Le français au contact des langues : histoire, sociolinguistique, didactique
futur, tandis que les arguments déployés sont d’ordre culturel (la littérature)
et politique, alors que, dans le second, l’universalité du français, constatée au
présent, est défendue au moyen d’arguments essentiellement internes (« génie
de la langue »).
L’épisode le plus marquant dans les représentations est néanmoins le
concours proposé en 1782 par l’Académie de Berlin et à l’occasion duquel
furent posées les questions : « Qu’est-ce qui a rendu la langue française la
langue universelle de l’Europe ? Par où mérite-t-elle cette prérogative ? Peut-on
présumer qu’elle la conserve ? ».
À
ce concours est malheureusement resté
attaché, en France, le nom exclusif d’A. de Rivarol, l’un des deux récipiendaires
du prix. Son texte brillant, émaillé de formules marquantes, a été publié quasi
immédiatement en France (chez Bailly & Dessenne, 1784, en même temps que
l’édition de Berlin de la même année) et a souvent été réédité par la suite en
volume séparé
5
. Pour autant, s’il est indiscutablement la marque d’un polémiste
talentueux, on doit reconnaître qu’il repose presque entièrement sur la recherche
de fallacieux arguments internes (la « clarté », l’« ordre direct », la répugnance
aux métaphores, etc.) et ne résiste pas à un point de vue linguistique sérieux.
Considéré par tous les commentateurs informés d’aujourd’hui comme un simple
rideau de fumée, expression d’un chauvinisme superficiel (F. Brunot parlait
d’« illusionniste »), il continue pourtant de jouir en France d’une réputation
imméritée et sert toujours d’élément probant dans la doxa sur le français en
Europe au XVIII
e
siècle. G. Haßler (2001) relève que même un Claude Hagège,
dans Le français et les siècles (1987), ou un Alain Finkielkraut relaient au premier
degré ce qu’ils lisent, dans le texte d’A. de Rivarol, comme un constat irréfu-
table ; pour mieux y opposer, sans doute, une situation contemporaine de perte
d’influence par rapport à l’anglais. La consultation des discours académiques
récents montre que la référence à Rivarol y constitue toujours un passage obligé ;
et celle des sites Internet dans lesquels le nom d’A. de Rivarol est évoqué révèle
que, même dans des sites pédagogiques – parfois universitaires –, son nom reste
souvent invoqué pour attester et emblématiser cette supposée « universalité ».
Il y a là un gauchissement qui, comme le souligne F. G. Henry, l’éditeur
récent du texte de J.
-
C. Schwab (2005), demande « rectification », et d’abord
rectification historique. F. Brunot l’avait déjà noté, et des travaux allemands, mal-
heureusement peu connus en France (Ricken 1974 ; Storost 1994 ; Haßler 2001)
le confirment : il nous faut entièrement revoir l’histoire du concours de Berlin.
On sait par exemple (Storost, 1994 : 432) que le prix avait été à l’origine destiné
au seul J.
-
C. Schwab, dont le mémoire est à l’évidence supérieur, et que ce n’est
qu’une intervention personnelle du prince Henri, frère de Frédéric II, qui amena
cette situation d’ex-aequo.
5. À titre d’exemples, les éditions de Th. Suran (Paris/Toulouse, 1930), M. Favergeau (1936), H. Juin (Paris,
Belfond, 1966) ; ou encore, plus récemment, Paris, Obsidiane (1991), ou Paris, Arléa (1991), préface de Jean
Dutourd...
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“LF_167” (Col. : RevueLangueFrançaise) — 2010/9/7 — 13:56 — page 16 — #16
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Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Sherbrooke - - 132.210.209.126 - 14/05/2019 20h46. © Armand Colin
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