1. Introduction
L’incidence du cancer du col a nettement diminué ces
40 dernières années grâce au dépistage par le frottis. Elle est
actuellement, en France, d’environ 9,9/100 000 femmes.
Toutefois, 40 % des femmes en France n’ont pas un suivi
régulier par frottis, avec pour conséquence un diagnostic
parfois tardif, au stade symptomatique du cancer. Environ
30 % des femmes présentant un cancer du col de l’utérus sont
dans leur période d’activité génitale [1]. L’incidence du can-
cer du col en cours de grossesse est de 1,6 à 10,6/10 000 gros-
sesses [2]. La grossesse est l’occasion de dépister, par le
frottis cervical, des femmes qui sortent du suivi habituel en
consultation. C’est peut-être pourquoi, sans que l’on puisse
formellement affirmer une augmentation des néoplasies
intra-épithéliales (CIN), le pourcentage d’anomalies cytolo-
giques retrouvées aux frottis est plus important durant la
grossesse, avec des taux variant suivant les publications de
5à8%[3–5]. Pour certains, la grossesse est un facteur de
risque indépendant du fait d’avoir une lésion de haut grade
[6]. La fréquence de l’infection virale par le papillomavirus
humain (HPV), dont on connaît le rôle promoteur dans le
développement des CIN et du cancer du col, ne semble pas
modifiée par la grossesse pour certains [7], alors que d’autres
notent une augmentation de fréquence [8].
Le diagnostic et la prise en charge des CIN sont les
meilleurs moyens de prévention du cancer du col de l’utérus.
En cours de grossesse, nous balançons entre le risque d’une
exploration ou celui d’un traitement qui pourraient être délé-
tères pour la bonne évolution de celle-ci et le risque de passer
à côté d’un carcinome micro-invasif ou de laisser évoluer un
CIN de haut grade vers un cancer en attendant le post-partum
pour traiter.
La prise en charge des CIN en cours de grossesse doit tenir
compte de différents paramètres qui peuvent être modifiés
par le statut gravide de la patiente : la validité de la cytologie,
celle de la colposcopie et des biopsies dirigées en cours de
grossesse, l’évolution spontanée des CIN pendant la gros-
sesse et en post-partum immédiat et enfin la qualité et les
risques des traitements réalisés pendant la grossesse.
2. Validité de la cytologie
Durant la grossesse, les glandes cervicales et le stroma
subissent des modifications physiologiques. Ces modifica-
tions peuvent faire surestimer des lésions possibles. Ainsi,
l’hyperplasie des glandes endocervicales se manifeste par
des cellules avec une forte vacuolisation du cytoplasme et des
nucléoles bien visibles. La décidualisation donne des gran-
des cellules au cytoplasme coloré et à large noyau. On peut
trouver des aspects de métaplasie liée à l’ectropion gravidi-
que. Enfin, des cellules déciduales ou trophoblastiques dégé-
nérées provenant de la cavité utérine peuvent laisser croire à
une lésion de haut grade [9]. Pour certains auteurs, le frottis
serait moins performant en cours de grossesse qu’en post-
partum, avec en particulier moins de cellules endocervicales
(44,1 vs 82 %) et moins de CIN diagnostiqués (2,6 vs 4,8 %)
[10]. Ueki et al. trouvent sur 7725 femmes enceintes seule-
ment 0,8 % de frottis anormaux, alors que le taux moyen de
frottis anormaux pour la même période chez 714 119 femmes
était de 1,1 % [11]. Sur une série de 34 carcinomes in situ en
cours de grossesse, Coppola et al. remarquent que le frottis
initial était dans 46 % des cas un CIN 1 ou 2 [12]. Le taux de
lésions cervicales trouvées en cas de frottis ASCUS (frottis
atypique de signification indéterminée) est moins important
en cours de grossesse qu’en dehors de la grossesse (33 vs
50 %) [13]. Toutefois, les mêmes auteurs notent un cas de
cancer avec un frottis ASCUS chez une patiente gravide.
Mais pour de nombreux auteurs, le frottis présente les mêmes
taux de sous-évaluation (20,5 %) ou de surestimation (24 %)
qu’avec une population non gravide [14–16].
En pratique, le frottis reste un bon outil de dépistage, ce
d’autant plus qu’il peut s’adresser à une population peu ou
pas suivie sur le plan gynécologique. Les taux de perdues de
vue après l’accouchement (entre 6 et 33 %) [5,10,17] sont
autant d’arguments pour profiter de cette situation qu’est la
grossesse pour réaliser, quel que soit le terme, un frottis chez
les patientes n’ayant pas eu de frottis récemment.
3. Validité de la colposcopie et des biopsies
La zone de jonction cylindropavimenteuse est presque
toujours visible en colposcopie (100%à20semaines d’amé-
norrhée pour Economos [5]). La grossesse modifie les as-
pects colposcopiques pouvant faire surévaluer la lésion. En
effet, l’augmentation de la vascularisation du col exagère la
réaction acidophile des métaplasies immatures et l’aspect un
peu anarchique des vaisseaux peut très bien évoquer une
lésion de haut grade [4]. Toutefois, plusieurs auteurs ont
montré une bonne corrélation entre les aspects colposcopi-
ques et le résultat des biopsies dirigées (de 72,6 % [16] à
95 % [5]) avec effectivement plus de surévaluation que de
sous-évaluation des lésions (17,6 vs 9,8 %) [16]. La sensibi-
lité est d’environ 87 % [16]. La colposcopie seule, cependant,
ne suffit pas à l’évaluation des lésions. Il existe une sous-
évaluation de la colposcopie dans 35 % des cas de carcinome
in situ [12] et dans 32 % des cancers invasifs [16,18,19]. De
même, 14 % des impressions de CIN 1 en colposcopie sont
des CIN 3 à la biopsie et 54 % des colposcopies normales
avec frottis anormaux sont des CIN 1 ou 2 [5]. La biopsie
nous paraît donc nécessaire pour compléter la colposcopie.
La fiabilité de cette biopsie par rapport au diagnostic final,
bien qu’évaluée le plus souvent en post-partum, a été appré-
ciée par plusieurs auteurs. La concordance est complète dans
41 à 83,7 % de ces biopsies et à un degré de sévérité près dans
95 à 95,9 % [5,16,20]. Pour 12,2 % d’entre elles, l’histologie
finale est plus grave, et pour 4,1 %, elle est moins importante
pour la série de Baldauf [16]. Globalement, l’association
colposcopie–biopsie assure une pertinence et une sécurité
suffisantes en cours de grossesse pour de nombreux auteurs
[5,13,16,20,21]. Devant un frottis ASCUS ou de bas grade,
certains auteurs pensent, contrairement aux recommanda-
852 S. Douvier et al. / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 31 (2003) 851–855