée comporte aussi un espace réservé à la
cohabitation entre des symboles du pouvoir traditionnel et des emblèmes et
sceaux du pouvoir moderne. Une salle a été aménagée pour recevoir des objets
archéologiques issus de différentes fouilles effectuées par des
chercheurs camerounais et étrangers, et une section constituée de cinq stands
expose des collections en poterie et des calebasses ayant servi comme objets
usuels à de différents peuples du Cameroun. Une partie de ce patrimoine se
trouve médiatisée dans des outils TIC, comme nous le détaillons plus loin dans
ce travail.
Equipements TIC au Musée National et démarche de visibilité numérique
Les informations relatives aux outils numériques présents au Musée
National révèlent une prédominance des tablettes numériques (09 IPad) et des
bornes interactives (au nombre de 08). On note aussi la présence de 03 tablettes
numériques I-Pod, d’un vidéoprojecteur, de deux casques d’écoute, et d’un
modem Internet. Ces chiffres expriment la modicité de l’équipement TIC dans
ce musée. Le personnel interviewé met en avant l’insuffisance des moyens
affectés par l’Etat au volet équipement TIC de l’institution. Le site Internet du
Musée National est en construction, d’après les informations recueillies sur
place. Les premières démarches de présence sur Internet remontent cependant
à 2014, par l’ouverture d’un compte Facebook, effectuée par Dr. Mahamat ;
Directeur Adjoint du Musée National. Cette présence sur Internet actuellement limitée au compte Facebook- peut être lue comme une démarche
de contournement de l’insuffisance des moyens consacrés à la numérisation et à
la digitalisation de l’institution. Cette unique présence fait aussi écho aux débuts
de digitalisation de certaines organisations culturelles observés en Europe,
comme le révèle le travail de Couillard (2017 : 277-278) :
«…lorsqu’un établissement ne s’affiche que sur un seul réseau, 80 établissements sur
82 portent leur choix sur Facebook […] Ce choix de la part des établissements
d’investir l’espace où ils ont l’audience potentielle la plus importante est donc
pragmatique et stratégique ».
Globalement, on note l’absence au Musée National d’une stratégie
numérique clairement définie. Un tel cadre devrait pourtant inspirer les
démarches d’équipement du musée en TIC, ainsi que le développement de leurs
usages. Les contenus numériques existants restent à développer, afin d’assurer
entre autres l’interactivité et emmener le visiteur à gagner en autonomie.
Des compétences diverses et le défi de la formation aux usages des TIC
S’agissant du profil socio-professionnel du personnel du Musée National,
l’établissement a à sa tête deux universitaires -le Directeur et son Adjoint sont
des Enseignants-Chercheurs d’Université d’Etat-, alors que les médiateurs
culturels, au nombre de 42 -la majorité ayant un niveau de formation Bac +3,
avec un statut d’agent contractuel-, sont de profils divers : historiens,
archéologues, anthropologues, sociologues, littéraires, juristes, économistes,
informaticiens et instituteurs. On dénombre ainsi 04 titulaires d’un Master de
Recherche, 05 employés qui sont en deuxième année du Cycle de Master, 28
titulaires d’une Licence, 02 Instituteurs ; 02 titulaires du diplôme de BTS, 01
titulaire du diplôme de Brevet de l’Enseignement du Premier Cycle. Un constat
se dégage de ce capital humain : l’inexistence de compétence formelle dédiée à
la médiation numérique. Aussi les pratiques de médiation via le recours aux TIC
sont ici, soit le résultat de démarches individuelles -formation d’autodidacte à
l’instar de celle de M. Ateba- ; soit le résultat de formations ponctuellesorganisées par le musée-à l’usage de l’équipement TIC introduit-. Les pratiques
de TIC à l’instar de la confection de documents audiovisuels -montage et
mixage- présentés sous vidéoprojecteur aux visiteurs dans la salle dédiée à cet
effet ; ces pratiques disions-nous, relèvent des démarches volontaristes et
individuelles donnant lieu à des activités de « bricolage » et de « débrouillage ».
On peut y voir l’effort du médiateur culturel d’inscrire sa tâche quotidienne
dans les nouvelles pratiques de médiation muséale, mais aussi la recherche légitime- d’une reconnaissance de ses compétences digitales. Ceci produit une
hybridation des médiations : initialement et uniquement culturelles, les
médiations se doublent d’une activité numérique, se situant dans le sens des
nouvelles dynamiques qui se déploient au sein des musées Vidal (2003).
Usages des TIC par le personnel du Musée National et perceptions
Nous retranscrivons dans les lignes qui suivent, les informations issues des
entretiens que nous avons eus avec le personnel en service au Musée National.
Ces informations concernent les pratiques de numérisation au sein de cette
institution, le profil des publics visiteurs, la valeur ajoutée résultant de l’usage
des TIC au sein du musée.
Les dirigeants du musée affirment que les pratiques de numérisation portent
sur les fiches d’inventaires, la conception de cartels et des collections
spécifiques destinées aux expositions. Plus de 2500 fiches d’inventaires
conservées dans les réserves et destinées aux salles d’exposition ont ainsi été
numérisées. Ces opérations ont été effectuées par les gestionnaires du
patrimoine culturel et les guides du Musée National, lesquels il convient de le
relever ; ne sont pas des spécialistes de la numérisation. Ces employés citent les
clés USB et le recours aux disques externes comme supports de la
numérisation. On observe également ici, les avantages recherchés lors de la
numérisation des biens culturels tels que les livres : capacité de stockage élevée
et visibilité pour les œuvres, comme le soulignait Benghozi (2011 : 114) :
« …la numérisation évite la limitation physique du stockage que connaissent bien
tous les amateurs de livres : elle permet en effet une accumulation « mécanique » de
l’offre proposée aux consommateurs puisque chaque œuvre reste désormais toujours
accessible : dès lors, l’ensemble des œuvres disponibles ne fait que croître.. ».
On retrouve là aussi les démarches décrites par Andreacola (2014) appelée
par Schmitt et Meyer-Chemenska (2015) :
« Le numérique entrant dans les musées a d’abord servi à l’informatisation des collections
avant de servir à la visite elle-même. C’est à partir de ces ensembles documentaires que l’on a
envisagé à la fin des années 1980 d’offrir aux visiteurs des accès aux collections informatisées
(banques diapos ; images et de fiches informatisées du patrimoine) ».
Il importe cependant de relever que la qualité des fichiers numérisés au
Musée National n’est pas connue, ces opérations étant loin d’être effectuées par
des mains expertes -comme vu dans les profils supra-. Les employés affirment
ainsi qu’aucun standard de numérisation n’est observé.
Les données résultant de ces opérations font l’objet de quelques usages :
conception des catalogues du musée, animation du compte Facebook et analyse
des collections illicitement exportées. Les auteurs de ces usages sont
l’administration et le personnel du musée, la Direction du Patrimoine Culturel
et les chercheurs. Les usages identifiés chez ces acteurs -répartis au demeurant
dans un faible nombre de catégories- sont donc plutôt réduits, au regard par
exemple des multiples développements d’exploitation observés dans les musées
occidentaux ; que décrit Chevry (2012 : 3) :
« Le patrimoine numérisé peut être exploité au moins de deux manières. D’une part,
il peut être diffusé en consultation locale ou à distance. La diffusion sur Internet des
fonds numérisés patrimoniaux ou contemporains constitue un moyen d’accès privilégié
à la culture à destination d’un public plus nombreux et d’horizons plus divers que
celui fréquentant les institutions culturelles. Elle démultiplie l’accès aux fonds,
favorisant ainsi la démocratisation culturelle et la transmission des savoirs. De plus,
des services numériques sont souvent associés à la publication sur le Web tels que les
outils d’interrogation pour accéder aux collections textuelles ou la demande de
reproduction des œuvres numérisées par exemple… Par ailleurs, le patrimoine peut
bénéficier d’une offre éditoriale associée à des services numériques culturels (expositions
virtuelles, dossiers pédagogiques, dossiers thématiques, archives à voix haute…) ».
Les modalités d’accès -au grand public- et d’usage des données muséales
numérisées demeurent inexistantes. On peut aussi penser que l’absence de
normes dans les opérations de numérisation apparaît comme un frein aux
opérations de mise en visibilité digitale, telles que celles déployées par Google
Art Project.
Les opérations de numérisation et de digitalisation du patrimoine muséal
sont effectuées presqu’au petit bonheur, grâce au volontarisme de certains
personnels : ces activités ne s’inscrivent dans aucun projet/programme
scientifique et culturel du Musée National ; qui ne s’est au demeurant pas doté
d’une politique générale. Les dirigeants reconnaissent d’ailleurs l’absence d’un
inventaire général des collections -les opérations de numérisation relevées plus
haut ne sont donc pas achevées-, l’inexistence d’une documentation sur les
collections présentes au musée, l’absence d’un « Club des Amis du Musée
National », l’absence d’une boutique du musée. Le « Restaurant du Musée
National», potentiel lieu de médiation, est également non fonctionnel.
Usages des TIC au Musée National et valeur ajoutée du point de vue du personnel
Pour le Directeur Adjoint de l’institution, les TIC progressivement
introduites au Musée National, modifient/reconfigurent les activités de cet
établissement, en ce sens qu’elles :
-
participent à l’inventaire et à la valorisation des collections muséales à
travers l’exploitation de leurs formes numérisées ;
-
contribuent à la production des prospectus et des catalogues, assurant
ainsi la visibilité et la promotion des collections;
-
permettent d’assurer la communication sur les pages Facebook, Blog ;
ainsi que sur les groupes WhatsApp. Ceci donne lieu à des échanges
fructueux sur des thématiques concernant le musée, tout en créant du
trafic sur son compte Facebook.
Pour le reste du personnel en service au Musée National, la valeur ajoutée
issue de l’usage des TIC se décline en termes :
-
de communication de proximité entre employés du musée ;
-
d’expositions des collections hors du musée par les médiateurs culturels
(dans les écoles et au cours des festivals) ;
-
d’amélioration du discours des guides et d’autonomisation de certains
visiteurs ;
-
de visibilité résultant des visites officielles de dirigeants étrangers au
musée et de celles du public en général.
Les dirigeants du Musée National ne manquent pas de souligner qu’une
meilleure appropriation de l’objet patrimonial muséal, une meilleure valorisation
et vulgarisation de la richesse muséale, ceci par les TIC ; passent par plusieurs
mesures :
-
le recyclage des deux informaticiens -actualisation des compétences en
infographie ; gestion des collections, photographie…- affectés au
Musée National ;
-
la création et la gestion d’un site Internet dédié au Musée National ;
-
la création d’un musée virtuel ;
-
l’actualisation des compétences des médiateurs culturels, notamment
pour ce qui concerne l’appropriation des outils TIC mobilisés dans les
musées;
-
l’usage d’un système de sécurité informatisé et la création des cartes
numériques ; afin de réduire le nombre de guides dans les salles
d’exposition ;
-
la création d’une base de données sur les collections.
Les médiateurs culturels soutiennent que lors du parcours muséal mobilisant
les TIC, les visiteurs s’intéressent particulièrement aux contenus permettant aux
artistes/artisans de donner des explications sur leurs œuvres. On peut voir dans
cette démarche, une recherche d’un lien « public-musée-artiste », et au-delà, la
recherche d’une authenticité dans la construction du sens et de la signification
des œuvres, à partir de leur source. Ceci procède aussi d’une démarche de
démystification des auteurs des œuvres par les visiteurs du musée.
Analyse des données, résultats empiriques et théoriques issus de
l’enquête auprès des publics visiteurs
Dans un premier temps, cette section restitue les résultats du traitement
statistique des données collectées auprès de 84 visiteurs du Musée National du
Cameroun au cours du mois de septembre 2018, tout en y apportant une
réflexion.
La deuxième articulation de cette section analyse les données provenant des
entretiens individuels et en groupes que nous a accordés une trentaine de
visiteurs-sur les 84 répondants de l’enquête quantitative, au cours de son
cheminement muséal. Une lecture de ces résultats est effectuée sous le prisme
de l’interactionnisme d’une part, et de l’approche transactionnelle d’autre part.
Etude quantitative auprès des publics visiteurs : le discours de l’institution, les
usages des TIC et les représentations.
Les lignes qui suivent font ressortir dans un premier mouvement les
caractéristiques de la pratique de communication menée par le Musée National
du Cameroun, et décrivent par la suite l’évolution de ses taux de fréquentation
et le profil des publics visiteurs couplé à leurs usages des TIC en musée.
Le Musée National du Cameroun et son discours
La Musée National du Cameroun apparaît davantage comme un musée d’art
et d’Histoire. La communication de cette institution semble réduite à une
« communication sur le lieu de l’exposition», si l’on fait un parallèle avec le
concept de publicité sur le lieu de vente. C’est que le Musée National du
Cameroun est absent des médias classiques (radio, télévision, cinéma,
affichage…). Dans la ville de Yaoundé, aucune signalétique n’oriente vers cette
institution. On peut relever une timide présence digitale, se résumant
essentiellement à un référencement naturel dans le moteur de recherche
Google, à un compte Facebook et à une présence numérique sponsorisée par le
voyagiste TripAdvisor. Globalement, on relève l’absence d’une stratégie de
communication du Musée National du Cameroun. Cet état de fait conduit
l’établissement à rester en marge d’importants enjeux tels que : la constitution et
la valorisation d’une bonne image de l’institution, l’établissement des relations
de qualité entre le musée et ses principaux partenaires, le gain d’une notoriété
liée à l’originalité de son patrimoine culturel. L’inexistence d’un logo propre au
Musée National du Cameroun interroge sur l’identité visuelle de cette
institution, tant il est montré que ne pas se faire connaître, c’est se laisser
distancer et tomber dans l’oubli. La communication commerciale est ici loin
d’exister, alors que la communication évènementielle apparaît comme
sporadique -à la faveur de rares concerts de musique organisés sur l’esplanade
du musée par exemple-.
La communication sur le lieu d’exposition se trouve portée par plusieurs
éléments expressifs : le grand bâtiment de style colonial -au fond d’une vaste
cour gazonnée-avec ses nombreuses arcades-. La signalétique est cependant
absente de cet espace en plein air. Le hall d’accueil est tout fait de marbre,
surmonté par un escalier qui se détache en deux allées menant à l’étage
supérieur. Relevant plutôt du personnel du musée, la première prise de contact,
l’accueil, la considération, l’ambiance, l’amabilité, la compétence, l’attitude des
surveillants, des personnels d’accueil, sont jugés moyens par certains visiteurs
interrogés. Le personnel se sent plus ou moins concerné par l’image qu’il
transmet, d’après l’avis de certains touristes étrangers.
Le discours du Musée National du Cameroun se structure autour de trois
thématiques principales : la diversité culturelle du pays qui compte 250 ethnies réparties en 04 grandes aires culturelles- et plus de 200 langues locales, la
marche vers l’Unité Nationale, le développement économique et socio-culturel
du pays. Ceci se traduit par la nature et le style des objets patrimoniaux donnés
à voir.
Une des spécificités de cette communication muséale réside sans doute dans
l’expression en langues locales des cartels ; ceci dans le but de mieux exprimer
l’authenticité des œuvres mises en visibilité, et de valoriser le patrimoine
linguistique local. Le recours à l’argot local -en fonction des publics visiteurspar les médiateurs culturels comme nous le verrons plus loin, constitue aussi
une originalité de cette institution.
Le musée et l’évolution de sa fréquentation
De 2016 à 2017, le nombre total de visiteurs au Musée National du
Cameroun est passé de 11 300 à 24 100, soit une moyenne de 2000 visiteurs par
mois. Avec une durée moyenne de 60 minutes de parcours par visiteur ; le
profil des publics muséaux se répartit comme suit : le public scolaire -primaire
et secondaire- estimé comme étant le plus important ; les étudiants en visite
individuelle -visiteur ordinaire ou chercheur- ou collective -établissements de
l’enseignement supérieur IRIC, EMIA, ENS…-, les touristes étrangers -les
Européens constituant l’essentiel du contingent, suivis de Chinois,
d’Américains, mais aussi...d’autres Africains dont Maliens, Gabonais, Egyptiens,
Marocains…-, divers autres profils -fonctionnaires, hommes politiques,
chercheurs, enseignants…-, les visiteurs officiels -ministres étrangers et
nationaux, diplomates, hommes de culture, artistes de renom, invités du Chef
de l’Etat, du Premier Ministre ou du Ministre des Arts et de la Culture-. La forte
présence du public scolaire et universitaire dans ces profils rappelle le rôle
éminemment pédagogique assigné aux musées, les TIC en étant facilitatrices.
Bowen, Bennett, Johnson & Bernier (1998 : 116) le prédisaient :
« Dans le futur, les écoles seront de plus en plus connectées sur l'Internet, et nous
trouverons davantage d'enfants qui iront naviguer sur les musées virtuels à la demande
des enseignants ».
Cette forte empreinte de l’environnement scolaire et universitaire laisse
penser que les usages de TIC en musée par les élèves/étudiants, se situent dans
la sphère des usages « prescrits » au sens de Chaptal (2007 : 88) qui montre que
« …les choix pédagogiques des enseignants déterminent très directement les usages
possibles [des TIC par] des élèves… ».
Ces usages n’apparaissent donc plus forcément comme des usages
«détournés/ voulus» ; comme compris par Peraya et Bonfils (2014), mais plutôt
comme des usages « instruits ». Cette situation peut être une inhibition à des
démarches de « détournement » dans les usages, voire à la créativité.
Profils des visiteurs, usages des TIC et perceptions.
Les visiteurs interrogés au Musée National disent dans leur majorité (48 sur
les 84 répondants) résider dans la ville de Yaoundé. Il semble que la « zone de
chalandise » du Musée National se réduit uniquement à cette ville ou/et que
l’attractivité résultant de la présence sur Facebook du Musée National reste
faible. Mais cette explication est à nuancer, compte tenu des informations
obtenues auprès du personnel du musée : le mois de septembre -correspondant
à celui de notre descente sur le terrain- s’inscrit dans une période de faible
fréquentation de l’institution par les expatriés. En effet, ceux-ci préfèrent visiter
le musée au cours des mois allant de novembre à janvier.
On relève que 20 des 84 répondants disent avoir un âge compris entre 11 et
15 ans, 17 ont un âge entre 16 et 20 ans, et 14 possèdent un âge situé entre 21
et 26 ans. Le public ayant répondu au questionnaire est donc essentiellement
jeune.
Le profil sociodémographique (Tableau 01 ci-dessous) montre que 48 sur 84
des répondants sont soit des élèves -au nombre de 24-, soit des étudiants -au
nombre de 24 également-. Ces données confortent le rôle éminemment
académique et pédagogique du Musée National relevé supra.
On peut aussi observer dans le tableau 01 -ci-dessous- que seulement une
faible proportion du public hors scolaire et hors universitaire est attirée par le
Musée National. Ceci donne à penser que le musée ne n’inscrit pas en général
dans les consommations culturelles du public. Le fort nombre des élèves et des
étudiants pouvant alors insinuer qu’ils s’y rendent essentiellement pour réaliser
des recherches prescrites dans le cadre de leurs activités ; ce qui peut les laisser
apparaître comme des « visiteurs contraints ». Le reste du public vient au musée
par curiosité ou/et pour affiner ses savoirs et pratiques culturels. Ces résultats
montrent que des efforts restent à faire par le Musée National du Cameroun
pour diversifier et «équilibrer » en nombre ses types de « clientèle ».
Tableau 01. Répartition des visiteurs interviewés au Musée National du Cameroun
suivant leur profil d’activité/profession
Source : notre enquête quantitative de terrain (septembre 2018)
Plus de la moitié des effectifs interrogés se dit d’un niveau d’usage TIC bon
-29 sur les 84-, voire très bon -23 sur les 84- tel que le dévoile le tableau n° 02
ci-dessous. Ceci semble s’expliquer par le profil jeune des publics dont la
majorité a un âge compris entre 11 et 28 ans comme vu plus haut. Compétent
d’une manière générale en matière de TIC, ce public jeune ne semble cependant
pas s’approprier les outils numériques disponibles au Musée National. Ces
visiteurs perdent tout savoir-faire devant l’alliage « musée-TIC ». On retrouve là
une situation identique à celle que décrivaient Schmitt et Meyer-Chemenska
(2015 : 56) concernant l’usage des TIC en musée :
« À travers la monstration de la technologie, les dispositifs numériques imposent sans
cesse aux visiteurs de revoir leurs habitudes ergonomiques et leurs compétences
techniques. Ce faisant, ils font parfois subir aux visiteurs une certaine forme de
violence ».
Tableau 02. Niveau personnel d’usage des TIC déclaré par les visiteurs du Musée
National du Cameroun
Face aux insuffisances relevées dans les usages des TIC en musée, des
démarches d’utilisation assistée -guide rapide, modes d’emplois…- pourraient
être déployées par l’institution, en vue de favoriser des parcours muséaux
autonomes et conviviaux pour les visiteurs.
Usages des TIC au Musée National et représentations des publics visiteurs.
La tablette numérique Ipad apparaît comme l’outil TIC le plus utilisé par les
visiteurs du Musée National (31 sur les 84 répondants), suivi du téléphone
portable (27 répondants) et de l’audioguide (15 répondants), comme le montre
le tableau n° 03 qui suit :
Tableau 03. Outils TIC utilisés lors du parcours muséal des visiteurs interviewés.
« Quel(s) outil (s) TIC avez-vous utilisé (s) ou utilisez-vous en général
pendant votre visite de musée ? »
Il importe de relever qu’une large majorité des 84 visiteurs interrogés
déclarent utiliser de manière assistée, les TIC présentes au musée. Ils se font
accompagner notamment par les médiateurs culturels en service (62
répondants) ou d’autres personnes leur tenant compagnie (15 répondants). Le
même résultat montre que peu de répondants (au nombre de 3) disent avoir
recours aux autres visiteurs se trouvant au même moment qu’eux dans le
musée. On relève donc une forte confiance accordée aux médiateurs culturels
par les visiteurs, pour ce qui concerne l’usage des TIC dans ce musée. On peut
penser qu’ici aussi se développent
« …des aspirations à une nouvelle proximité entre l'usager et l'institution qui met des
informations à sa disposition »,
au sens de Vidal (2003 : 62).
Les réponses montrent que 55 des 84 répondants lors d’une visite au musée
mobilisant des TIC souhaitent être accompagnés de bout en bout par le
médiateur culturel. On relève donc comme mentionné plus haut, une faible
autonomie dans l’usage des TIC lors du parcours muséal de ces visiteurs. Ils
sont loin de construire par eux-mêmes leur visite. Cette « assistance » au visiteur
dans l’usage des TIC en musée peut se lire comme la manifestation d’une
« incompétence » du pèlerin muséal face à ces outils, et une dépendance au
médiateur culturel. Ce faible usage résulte entre autres des comportements de
« protection » des équipements TIC par le personnel du musée : le contexte
d’insuffisance de moyens dictant d’éviter le plus possible des pannes qui
pourraient être causées par des publics non « initiés » à l’usage des équipements
disponibles. Les usages des TIC dans ce musée apparaissent donc comme
« encadrés » par des contraintes économiques, comme expliqué par une
réflexion de Vidal (2003).
La forte préférence des publics d’être accompagnés lors du séjour muséal en
dépit d’une présence des TIC au Musée National et d’une maîtrise générale des
usages TIC pourtant affirmée par ces visiteurs, semble s’opposer aux résultats
des travaux de Vidal (2012), lesquels montrent une revendication d’autonomie
sociale de la part des visiteurs de musée dans leurs usages des TIC lors du
parcours muséal. On peut penser que cette inhibition est aussi la conséquence
d’une fascination résultant de la « monstration de la technologie » en contexte
de musée, tel que l’ont montré Schmitt & Meyer-Chemenska (2015 : 55) :
« …le visiteur doit à chaque fois réapprendre l’ergonomie et la navigation qui
mettent à l’épreuve ses capacités d’utilisateur. Au mieux, le dispositif constitue une
intrigue à laquelle le visiteur trouve une réponse qui lui convient. Au pire il reste une
énigme et le visiteur entre dans un labyrinthe séquentiel contraignant qui peut absorber
toute son énergie, avant même qu’il n’arrive à entrevoir le début de ce qu’il espérait
trouver ».
Toujours est-il que le public essentiellement jeune, se dit d’une manière
générale, bien imprégné des usages des TIC dont le téléphone portable ; mais
ceci en dehors du contexte muséal. La tâche d’accompagnement du médiateur
culturel semble donc être de ce point de vue, entièrement maintenue, prenant la
forme d’une médiation « numérico-culturelle ».
On observe cependant que pour 25 des 84 interviewés souhaitant être
accompagnés dans l’usage de ces TIC par des médiateurs culturels, les guides ne
doivent intervenir que lorsque des questions leur sont adressées. On peut y lire
l’expression d’une forme d’autonomie « embryonnaire » dans l’usage des TIC en
musée, et la volonté d’appréhender par soi-même de la part de ces visiteurs, le
sens des œuvres exposées. On peut aussi y voir la quête d’une sorte de
« médiation muséale modulée » par ces publics passagers, probablement mûs
dans cette démarche par leurs caractéristiques socio-démographiques,
notamment leur capacité cognitive.
Les statistiques révèlent que 46 des 84 personnes interrogées affirment que
le recours aux TIC lors de la visite au musée leur permet de mieux comprendre
les objets qui leur sont présentés, alors que 31 individus disent par ce biais
mieux découvrir les auteurs des œuvres. Les échanges sont approfondis avec les
médiateurs culturels selon 24 des personnes interrogées, alors que 15 visiteurs
sur les 84 interviewés disent que le recours aux TIC lors de leur parcours
muséal leur permet de développer une inspiration artistique. On peut d’après
ces résultats penser que la médiatisation des œuvres couplée à la médiation
(assurée par le personnel du musée) facilite et améliore la connaissance
culturelle des visiteurs, en même temps qu’elle inspire leur créativité.
Les traitements statistiques montrent que 56 des 84 répondants trouvent
« enrichissants » les contenus TIC du Musée National, alors que 58 répondants
les qualifient d’« édifiants ». On peut penser que le recours aux TIC rend plus
profondes les connaissances liées aux objets exposés, en apportant plus de
détails (visuels et audio) dans les informations.
Le caractère « édifiant » et « enrichissant » des contenus TIC du musée
semble cependant contraster avec le faible niveau d’interactivité (seuls 33 des 84
répondants) que leur accordent les visiteurs. Cela est probablement dû à l’un ou
à la combinaison des facteurs suivants : le faible niveau de compétences des
visiteurs dans l’usage des TIC en musée (comme vu supra), l’insuffisance de
fonctionnalités interactives mobilisées dans le cadre de la médiatisation des
contenus, le caractère peu interactif des contenus.
Les contenus médiatisés sont en lien étroit avec l’objet muséal présenté,
selon les réponses de 47 répondants sur les 84 interrogés, alors que 31
personnes se disent être indifférentes quant à la pertinence desdits contenus. Il
se peut donc que la médiatisation des œuvres de ce musée, réponde plus ou
moins à des critères de pertinence et de cohérence.
Un grand nombre de répondants (55 sur les 84 interrogés) trouve que les
contenus médiatisés par les TIC au Musée National ont un lien avec le contexte
socio-culturel de l’objet présenté ; alors que seulement 38 de ces 84 interviewés
observent que l’objet médiatisé est en lien étroit avec son auteur. Cela est
probablement dû au faible nombre des artistes/artisans auxquels la parole est
donnée dans les contenus médiatisés.
Le tri-à-plat révèle que 56 des 84 répondants se disent être satisfaits des
services délivrés par les TIC utilisées lors de leur visite au sein du Musée
National, alors que 50 de ces interviewés jugent le niveau d’utilisation des TIC
au sein de cette institution satisfaisant. On note cependant que 46 des 84
répondants estiment que l’amélioration des outils TIC mobilisés au Musée
National passe par l’acquisition d’un matériel permettant l’interactivité publicmusée-artiste, alors que 29 répondants estiment que cette amélioration se
conditionne par une élaboration de meilleurs contenus.
On peut penser que le niveau de service jugé satisfaisant par les publics
interrogés s’inscrit dans le cadre des réponses apportées par le Musée National
aux usages « prescrits », plus précisément aux réponses que cette institution
fournit aux besoins de ses nombreux utilisateurs que sont les élèves et les
étudiants. Le musée leur fournit sans doute les informations recherchées dans le
cadre des devoirs scolaires/académiques ; ceci avec par la médiation assurée par
son personnel. Cependant, l’acquisition d’un matériel mieux adapté, ainsi que
l’élaboration des contenus interactifs demeurent des défis.
Les visiteurs interrogés (55 sur les 84) précisent ne pas effectuer de manière
générale, la visite du site Internet d’un musée avant la visite du site physique de
celui-ci. Ceci peut s’expliquer par une volonté d’entretenir le goût de la surprise
et de la découverte, ainsi que celle de vivre physiquement, voire
« charnellement » l’objet patrimonial muséal. Ceci semble conforté par le fait
que 42 des 84 répondants préfèrent visiter un musée « physique » plutôt qu’un
musée virtuel. On relève cependant que 36 de ces répondants disent vouloir
visiter les deux formes de musée. Plus de la moitié des interviewés (43 sur les
84) pensent au demeurant qu’une visite du musée physique devrait toujours être
couplée à une visite du musée virtuel. De manière globale, les personnes
interrogées sont pour une visite du site physique du musée, complétée par une
visite du site virtuel de celui-ci, avec une descente sur le site réel qui précède la
visite virtuelle. La recherche -au rythme du visiteur internaute- d’une
complémentarité de l’expérience « réelle » par le vécu « virtuel » semble ici se
dégager. Ceci corrobore le constat effectué par Bowen, Bennett, Johnson,
Bernier (1998 : 111) : la consultation des galeries virtuelles fournit « …des
informations complémentaires à celles présentées dans les expositions réelles ».
Le dépouillement des données laisse constater que seulement 30 des 84
personnes interviewées ont une expérience antérieure -à leur visite au Musée
National- des usages des TIC dans un musée. Ceci peut expliquer le degré de
satisfaction totale, et simultanément le faible regard critique que la plupart des
interviewés porte sur l’usage des TIC au Musée National -au regard du grand
nombre des personnes n’ayant aucune connaissance du cahier de charges
qu’impliquerait le recours aux TIC dans un musée-. Il est permis de penser
qu’en l’absence d’un vécu expérientiel antérieur dans l’usage des TIC au sein
d’un musée, et donc d’une insuffisance/ignorance de critères d’appréciation,
l’existant découvert est jugé bon -du fait également de la fascination résultant
du phénomène de monstration des technologies évoqué plus haut- ; et la force
de proposition des visiteurs quant à l’amélioration de cet existant apparaît
faible. Cette absence d’expérience dans l’usage des TIC en parcours muséal
chez le plus grand nombre des enquêtés semble aussi explicatif de l’absence
d’autonomie et d’interactivité observée chez ces visiteurs lors de leur séjour
muséal.
Les statistiques révèlent que 24 des 84 visiteurs se disent indifférents aux
contenus du compte Facebook du Musée National. Ceci a sans doute un lien
avec le nombre important (68) des visiteurs se déclarant ne pas être amis avec
ledit compte, dont l’efficacité apparaît au demeurant faible : seulement 01
répondant sur les 84 affirme être venu au Musée National suite aux interactions
développées via le compte Facebook du musée.
Les données montrent également que le recours aux TIC au Musée National
génère des échanges entre des visiteurs à priori inconnus les uns des autres (54
des 84 répondants). Des formes de communication ayant pour objet
l’expérience vécue via les outils TIC mobilisés viennent briser la glace du silence
que l’on observe d’usage entre inconnus dans un lieu public. Les TIC
mobilisées au musée apparaissent comme des artefacts potentiellement
générateurs de lien social entre publics inconnus.
On peut observer que le bouche-à-oreille reste le moyen privilégié par les
visiteurs du musée (59 et 57 des répondants), pour ce qui concerne le partage
de leur expérience muséale. Ce canal de dissémination des bonnes pratiques est
préféré au buzz (Internet), en dépit d’un usage généralisé des TIC chez ces
publics essentiellement jeunes. Le contexte socio-culturel peut être explicatif du
choix de ce canal par ces visiteurs : en Afrique, le bouche-à-oreille apparaît
comme l’un des moyens privilégiés pour la diffusion des nouvelles/conseils,
même si l’on peut observer que des applications telles que WhatsApp et
Facebook prennent de plus en plus de l’importance.
L’enquête qualitative menée auprès des publics visiteurs : résultats empiriques et
théoriques sous les approches interactionniste et transactionnelle
Pour l’enquête qualitative, nous avons pu verbaliser 30 des 84 visiteurs de
l’enquête quantitative. Les entretiens se sont déroulés avec 20 visiteurs
camerounais et 10 visiteurs étrangers, dont 03 formant un groupe. Nous
effectuons une analyse des données obtenues premièrement sous le prisme de
l’approche interactionniste, deuxièmement à l’aune des principes du courant
transactionnel.
L’approche interactionniste et les corrélations entre les facteurs
structurants de la visite muséale
Mobilisant l’approche interactionniste, nous traitons dans le cadre de ce
sous-titre du contexte, des profils des publics visiteurs au Musée National, des
contenus culturels consommés via les TIC au musée, de l’influence des
interactions muséales dans les processus de construction des savoirs, et de celle
des visiteurs sur les pratiques des médiateurs culturels. Le but est de dégager les
éventuelles corrélations entre ces composantes.
Le Contexte :
La Cameroun, pays d’Afrique Centrale dans lequel se déroule l’enquête,
compte plus de 250 ethnies. Le français et l’anglais y sont les deux langues
officielles, alors que plus de 200 langues vernaculaires y sont parlées, et l’argot
franglais, mis au point par une population urbaine jeune ; est courant dans les
principales villes du pays.
L’environnement physique du musée est constitué de bâtiments aux allures
de palais mêlant style colonial et modernité. Cette infrastructure a été et
rénovée de 2009 à 2015 comme vu plus haut.
Le musée est doté d’équipements TIC décrits dans les paragraphes
précédents-.
Profils des publics de l’enquête qualitative
Les visiteurs camerounais de l’entretien qualitatif étaient constitués 08 élèves
du secondaire tous en groupe et accompagnés par leur professeur d’histoire et
de 02 étudiants non accompagnés. Les 10 autres visiteurs camerounais disant
être dans la vie active.
Ces publics jeunes partagent l’argot camfranglais évoqué plus haut, et
seulement 03 élèves et 02 étudiants affirment parler une langue vernaculaire du
Cameroun -langue de leur ethnie d’origine ou apprise à l’école dans le cadre de
l’enseignement des langues nationales-. Certains des jeunes étudiants et élèves au nombre de 04- disent avoir une expérience antérieure de visite de musée,
tout comme 06 des 10 visiteurs étrangers.
Pris au sens des typologies des publics de musée de Robert Wolf et Barbara
Tymitz (1980), les 08 élèves sont classés entre les apprentis et les novices, alors
que parmi les 10 visiteurs étrangers, on retrouve des touristes, mais aussi des
connaisseurs et des critiques -ceux des étrangers qui déclarent avoir une
expérience en matière de visite de musée à l’international-. Vus sous le prisme
de Treutenaere (1987), les 10 visiteurs étrangers semblent s’inscrire par leurs
dires dans une recherche du plaisir, une volonté de capitalisation, et un souci
d’exhaustivité ; tout comme les 10 autres Camerounais-dans la vie active- alors
que les 02 étudiants et les 08 élèves camerounais y sont présents pour un sujet
spécifique lié leurs études.
Consommation des contenus culturels au sein du Musée National du Cameroun : le cas
des biens patrimoniaux « médiatisés » par les TIC
Dans un parcours encadré par les accompagnateurs pédagogiques et les
médiateurs culturels, il est donné à voir aux élèves des objets de l’exposition liés
à l’Histoire -politique, sociale, culturelle et sportive-du Cameroun, avec un
accent mis sur les caractéristiques et spécificités propres à chacune des aires
culturelles du pays, mais également sur leurs ressemblances et leurs points
communs. Les œuvres exprimant la conquête de l’indépendance et illustrant la
mise en place de l’Etat-Nation, la construction de l’Unité Nationale, les
victoires sportives, sont privilégiées. Le public universitaire, plus libre dans la
déambulation, semble davantage s’intéresser à l’authenticité et à l’esthétique des
œuvres d’art, à porter un regard critique sur celles relatant l’Histoire sociopolitique et économique du pays.
Le tableau suivant synthétise les contenus patrimoniaux « médiatisés » par
les outils TIC présents au Musée National du Cameroun, lesquels sont offerts
en « consommation » aux visiteurs.
Tableau 04. Contenus culturels médiatisés par les outils TIC et offerts à la
« consommation » au Musée National du Cameroun
Contenus culturels proposés à la consommation des
visiteurs
Borne
Des contenus multimédia et photographiques portant sur la
interactive
présentation générale du Musée National du Cameroun, les
horaires d’ouverture, le plan des expositions et les objets
exposés : collections, salles…
Tablette
Il s’agit de contenus audiovisuels décrivant les spécificités
numérique I- culturelles de chacun des peuples des 04 grandes aires
pad
culturelles du Cameroun : les Fang-Béti de la forêt, avec leurs
totems, les peuples Sawa des régions côtières avec leur festival
Ngondo, les peuples soudano-sahéliens avec une description
des lamidats, chefferies, sultanats et les peuples de la région
Ouest du Cameroun, avec leurs chefferies mystérieuses. Le
visiteur camerounais peut ainsi s’identifier à la culture de sa
région d’origine, mieux comprendre et intégrer les cultures des
autres régions.
Tablette
Cet appareil propose au visiteur un parcours muséal commenté,
numérique I- structuré par la trame narrative de l’exposition. Le récit résume
pod
parfois le propos en décrivant uniquement les objets phares et
les stations qui marquent le parcours des visiteurs. On peut
aussi y écouter l’ensemble des cartels et des panneaux illustrant
les artefacts de l’exposition, de manière à offrir à la fois lecture,
vision et audition au visiteur.
DVD
Documentaires sur les rites et coutumes des peuples du
Cameroun : les Béti (rites d’Angan, Mbabi, Melan,
MaziliNdzoeYanda Bit, Kua, Ndziba, Efumbidi, Esani, rite de
veuvage…), les Mbog Bassa (festival Mbog Liaa, Ngandi li
soble, Ngand likwé, Ngand libii, Ngand mathob…), les
Bamiléké (culte des crânes aux ancêtres, rite de la circoncision,
cérémonie des jumeaux…)
Cédérom
Fournit des informations sur l'histoire de la fabrication des
objets patrimoniaux et sur les fabricants eux-mêmes; livr une
description historique des techniques employées par les artisans
à travers les âges et les temps, fait parler les artistes/artisans
aux côtés de leurs créations. Les cédéroms sont sous une
plusieurs formes : textes, photographies et séquences vidéos.
Audioguide
Contenus essentiellement audio, portant sur les cartels et les
textes se rapportant aux objets mis en exposition
Source : notre enquête de terrain (2018)
L’influence des interactions muséales dans les processus de construction des savoirs
La présence du professeur d’histoire qui se veut accompagnatrice des 08
élèves, donne lieu à des échanges divers : entre l’enseignant et les médiateurs
culturels, entre l’enseignant et les élèves-le pédagogue intervenant de temps à
autre pour montrer des illustrations de son cours à travers des objets culturels
« médiés » du musée-, entre les élèves et les médiateurs culturels, et entre les
élèves. On perçoit une forte influence du parcours muséal par les interventions
de l’enseignant. On peut penser que les médiations pédagogiques issues des
milieux scolaires et universitaires orientent celles déployées en musée en faveur
des élèves notamment, « encadrant » ainsi la visite muséale des élèves en
groupe.
De manière globale, les 30 visiteurs de l’étude qualitative affirment « être
édifiés par la diversité culturelle du Cameroun » à l’issue de la visite. Ils disent
avoir le sentiment que « le slogan Cameroun : Afrique en miniature, est
matérialisé par la diversité des représentations artistiques du milieu naturel du
Cameroun notamment dans sa flore, et sa faune, de l’habitat qui varie suivant
les aires culturelles et géographiques ; des 250 langues locales que compte le
pays ; des symboles culturels qui varient d’une ethnie à une autre » comme le
déclare Simon, l’un des 2 étudiants. Ainsi, « tout ce qui est enseigné dans les
livres est ici vécu en vrai, ce qui permet de mieux assimiler de façon rapide et
durable, l’Histoire culturelle, artistique, politique ; bref l’Histoire du Cameroun ;
ceci par la vue, le toucher et l’ouïe, et même parfois l’odorat », affirme Léopold,
étudiant à l’Université de Yaoundé 1. Il semble donc que la médiation et la
médiatisation -notamment par les TIC-du patrimoine culturel muséal donne
lieu à une réification et une meilleure assimilation des concepts enseignés en
éducation formelle. Les façons d’enseigner et d’apprendre sont aussi
renouvelées par des méthodes de médiation et de médiatisation relevant de
« l’éducation informelle », en l’occurrence de la visite en musée. L’action de
l’enseignant en éducation formelle se trouve prolongée/complétée par celle du
médiateur culturel, « dopant la perspective selon laquelle l’enseignement se
réalise dans une suite infinie d’interactions indéterminées, à travers lesquelles se
négocient et se construisent des représentations et des réifications des savoirs
reconnus comme légitimes dans une société donnée… », comme le montrait
Thomas (1923), lui-même évoqué par Morrissette (2010). Ces nouvelles façons
d’enseigner et d’apprendre vont dans le sens conféré aux notions de musées et
de TIC, en tant que dispositifs de médiation des savoirs induisant de nouvelles
démarches d'acquisition des connaissances. Il s’agit là d’un ensemble constitué
de divers supports techniques-relevant de l’audiovisuel, de l’informatique, du
multimédia, de la médiathèque…- et de différents lieux de constitution et de
transmission des savoirs. Vol (1998 : 67) montre que ces artefacts mettent
« à disposition des utilisateurs apprenants non plus seulement des contenus relevant de la
logique formelle », mais des «environnements aménagés», dont l'expérimentation
permet l'appropriation d'agencements d'informations et la familiarisation avec
des démarches d'acquisition de connaissances privilégiant la manipulation,
l'essai, les comportements affectifs, expérientiels, créatifs, ludiques, etc. »
L’influence des visiteurs sur les pratiques des médiateurs culturels
Les médiateurs culturels du musée affirment pour leur part que les diverses
interactions avec les visiteurs leur permettent d’améliorer leurs prestations, ceci
par une meilleure connaissance des questions qui leur sont fréquemment
adressées, et par une adaptation des outils et du discours de médiation. René
Atangana affirme par exemple expliquer dans l’argot camerounais franglais,
l’Histoire et les caractéristiques symboliques de certains objets patrimoniaux,
pour mieux se faire comprendre par les publics jeunes. Vu du côté médiateur
culturel, l’interactionnisme prend ainsi la forme d’ajustements dans leurs
pratiques: amélioration dans les méthodes et techniques de présentation des
objets d’art, adaptation des discours aux profils des publics visiteurs. On peut
globalement constater que l’apprentissage en contexte muséal se mutualise et se
« transversalise » : les visiteurs en apprennent des médiateurs, lesquels
améliorent leurs prestations suite aux interactions avec les visiteurs. Ces
constats confortent le point de vue interactionniste de Morrissette, Guignon,
Demazière (2011 : 1) selon lequel
«A minima le regard interactionniste considère le monde social comme une entité processuelle,
en composition et recomposition continues à travers les interactions entre acteurs, les
interprétations croisées qui organisent ces échanges et les ajustements qui en résultent ».
Perceptions, représentations et construction de sens par les publics de l’enquête qualitative
sous le prisme de l’approche transactionnelle
L’approche transactionnelle est ici convoquée pour comprendre les impacts
des aspects psychologiques, de l’origine ethnique et linguistique, ainsi que de
ceux de l’expérience antérieure de visite et des facteurs culturels dans la
perception et dans la construction de sens par les visiteurs.
La recherche de sens, comme démarche des publics visiteurs ; se situe à
l’opposé ou plutôt complète « la sociologie des pratiques culturelles, fondée sur de grands
appareils statistiques et mettant l’accent sur les actes de consommation plus que sur le sens de
l’expérience vécue (qui est pourtant le moteur principal de la fréquentation des œuvres et de la
culture) » (Bordeaux, 2014 : 77). Ceci s’inscrit dans le sillage de l’analyse des
« actes sémiques de réception » des visiteurs du Musée Granet d’Aix-en-Provence de
Passeron et Pedler (1991). L’exposition est ainsi comprise comme un média de
communication par lequel s’élabore un processus de significations (Veron &
Levasseur, 1989 ; Schiele & Boucher, 1987). C’est que « L’ambition est autre : il
s’agit d’articuler l’analyse sémiotique de l’exposition avec l’analyse de la construction de sens
effectuée par les visiteurs. » (Eidelman, Gottesdiener, Le Marec, 2013 : paragraphe
17 du document en ligne).
L’influence de l’expérience antérieure de visite et des facteurs culturels dans la perception
Les publics montrant une première expérience de musée -c’est à ce niveau
que se manifeste le concept de temporalité-apparaissent comme plus sensibles que ceux qui en sont à leur première visite- aux médiations et aux
médiatisations technologiques du musée. Ils affirment être « plus ou moins
familiers avec certains outils du musée, notamment les tablettes numériques ». Ils disent
« mieux percevoir la structure, la texture et le sens des objets qui sont montrés », en même
temps qu’ils s’interrogent sur le fil d’Ariane des œuvres exposées, comme le
constatait déjà Bonniol (2009). Il est permis de penser que des éléments
relevant du vécu expérientiel antérieur du musée paraissent comme déterminant
la perception du visiteur, mais aussi l’efficacité de la médiation et de la
médiatisation technologique d’un parcours muséal.
Les étudiants qui affirment parler leur langue maternelle, tout comme ceux
qui disent parler au moins une langue nationale apprise à l’école, semblent
montrer une meilleure compréhension des thématiques expliquées par
l’exposition muséographique. Ainsi, Stéphane, élève en classe de terminale qui
affirme parler couramment l’Eton et le fufludé- deux langues nationales-, dit saisir
rapidement la signification des cartels rédigés en ces langues, ainsi que la portée
symbolique des œuvres qu’ils illustrent. On peut penser que les facteurs
culturels –notamment linguistiques-propres aux publics visiteurs influencentdans ce cas facilitent-la compréhension des expositions en musée-. Ceci
rencontre le sens des travaux de Kassarjian (1980) qui montrent que l’analyse de
la consommation des biens culturels doit prendre davantage en compte
l’existence d’une culture liée à la spécificité des biens culturels eux-mêmes ;
plutôt que l’appartenance sociale des individus.
Les aspects psychologiques, l’origine ethnique et linguistique et leurs
impacts dans la construction du sens sous le prisme de l’approche
transactionnelle
Certains visiteurs interrogés expriment le regret de ne pouvoir toucherphysiquement- les objets qui leur sont présentés, et de ne devoir se contenter
que d’une appréciation des contenus audiovisuels :
« la sensation tactile ici interdite pourrait pourtant nous permettre de mieux apprécier la
matière avec laquelle ces objets d’art sont fabriqués, de même que les techniques mobilisées par
les artistes »,
se plaint Léopold, étudiant en arts plastiques à l’Université de Yaoundé 2.
Lue sous l’approche transactionnelle, cette plainte semble refléter un blocage à
un apprentissage complet dont la combinaison de facteurs psychologiques,
temporels et environnementaux en situation de visite devrait pourtant aboutir.
Les visiteurs camerounais parlant au moins une langue nationale semblent
retrouver plus rapidement le sens et l’authenticité des œuvres culturelles
exposées, en même temps qu’ils parviennent à mettre à jour les similitudes
culturelles entre quelques ethnies du Cameroun suite à leurs échanges avec les
médiateurs culturels. C’est ainsi que Henri, 14 ans an classe de 3ème et
s’exprimant en langue Manguissa répandue dans le département de la Lékié,
retrouve l’ancêtre commun et le lien culturel avec les Babouté du département du
Mbam, lors de la projection des contenus audiovisuels liés à ces deux ethnies, et
des échanges subséquents avec les médiateurs culturels. Une meilleure
compréhension/connaissance des autres cultures locales, la découverte des
similitudes et des ressemblances dans les pratiques culturelles, le sentiment
d’appartenance à une même sphère culturelle, à une même Histoire et à une
même Nation sont ainsi produits par les interactions publics visiteurs et
médiateurs culturels.
On relève également des entretiens obtenus auprès des publics visiteurs, la
forte fascination exercée par les bâtiments sur 20 des 30 interviewés qui
l’expriment au demeurant. Claude ingénieur du génie-civil, se dit « impressionné
par la très haute qualité des lambris et autres splendeurs de ce Palais », et « fasciné par ce
lieu qui a été pendant des décennies la place forte et inaccessible du Cameroun». D’autres
visiteurs se disent «captivés par le bureau présidentiel où se sont prises les grandes décisions
de la Nation».
Le lieu qui abrite les objets patrimoniaux apparaît ainsi en lui-même comme
un marqueur essentiel des représentations issues de l’expérience de l’exposition,
conduisant parfois le visiteur à établir un lien entre l’architecture du bâtiment,
son Histoire et les objets exposés. Dans la construction de sens résultant des
interactions des médiations et médiatisations, certains publics visiteurs
établissent donc une articulation logique entre environnement physique comme
espace abritant les objets exposés d’une part, et lesdits objets en question
d’autre part.
Il importe cependant de relever que les objets mis en visibilité au musée,
n’ont pas toujours un lien -tout au moins direct- avec l’Histoire du bâtiment.
Ainsi, l’environnement physique -compris dans le sens du bâtiment abritant les
objets culturels exposés-peut monopoliser l’attention du visiteur, au détriment
des objets principalement mis en exposition. De ce point de vue, le bâtiment
physique entre alors en concurrence avec les objets exposés, phagocytant ainsi
toute l’attention pourtant recherchée par la médiation et la médiatisation -via les
TIC notamment- des objets culturels, pour aboutir à une construction de sens
périphérique ou éloignée de l’évènement exposition.
Recentrage sur la problématique et les objectifs de l’étude : pistes de
développement des usages TIC en musée à partir de l’existant,
élaboration et implémentation d’une stratégie générique.
Les lignes qui suivent proposent à partir des caractéristiques ressorties de
l’analyse des usages TIC au Musée National, des pistes pouvant être
développées en vue d’une meilleure appropriation desdits outils au service du
musée et de ses publics. Il s’agit de combiner : audit des équipements et des
contenus, numérisation, services, interactivité et développement durable.
La nécessité d’un audit des équipements et des contenus
Au regard de ce qui précède, il est permis de dire la nécessité d’élaborer une
stratégie, voire une politique numérique en faveur du Musée National. Les
manquements relevés dans cette étude de cas sont communs à de nombreux
musées d’Afrique confrontés aux défis de la numérisation et de la digitalisation
dans un contexte d’insuffisances des ressources. La stratégie d’une présence
numérique passe sans doute par une bonne compréhension des besoins et des
attentes des publics que l’on visera à travers les plateformes numériques.
Prenant en compte le cas du Musée National du Cameroun, on peut par
exemple se poser la question de savoir si le faible nombre d’abonnés du compte
Facebook résulte effectivement d’une gestion inappropriée de la présence
numérique de ce musée : en considérant les résultats d’une réflexion menée par
Hoffman, Kalsbeek & Novak (1996) cités par Bowen, Bennett, Johnson,
Bernier (1998 :116), on observe que
« La tranche d'âge majoritaire des personnes qui visitent les musées sur l'Internet
se situe entre 40 et 64 ans», autrement dit, que « Les visiteurs de musées virtuels
sont donc plus âgés que la moyenne des cybernautes ».
Ces résultats paraissent être explicatifs du comportement de non
fréquentation et du faible nombre d’abonnés du compte Facebook du Musée
National. Ceci laisse penser que les thématiques muséales sont loin de
constituer les centres d’intérêt des jeunes internautes. Il convient dès lors d’aller
comprendre les attentes de ces publics, notamment pour ce qui concerne les
contenus des musées en ligne, et de bien préciser les objectifs liés à une
stratégie numérique.
Les gouvernements africains doivent également jouer pleinement leur rôle,
en prenant conscience des enjeux que charrie le numérique pour le patrimoine
culturel, et en investissant par conséquent dans des projets et programmes bien
pensés. Cela passe par des efforts d’équipements, la formation des personnels et
l’accessibilité des outils aux publics.
L’acquisition des équipements allant dans le sens des besoins identifiés aussi
bien au niveau du public que du musée, doit en même temps sortir des logiques
de fascination. Autrement dit, comme pour Schmitt et Meyer-Chemenska
(2015 : 9), il s’agit de
«…rendre la technologie davantage bienveillante pour les visiteurs, la rendre moins visible,
plus ordinaire, moins fascinante, de façon à pouvoir penser et travailler une écologie de la
médiation instrumentée. En ce sens, c’est bien le post-numérique dans les musées qu’il faut
envisager aujourd’hui. Car c’est de l’effacement des interfaces par les usages dans le quotidien
que viendra l’opportunité de penser ces dispositifs au service des visiteurs ».
Il s’agit de concevoir des contenus en ligne « répondant à la logique des
publics » au sens de Johnson (1997). A cet effet, Argoski (1995) cité par Roxane
Bernier et Bernadette Goldstein (1998 : 110) montrait déjà que
«…les nouveaux usagers du Web recherchent à la fois de l'information et du plaisir.
Ce sont les éléments partagés par les meilleurs musées internationaux».
Il s’agit de prendre aussi en compte les missions et les logiques des musées
dans la conception de ces contenus.
Partant de l’expérience de faible interactivité du compte Facebook du
musée, les contenus des plateformes numériques doivent être pensés et
élaborés dans des démarches inclusives (auteurs des œuvres, musées, publics,
informaticiens…), avec des fonctionnalités interactives, une offre de services
aux publics et la possibilité de mises à jour et d’adaptation permanente.
Des démarches d’éducation du grand public à la connaissance du patrimoine
culturel in situ sont également à encourager, notamment par des visites des
musées. Ceci peut accroître leur capacité de critique constructive et leur
créativité, par des méthodes associant informations et jeux dans les contenus
proposés.
Intégrer numérisation, interactivité et développement durable.
Il importe au regard des constats, d’achever la numérisation pertinente des
collections du Musée National, et de disposer d’outils permettant d’avoir une
idée exacte de l’inventaire desdites collections en temps réel. Faut-il ici rappeler
que
« …les collections d'objets sont la composante la plus importante d'un musée et ce qui
le distingue des autres institutions, comme les bibliothèques »
et que
«… l'intérêt des objets est diminué lorsqu'ils sont présentés sans aucune information
sur leur provenance et l'interprétation des objets par le musée fait partie de sa raison
d'être »
comme le soulignaient Bowen, Bennett, Johnson, et Bernier (1998 : 121) ?
L’observation in situ nous a donné de constater que les fichiers numérisés
donnent lieu à peu d’interactivité avec les visiteurs. Il importe de sortir d’une
démarche automatique de la numérisation pour mieux intégrer les utilisations
des bases de données qui en résultent. Il s’agit de faire du patrimoine culturel
des musées un
« …écosystème social où les femmes et les hommes interagissent avec des savoirs, des
objets et des paysages, en référence à la création autant qu’au souvenir » (Vidal,
2003 : 66).
C’est que
« L'idée d'une interactivité informatique joue un rôle crucial dans le cadre des relations
usagers/musées médiatisées par ordinateur. Le fait que les contenus museaux
numérisés soient accessibles, voire manipulables via des réseaux télécommunicationnels
dessine les promesses d'une personnalisation et d'une individualisation de ces relations»
(Vidal, 2003 : 66).
Les démarches de numérisation et de digitalisation doivent également
prendre en compte aussi bien en Afrique que partout ailleurs, les risques liés au
« tout numérique » : terminaux et objets connectés qui engloutissent des
quantités importantes d’énergie, épuisement des ressources non renouvelables
par la fabrication des équipements électroniques, gestion de la fin de vie desdits
équipements. Les démarches d’innovation verte pourraient être utilement
intégrées dans les pratiques numériques des musées.
Tirer parti des opportunités de visibilité
Une veille sur Internet peut permettre aux musées africains de capter les
opportunités offertes par certaines plateformes numériques telles Google Art
ou Virtual Library muséums pages. L’annuaire virtuel Virtual Library muséums pages
(http://www.icom. org/vlmp/) conçu et mis en ligne par Bowen, Bennett,
Johnson, Bernier (1994) et sélectionné en 1996 par le Conseil International des
Musées (ICOM) constitue une piste. Il permet selon leurs auteurs, la jonction
des professionnels et bénévoles de musées à travers le monde, assure un accès
aux visiteurs virtuels en ligne et offre des échanges d’informations propres aux
musées.
Il s’agit en effet de saisir dans une démarche de gagnant-gagnant (en
s’assurant du respect du droit des auteurs), les nouvelles opportunités de
visibilité de la Toile. C’est que dans l’effervescent univers des plateformes
numériques, les managers de musée et les auteurs des œuvres d’art doivent
notamment être attentifs au fait que des
« …des évolutions montrent que si, à court terme, les producteurs et les créateurs de
contenus ont pu espérer tirer profit des nouvelles technologies, à long terme ce sont
plutôt de nouvelles plateformes, situées au niveau de la diffusion, qui s’approprient ces
technologies pour redéfinir les stratégies commerciales et capter, in fine, l’essentiel de la
valeur ».
comme le relevait déjà Benghozi (2011).
L’Afrique, qui apparaît vulnérable à la cybercriminalité (du fait notamment
de la faiblesse, voire de l’inexistence du droit numérique dans ses Etats), doit
aussi penser aux mesures de sécurité en ligne, en veillant notamment à la nature
des informations (noms des mécènes, titres des œuvres d'art en restauration,
etc.) diffusées sur les plateformes numériques des musées.
Vers le développement des services
Il importe de faire migrer vers des standards internationaux, les 2500 fichiers
du Musée National déjà numérisés, et d’en faire un usage optimisé par une offre
de services adaptés aux « clients du musée ». Des exemples peuvent inspirer
cette démarche, à l’instar des bonnes pratiques partagées par Bowen, Bennett,
Johnson & Bernier (1998 : 113).dans leurs études de cas de l’évolution des sites
Internet des musées en France:
« Au début, il ne s'agissait que de pages Web qui offraient un lien avec les bases de
données de la librairie du musée, mais on a vite perçu ses potentialités en matière de
promotion des activités du musée et d'information sur les nouvelles expositions ».
Il importe pour le site Web en construction d’intégrer rapidement les
innovations à sa portée. Il s’agit donc, au-delà d’être une simple vitrine des
activités du musée, d’apparaître comme une plateforme de services proposant
des expositions, parcours et visites virtuelles, des fora,
« …dossiers scientifiques en images et textes, jeux et expériences en ligne, magazines,
présentations de colloques, recueils de conférences, rubriques, voire sites dédiés au
secteur éducatif […] boutiques commerciales »,
à l’instar des musées français décrits par Vidal. (2003 : 65). Le musée, par un
recours aux dispositifs numériques, doit permettre de transformer la visite
(physique/et virtuelle) du touriste en véritable vécu expérientiel, au sens de
Schmitt et Meyer-Chemenska (2015).
Conclusion
Au total, de cette étude sur les usages des TIC au Musée National du
Cameroun, se dégagent plusieurs constats et leçons, dont une forte restriction
imposée au public pour ce qui concerne la manipulation des outils TIC présents
au musée, du fait notamment des contraintes économiques qui grèvent la
maintenance de l’existant, et inhibent l’acquisition d’un plus grand nombre
d’équipements. Ceci a notamment pour conséquences une faible autonomie du
parcours muséal des visiteurs, une forte médiation « numérico-culturelle »
assurée par les médiateurs culturels. Ces médiations produisent elles-mêmes
plusieurs faits : une autonomie naissante et exprimée de la part des visiteurs
dans la construction de leur parcours muséal, les TIC comme facilitatrices dans
la découverte et l’apprentissage des savoirs liés au patrimoine culturel, les
caractéristiques ethniques et linguistiques comme facilitatrices dans le processus
de compréhension et d’assimilation des connaissances culturelles médiatisées,
l’identification et l’enracinement culturels facilités par les objets patrimoniaux
médiatisés par les TIC, les artefacts numériques en musée comme dispositifs
révélateurs de l’altérité, du sentiment d’appartenance culturelle et nationale pour
des publics visiteurs jeunes ;originaires de jeunes Etats souvent confrontés aux
défis de l’Unité Nationale. La visite apparaît alors comme un vécu expérientiel
social, culturel, affectif, et politique, « qui s’intègre dans des corps de pratiques et dans
des rapports aux territoires, aux institutions, aux médias » comme le montraient
Eidelman & Roustan (2008) à la suite de Le Marec (2007). Mais, une meilleure
efficacité de l’activité des musées africains passe par des efforts à fournir dans la
modernisation et l’équipements en TIC des musées, la numérisation des
collections, la généralisation de la formation et de l’éducation à l’usage des TIC
en musée -avec cependant une forte optique d’autonomie dans l’usage et la
construction du parcours visiteur-, la diversification d’une offre de services
adaptés aux besoins locaux et à ceux des touristes étrangers, notamment par la
digitalisation. Bernard Schiele (1992 : 86) l’avait prédit et des études l’ont
démontré: l’histoire du visiteur d’exposition est aussi « l’histoire de ce qu’on
attend de lui » et « celle des moyens mis en œuvre pour qu’il s’y conforme ». Les
pays africains doivent se donner les moyens de relever les défis qui se posent à
leurs musées, et au-delà, à la conservation, la gestion et le développement de
leur patrimoine culturel ; dont les impacts sont indéniables sur tous les autres
facteurs de leur développement.
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Abstracts
Focusing on the use of ICT’s at the National Museum of Cameroon at the moment when
questions arise about the restitution of the important African cultural heritage domiciled in
France, this text analyzes in an African context of insufficiencies of resources; the conservation
and enhancement of museum cultural heritage through ICT’s. Through a quantitative survey
and a qualitative method, and mobilizing interactionist and transactional approaches, this
work reveals: visitors with a mainly academic profile, digital and cultural mediations
exclusively provided by museum guides; a weak autonomy of the public in the museum path;
ethnic and linguistic characteristics that facilitate the understanding and assimilation of
mediated cultural knowledge, the cultural identification and rooting of audiences through
mediatized heritage objects, digital artifacts that act as revelators of otherness and the sense of
cultural and national belonging. This existing inspires modernization efforts of African
museums, appropriation of ICT’s and adaptation of service offerings in a perspective of
sustainable development.
Keywords: museum, lack of resources, ICT’s, uses, appropriation, digital
mediation, mediatization, representations, sustainable development.
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