HISPANIC IS PANIC ? LA CALIFORNIE ET LES LATINOS Emmanuelle Le Texier L'Harmattan | « Politique américaine » ISSN 1771-8848 ISBN 9782916722139 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-politique-americaine-2007-3-page-81.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan. © L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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La jeune femme avait été expulsée des États-Unis une première fois en 1997 et séparée de son fils Saul, né sur le territoire américain et de fait citoyen. Elle était revenue illégalement en 2000 et s’était procuré un numéro de Sécurité sociale lui permettant d’être employée comme femme de ménage à l’aéroport de Chicago. En 2002, elle avait été jugée pour son entrée sans-papiers sur le territoire puis relâchée. Pour tenter d’échapper à son arrêté d’expulsion en août 2006, elle avait pris refuge dans l’Église Emmanuelle LE TEXIER est maître de conférence en civilisation américaine à l’université Charles de Gaulle - Lille 3. Elle est l’auteur de Quand les exclus font de la politique... Le barrio mexicain de San Diego, Californie, Presses de Sciences Po, Paris, 2006. 07-Letexier-81-102.indd 81 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Hispanic is panic? La Californie et les Latinos , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:43 Emmanuelle LE TEXIER Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan méthodiste de Chicago sous les auspices du pasteur Walter Coleman. Devenue militante active et porte-parole d’une réforme de la politique d’immigration, elle avait notamment rencontré la veuve du Pasteur Jesse Jackson, avant son expulsion, et participé, la veille, à une nouvelle manifestation organisée à Los Angeles. Le 12 septembre 2007, elle devait se rendre à Washington DC pour animer une journée de prière et de revendication – activité maintenue malgré son absence. Cet événement médiatico-politique résume à lui seul l’enjeu que représente l’immigration latino-américaine aux États-Unis et en Californie en particulier. Entre hostilité et hospitalité, les Latinos se trouvent aujourd’hui au cœur de débats qui vont bien au-delà du simple enjeu migratoire. Les Latinos représentent aujourd’hui près de 15 % de la population américaine 1. C’est le groupe qui connaît la plus forte croissance aux États-Unis, près de 3,5 % entre 2005 et 2006. En 2050, les estimations indiquent que près de 24 % de la population totale sera hispanique. Les quelques 44,3 millions de Latinos, 60 % de plus qu’il y a dix ans, sont devenus la première minorité devant les Afro-Américains. En Californie, ils sont treize millions, soit 32,4 % de la population contre seulement 25,8 % en 1990. Au-delà de l’aspect démographique, les données statistiques permettent surtout d’envisager une Californie à moitié hispanique d’ici à 2050. Pour certains mouvements conservateurs, cette pensée est inimaginable, car elle contredirait l’idée même de la nation américaine construite autour du mythe WASP (White Anglo Saxon Protestant). Les débats sur la réforme de la politique d’immigration font rage. La mobilisation sans précédent de plus d’un million de manifestants le 1er mai 2006 – en majorité des Latinos – pour une réforme de la politique d’immigration est, pour d’autres, un juste retour de bâton face au mouvement considéré comme restrictif. En effet, depuis les années 1990, en particulier en Californie, un sentiment anti-immigré s’est développé, illustré par le discours culturaliste de Samuel Huntington stigmatisant 1. U.S. Census Bureau, recensement 2000, mis à jour au 1er juillet 2006. 07-Letexier-81-102.indd 82 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan 82 , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:43 Hispanic is panic? La Californie et les Latinos 83 les Hispaniques 2. Ce débat est fondamental, tant pour les sans-papiers et les immigrés, que pour les partis politiques dans la perspective des présidentielles de 2008. C’est que les Latinos constituent désormais un enjeu incontournable en Californie : une population croissante et en pleine mutation, un électorat clef et un acteur majeur de la future politique d’immigration. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan En 1965, l’Immigration and Nationality Act met fin aux quotas raciaux et favorise le regroupement familial. Cette législation opère un changement quantitatif et qualitatif de l’immigration, caractérisée par des flux massifs en provenance d’Asie et d’Amérique latine. Près de vingt ans plus tard, en 1986, l’IRCA (Immigration Reform and Control Act) régularise près de trois millions de sans-papiers, en majorité des Mexicains. Dans cette période d’ouverture relative, l’Immigration Act de 1990 fait des Latinos le plus important flux migratoire. Pourtant, en 1996 les lois relatives à l’asile et aux procédures de rétention et d’expulsion sont modifiées. Très strictes, elles permettent la détention des sans-papiers pendant plusieurs mois et l’expulsion immédiate sans jugement. Ces mesures durcissent les sanctions et les peines contre les sans-papiers, leurs passeurs et employeurs. Paradoxalement, une année plus tard, une amnistie régularise le statut de près de 400 000 Centraméricains. Ce mouvement de balancier perdure. Les Latinos, majorité des minorités En Californie, le reflux nativiste 3 est alimenté par la peur d’une « invasion mexicaine » et d’une « balkanisation » de la culture américaine. Le premier symbole en est la Proposition 187 votée par référendum en 1994, qui a tenté d’abolir provisoirement toute forme d’aide sociale aux sanspapiers. Adoptée par près de 60 % des voix et baptisée par 2. Samuel Huntington, Who are We: The Challenges to America’s National Identity, Simon and Schuster, New York, 2004. 3. Denis Lacorne, La crise de l’identité américaine. Du Melting-pot au multiculturalisme, Fayard, Paris, 1997. 07-Letexier-81-102.indd 83 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan “GOOD MORNING, JOSÉ!” : LES LATINOS EN CALIFORNIE , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:44 Emmanuelle LE TEXIER Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan ses initiateurs S.O.S, Save Our State, elle comprenait dans son application des mesures qui entraînaient la création d’un fichier électronique d’empreintes digitales et exigeaient des organismes publics qu’ils dénoncent les individus en situation irrégulière. Déclarée anticonstitutionnelle, elle reste toutefois la marque de la transformation de l’immigration en problème sécuritaire et inspirera, après le 11 septembre 2001, les nouvelles dispositions du Patriot Act. L’échec des organisations de Latinos à se mobiliser contre cette initiative a été visible à l’époque. Les vives discussions publiques sur l’éducation bilingue (Proposition 227) et la suppression des programmes de traitement préférentiel (Proposition 209) soulignent les tensions entre libéraux et conservateurs. Le second marqueur du regain du sentiment anti-immigré est la construction d’un mur depuis 1994 à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, en particulier l’opération Gatekeeper en Californie, qui a contribué à une militarisation de l’enjeu migratoire 4. La perspective sécuritaire adoptée après les attentats du World Trade Center s’est accentuée et les conditions de la réunification familiale comme celles de l’accès aux visas de travail se sont durcies. Face à la lutte contre le terrorisme, le Mexique s’est trouvé contraint à reporter sine die la négociation d’accords d’amnistie et de travailleurs temporaires, priorités de l’agenda bilatéral avant les attentats. Annoncée par George W. Bush lors de son élection en 2004, la réforme de l’immigration a été reportée à plusieurs reprises et a déclenché une mobilisation sans précédent en 2006. Face à ces aléas – accueil et hostilité –, la population latinoaméricaine n’a pourtant cessé de croître depuis les années 1970. Cependant, les statistiques et les discours tendent à trop unifier un groupe hétérogène et à mettre en avant le poids, certes réel, de l’immigration mexicaine dans la population hispanique. Aux États-Unis, les Mexicains représentent plus de 22 millions de personnes et composent près de 64 % des Latinos. Mais, le nombre de Dominicains (2,7 %) 4. Joseph Nevins, Operation Gatekeeper. The Rise of the “Illegal Alien” and the Making of the U.S.-Mexico Boundary, Routledge, New York, 2002. 07-Letexier-81-102.indd 84 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan 84 , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:44 85 a augmenté de 80 % depuis 1990, pour atteindre près d’un million et la population salvadorienne (3 %) s’est accrue de plus de 65 %, pour un total proche d’un million, sans parler des Cubains (3,5 %) et des Portoricains (9 %), deux autres groupes importants. La population latino se distingue par sa jeunesse, avec une moyenne d’âge de 27,4 ans contre 36,4 ans pour l’ensemble, mais aussi par sa féminisation (107 Latinas pour 100 Latinos, contre 97 hommes pour 103 femmes pour l’ensemble de la population). Le taux de pauvreté est très élevé, proche de 22 %, et près d’un tiers des Latinos n’ont pas de couverture médicale appropriée 5. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan En Californie, les Latinos d’origine mexicaine forment l’immense composante de cette population (plus de neuf millions), les autres groupes importants étant originaires d’Amérique centrale (830 000), les sud-américains (175 000), les Portoricains (170 000) et les Cubains (70 000) 6. Parmi ceux d’Amérique centrale, se détachent plus spécifiquement les Salvadoriens (415 000) et les Guatémaltèques (230 000), alors que pour les sud-américains, ce sont les Péruviens (55 000) et les Colombiens (35 000) qui dominent. Enfin, il est important de noter que près de 750 000 Latinos s’identifient comme « autre hispanique ou latino », par exemple comme Spanish (205 000), Spaniard (70 000) ou autres (470 000). Ensuite, 60 % des Latinos s’identifient comme Blancs (contre 69 % en 1990) et 16,8 % comme « autres races » (contre 13,2 % en 1990). En 2000, la catégorie « deux races ou plus » a été ajoutée au formulaire du recensement et parmi les 4,7 % qui se sont identifiés comme tels, la plupart sont Hispaniques. Le cheminement identitaire des Latinos est donc complexe. De plus, lorsque la catégorie Hispanique/Latino a été introduite dans le questionnaire du recensement aux États-Unis 7 en 1970, les deux termes étaient utilisés de manière synonyme. À l’initiative du président Nixon, souhaitant identifier un électorat stratégique, la catégorie hispanique a été élaborée de 5. U.S. Census Bureau, estimations de 2000. 6. Roberto Suro, Counting The “Other Hispanics”, Pew Hispanic Center, Washington DC, 2002. 7. Melissa Nobles, Shades of Citizenship. Race and the Census in Modern Politics, Stanford University Press, Stanford, 2000. 07-Letexier-81-102.indd 85 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Hispanic is panic? La Californie et les Latinos , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:44 86 Emmanuelle LE TEXIER Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Enfin, la diversité du groupe se note également dans l’usage de la langue (espagnol, anglais ou bilingue), la pratique religieuse (catholique, évangélique), la répartition par secteur professionnel, la génération, l’orientation partisane etc. Comme tout groupe hétérogène, les Latinos connaissent de profondes mutations, les plus marquantes étant celles de la féminisation de la population et du changement des pratiques religieuses. Les nouvelles configurations des Latinos : féminisation et religion Les migrantes latino-américaines et les Latinas ont pris une place très spécifique en Californie 9. Plusieurs facteurs concourent à cela : les liens historiques et économiques entre les États-Unis et l’Amérique latine ; la politique de réunification familiale ; et le mouvement des droits civiques des années 1960 qui a donné une place centrale à l’émancipation des femmes issues des minorités. C’est à partir des années 1980 que l’analyse des migrations de travail a été couplée à celle de la réunification familiale – on a alors commencé à parler de « féminisation de la migration ». Les mutations de l’économie mondialisée et des sociétés dites « post-industrielles » ont fortement modifié les appels de main-d’œuvre (pull factors). Le secteur des services à la personne et plus généralement le secteur tertiaire ont ouvert un marché du travail spécifique, souvent pourvu par des femmes (soins médicaux et soins à la personne, garde d’enfants et de personnes âgées, nettoyage, exploitation sexuelle, restauration, entre autres). La sphère du 8. Emmanuelle Le Texier, Latino Power. L’accès au politique des Latinos aux ÉtatsUnis, Les Études du CERI, Paris, 2003. 9. Vicki Ruiz et Virginia Sanchez Korrol (dir.), Latinas in the United States. A Historical Encyclopedia, University of Indiana Press, Bloomington, 2006. 07-Letexier-81-102.indd 86 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan manière plutôt administrative. C’est pour contrebalancer ce terme que le label « Latino » a été repris aux organisations communautaires issues du Mouvement des droits civiques revendiquant une conscience transcendant les identifications nationales 8. Les deux catégories sont issues d’un débat politique et institutionnel. Cela permet toutefois de valoriser une « communauté imaginaire » comme lieu de revendication collective. , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:44 87 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan travail migrant s’est féminisée 10, à la recherche d’une maind’œuvre plus vulnérable et moins protégée. Surtout, c’est la transformation de l’économie des villes californiennes qui a créé un effet d’appel de main-d’œuvre bon marché dans le secteur des services à la personne. La modernisation des sociétés des pays émetteurs ainsi que les transformations des relations de genre, de manière plus globale, auraient aussi un effet d’incitation à la mobilité de certaines candidates à l’immigration, quels que soient leurs niveaux d’éducation, de revenu ou de classe sociale ( push factor ). Les Latinas sont souvent « domestiques », femmes de ménage ou gardes d’enfants pour les classes moyennes et aisées de San Francisco ; employées dans la restauration et le tourisme à San Diego ; ou bien exploitées dans les sweat-shops du textile à Los Angeles. Depuis les années 1990, le profil socio-démographique a évolué. Les Latinas sont plus éduquées, désormais autant que les hommes. En outre, les migrantes sont plus âgées. Elles sont aussi plus souvent célibataires et restent nombreuses à venir avec des enfants ou à en avoir aux États-Unis (55 % pour les Mexicaines et 45 % pour les femmes issues d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud). Enfin, sur le plan du marché du travail, les Latinas travaillent moins dans les secteurs de l’agriculture et de l’industrie, et beaucoup plus dans les services 11. À l’instar de la littérature dominante sur les femmes immigrées aux États-Unis, les femmes d’origine mexicaine, chicanas ou latinas, ont le plus souvent été considérées comme une « triple minorité » : une « double minorité », celle théorisée par Margarita Melville 12 d’être femme et d’origine mexicaine, associée à une minorité de classe. Si l’entrée sur le marché du travail aux États-Unis confirme cette condition, les Latinas ne sont pas uniquement victimes de discrimination – raciale, salariale ou de genre – mais parviennent parfois à tirer profit de leur emploi. L’insertion dans le pays d’accueil a lieu 10. Saskia Sassen, Deciphering the Global: Its Spaces, Scales and Subjects, Routledge, New York, 2007. 11. Richard Fry, Gender and Migration, Pew Hispanic Center, Washington, 2006. 12. Margarita Melville, Twice a Minority. Mexican American Women, Mosby, St Louis, 1980. 07-Letexier-81-102.indd 87 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Hispanic is panic? La Californie et les Latinos , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:44 Emmanuelle LE TEXIER dans diverses sphères – familiale, professionnelle et sociale – mais parfois à rebours (diminution du statut social pour certaines femmes professionnelles ou éduquées, cantonnées dans la sphère du travail non qualifié). Ceci relativise l’approche trop optimiste quant à l’émancipation des Latinas dans l’immigration. Enfin, les enjeux de la « maternité à distance » et le développement de la pratique religieuse, en particulier la conversion à l’évangélisme chez les Latinas, sont devenus des pratiques courantes. Ce dernier trait est partagé par l’ensemble des Latinos et constitue une mutation fondamentale. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan L’accroissement démographique des Latinos a, en effet, des conséquences sur l’évolution des pratiques et des croyances religieuses. En majorité croyants et catholiques, les Latinos viennent grossir les rangs des fidèles des églises et paroisses. La floraison des mega churches en Californie en témoigne. Ainsi, le célèbre pasteur Rick Warren draine près de 20 000 fidèles à Saddleback Church et plus d’une quinzaine d’autres « méga églises » attirent entre 2000 et 5000 fidèles chaque semaine pour la célébration dominicale, comme le Christian Worship Center dirigé par l’évêque Steve Perea en Californie centrale. Chaque année le Congrès de la Hispanic Mega Church Association rend compte du succès croissant de ses églises 13. La récente étude conduite par le Pew Hispanic Center sur les Latinos et la religion 14 montre la complexité du rapport au religieux de cette population : 68 % des Latinos se définissent comme catholiques, 15 % comme protestants évangéliques ou born again. Seulement 8 % ne s’identifient à aucune religion et 9 % à d’autres cultes (Témoins de Jéhovah etc.). La population des Latinos catholiques est constituée plus largement d’immigrés que celle des évangéliques. La tendance à la conversion vers le protestantisme des deuxième et troisième générations semble s’amorcer : 18 % des Latinos disent s’être convertis ou avoir abandonné leur foi ; 43 % des Latinos évangéliques sont d’anciens catholiques. 13. Scott Thumma, Dave Travis et Rick Warren, Beyond Megachurch Myths, Jossey Bass (dir.), Hardcover, New York, 2007 ; David Badillo, Latinos and the New Immigrant Church, John Hopkins University Press, Baltimore, 2006. 14. Roberto Suro et al., Changing Faiths: Latinos and the Transformation of American Religion, Pew Hispanic Center, Washington, 2007. 07-Letexier-81-102.indd 88 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan 88 , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:44 89 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Les Latinos représentent désormais un tiers des catholiques aux États-Unis et la moitié d’entre eux se définissent comme charismatiques, c’est-à-dire qu’ils affirment avoir vécu ou pouvoir témoigner de miracles ou d’expériences spirituelles telles que des révélations directes ou des guérisons divines. De même, ces croyances imprègnent fortement la pratique des Latinos protestants. Une grande partie des nouveaux convertis sont d’anciens catholiques qui souhaitent une relation plus directe à Dieu et critiquent parfois la liturgie et le fonctionnement des églises catholiques. Dans les deux cas, les deux-tiers des Latinos fréquentent des temples ou des églises ethniques, où les messes sont célébrées en espagnol, le clergé et les fidèles étant majoritairement Hispaniques, mais où la proportion d’immigrés (77 %) est plus forte que celle des Latinos nés aux États-Unis (48 %). La plupart prie presque chaque jour et assiste au service religieux au moins une fois par mois. Le mouvement renewalist qui donne une place spécifique à l’intervention de Dieu dans la vie quotidienne par la présence du Saint-Esprit est très important. La pratique et la croyance religieuses ont aussi des effets sur la structuration des valeurs individuelles et collectives et notamment sur le rapport au politique. L’institution religieuse est considérée comme un lieu où doivent être discutés des enjeux sociaux et politiques, comme par exemple celui de la politique d’immigration. Les Latinos évangéliques sont très conservateurs sur les questions sociales (peine de mort, avortement, homosexualité, etc.), sur la politique étrangère (soutien à la guerre en Irak) et sur l’intervention du gouvernement (services, aides sociales, santé). Les Latinos catholiques le sont, dans une moindre mesure, toutefois plus que l’opinion publique générale. Les Latinos évangéliques sont deux fois plus nombreux à s’identifier au Parti républicain (37 % contre 32 % démocrates), alors que les catholiques, même conservateurs, sont plus proches des Démocrates (48 % contre 17 % républicains). Saddleback Church, attirant aussi des Latinos, a reçu la visite du sénateur Barack Obama en décembre 2006, candidat à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle de 2008, démontrant l’intérêt croissant 07-Letexier-81-102.indd 89 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Hispanic is panic? La Californie et les Latinos , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:44 90 Emmanuelle LE TEXIER du politique pour ce phénomène. C’est que les Latinos sont devenus un électorat courtisé par les partis. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan De 2000 à fin 2006, le corps électoral des Latinos est passé de 13,9 à 17,3 millions, représentant de 7,4 % à 8,6 % de l’électorat global. L’électorat né aux États-Unis en constitue la majorité (75 %). Du fait de la jeunesse de la population hispanique et du nombre de personnes non régularisées ou non naturalisées, seuls 39 % des Latinos qui ont l’âge de voter peuvent le faire. De plus, seules 58 % des personnes éligibles sont inscrites sur les listes électorales, contre 75 % pour les Blancs et 69 % pour les Noirs. Ajouté aux autres facteurs, le taux d’inscription contribue donc à une forme de faiblesse du poids électoral par rapport au poids démographique. Mais la pression exercée par certains groupes d’intérêts pour un découpage des districts électoraux qui leur soit favorable compense partiellement les faiblesses structurelles de cet électorat, conduisant à la victoire de candidats latinos à la législature dans certains États. Dans le système américain de grands électeurs, l’électorat latino est passé du statut de « géant endormi » à celui d’électorat « bascule » (swing vote) dans des États stratégiques. Un État-clé pour les élections présidentielles de 2008, comme la Californie, peut faire la différence. Depuis 2000, les présidentielles comme test Dès les années 1990, la percée politique des Latinos s’est notée parmi les conseillers municipaux, superviseurs ou membres des comités scolaires 15. Cette montée en puissance s’est confirmée lors des élections présidentielles de 2000. Annonciateur d’une nouvelle donne politique, Bill Clinton n’avait pas manqué de souligner qu’il serait « le dernier président des États-Unis à ne pas parler espagnol » 16. En effet, la campagne de George 15. Louis DeSipio, Counting on the Latino Vote. Latinos as a New Electorate, University of Virginia Press, Charlottesville, 1996. 16. Sergio Plaza Cerezo, “El poder del voto hispano : emerge una nueva minoría política”, Política exterior, juillet/août 2000, vol. 14, n° 76, pp. 21-29. 07-Letexier-81-102.indd 90 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan “H ASTA LA VISTA, BABY !”: LES LATINOS ET LA POLITIQUE , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:44 91 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan W. Bush en 2000 a été marquée par le désir de séduire l’électorat hispanophone. Ancien gouverneur du Texas, Bush a de loin devancé son rival Al Gore dans les stratégies de conquête des électeurs traditionnellement portés à donner leur voix au Parti démocrate. Il a été le premier à accepter, sur proposition de sa conseillère spéciale Sonia Colin, journaliste née au Mexique, de participer à l’émission Sabado Gigante (Samedi Géant, un des plus anciens programmes de la chaîne Univisión). Le Parti républicain a dépensé plus de 2,3 millions de dollars en publicité en espagnol, soit le double de son concurrent. Bush a ainsi remporté les États d’Arizona, du Colorado, du Nevada, du Texas et de Floride, c’est à dire cinq des dix États où plus de 10 % de la population est d’origine hispanique, mais pas la Californie. Conseillé par Janet Murguia, née aux États-Unis de parents mexicains, Al Gore n’a pas su renforcer l’affiliation traditionnelle des Latinos pour le Parti démocrate, même s’il a remporté les cinq autres États latinos, dont la Californie (ainsi que le Nouveau Mexique, New Jersey, Illinois et New York). En 2000, 31 % des Latinos ont voté pour le candidat républicain. En 2004, fort de son expérience, George W. Bush a de nouveau pris l’avantage sur le démocrate John Kerry. Alors qu’aucun des deux candidats ne parlait espagnol, John Kerry a répété à plusieurs reprises le slogan « Sí, se puede ! », du leader syndical César Chávez. George W. Bush a quant à lui ponctué ses discours de « Hola », « Gracias » et n’a pas hésité à s’appeler lui-même « Jorge » Bush ! Lors de certains déplacements, il s’est fait accompagner de sa belle-sœur d’origine mexicaine, Columba Bush, épouse de Jeb Bush gouverneur de Floride ; ainsi que de son neveu, adepte du spanglish. Ses équipes ont investi dans des campagnes publicitaires coûteuses pour gagner en visibilité dans les principaux médias hispanophones, presse écrite (La Prensa, El Diario, La Opinion, el Nuevo Herald) ou télévisuelle (Univisión, Telemundo). Aux élections de 2004, « Jorge » Bush a attiré 40 % des électeurs hispaniques, soit une progression de neuf points. En particulier, les Latinos protestants et évangéliques, qui constituent 32 % des 07-Letexier-81-102.indd 91 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Hispanic is panic? La Californie et les Latinos , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:45 92 Emmanuelle LE TEXIER Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan L’affiliation partisane des Latinos diffère en fonction de la génération et du degré d’assimilation, mais aussi de l’origine nationale. Les Latinos d’origines mexicaine et portoricaine votent plus démocrates (67 % et 69 % contre seulement 13 % et 15 % pour les républicains) et ont moins tendance à être indépendants. Au contraire, les Latinos d’origine cubaine votent majoritairement républicain (66 %) et minoritairement démocrates (21 %). Les Centraméricains sont plutôt des électeurs démocrates (57 %) 18. Le changement de génération influence assez fortement l’orientation partisane, les Latinos nés aux États-Unis étant plus républicains que leurs aînés 19. Mais la population latino-américaine étant sans cesse renouvelée par l’immigration, l’électorat est fluctuant et dynamique. Les divisions existent aussi sur certains enjeux qui traversent les lignes partisanes, à savoir la peine de mort, l’avortement, les dépenses publiques, l’aide sociale, la politique étrangère etc. En somme, les Latinos sont un électorat comme un autre, et encore largement démocrate. D’ailleurs, en novembre 2006, les élections de mi-mandat ont permis aux Latinos de sanctionner dans plusieurs États des positions restrictives sur l’immigration. Le reflux vers le vote démocrate a été notable 20. Il est probable que les manifestations pour la réforme de la 17. Roberto Suro et al., Hispanics and the 2004 Election: Population, Electorate and Voters, Pew Hispanic Center, Washington, juin 2005. 18. Richard Alvarez et Lisa Garcia Bedolla, “The Foundations of Latino Voter Partisanship: Evidence from the 2000 Elections”, The Journal of Politics, 2003, vol. 65, n° 1, pp. 31-49. 19. Pew Hispanic Center, The 2004 National Survey on Latinos : Politics and Civic participation, juillet 2004. 20. Pew Hispanic Center, Latinos and the 2006 Mid-term Election, novembre 2006. 07-Letexier-81-102.indd 92 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan électeurs hispaniques, ont voté à 56 % pour le président 17. Même si G. W. Bush a dû s’engager publiquement pour rappeler que l’hymne national se chantait en anglais, face à la version en espagnol (Nuestro Himno) proposée par des artistes latinos, il n’en reste pas moins très attentif à cette population. Plusieurs républicains tendent à penser que la mobilité socioéconomique des Latinos et leur conservatisme social font d’eux des électeurs républicains potentiels. L’électorat latino connaît donc une certaine mutation. , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:45 Hispanic is panic? La Californie et les Latinos 93 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Les élections présidentielles de 2008 seront un moment test pour noter les évolutions d’orientation politique des Latinos. Le 30 juin dernier, les candidats démocrates à la primaire présidentielle ont débattu devant les électeurs latinos rassemblés par la NALEO (National Association of Elected Latino Officials). Au-delà des enjeux nationaux, les élections au Sénat et à l’Assemblée de Californie permettent aussi de montrer l’émergence d’une classe politique ethnique et d’élus latinos à des postes de responsabilités. La Californie, laboratoire d’un électorat changeant En Californie, les Latinos représentent un tiers de la population mais seulement 22 % du corps électoral. En 2002, plus de deux tiers des Latinos ont choisi les candidats démocrates. Le vote latino a servi Gray Davis, réélu gouverneur face à Bill Simon, républicain opposé à une régularisation des travailleurs sanspapiers ou aux programmes d’éducation bilingue. Pendant sa campagne, Davis avait déclaré : “We believe the Latino agenda is America’s agenda». La réélection de Cruz Bustamante au poste de vice-gouverneur de Californie, avec 50 % des voix contre 42 % pour le républicain Bruce McPherson est la conséquence de ce soutien. Mais, depuis sa première élection en 1998, Cruz Bustamante a dû jouer sur deux tableaux, celui du vote ethnique et celui du vote démocrate. À tous les niveaux, les candidats hispaniques se trouvent pris dans une tension entre les appels des groupes communautaires et la nécessité d’élargir l’électorat. C’est le dilemme du Latino Legislative Caucus présidé par Joe Coto. Cette structure est l’héritière du Chicano Legislative Caucus fondé en 1973 en Californie par les cinq premiers élus latinos de l’histoire des États-Unis, puis devenu Latino Legislative Caucus en 1991, reflétant dans ce changement de nom la prise en compte de la diversité des groupes qui composent les Latinos en Californie. C’est Gloria Molina, première Latina élue en Californie, qui présida à 07-Letexier-81-102.indd 93 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan politique d’immigration et le sentiment anti-immigré qui s’est noté par la suite, aient pu influencer assez profondément l’électorat : 69 % des Latinos ont donné leur voix aux démocrates et 30 % aux républicains. , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:45 Emmanuelle LE TEXIER Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan ces transformations. À ses débuts, ce groupe inspiré par les luttes du Legislative Black Caucus, visait à mettre au cœur de l’agenda législatif des enjeux cruciaux pour les Latinos, tels que le bilinguisme, le soutien aux programmes d’ affirmative action (discrimination positive), la défense des droits des travailleurs. La conséquence de leur action fut aussi de faire pression pour la constitution de districts majoritairement hispaniques 21. L’application du Voting Rights Act de 1965 a favorisé la création de districts électoraux à majorité latinos. Les appels à l’égalité de représentation permettent d’influer sur l’élection de candidats issus des minorités, censés mieux représenter et défendre les politiques publiques qui leur sont favorables. Pourtant, elles dépendent d’une hypothèse majeure : que l’électorat latino parle d’une seule voix. Dans la pratique, il est de plus en plus fréquent de voir s’affronter des candidats latinos pour le même poste. Par exemple, en 2002, le district 60 fut remporté par Robert Pacheco (républicain) sur Adrian Martínez, le district 80 gagné par Bonnie García (républicain) sur Joey Acuña Jr, ou encore le district 39 remporté par Cindy Montánez (démocrate) sur Ely de la Cruz. De même, Loretta Sánchez, démocrate modérée et ancienne républicaine, a été élue avec 61 % des voix contre 35 % pour Jeff Chávez. Elle a entraîné dans son succès sa sœur, Linda Sánchez élue avec 55 % des voix, contre 41 % pour Tim Escobar. Ce découpage électoral explique les résultats sans surprise de candidats tels que Lucille Roybal-Allard élue avec 74 % des voix et Juanita Millender-McDonald élue avec 73 % des voix au Congrès ; ou encore de Gloria Romero (72 %) et Deborah Ortiz (73 %) au Sénat. En 2006, la Californie comptait 35 des 100 districts électoraux pour l’élection au Congrès, dans lesquels les Latinos formaient une part extrêmement importante de l’électorat (de 12 % à 65 %). Le taux de participation des Latinos s’est accru de dix points, passant à 49 %. Au total, les Latinos ont représenté 16 % de l’électorat californien (contre 12,6 % en 2002). Aujourd’hui, l’Assemblée de Californie compte dix21. Bruce Cain et Jack Citrin, Ethnic Context, Race Relations and California Politics, Public Policy Institute of California, San Francisco, 2000. 07-Letexier-81-102.indd 94 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan 94 , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:45 95 neuf élus hispaniques et le Sénat dix. En général, les Latinos ont fait gagner les démocrates là où ils forment une part importante de l’électorat. La compétition a de nouveau été rude, en particulier pour le Sénat, entre Cindy Montánez et Alex Padilla, Ron Calderón et Rudy Bermúdez et Joe Baca et Gloria Negrete-McLeod ; et pour l’Assemblée, de nombreux districts ont vu s’affronter de multiples candidats latinos, par exemple le district 45 entre quatre candidats Kevin de Leon, Oscar Gutierrez, Gabriel Buelna et Christine Chávez, la petite fille de César Chávez. Mais les Latinos ont aussi été 39 % à soutenir la candidature républicaine de Schwarzenegger au poste de gouverneur. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan L’électorat latino de Californie est devenu un acteur incontournable du jeu politique américain, tant pour les présidentielles que comme laboratoire des mutations du comportement électoral. Les débats sur la réforme de la politique d’immigration ne font qu’accentuer ce rôle, les Latinos de Californie jouant un rôle prépondérant dans la mobilisation sur cet enjeu depuis quelques années. Lors de la manifestation du 1er mai 2006, les participants n’ont pas manqué de rappeler : « Aujourd’hui, nous marchons, demain nous votons ! ». “TODAY WE MARCH, TOMORROW WE VOTE!” : LES LATINOS ET LA RÉFORME DE L’IMMIGRATION La Californie a vécu le 1er mai 2006 une « journée sans immigrés » que d’aucuns n’ont surnommé la « journée sans Latinos ». Le film fiction de Sergio Arau (Un dia sin Mexicanos, 2004) qui relatait le chaos d’un État d’où disparaissaient soudainement 14 millions de Mexicains, est en partie devenue réalité. À l’appel de nombreuses organisations de la société civile, la mobilisation des immigrés, des sans-papiers et de leurs descendants établis aux États-Unis, en particulier des Latinos, a été un large succès. Le boycott des écoles, des commerces et du travail (le 1er mai n’étant pas un jour férié aux États-Unis) a surtout été suivi sur la côte ouest, en particulier à Los Angeles, mais beaucoup moins sur la côte est et dans le reste du pays, où les immigrés, résidents légaux ou non, lui ont préféré des 07-Letexier-81-102.indd 95 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Hispanic is panic? La Californie et les Latinos , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:45 Emmanuelle LE TEXIER Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan marches et des rassemblements. Cette mobilisation d’ampleur est l’aboutissement de manifestations massives qui s’étaient déroulées depuis le 25 mars 2006, date à laquelle plus d’un demi-million de personnes avaient défilé dans les rues de Los Angeles pour protester contre une proposition d’une nouvelle législation fédérale qui sanctionnerait les sans-papiers, tout en renforçant la militarisation de la frontière entre les ÉtatsUnis et le Mexique. De Houston à Chicago, de San Diego à Philadelphie, de New York à San Francisco, des centaines de milliers de manifestants ont défendu dans la rue un programme de régularisation progressive pour les quelques onze millions de sans-papiers établis aux États-Unis. La Californie, à Los Angeles et à San Francisco, mais aussi à San José et San Diego, a été à la pointe de la mobilisation. Les sans-papiers et la réforme La population des sans-papiers aux États-Unis est évaluée à environ onze millions, en majorité d’origine latino, avec 56 % originaires du Mexique et 22 % d’autres pays d’Amérique latine, dont environ cinq millions en Californie 22. Les périodes d’entrée sur le territoire reflètent la diversité des situations individuelles. 40 % des sans-papiers seraient arrivés depuis l’an 2000, 26 % de 1995 à 1999, 18 % de 1990 à 1994 et 16 % dans les années 1980. Ce dernier groupe est constitué principalement de personnes qui n’ont pu bénéficier du programme de régularisation de 1986 car elles ne remplissaient pas les critères à l’époque. Les sans-papiers sont une population d’immigrants principalement masculine et jeune, de travailleurs rarement accompagnés de leur famille. Leur situation familiale est très variée : certains vivent en couple avec un partenaire sans-papiers, résident légal, naturalisé ou citoyen américain. Beaucoup ont des enfants soit nés aux États-Unis et citoyens américains, soit en situation irrégulière, soit un mixte des deux. Néanmoins, les enfants des familles au statut irrégulier sont en grande partie citoyens américains (64 % d’entre eux, soit environ trois millions, contre 36 % sans22. Jeffrey Passel, The Size and Characteristics of the Unathorized Migrant Population in the U.S. Estimates Based on the March 2005 Current Population Survey, Pew Hispanic Center, Washington, 2006. 07-Letexier-81-102.indd 96 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan 96 , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:45 97 papiers, soit 1,8 million). En ce qui concerne la participation au marché du travail, 7,2 millions de sans-papiers sont actifs, soit près de 5 % de l’ensemble de la population active des États-Unis, avec un fort décalage entre les hommes qui ont un taux d’activité de 94 % et les femmes de seulement 54 %. Ils sont employés en majorité dans les services (31 %), la construction (19 %), les métiers de réparation (15 %), la vente et le commerce (12 %). Dans les secteurs de l’agriculture, les migrants non autorisés représentent jusqu’à un quart des employés. Ils forment aussi 17 % de la main-d’œuvre dans le nettoyage et 14 % dans la construction. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan S’il est impossible de détailler l’ensemble complexe des réformes envisagées, puisqu’elles traitent de divers aspects (sécurité, contrôle, réunification familiale, travailleurs invités, etc.), en revanche quelques grandes caractéristiques des deux principales propositions concurrentes méritent d’être soulignées 23. Les mobilisations de mars à mai 2006 sont en effet la résultante du rejet, en décembre 2005, par la Chambre des représentants, d’un programme de travailleurs invités au profit d’une proposition de loi, la H.R. 4437, présentée par les députés républicains James Sensenbrenner (Wisconsin) et Peter King (New York). Entre autres choses, celle-ci sanctionnait pénalement les sans-papiers, imposait aux employeurs d’inscrire leurs employés dans des bases de données fédérales, accroissait le nombre d’agents de la police aux frontières et criminalisait les associations d’aide aux sans-papiers. En outre, elle prévoyait la mise en place d’un nouveau système de vérification du statut des employés, avec notamment de fréquentes enquêtes sur le terrain et des sanctions financières accrues pour les employeurs de sans-papiers (de 5 000$ à 7 500$ pour le premier cas, de 10 000$ à 15 000$ lors d’une récidive et de 25 000$ à 40 000$ à la troisième reprise). De plus, la construction du mur à la frontière devait être amplifiée sur 698 miles – soit 1117 km – avec un accroissement du budget pour former les patrouilles au frontière et augmenter leur nombre. Enfin, les mesures d’expulsion des sans-papiers devaient être facilitées et les centres 23. Les législations proposées sont consultables sur le site Internet du Sénat : http://www.senate.gov/ 07-Letexier-81-102.indd 97 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Hispanic is panic? La Californie et les Latinos , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:45 98 Emmanuelle LE TEXIER Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan En réaction, la proposition de loi S.1033 présentée par les sénateurs John McCain (Arizona, républicain) et Edward Kennedy (Massachussets, démocrate) offrait une possibilité de régularisation progressive aux sans-papiers. Après le paiement d’une amende de mille dollars et d’impôts, une fois vérifié leur casier judiciaire, les candidats à la régularisation (vivant depuis au moins six ans aux États-Unis) bénéficieraient d’un visa de trois ans, renouvelable une fois. Ils devaient s’inscrire à des cours d’anglais et d’instruction civique. Après quatre années, les bénéficiaires de ces visas pourraient faire la demande de carte de résident (green card), puis enfin, s’ils le souhaitent, demander la naturalisation. En outre, 400 000 visas de travail temporaire seraient accordés chaque année afin de répondre aux besoins des employeurs. Sur le volet plus sécuritaire, les sénateurs ne proposent ni une augmentation du personnel aux frontières, ni la construction du mur, ni un accroissement des sanctions aux employeurs de sans-papiers, mais le développement du contrôle technologique (documents d’identité biométriques, bases de données de l’emploi établies progressivement) et des programmes d’aide au retour et d’aide au développement des pays d’origine. Cette proposition, la plus libérale sur la table des négociations a déjà deux concurrentes plus restrictives la S.1438 de Cornyn-Kyl et la S.2454 de Frist, beaucoup plus limitatives pour l’accès à la régularisation et plus centrées sur le volet sécuritaire. Les leaders de la mobilisation et le reflux conservateur En Californie, où est née la mobilisation, les leaders sont soit Latinos eux-mêmes, soit ont exprimé leur soutien à ce groupe. Les portraits des religieux et politiques qui ont pris 07-Letexier-81-102.indd 98 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan de rétention multipliés. Les empreintes digitales des dix doigts des « clandestins » seraient conservées dans une base de données permettant de sanctionner pénalement tout « récidiviste » ainsi que toute personne résidant sans autorisation aux ÉtatsUnis (un an et un jour de prison, jusqu’à cinq à dix ans pour fraude de documents ou mariage de convenance). Dans cette proposition, aucun programme de régularisation ni d’accord de travailleurs invités ne sont envisagés. , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:45 Hispanic is panic? La Californie et les Latinos 99 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Les leaders religieux ont été catholiques et évangéliques. Le cardinal Roger Mahony, surnommé le cardinal rouge, archevêque de Los Angeles, s’est engagé pour la mobilisation, en particulier lors des messes où il a demandé une régularisation progressive des sans-papiers. Il s’est distingué depuis les années 1970 par ses activités de défense des droits des travailleurs immigrés auprès de United Farm Workers, syndicat dirigé par César Chávez et par la célébration de ses messes en espagnol. Dans une lettre intitulée « Action positive pour un changement positif : Suggestions pour promouvoir une réforme de l’immigration », le cardinal Mahony a recommandé « aux gens de bonne foi » (élèves, parents, employés et employeurs) d’accorder durant la journée un temps de réflexion et de discussion au travail, dans les écoles et dans les églises afin de débattre. En particulier, il les a encouragés à « écrire aux élus de la Chambre des Représentants et aux Sénateurs, afin d’exprimer (leurs) positions et les raisons de soutenir une réforme de l’immigration juste ». Opposé au boycott, le cardinal a toutefois appelé à « rejoindre les manifestations après le travail et après l’école ». Au-delà de la vocation d’accueil et humaniste du clergé, il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, la vigueur du culte catholique dépend en grande partie de l’afflux de nouveaux croyants originaires d’Amérique latine. De même, le révérend Samuel Rodriguez, à la tête de la National Hispanic Christian Leadership Conference (NHCLC) a fait entrer dans la mobilisation les Latinos évangéliques, en particulier membres des Assemblées de Dieu et des Promise Keepers. « Pasteur Sam » a drainé les foules lors de ses sermons et a participé à plusieurs émissions pour rappeler la « tradition d’accueil de l’Amérique, terre promise ». Dans une lettre adressée au président le 4 avril 2006, il a assuré le « soutien à une réforme de l’immigration globale, fondée sur des principes bibliques, les valeurs et la foi chrétienne et sur l’engagement envers les droits humains et civils » et rappelé que « les migrants évangéliques forment une part croissante de (nos) églises ». 07-Letexier-81-102.indd 99 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan part aux débats reflètent des trajectoires aussi diverses que la communauté hispanique. , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:46 Emmanuelle LE TEXIER Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan Antonio Villaraigosa a représenté le plan politique de l’engagement. Premier Latino élu maire de Los Angeles depuis la fin du XIXe siècle 24, né dans un quartier pauvre de l’Est de Los Angeles, à Boyle Heights, Villaraigosa s’est engagé dans le mouvement syndical comme organisateur auprès du syndicat United Teacher Los Angeles et du American Federation of Labor. Il a également présidé la section de Los Angeles du American Civil Liberties Union. Après avoir été élu à l’Assemblée de Californie en 1994, il s’est présenté sans réussite à la mairie de Los Angeles en 2001, puis l’a remportée en 2005. Lors de deux manifestations du 25 mars et du 1er mai, Villaraigosa s’est adressé aux manifestants et aux médias, afin de souligner « sa compréhension des enjeux et son soutien à la proposition de loi déposée par McCain et Kennedy ». Pourtant, les Latinos eux-mêmes sont partagés sur la régularisation. Les opinions divergent entre immigrés et descendants d’immigrés, les seconds étant plus restrictifs à l’égard des critères de régularisation. Les stratégies adoptées pour faire pression sur les législateurs ont aussi scindé les Latinos. Certains ont préféré opter pour des marches silencieuses, et ont rejeté l’appel au boycott des écoles, des magasins et du travail lancé par des organisations considérées comme plus radicales. Le Parti démocrate a quant à lui tenté de capitaliser sur la mobilisation en menant une campagne d’inscription massive sur les listes électorales, afin de renforcer l’affiliation des Latinos à leur parti. La multiplicité des acteurs et des opinions sur l’enjeu migratoire n’a pas facilité la prise de décision. En dépit des appels de la Maison Blanche pour trouver un compromis, la confrontation entre le Sénat et la Chambre des représentants, inévitable, a finalement abouti sur un échec pour les tenants d’une réforme libérale. Le 28 juin 2007, la proposition de loi était rejetée au Sénat par 53 votes contre 46. Le vote a divisé les partis : douze républicains, 33 démocrates et un indépendant se sont exprimés en faveur, alors que quatorze démocrates et 39 républicains ont désavoué la proposition. Certains la jugeaient trop restrictive et sécuritaire alors que d’autres la jugeaient trop libérale et permissive. George W. Bush, qui 24. De 1866 à 1868, puis de 1870 à 1872, la ville, d’environ 6 000 habitants, avait alors été gouvernée par Cristobal Aguilar. 07-Letexier-81-102.indd 100 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan 100 , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:46 Hispanic is panic? La Californie et les Latinos 101 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan L’échec de la mobilisation a par ailleurs produit un effet de reflux conservateur 25, identique à celui vécu après le vote sur la Proposition 187. Des « think tank » tels que Numbers USA ou le Center for Immigration Studies à Washington maintiennent la pression sur les représentants du Congrès, agitant tour à tour le spectre de la « latinisation » des États-Unis, le risque de banqueroute due à la prise en charge des sans-papiers ou la fragmentation de l’identité américaine. Le lobby FAIR, Federation for American Immigration Reform, a évalué ainsi à plus de 60 milliards de dollars par an le surcoût entraîné par une potentielle régularisation. Ses propos ont été relayés activement par des chaînes comme Fox News, qui ont affiché clairement leur position. Les activités des « milices patriotes et citoyennes de défense de la nation » qui patrouillent la frontière sud du pays afin de dissuader la traversée des Mexicains, candidats au rêve américain, sont de plus en plus médiatisées. Présidée par Chris Simcox, l’association Minuteman Project, qui serait forte de 110 000 membres et sympathisants, a organisé une marche de protestation de plusieurs jours jusqu’à la capitale afin de sensibiliser la population à « l’envahissement du pays » par les immigrés. Reprenant la figure du patriote défendant à Boston l’indépendance des colonies face à la monarchie britannique en 1775, ce groupe diffuse un « manuel du bon minuteman » qui décrit les devoirs citoyens de défense de la patrie face aux sanspapiers (délation, auto-défense, militarisation de la frontière, etc.). Les Minutemen ont été très « actifs » dans des actions de destruction de camps de sans-papiers ou de patrouille à la frontière dans le sud californien, joignant les actes aux propos. Les Latinos de Californie ont été à l’avant-garde de la mobilisation, par leur volume, par leur organisation et par leur caractère « incontournable ». Ils sont par conséquent en première ligne du reflux nativiste. 25. Steven Bender, Greasers and Gringos: Latinos, Law, and the American Imagination, New York University Press, New York, 2005. 07-Letexier-81-102.indd 101 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan s’était prononcé régulièrement en faveur d’un consensus qui allierait programme de travailleurs « invités » (guestworkers) et sécurité aux frontières, tout en essayant de préserver l’électorat latino, a subi un revers. , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:46 Emmanuelle LE TEXIER « Jorge » Bush, ou plutôt son successeur, devra donc réaliser un numéro d’équilibriste délicat entre principes d’ouverture, stratégie électorale et discours sécuritaire. La « journée sans Latinos » a été, dans tous les cas, un moment de nouveaux équilibres en Californie, comme dans une Amérique en perpétuelle quête d’identité. Elle a montré non seulement la diversité interne des opinions dans un pays qui continue, bon gré mal gré, à se définir comme une « nation d’immigrants », mais surtout les mutations profondes que connaissent les Latinos dans le Golden State et les évolutions de la Californie elle-même 26. La Californie aura, quoi qu’il arrive, un futur hispanique... Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan 26. Recherches de Frederick Douzet et de Bruce Cain. 07-Letexier-81-102.indd 102 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - lequeux natacha - 77.145.222.240 - 23/04/2019 12h22. © L'Harmattan 102 , N° 9, Hiver 2007-2008 12/11/2007 15:49:46