"Étranges Étrangers", La Pluie et le Beau Temps, Prévert (analyse 1ère)

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LA n°4
“Étranges Étrangers”, La Pluie et le Beau
Temps, 1955
Prévert
Introduction
Jacques Prévert est un poète devenu populaire grâce à son langage familier et à ses jeux
sur les mots. Dans La Pluie et le Beau Temps publié en 1955, il déjoue toutes les
classifications habituelles pour offrir un recueil d’une inaltérable actualité. “Étranges
Étrangers” est un de ces poèmes d’actualité, mais aussi engagé, qui rend hommage aux
populations immigrées.
Ouverture
Alors que “Étranges Étrangers” offre la vision des étrangers d’un occidental, Senghor,
originaire du Sénégal, présente sa vision d’un monde occidental dans “À New York”,
publié dans le recueil Éthiopiques en 1956.
Analyse
Un jeu sur les sonorités
“Étranges Étrangers”
polyptote : joue sur l’adjectif “étrange”, car on ne sait pas pour qui ces étrangers sont
étranges. On peut supposer que c’est peut-être les parisiens qui ne leur donne pas la place qu’ils
méritent
“cordonniers de Cordoue”, “Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel”, “Boumians de la porte
de Saint-Ouen”
euphonies : impression que les liens entre les provenances et les mots qui leurs sont associés
est uniquement phonétique
“embauchés débauchés / manoeuvres désoeuvrés”
polyptote : déclinaison musicale des différentes exploitations des étrangers, on peut penser à
une sorte de mécanisation des rapports humains
1
Un poème arythmique et hétérométrique
utilisation du vers libre mais travail sur la dissonance et l'arythmie. Comme ces étrangers qui
ne cadrent pas tout à fait avec l'environnement qui est le leur, les vers entrent presque, mais pas
tout à fait dans le cadre mélodieux des vers réguliers
utilisation de plusieurs “faux” alexandrins :
“Kabyles de la porte de la Chapelle et des quais de Javel” le [e] muet de “Kabyles” empêche
l’alexandrin
“Polacks du Marais du Temple des Rosiers” il y a 11 syllabes, il manque une syllabe à « Polacks
» pour faire 12, alors que Prévert aurait pu directement utiliser le terme de “Polonais” pour créer
un alexandrin
les noms de peuples font volontairement « boiter » les alexandrins, ils ont toujours quelque
chose en trop ou en moins
v.9
utilisation de vers « trop longs » v9 (15 syllabes)
ailleurs on trouve une certaine régularité
v 11 à 14 : série d'hexasyllabes mais pas d'unité syntaxique => on n'entend pas la régularité
v 40 à 43 : série d'alexandrins (usage du registre pathétique) rompue par la dissonance « et
des bombes incendiaires labourant vos rizières » v 45 (14 syllabes mais une rime interne à
“incendiaires” et “rizières”, découpant ce vers en deux parties égales)
Un patchwork de souvenirs et d’images
utilisation de l'adverbe “loin” comme adjectif qualifiant “pays”
solécisme qui ouvre la totalité de ces pays comme un “ailleurs” indifférencié
“les échos de vos villages”, “les oiseaux de vos forêts”, “la capitale”
utilisation du déterminant possessif pour décrire des images de l'Afrique et d’une déterminant
article pour parler de la capitale : les étrangers ne possèdent que leurs souvenirs
image des « jolis dragons d'or faits de papier plié »
couleur + fragilité
“rescapés de Franco”
souvenirs plus sombres : dictature espagnole, ils amènent avec eux leur idéal de liberté (“en
souvenir de la vôtre”)
“cobayes des colonies”
souffrances sur leur sol engendrées par les français
/ ! \ à utiliser pour la transition entre un patchwork de souvenirs et d’images et les injustices
coloniales

Une richesse toponymique
“Kabyles”, “tunisiens”, “enfants du Sénégal”, “enfants indochinois”
peuples sans liens entre eux autre que la ville de Paris
“Polacks”, “boumians”
utilisation de termes familiers pour désigner ces peuples
“apatrides” (qu’on a privé de nationalité), “boumians” (nomades)
ouverture à ceux qui n’ont pas de nationalité
2
“Cordoue”, “Barcelone”, “Baléares”, “Finisterre”, “Navarre”
déclinaison des régions espagnoles
“La Chapelle”, “quais de Javel”, “porte d’Italie”, “Porte de Saint-Ouen”, “Aubervilliers”, “Grenelle”,
“du Marais”, “du Temple”, “des rosier” (jeu sur l’agglomération syntaxique, par complément du
nom, de ces 3 quartiers qui deviennent un lieu fictif, à résonance de conte, grâce à l’absence de
ponctuation), “la Bastille”
tous ces noms de peuple sont liés syntaxiquement aux quartiers de Paris et sa banlieue,
venant compléter la richesse toponymique
“Kabyles de la Chapelle”
référence à deux provenances distinctes : existence d’une double provenance, d’une double
identité des immigrés. On remarque aussi un lien phonétique entre les noms de peuples et les
quartiers de Paris
/ ! \ à utiliser pour la transition entre une richesse toponymique et un jeu sur les sonorités
Un poème hommage
“doux”, “petits”, “innocents couteaux”, “jolis dragons”
insistance sur l’innocence des populations immigrées
“petits”, “soleils adolescents”, “enfants”
vocabulaire de l’enfance
“musiciens”, “ jongleurs”, “vendeurs de dragons de papier”
rôle de divertisseurs publics
dernière strophe
accueil (vous êtes de la ville) : sens essentiel du verbe être (être de = question de la
provenance, la ville de Paris fait partie de leur identité et ils font partie de l'identité de la ville de
Paris)
volonté d’inclure ces immigrés invisibles, de leur donner leur place : qu’il leur donne dans le
poème en faisant occuper la majeure partie du poème par la liste de tous ces “invisibles”
Les injustices sociales
“brûleurs”, “ébouillanteurs” + “grandes ordures”, “bêtes trouvées mortes”
évocation des tâches ingrates dévolues aux immigrés : vocabulaire du feu qui laisse
apparaître une ambiance infernale et le vocabulaire du déchet pour montrer le caractère
inhumain du métier qu’ils font + allitération en [r] pour souligner la rudesse de ces métiers
“embauchés débauchés / manoeuvres désoeuvrés”
polyptotes : travail aliénant + syllepse de sens (le 2e mot est à la fois employé dans son sens
propre et son sens figuré), (“embauchés” = qui ont trouvé un travail ; “débauchés” = soit qui l'ont
perdu soit qui sont tombés dans la “débauche” ; “manœuvres” = ouvriers ; “désoeuvrés” = idem
soit ouvriers sans travail soit “désespérés”)
« cordonniers », « soutiers », « pêcheurs »
déclinaison de travaux peu qualifiés et peu rémunérés
3
Les injustices politiques
“esclaves noirs de Fréjus”
collusion entre la vie des soldats et des esclaves
reprise de la référence militaire par l'adjectif “tiraillés” qui implicitement rappelle le mot
“tirailleur” qui désignait les soldats sénégalais engagés dans l'armée française notamment
pendant les guerres mondiales
“pas cadencé” : pas de liberté dans la marche
“parqués”, “petite mer” (la mer n'est pas un moyen d'évasion ni de rêve vu qu’elle est petite),
“locaux disciplinaires” + “vieille boîte à cigare” / “quelques bouts de fil de fer”
vocabulaire de l'enfermement, de la prison + conditions de vie misérable
“Bastille” (= prison)
ils viennent fêter la fin d'un asservissement montrant de leur propre asservissement militaire :
paradoxe qui montre l'hypocrisie de l'armée française qui célèbre la fin d'un régime injuste mais
qui en réitère un
Les injustices coloniales
“cobayes des colonies”
référence probablement au fait que les soldats des colonies étaient envoyés en 1e ligne
“dépatriés” (= néologisme qui signifierait “à qui on a enlevé sa patrie” donc colonisé), “expatriés”
(= qu'on a déracinés pour la France), “naturalisés” (=devenus français)
polyptote de “dépatriés” et “expatriés” : montre la mécanique absurde de la colonisation et de
ses conséquences + l’utilisation des participes passés sous-entend une tournure passive qui
marquerait le fait que les enfants du Sénégal ont subi ces multiples changements sans pouvoir
vraiment se rendre maîtres de leur destin
violence de la décolonisation, référence à la guerre d'Indochine (1946-1954, actuels ViêtNam,
Laos et Cambodge)
accentuée par le rapprochement antithétique du vocabulaire de l'enfance et de la violence
avec l’oxymore “innocents couteaux”, peu dangereux comparé aux “bombes incendiaires”
euphémisme “en allés” qui signifie “morts”
“de retour au pays” = indépendance mais au vers suivant on trouve “le visage dans la terre” :
montre le caractère violent et destructeur de la guerre de décolonisation
“on vous a renvoyé la monnaie de vos papiers dorés”, “on vous a retourné vos petits couteaux
dans le dos”
détournement concret d'expressions usuelles : ici le sens littéral devient extrêmement violent
(rendre la monnaie de sa pièce / planter un couteau dans le dos) : marque la trahison de la
France et l'extrême violence dont elle a fait preuve
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