Ce que Montréal doit à Champlain Proposé par Alfred Veillette (comme document bidon) Alfred Veillette, idéateur consultant en muséologie 1 AUTRES TITRES Ce que les Montréalais doivent à Champlain Champlain : le premier visionnaire de Montréal Champlain, (premier) visionnaire de Montréal Champlain. Grand visionnaire de Montréal Champlain était …Montréalais Samuel de Champlain un Montréalais avant la lettre Samuel de Champlain Le premier Montréalais Samuel de Champlain Un Grand Montréalais! Le premier des Grands Montréalais Montréal a eu son visionnaire : Champlain Montréal : la promesse de Champlain Champlain, préfondateur de Montréal Montréal : le rêve de Champlain. 2 Les raisons que peut invoquer Montréal d’honorer la mémoire de Champlain sont nombreuses. Plusieurs ont été rappelées à l’occasion de la tentative navrante de faire disparaître le nom du Père de la Nouvelle-France au profit de celui du brave Maurice Richard, héros populaire qui n’en demandait pas tant, lui qui a passé une bonne partie de sa vie de l’autre côté de l’île de Montréal, dans une maison faisant face à la rivière des Prairies, à deux pas du pont Viau menant à Laval! Ce qui m’a quelque peu surpris dans cette histoire, ce sont les arguments rapportés en faveur de Champlain. Oui, Champlain a fondé Québec; oui, il a poussé ses «descouvertures» jusqu’aux Grands Lacs; oui, il est le Père de la Nouvelle-France et l’instigateur d’alliances déterminantes avec les Améindiens. Mais quel a été son rapport effectif avec Montréal? Là-dessus, je n’ai rien entendu de précis. Ou si peu. Et pourtant! Peut-être que la seule chose que Champlain n’a pu réaliser concernant Montréal, c’est de n’avoir pas fondé officiellement la ville en 1642. Et pour cause : le premier gouverneur de la Nouvelle-France était mort depuis sept ans… Ce que Montréal doit à Champlain (Vignette : Couverture d’une œuvre écrite de Champlain, de préférence celle publiée en 1619.) Le nom de Champlain est le plus souvent associé à la fondation de Québec et à la création de la Nouvelle-France. C’est exact mais incomplet. Une lecture attentive des écrits de l’explorateur, découvreur et diplomate révèle que Champlain a joué un rôle majeur dans l’établissement de Montréal, et ce, sur plus d’un plan. Une lecture attentive de ses écrits nous révèlent l’immense intérêt porté dès 1611 par Champlain à l’établissement d’une ville à Montréal. Cet été-là, l’explorateur passe six semaines à Montréal sur un site qu’il a choisi pour sa position stratégique au seuil des rapides de Lachine. Le géographe dresse un plan de ce site qu’il nomme Grand Sault St-Louis en l’honneur de Louis XIII, futur roi de France dont le père Henri IV vient d’être assassiné en 1610. Au centre de ce plan surprenant de précision — le premier de l’histoire de Montréal —, Champlain indique par la lettre A une pointe de terre au confluent d’une petite rivière et du grand fleuve. Il nomme la pointe «place Royalle», nom urbain s’il en est un. Il précise qu’il l’a fait défricher pour la rendre «preste à y bastir». En outre, il nomme Sainte-Hélène — prénom de sa jeune épouse — une belle île boisée sise dans le Fleuve. Il y projette la construction d’une «bonne et forte ville». C’est ainsi à Montréal, en 1611, que pour la première fois Champlain parle nommément de l’établissement d’une ville en Nouvelle-France. En 1608, il n’avait pas été question d’un établissement urbain à Québec. On verra plus loin pourquoi. Montréal : une promesse de Champlain Lors de chacune de ses explorations au-delà des rapides — en 1613 chez les Algonquins de l’Outaouais, puis en 1615 chez les Hurons des Grands Lacs — Champlain séjourne à Montréal à l’aller et au retour. Entre 1611 et 1617, l’explorateur passera ainsi deux fois plus de temps à Montréal qu’à Québec. Durant cette période, Champlain explore le territoire. Il rêve encore de trouver, guidé par les alliés amérindiens, un passage vers l’Asie. 3 Montréal a de bonnes raisons de vouloir honorer Champlain. N’est-il pas le père de la NouvelleFrance dont Montréal sera la ville charnière entre la partie laurentienne et la partie amérindienneporte donnant sur l’intérieur du Continent? En 2008, il m’a été donné de faire une recherche sur la protohistoire de Montréal, c’est-à-dire sur l’histoire de Montréal avant la fondation de 1642 par Mance et Maisonneuve. 4 En ce début de l’année 2011, je ne puis m’empêcher de songer que le site de la Pointe à Callière — site de fondation de Montréal dont le Musée est le témoin assigné — va célébrer cet été ses 400 ans en tant que site d’établissement français désigné par Samuel de Champlain, le «père de la Nouvelle-France». C’est en effet à l’été 1611 que Samuel de Champlain nomme le lieu, en dresse un plan détaillé, s’y installe durant plus de sept semaines pour y mener des activités commerciales et diplomatiques avec les Amérindiens. Des activités semblables s’y tiendront au courant des années suivantes. En outre, chaque fois que Champlain viendra en Nouvelle-France entre 1611 et 1616, il ne manquera pas de s’y rendre et d’y séjourner. Amorcée en 1611, cette période de fréquentation saisonnière mais assidue du secteur de la Pointe par les Français peut être considérée comme un épisode à part entière de la genèse de la ville. Pourquoi? Parce que, entre 1611 et 1616, plusieurs «premières» ont lieu sur le site qui sera retenu, en 1642, par Mance et Maisonneuve pour fonder la colonie missionnaire de Ville-Marie. Dans le document produit à votre demande en 2008 et intitulé «1611-1616 ~ Champlain et les Français au Grand Sault Saint-Louis : un épisode à part entière de la genèse de Montréal, j’ai identifié quelques-uns de ces gestes que l’on peut qualifier de «fondateurs». Je les reprends ici de façon plus succincte. 5 Gestes «fondateurs» À l’été 1611, le site terrestre articulé autour de ce qui deviendra la pointe à Callière est le lieu d’événements qui participent à l’histoire de Montréal comme future ville française. • D’abord, Champlain attribue un toponyme français à l’endroit, toponyme qui perdurera jusqu’à la fondation formelle de la colonie missionnaire nommée pour sa part Ville-Marie. Il nomme l’endroit Grand Sault Saint-Louis, vraisemblablement en l’honneur de Louis XIII, successeur annoncé de Henri IV, qui vient d’être assassiné en 1610. • Sur le plan détaillé qu’il dresse, Champlain attribue la première lettre de sa nomenclature («A») à la pointe qu’il a fait défricher et qu’il «a rendu preste à bastir». Il la nomme «place Royalle», un nom urbain qui commence à avoir cours en France. Les lettres qui suivent (B, C, D, E) identifient les principales composantes du site qui deviendra le site premier de la ville. • Du même souffle, il nomme l’île Sainte-Hélène d’après le nom de sa jeune épouse et y entrevoit l’endroit idéal pour édifier «une bonne et forte ville». • Il fait faire deux jardins, l’un sur la Pointe et l’autre sur la rive en face, futur cœur de la ville. En outre, il fait construire un muret de pierre pour voir comment des fondations peuvent se comporter sur l’îlot Normand, où il évoque la possibilité de construire une habitation comme à Québec. En ce lieu du Grand Sault Saint-Louis, où il séjourne plus de sept semaines à l’été 1611, Champlain accomplit d’autres gestes de conséquence. Ainsi, il tient des séances de traite et de négociations diplomatiques avec les Amérindiens. Les séances de traite préfigurent les grandes foires des fourrures qui deviendront, vers 1670, l’apanage de Montréal après l’épisode missionnaire de Ville-Marie. Acte fondateur plus éminent encore, il conclut formellement l’alliance avec les Hurons, alliance qui, en provoquant l’hostilité des Iroquois, aura des conséquences décisives sur l’histoire de la Nouvelle-France et ce, jusqu’au traité de la Grande Paix de 1701, conclu incidemment sur et autour du site de fondation de Montréal! Déjà donc, en cet été 1611, sur le futur site de fondation de Montréal, sont préfigurées par Champlain et les siens deux des grandes fonctions de la ville à l’époque de la Nouvelle-France : centre du commerce des fourrures et centre de la diplomatie franco-amérindienne. Les historiens ont souvent réduit à un simple séjour estival la présence des Français à Montréal avant la fondation de 1642. Or, une lecture attentive des récits de Champlain nous fait comprendre que le Sault Saint-Louis demeure, au moins jusqu’en 1617, un relais incontournable sur la route du commerce et des explorations, incluant aussi les voyages d’évangélisation. Au cours de cette période, Champlain y passe d’ailleurs plus de deux fois plus de temps qu’à l’habitation de Québec (81 jours contre 35). Au cours de ces mêmes années, les rivalités inter-indiennes s’accentuent et rendent périlleuse la pénétration du continent par les Français. En 1618, Champlain renonce à ses activités d’exploration pour se consacrer à l’établissement d’une première ville qu’il entrevoit comme un comptoir douanier d’envergure entre l’Europe et l’Asie. Or, il n’est pas interdit de songer que le Grand Sault Saint-Louis ait pu apparaître à Champlain comme le lieu «naturel» d’une telle entreprise. Mais pour l’heure son éloignement de Tadoussac et sa haute dangerosité due aux Iroquois disqualifient le Sault Saint-Louis. Et Champlain de choisir Québec — plus précisément les rives de la Saint-Charles, un site assez similaire à celui de Montréal — pour établir la grande cité comptoir à laquelle il souhaite donner le nom de Ludovica, en l’honneur du même Louis XIII que l’on retrouvait dans la dénomination Grand Sault Saint-Louis… 6 D’autres faits fondateurs Quelques autres faits font de 1611 l’année où naquit le projet d’un établissement français à la Pointe à Callière. • 1. Champlain, dessinateur et géographe, dresse un plan du Grand Sault Saint-Louis. Ce plan, tout en décrivant l’obstacle naturel des rapides, montre clairement le potentiel du lieu en tant que lieu d’établissement. Les détails graphiques (profondeurs, courants, relief, accostage) et narratifs (ressources végétales et fauniques, le mur pour tester du bâti, les jardins pour tester la terre, le nom Place royalle, etc.) rendent compte d’un potentiel d’établissement tout autant que des caractéristiques d’un endroit difficile à franchir — les dangereux rapides — sur la route de l’Asie… Ce plan — au reste, un document historique exceptionnel — constitue en quelque sorte une prise d’option sur un site «naturellement» dédié à des fonctions commerciales notamment à cause de l’arrêt obligatoire qu’imposent les rapides. • 2. En 1613, Champlain entreprend, à partir de Montréal, un voyage d’exploration sur l’Outaouais. Il remonte la rivière jusqu’à l’Île aux Allumettes où les Algonquins le découragent d’aller plus loin. À ces alliés, Champlain promet d’ériger un fort au Sault Saint-Louis afin qu’ils puissent venir habiter de meilleures terres auprès des Français. Champlain s’engage même, dès son retour au Sault Saint-Louis, de faire «les préparatifs de bois & pierre» pour le fort qui serait construit l’année suivante. • 3. En 1615, une fois de plus, Champlain passe par Montréal pour aller explorer les Grands Lacs et assister les Hurons dans leurs guerres contre les Iroquois. Au printemps 1616, au retour de son hivernage forcé en Huronnie, Champlain est alors accompagné du chef huron Arontal. Avant de se rendre à Québec, Champlain séjourne à Montréal où il y a traite comme à chaque année. De retour à Québec avec son hôte, il lui promet une fois de plus de construire une habitation au Sault SaintLouis. Cette dernière promesse est particulièrement significative. Dans le récit qu’il en fait, Champlain rapporte les propos du chef huron qui exprime son désir de voir les siens adopter le mode de vie des Français. Certains historiens font l’hypothèse qu’il s’agit plutôt de la vision de Champlain que ce dernier, fin propagandiste, met dans la bouche d’Arontal. Cela ne change rien au fait que la stratégie de colonisation avancée par Arontal — ou Champlain — apparaît comme une anticipation à tous égards de celle mise de l’avant par la Société Notre-Dame «pour la conversion des sauvages», stratégie que porteront Mance et Maisonneuve en 1642. • 4. En 1642, Mance et Maisonneuve fondent officiellement Ville-Marie sur le site repéré et déterminé par Champlain en 1611. Le fort, geste fondateur décisif, est aménagé sur la Pointe nommée jadis «place Royalle» défrichée et «rendue preste à bastir» par Champlain. • 5. Plusieurs indices laissent croire que, jusqu’à la veille de la fondation de Ville-Marie, le site du Sault Saint-Louis est resté «actif» pour la traite et ce, pendant que Champlain se retirait en aval et décidait en 1617-18 de miser sur Québec pour amorcer l’établissement laurentien français. Des perles pour preuve Après 1617, la présence française au Grand Sault Saint-Louis se serait perpétuée, certes saisonnière en l’absence d’établissement permanent et certes intermittente en raison de l’hostilité iroquoise. En tout état de cause, la preuve archéologique existe d’une présence européenne entre 1611 et 1642 au Sault Saint-Louis. Cette preuve est constituée par les perles de traite typiques de l’époque 1600-1630 trouvées dans les sols de la Pointe et des sites archéologiques connexes. 7 Un anniversaire à souligner Devant cet ensemble de faits historiques et archéologiques, il apparaît évident qu’en 1611, quelque chose «naît» : le projet d’un établissement français sur l’île de Montréal. Ainsi le site choisi, nommé et utilisé par Champlain, puis repris par Mance et Maisonneuve, fête donc cette année ses 400 ans. Mais comment célébrer ce 400e anniversaire de la Pointe à Callière entrevue dès 1611 comme site d’établissement français? Convenons d’emblée qu’on ne peut en faire un anniversaire grandiose puisque l’histoire même de cet anniversaire est très récente : il n’aurait pas pu être célébré avant la création du Musée et la reconnaissance officielle de la Pointe à Callière comme site «qui a vu naître Montréal». Par contre, ce serait priver les Montréalais d’un authentique rendez-vous de mémoire que de passer sous silence «la naissance du lieu de naissance» de leur ville. D’autant plus que cette «naissance» inaugure une période où existe, avant Ville-Marie, un lieu nommé Grand Sault Saint-Louis, un lieu témoin d’activités qui caractériseront éventuellement Montréal, notamment le commerce des fourrures et la diplomatie franco-amérindienne. Si Champlain avait choisi un autre lieu de l’île pour les activités menées entre 1611 et 1616, ou encore, si Mance et Maisonneuve avaient choisi un site autre pour fonder Ville-Marie, ce serait évidemment une toute autre histoire… Convenons également que si le «soulignement» de cet anniversaire montréalais doit être assuré par une institution patrimoniale, il ne peut s’agir que du Musée et de son complexe muséal bâti sur le lieu même de fondation de la ville. Une proposition parmi d’autres Un tel anniversaire, qui concerne de si près l’origine de Montréal en tant qu’établissement français, se prépare longtemps d’avance. Ce n’est pas, semble-t-il, notre cas. Cependant, il serait peut-être possible de souligner le 400e anniversaire du lieu de naissance de Montréal par la publication d’un ouvrage sur le sujet. Si le temps de réalisation d’un ouvrage savant paraît un peu court, peut-être cette publication pourrait-elle prendre une forme plus simple. Ainsi, par exemple, il pourrait s’agir d’un numéro spécial de la revue La Recrue qui serait, pour cette occasion spéciale, reproduite en plusieurs milliers d’exemplaires et distribuée à travers les quotidiens montréalais de fin de semaine. Pour ce faire, la revue verrait son nombre de pages augmenté et serait imprimée en couleur. Des commanditaires institutionnels pourraient être sollicités pour supporter une telle opération. Une autre possibilité, différente ou complémentaire, serait d’organiser une activité dans le cadre des portes ouvertes de l’École de fouilles ou encore lors du Marché public, à la fin août. Contenu Si la proposition d’un numéro spécial de La Recrue était retenue, une bonne part du contenu pourrait provenir ou s’inspirer du document que m’avait commandé le Musée en 2008 pour faire état de la protohistoire de Montréal et des découvertes archéologiques récentes, notamment celles faites sur les différents sites du Musée, dont le site du Fort Ville-Marie. Les contenus de ce document pourraient être découpés en quatre ou cinq articles réécrits sous une facture plus journalistique. Pourraient s’y ajouter quelques autres contributions glanées auprès d’historiens et de chercheurs : l’alliance formelle avec les Hurons; les perles de traite; les dernières découvertes de l’École de fouilles; etc. Évidemment, une grande place serait faite aux visuels. Il est entendu que seraient écartées les quelques hypothèses du document de 2008 susceptibles de créer des controverses. De toute façon, en s’en tenant aux strictes faits historiques connus et qui font consensus chez les historiens, ce 400e anniversaire du lieu de naissance de 8 Montréal présente assez de «matière fondatrice» pour justifier l’organisation d’un rendez-vous de mémoire avec les Montréalais. Visées institutionnelles Sans élaborer davantage sur la forme que pourrait prendre ce rendez-vous de mémoire, j’aimerais énumérer en terminant quelques objectifs de diffusion que pourrait rencontrer une telle action. • 1. Souligner le 400e anniversaire d’une première présence française sur le site qui deviendra le berceau urbain de Montréal. • 2. Faire découvrir aux Montréalais une page d’histoire concernant la genèse de leur ville, plus spécifiquement la désignation de son lieu de fondation par Champlain, le père de la NouvelleFrance. • 3. Attirer l’attention du grand public sur le Musée comme lieu historique et archéologique exceptionnel en rappelant notamment qu’il est érigé à l’endroit même où la ville est née. • 4. Réitérer l’invitation aux Montréalais de visiter — ou revisiter — «leur» Musée et ce, au moment où son nouveau multimédia a pris l’affiche et où son exposition permanente complète son renouvellement. • 5. Faire connaître et promouvoir les activités du Musée et ses projets en cours ou à venir (École de fouilles, Maison de l’Archéologie, agrandissement jusqu’à McGill). • 6. Mobiliser les donateurs et susciter de nouvelles adhésions. Un rendez-vous de mémoire Comme on peut le constater, il ne s’agit pas pour le Musée de s’embarquer dans des actions d’envergure qui pourraient enlever quelque lustre aux célébrations de 2017. Il s’agit tout simplement de souligner un événement important qui appartient en propre à la genèse de Montréal. Ni la communauté savante ni la population montréalaise ne devraient être privées de ce rappel historique dont le Musée est le premier témoin. 9 Page couverture du document commandé en 2008 10