Professeur : Jean Éric Bitang Etudiants : Abdou Diop et Ndao Omar Qu’est-ce que « Le Consciencisme » ? Chapitre IV Chapitre quatre : « LE CONSCIENCISME » S’étendant sur quarante pages (pp. 119-159), ce chapitre qui porte le même titre que le livre est le plus long et sûrement le plus important car il contient le cœur de la doctrine de Nkrumah après que les chapitres précédents aient suffisamment préparé le terrain à l’établissement de cette dernière. En ouverture de chapitre Nkrumah insiste sur l’idée de renaissance qu’il a ouverte à la fin du chapitre précédent. Sa préoccupation principale est de résoudre le problème de la cohabitation des différentes fractions de la société africaine. Elles sont, selon Nkrumah, au nombre de trois : d’abord, la société traditionnelle qui est garante de l’originalité de l’Afrique car à ce niveau les influences étrangères sont minimes, c’està-dire négligeables ; ensuite il y a les conséquences de l’invasion de l’Afrique, les fractions musulmane et euro-chrétienne (occidentale). La solution de Nkrumah à ce problème est qu’il faut opérer le distinguo nécessaire entre le soi africain et le son non soi, c’est-à-dire qu’il faut soigneusement se garder de voir les occurrences extérieures comme « socles » de notre histoire. Nkrumah est clair : « J’ai insisté sur le fait que les deux autres fractions doivent, si l’on veut se faire une opinion correcte, n’être considérées que comme des expériences de la société traditionnelle. Si nous oublions cela, notre société sera rongée par la plus maligne des schizophrénies »[1]. Cette « schizophrénie » comme l’appelle Nkrumah n’est rien d’autre que l’aliénation culturelle que dénonce Cheikh Anta Diop dans Nations nègres et culture, c’est-à-dire la perdition du soi africain dans le non soi occidental. Une fois de plus, ici, Nkrumah s’attache à la manière de traiter de notre histoire et précisément à la place que doivent occuper dans cette dernière les épisodes occidentaux. Nkrumah est formel : les épisodes étrangers (musulman et occidental) ne doivent pas être regardés autrement que comme ils sont, c’est-à-dire autrement que comme des épisodes de notre propre histoire et non comme leur fond, ce qui nous conduira à traiter à tort de notre histoire comme d’une « annexe » de celle occidentale à la manière dont on voudrait, dans les C’est moi Abdou Diop qui ai pris l’initiative de rééditer le document de Jean Éric Bitang portant sur le Consciencisme de Kwamé Nkrumah. Plusieurs dispositifs numériques ne pouvaient pas le lire. Vue son importance, je l’ai réédité pour qu’il soit accessibles à tout le monde. Professeur : Jean Éric Bitang Etudiants : Abdou Diop et Ndao Omar Universités européennes que notre philosophie soit : un pastiche de Kant et Hegel, une copie de Marx, etc. Si Nkrumah insiste sur l’originalité et l’authenticité africaines, c’est pour éviter de tomber dans le piège des étudiants Africains qu’il décrit à l’Introduction de son livre. C’est aussi parce que « Notre philosophie doit trouver ses armes dans le milieu et les conditions de vie du peuple africain. C’est à partir de ces conditions que doit être crée le contenu intellectuel de notre philosophie »[2]. Or, ajoute Nkrumah, « La philosophie qui doit soutenir cette révolution sociale est celle que j’ai dit que j’appellerai le “Consciencisme philosophique” »[3]. Passons sur l’explication que Nkrumah nous donne du mouvement et de la « poussivité » (p. 123) de la matière, laquelle permet de comprendre la racine matérialiste du Consciencisme, et posons la seule vraie question qui guide toute l’œuvre et principalement tout ce chapitre : qu’est-ce que le Consciencisme ? Nkrumah répond : « Le Consciencisme est l’ensemble, en termes intellectuels, de l’organisation des forces qui permettront à la société africaine d’assimiler les éléments occidentaux, musulmans et euro-chrétiens présents en Afrique et de les transformer de façon qu’ils s’insèrent dans la personnalité africaine »[4]. Puis, il explicite davantage : « La philosophie appelée « Consciencisme » est celle qui, partant de l’état actuel de la conscience africaine, indique par quelle voie le progrès sera tiré du conflit qui agite actuellement cette conscience »[5]. Mais ces définitions mettent surtout en avant l’aspect social du Consciencisme. Essayons de disséquer ses fondements sous tous les aspects. Commençons par ce qui nous semble élémentaire : son statut ontologique. Engels comparait la philosophie à un champ de bataille entre le matérialisme et l’idéalisme et l’histoire de la philosophie ne lui donne que trop grandement raison. La conséquence directe de cette situation est que le Consciencisme doit se positionner par rapport à la question de l’être : il doit décliner sa position ontologique. Nkrumah est formel : « Le Consciencisme est une philosophie profondément matérialiste »[6], mais elle est d’un matérialisme nouveau. En effet, le matérialisme de Nkrumah n’exclut pas l’idée (l’esprit) des réalités ontologiques. Plutôt, il intègre cette antithèse de la matière en la posant elle aussi C’est moi Abdou Diop qui ai pris l’initiative de rééditer le document de Jean Éric Bitang portant sur le Consciencisme de Kwamé Nkrumah. Plusieurs dispositifs numériques ne pouvaient pas le lire. Vue son importance, je l’ai réédité pour qu’il soit accessibles à tout le monde. Professeur : Jean Éric Bitang Etudiants : Abdou Diop et Ndao Omar comme une entité ontologique à part entière : ce matérialisme est qualifié par Nkrumah de dialectique alors que l’autre matérialisme, celui qui nie l’existence de l’esprit en affirmant l’absoluité radicale par la seule réalité de la matière est dit par lui serein. Nous nous sommes déjà expliqués sur cette question un peu plus haut quand nous avons exposé la différence fondamentale que posait Nkrumah entre ces deux sortes de matérialismes. Mais l’originalité du Consciencisme de Nkrumah vient d’un fait corolaire à la distinction qu’il opère entre les matérialismes, car en effet, il ne s’agit pas de dire simplement que l’esprit et la matière sont toutes deux des réalités ontologiques alors que la matière est la réalité fondamentale ; il faut encore montre comment est possible le passage de l’état matériel à celui idéel et inversement : c’est ce que Nkrumah appelle la « conversion catégorielle ». Que stipule ce concept ? S’il faut répondre d’un seul mot, nous pouvons dire que la conversion catégorielle est le processus logique et physique par lequel l’esprit procède de la matière. Nkrumah écrit : « Par conversion catégorielle, j’entends quelque chose comme le jaillissement de la conscience de soi à partir de ce qui n’a pas conscience de soi, quelque chose comme le jaillissement de l’esprit à partir de la matière, de la qualité à partir de la quantité »[7]. Nous citons ce texte ici car nous ne l’avons pas fait plus haut, nous contentant d’expliquer le comment de cette conversion. Ce texte de Nkrumah nous semblait propice pour s’enquérir de la manière exacte dont le philosophe ghanéen se défend et défend son concept. Avec ces dernières remarques nous pensons avoir assez bien exprimé la position ontologique du Consciencisme. Cette dernière est une philosophie matérialiste, c’est-à-dire qui pose comme principe premier la matière. Mais l’originalité du Consciencisme est de ne pas exclure l’esprit, mieux de l’inclure de manière dialectique à l’être en lui attribuant une existence séparée et conditionnée par l’existence première de la matière – certes –mais existence tout de même. C’est cette idée de dialectique qui va guider toute l’élaboration théorique du Consciencisme. Qu’il nous soit permis de dire un mot sur l’éthique de promeut le Consciencisme. « Le grand principe moral du Consciencisme, écrit Nkrumah, est de traiter chaque être humain comme un fin en soi, et non comme un simple moyen »[8], ce principe éthique directement hérité de Kant traduit bien du caractère « humaniste » du Consciencisme, c’est-à-dire le désir profond de Nkrumah de placer l’homme au centre de ses C’est moi Abdou Diop qui ai pris l’initiative de rééditer le document de Jean Éric Bitang portant sur le Consciencisme de Kwamé Nkrumah. Plusieurs dispositifs numériques ne pouvaient pas le lire. Vue son importance, je l’ai réédité pour qu’il soit accessibles à tout le monde. Professeur : Jean Éric Bitang Etudiants : Abdou Diop et Ndao Omar préoccupations. Mais si Kant déduit ce principe de manière transcendantale, Nkrumah lui, part d’un constat social traditionnel en Afrique : l’égalitarisme. A partir d’un pareil point de vue Nkrumah arrive à un principe idéaliste par une voie hautement matérialiste. La société africaine prône l’égalitarisme ; or que stipule l’égalitarisme si ce n’est que tous les hommes sont égaux, ou, en termes kantiens, que l’homme est la valeur suprême, c’est-à-dire qu’il ne peut – et ne doit – en aucune façon être traité comme un simple moyen, mais toujours comme une fin. A partir de là, Nkrumah peut penser – de façon légitime – qu’une bonne partie de l’Afrique traditionnelle est kantienne[9]. Par contre, dans le capitalisme et ses résidus, notamment l’impérialisme, le colonialisme et le néocolonialisme, l’homme est considéré comme une fin pour atteindre l’objectif ultime de cette doctrine : la recherche de l’intérêt. Ici, nous voyons donc l’incompatibilité du principe moral du Consciencisme – et de l’Afrique traditionnelle – avec le capitalisme. C’est pourquoi Nkrumah pense que le salut de l’Afrique ne se fera autrement que dans le socialisme scientifique, c’est-à-dire le communisme atténué. Nous pouvons toutefois discuter ce principe, non sur sa forme, mais sur son application au Consciencisme, car rappelons-le, le Consciencisme est une philosophie et une idéologie pour la décolonisation de l’Afrique – et de tous les territoires dominés en général –. Ici, le but ultime, la fin en soi, n’est pas l’homme en tant qu’il est homme, car les impérialistes sont aussi des hommes comme les Africains qu’ils oppriment, mais le développent. Et toutes les forces vives, c’est-à-dire les hommes sont utilisés pour arriver à cet objectif ultime. En clair, ils sont utilisés comme des moyens pour atteindre la fin ultime de la philosophie du Consciencisme. De plus, si le Consciencisme sert l’Afrique, il désert inévitablement ce qui n’est pas l’Afrique car le développement est essentiellement un mouvement dialectique en ceci que la partie qui se développe se développe sur le sous-développement de l’autre ou en sousdéveloppant l’autre. En termes plus clair, quand certains hommes sont des fins, d’autres sont les moyens de cette fin, de sorte qu’à aucun moment de la tension du développement ce principe ne soit totalement – universellement – applicable. Mais Nkrumah, en bon dialecticien, ne cristallise pas la pensée, il pose plutôt que, le principe moral étant posé, « Les règles morales peuvent, et même doivent, changer »[10] car elles « Dépendent du stade atteint par la société dans son évolution historique »[11]. C’est moi Abdou Diop qui ai pris l’initiative de rééditer le document de Jean Éric Bitang portant sur le Consciencisme de Kwamé Nkrumah. Plusieurs dispositifs numériques ne pouvaient pas le lire. Vue son importance, je l’ai réédité pour qu’il soit accessibles à tout le monde. Professeur : Jean Éric Bitang Etudiants : Abdou Diop et Ndao Omar Sur le plan sociopolitique il devient clair, par ce qui précède que Nkrumah et le Consciencisme ne peuvent prôner rien d’autre que l’absence de classes et l’harmonie qui ne se fera autrement que dans le socialisme scientifique, car seule cette théorie, en abolissant la propriété privée permet de réduire significativement l’instrumentalisation de l’homme dans la recherche effrénée de l’intérêt, ce qui sera contradictoire avec le principe moral du Consciencisme. Nkrumah écrit : « La pratique socio-politique [du Consciencisme] est destinée à empêcher qu’apparaissent ou que s’affermissent des classes, car, dans la conception marxiste de la structure des classes, s’il y a des classes, il y en a une qui exploite et assujettit les autres. Or, autant l’exploitation que la sujétion sont en horreur au Consciencisme »[12]. Résumons cette partie en quelques mots. Le Consciencisme est définitivement un système en ceci qu’il embrasse plusieurs aspects de la vie et de la philosophie. En plus de promouvoir une métaphysique, elle promeut une sociopolitique et une éthique, sans parler d’une épistémologie dont nous n’avons pas fait mention ici pour ne nous en tenir qu’à ce qu’il y a de fondamental à nos yeux dans la doctrine nkrumahiste du Consciencisme[13]. Sur le plan métaphysique – ou ontologique – le Consciencisme promeut le matérialisme dialectique, c’est-à-dire non l’absoluité de la matière, mais sa simple primauté. Sur le plan moral, le « kantisme dialectique », c’est-à-dire admettant la révolution des règles morales sert de modèle théorique à la doctrine de Nkrumah quand sur le plan social, c’est Marx, ou précisément Lénine qui sert de base au Consciencisme. [1] Ibid., p. 119. [2] Ibid., p. 120. [3] Ibidem. Souligné par Nkrumah. [4] Ibidem. [5] Ibidem. [6] Ibid., p. 128. [7] Ibid., p. 38. [8] Ibid., p. 144. C’est moi Abdou Diop qui ai pris l’initiative de rééditer le document de Jean Éric Bitang portant sur le Consciencisme de Kwamé Nkrumah. Plusieurs dispositifs numériques ne pouvaient pas le lire. Vue son importance, je l’ai réédité pour qu’il soit accessibles à tout le monde. Professeur : Jean Éric Bitang Etudiants : Abdou Diop et Ndao Omar [9] Cette phrase est bien sûr un anachronisme car Kant ne vient que trop tard après l’Afrique traditionnelle pour écrire ce que cette dernière pratique déjà depuis longtemps. [10] Ibid., p. 142. [11] Ibid., p. 143. [12] Ibid., p. 148. [13] On peut résumer la position épistémologique de Nkrumah de cette manière : les concepts ne doivent pas être rigides, car c’est la tension dialectique qui fait évoluer la science. Les catégories ne doivent donc pas exister car « Tenter de déterminer des catégories, des concepts généraux et fondamentaux, par lesquels seulement le monde nous apparaît et nous deviendrait intelligible, c’est tenter d’arrêter la dialectique de la pensée, de la congeler à un stade donné » (Ibid., p. 79). Il n’est donc pas souhaitable – et il est d’ailleurs impossible – que les choses soient, c’est-àdire soient et restent ce qu’elles sont, de même que les concepts par lesquels nous désignons leur être doivent eux-aussi, être à l’image de la tension dialectique de l’être. La science doit donc suivre l’évolution dialectique de l’être à la lettre et s’adapter à chaque nouvelle situation qu’elle propose. C’est moi Abdou Diop qui ai pris l’initiative de rééditer le document de Jean Éric Bitang portant sur le Consciencisme de Kwamé Nkrumah. Plusieurs dispositifs numériques ne pouvaient pas le lire. Vue son importance, je l’ai réédité pour qu’il soit accessibles à tout le monde.