Dzogchen, les traditions Bonpo et Niyingmapa
Généralement, on trouve les enseignements Dzogchen dans les anciennes écoles tibétaines non-
réformées, Niyingmapa, pour les bouddhistes, et Bonpo, pour les non-bouddhistes. Dans les deux cas,
ces enseignements ont sensiblement la même signification et terminologie. En outre, chaque tradition
se revendique d’une lignée ininterrompue depuis le huitième siècle, voire avant. Les deux écoles
affirment que le Dzogchen n’est pas originaire du Tibet mais qu’il viendrait plutôt d’Asie Centrale
d’où il fut importé ensuite au Tibet central par des maîtres connus sous le nom de Mahasiddhas ou
grands adeptes. Il semblerait donc que les enseignements Dzogchen soient rattachés à deux lignées
anciennes et authentiques, bouddhiste et Bonpo. Ayant déjà traité des origines du Dzogchen selon la
tradition bouddhiste Niyingmapa dans mon livre The Golden Letters, je souhaiterais me consacrer ici à
une étude liminaire de la tradition Bonpo du Dzogchen, connue sous le nom de Shang-shoung Nyan-
gyud. Cette tradition Bonpo revêt une importance toute particulière dans la recherche des origines
historiques du Dzogchen car elle prétend former une tradition orale ininterrompue (snyan-rgyud)
depuis les temps les plus reculés, venant du Shang-shoung, au Tibet occidental. [1]
Bien que certaines histoires tibétaines moyenâgeuses ou modernes, écrites par des moines reclus
décrivent l’ancienne religion du Tibet pré bouddhiste appelée Bon comme un ignoble mélange de
sorcellerie, de magie noire, de chamanisme et de sacrifices sanglants, il semble que tout cela ne soit en
fait que de la propagande anti-Bonpo, destinée à produire un effet mélodramatique. L’objectif
principal de ces historiens restait de glorifier le rôle que le bouddhisme Mahayana a joué dans
l’histoire du Tibet, tout en insinuant que, pendant les sept premiers siècles de notre ère qui ont précédé
l’arrivée du bouddhisme indien au Tibet central, ce pays n’avait connu aucune culture ni civilisation.
L’Inde, pays natal du Seigneur Bouddha Shakyamouni, était considérée non seulement comme la
source de toute religion et spiritualité authentique mais aussi comme celle de toute culture civilisée, à
tel point que même la lignée des rois tibétains se réclamait d’origines indiennes, selon des historiens
tibétains comme Go Lotsawa, Buton et d’autres. [2]
L’une des difficultés est que le terme tibétain bon, probablement dérivé de la forme verbale bon-pa qui
signifie « invoquer les dieux », [3] possède deux usages culturels distincts. Dans le premier, Bon se
réfère bien à la culture pré bouddhiste indigène, chamaniste et animiste, culture qui présente de
nombreux points communs avec les cultures chamanistes de l’Asie Centrale et de Sibérie. Bien que
ces cultures intègrent différentes sortes de pratiques et de croyances religieuses, la place centrale était
tenue par un pratiquant appelé chaman. L’activité du chaman consistait essentiellement à entrer dans
un état de conscience modifié en usant de psalmodies, de percussions, de danses, etc., que cet état de
conscience altéré ou « extase » soit interprété comme un voyage de l’âme ou bien comme une
possession. [4] La principale fonction sociale de ce genre de personne consistait à guérir. Une forme
traditionnelle de chamanisme d’Asie Centrale, faisant appel à la possession de l’esprit, est encore
largement pratiquée aujourd’hui au Tibet, parmi les populations bouddhistes et Bonpo ainsi que parmi
les réfugiés au Ladakh, au Népal et au Bhoutan. Ce genre de pratiquant est appelé lha-pa ou dpa’-bo.
[5] Aux frontières himalayennes du Tibet et le long de la frontière sino-tibétaine, il existe des chamans
connus sous le nom de Bonpos dans des populations parlant tibétain comme les Na-Khi en Chine [6]
et les Tamangs au Népal. [7]
Toutefois, il existe un second type de culture religieuse également connu sous le nom de « Bon » dont
les adeptes prétendent être les représentants de la civilisation tibétaine pré bouddhiste. Ces pratiquants
du Bon soutiennent qu’une partie au moins de leur tradition religieuse n’est pas d’origine tibétaine
mais a été amené au Tibet central, au VIIème siècle, en provenance du pays autrefois indépendante de
Shang-shoung, au Tibet occidental, et de façon encore plus lointaine, du Tazik (stag-gzig), l’Asie
Centrale persanophone, au nord-ouest. [8] Cette forme de Bon est connue sous le nom de Yungdrung
Bon (g.yung-drung bon), « l’Enseignement Eternel », un terme dont la transposition en sanscrit
pourrait être « Svastika-dharma », où la swastika ou croix solaire représente le symbole de l’éternel et
de l’indestructible, correspondant à plus d’un égard au terme bouddhiste vajra ou diamant (rdo-rje). En
plus des textes se référant aux pratiques chamanistes et animistes, cette tradition ancienne possède un
important corpus de textes, dont l’origine serait également pré bouddhiste, se rapportant aux plus hauts
enseignements des sutras, des tantras et du Dzogchen (mdo rgyud man-ngag-gsum). Les lamas
bonpos, plutôt que de se référer au prince d’Inde du Nord, Siddharta Gautama, comme leur Bouddha
et source des plus hauts enseignements des sutras, tantras et Dzogchen, se réfèrent à un autre prince,
bien antérieur, Shenrab Miwoché (gSchen-rab-mi-bo-che), né à Ölmo Loungring (‘Ol-mo lung-ring),
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Les Traditions Bonpo du Dzogchen 2/16 Vajranatha