Encyclopédie Médico-Chirurgicale 10-308-D-10 – 37-215-B-60 10-308-D-10 37-215-B-60 Déviations du comportement alimentaire à l’adolescence M Corcos D Bochereau R de Tournemire V Cayol N Girardon P Jeammet Résumé. – Anorexie et boulimie apparaissent électivement à la puberté et au sein de nos sociétés occidentales, offrant un exemple des intrications complexes entre souffrance psychique et expression somatique, trouble de l’individu et pathologie familiale, voire sociale. Nous en précisons la symptomatologie, la comorbidité et l’évolution, avant de proposer quelques repères thérapeutiques. D’autres déviations du comportement alimentaire (craving, hyperphagie, grignotage) traduisent des difficultés psychologiques moins graves et moins structurées et se situent à un carrefour biopsychosocial, dans un continuum du normal au pathologique. © 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots-clés : anorexie mentale, boulimie, comorbidité, complications. Introduction Bien que les troubles du comportement alimentaire que sont l’anorexie mentale et la boulimie soient connus et décrits depuis l’Antiquité, ils continuent à susciter un intérêt qui n’a cessé d’augmenter pendant ces dernières décennies, jusqu’à une médiatisation problématique en termes de prévention, puisque la surexposition des troubles du comportement alimentaire n’est pas sans générer un processus de fascination chez des adolescents vulnérables. Cet engouement, qui reflète probablement l’accroissement de fréquence de ces affections, est sans doute également lié au caractère provocant et paradoxal de ces conduites. Se situant à un carrefour entre la psychologie individuelle, les interactions familiales, le corps dans son aspect le plus biologique et la société (dite « de consommation ») en général, ces pathologies mentales s’avèrent ainsi comporter des conséquences somatiques graves, qui à leur tour retentissent sur l’état psychique et contribuent à entretenir le trouble. En cela, anorexie et boulimie offrent un modèle des enjeux de l’adolescence, s’intégrant parmi les conduites d’addiction ou de dépendance qui se développent préférentiellement à cet âge. Données épidémiologiques Anorexie et boulimie se déclenchent électivement après la puberté : le début le plus fréquent se situe à 13-14 ans ou 16-17 ans pour l’anorexie, et plus tardivement, 19-20 ans pour la boulimie, périodes correspondant aux moments où la dépendance vis-à-vis de la famille est la plus importante. Ces troubles (en particulier la boulimie ; il n’y aurait pas d’augmentation séculaire de l’incidence de l’anorexie mentale) [10] seraient en augmentation de fréquence dans les pays économiquement développés depuis une vingtaine d’années. Sont concernées environ 0,5 à 1 % des adolescentes pour l’anorexie, et de 3 à 12 % pour la boulimie selon les critères retenus (environ 1,5 % de la population générale) et en moyenne 16 % pour le binge eating disorder). Aux États-Unis, l’anorexie est la troisième maladie chronique après l’obésité et l’asthme chez l’adolescente, avec une prévalence de 0,48 % dans la tranche des 15-19 ans [20] . La prédominance féminine est nette : huit à neuf cas sur dix pour l’anorexie et la boulimie, six sur dix pour le binge eating disorder. Les formes boulimiques et mixtes sont en expansion : dans ces dernières, soit la conduite anorexique s’accompagne rapidement d’épisodes boulimiques (dans 30 à 50 % des cas), soit le comportement boulimique installé d’emblée est plus ou moins contrôlé par des périodes de jeûne. Surtout, est signalée l’augmentation, chez les adolescentes, des préoccupations corporelles (autojugements négatifs, pesées excessivement fréquentes) et des perturbations alimentaires « subsyndromiques » [7] (diètes autoprescrites ou jeûne régulier, régimes anarchiques entraînant variations pondérales et déséquilibres métaboliques ou vitaminiques, épisodes récurrents de craving ou frénésie alimentaire soudaine, vomissements induits). Ceci explique que, en fonction des critères retenus, les chiffres d’incidence et de prévalence varient sensiblement. Diagnostic positif ANOREXIE MENTALE Maurice Corcos : Assistant. Denis Bochereau : Assistant. Philippe Jeammet : Professeur des Universités, chef de service. Département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte (Professeur Jeammet), institut mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France. Renaud de Tournemire : Chef de clinique-assistant, service du Docteur Alvin, médecine de l’adolescent, hôpital de Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre, France. Véronique Cayol : Chef de clinique-assistant, service du Professeur Milliez, département de gynécologieobstétrique, hôpital Saint-Antoine, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75571 Paris, cedex 12, France. Nicolas Girardon : Assistant, service du Docteur Bourcier, centre médico, 6, rue Dohis, 94300 Vincennes, France. Le diagnostic devrait être aisé, du fait du caractère exhibé et stéréotypé des symptômes, mais la fascination qu’induit cette pathologie « aveugle » parfois le clinicien. L’examen physique et le profil endocrinologique sont détaillés dans les tableaux I et II. La triade classique anorexie-amaigrissement-aménorrhée reste d’actualité : la conduite anorexique annonce le plus souvent le début des troubles. Loin d’une disparition passive de l’appétit, il s’agit d’une conduite active de restriction alimentaire et de lutte contre la Toute référence à cet article doit porter la mention : Corcos M, Bochereau D, de Tournemire R, Cayol V, Girardon N et Jeammet P. Déviations du comportement alimentaire à l’adolescence. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Endocrinologie-Nutrition, 10-308-D-10, Psychiatrie, 37-215-B-60, 2001, 6 p. 150 516 EMC [291] 10-308-D-10 37-215-B-60 Déviations du comportement alimentaire à l’adolescence Endocrinologie-Nutrition Psychiatrie Tableau I. – Examen physique chez l’anorexique et la boulimique. Tableau III. – Examen physique chez la boulimique. Examen physique chez l’anorexique révélant les signes somatiques secondaires à la dénutrition et aux troubles hormonaux Faciès ridé, cheveux cassants, ongles cassants et striés, lanugo, peau sèche Fonte musculaire et parfois œdèmes de carence Troubles circulatoires : extrémités froides, acrocyanose Tension artérielle abaissée, bradycardie, hypotension orthostatique Aménorrhée Arrêt ou ralentissement de la croissance et de la puberté chez l’adolescente Constipation, diarrhée, pollakiurie Douleurs pharyngées Douleurs abdominales et épigastriques Vomissements Alternance diarrhée-constipation Faiblesse musculaire Palpitations cardiaques Bradycardie Hypertrophie parotidienne Ulcérations buccopharyngées Délabrement dentaire, caries Scarifications et callosités des mains (face dorsale) Aménorrhée, oligoménorrhée Tableau II. – Profil endocrinologique de l’anorexie mentale. Fonction thyréotrope : euthyroïdie clinique, avec LT4 et TSH normales et abaissement de LT3 Fonction corticotrope : pas d’anomalies cliniques ; cortisolémie et cortisol libre urinaire augmentés, disparition du rythme circadien du cortisol, ACTH normale Fonction gonadotrope : dysfonctionnement hypothalamohypophysaire, régression à un stade prépubertaire avec hypo-œstrogénie, perte du rétrocontrôle positif, disparition des pics spontanés de LH, diminution de LH et FSH sériques, prolactinémie normale ou légèrement élevée, réceptivité ovarienne normale Fonction somatotrope : taux basal d’hormone de croissance souvent augmenté, mais réponse aux tests de provocation insuffisante. Diminution de l’IGF1 et des protéines de liaisons GHBP-IGF BP3 Autres : œdèmes avec augmentation de l’aldostérone, de l’hormone antidiurétique LT : lutéotrophine ; TSH : thyroid stimulating hormone ; LH : luteinizing hormone ; FSH : follicle stimulating hormone ; IGF : insulin-like growth factor ; GHBP : growth hormone binding protein ; ACTH : adrenocorticotrophic hormone. faim, en accord avec la peur de grossir et le désir de maigrir qui sont, eux, les signes les plus spécifiques, persistant malgré une perte de poids déjà significative et reflétant un trouble particulier de l’image du corps. Rarement reconnue d’emblée, la restriction est constante à un degré variable, comme en témoignent les conduites de surveillance et de méfiance de l’anorexique à l’égard de la nourriture, ainsi que ses nombreux rites alimentaires (décrits par l’entourage qu’ils contribuent à tyranniser : refus de participer au repas familial, saut systématique d’un repas, tri des aliments, refus de prendre une autre nourriture que celle que les malades cuisinent elles-mêmes). Toutes ces manifestations ont tendance à s’atténuer à l’extérieur du milieu familial. S’en rapprochent la préoccupation concernant le fonctionnement intestinal, la prise abusive et parfois considérable de laxatifs, ainsi que les vomissements provoqués postprandiaux qui, avec l’hyperactivité, représentent autant de moyens de contrôle du poids. L’amaigrissement est provoqué, secondaire à la restriction alimentaire, répondant aux aspirations de l’adolescente, qui non seulement ne s’en inquiète pas mais ne le trouve jamais suffisant : il dépasse rapidement 10 % du poids normal et peut atteindre 30 à 40 % du poids initial. La crainte permanente de grossir est difficilement exprimée d’emblée, mais se traduit dans les multiples mesures de vérification : pesées postprandiales, recherches sur la valeur calorique des aliments, mensurations des « rondeurs » éventuelles, du tour de cuisse en particulier. La méconnaissance voire le déni de leur maigreur, de la part de ces malades, reflètent l’importance du trouble de la perception de l’image de leur corps. Cette absence caractéristique de souci pour leur état de santé va jusqu’à un sentiment de bien-être et de force croissant avec l’amaigrissement. L’aménorrhée suit généralement de quelques mois la restriction alimentaire : aménorrhée secondaire le plus souvent, mais qui peut être primaire chez les jeunes filles chez lesquelles les troubles commencent avant que la puberté n’ait fait son apparition. L’aménorrhée est un symptôme cardinal de l’anorexie mentale liée à l’importance de la dénutrition et de l’exercice physique et à leurs effets sur l’axe hypothalamohypophysaire gonadique, mais aussi à certaines dimensions psychopathologiques comme le suggèrent les données cliniques : aménorrhée précédant l’amaigrissement dans un tiers des cas, persistance fréquente et durable de l’aménorrhée après la rééquilibration pondérale. S’il est effectif, le rôle de la perte de poids dans le déterminisme des altérations de la fonction gonadotrope et de l’aménorrhée ne peut être tenu pour exclusif [3]. L’insuffisance du poids interviendrait plutôt comme un élément de plus grande sensibilité à impact défavorable sur les processus ovulatoires [2]. 2 L’aménorrhée de l’anorexie mentale et des dénutritions a pu être rattachée au stress et à ses conséquences sur la régulation hypothalamo-hypophyso-surrénalienne [23]. Mais le terme de stress apparaît peu spécifique. Plus que l’intensité, qui est manifestement importante, quelle est la nature de l’angoisse sous-jacente au trouble alimentaire ? Cette angoisse, plus qu’exprimée, est « déposée » sur le corps et ainsi contrôlée plus ou moins laborieusement par le sujet. Dans le cadre de l’anorexie, on peut penser l’aménorrhée comme un des effets du comportement général de maîtrise présent dans cette affection [4, 14, 17] : maîtrise des ingestats et des excréments, maîtrise émotionnelle, maîtrise des relations interpersonnelles, maîtrise des études. Tous ces comportements de maîtrise apparaissent manipulatoires, voire pervers, alors qu’ils sont pour l’essentiel défensifs. Leur intensité est à la mesure d’un vécu de menace sur l’identité même du sujet. La patiente est en effet « persécutée » (et persécute en retour son corps et son entourage) par toute sollicitation interne ou externe qui risque de mettre à mal un équilibre psychique et somatique précaire. La sexualisation du corps, du fait des modifications pubertaires, est ainsi réprimée par un véritable « gommage » par le comportement alimentaire des caractères sexuels secondaires, et toute ouverture à l’autre, constituant une menace pour sa propre estime, est barrée par un repli sur soi et sur des activités solitaires physiques ou scolaires. Preuves a contrario de la relation entre défense anorexique et aménorrhée : l’apparition des règles chez des patientes déprimées au moment d’un relâchement de leur sentiment d’omnipotence, et bien sûr, le retour des règles après une amélioration psychologique passant par un assouplissement des défenses et une restauration de l’estime personnelle. L’absence de fatigue et l’hyperactivité motrice s’associent souvent à la diminution de la durée de sommeil et à des mesures d’ascétisme : se tenir sur une jambe, marcher jusqu’à épuisement, dormir à même le sol, etc. Mensonges et manipulations de l’entourage se surajoutent, en nombre et en combinaison variables. La kleptomanie est fréquente, notamment le vol d’aliments. Sont aussi constatés une absence notable de désir sexuel, un rétrécissement progressif des contacts sociaux, aboutissant à un agrippement de plus en plus marqué aux parents, en particulier à la mère. L’hyperinvestissement scolaire est habituel, l’anorexique montrant, en ce domaine comme dans d’autres, un grand perfectionnisme, ainsi qu’une quête anxieuse et toujours insatisfaite de performances irréprochables. Il existe des formes cliniques particulières : – chez le garçon : l’anorexie mentale traduit généralement un trouble grave de l’identité sexuée ; l’aménorrhée est remplacée par la disparition du désir sexuel et l’absence d’érection ; – potomanie associée : l’ingestion massive de liquide apparaît parfois sur un mode qui rappelle les accès boulimiques ; grave, elle peut provoquer des désordres hydroélectrolytiques massifs, jusqu’au coma. BOULIMIE L’examen physique est détaillé dans le tableau III. La forme clinique la plus caractéristique est la boulimie compulsive normopondérale, évoluant par accès avec vomissements, qui Endocrinologie-Nutrition Psychiatrie Déviations du comportement alimentaire à l’adolescence correspond à une consommation exagérée d’aliments, ingérés de façon impulsive et irrésistible avec un sentiment de perte totale de contrôle. L’accès boulimique se déroule suivant un scénario assez stéréotypé ; son déclenchement brutal, son caractère impérieux, son déroulement d’un seul tenant jusqu’au malaise physique ou au vomissement lui confèrent un caractère de crise. Elle consiste en l’ingurgitation massive et frénétique, d’une grande quantité de nourriture ; rapide, sans aucune discontinuité, elle s’accomplit en général en cachette d’une façon totalement indépendante des repas. Elle survient souvent en fin de journée et répond fréquemment à un sentiment de solitude que le sujet aggrave en s’isolant pour manger et en demeurant seul après la crise du fait de son dégoût de luimême. Il n’est pas rare que le sujet prépare l’accès et achète ou vole en prévision de celui-ci la nourriture nécessaire. Les aliments sont choisis en raison de leur richesse calorique (pain, beurre, pâtes, chocolat) et surtout de leur caractère bourratif ; la quantité prime toujours sur la qualité, le besoin d’engloutir sur la recherche du goût. L’accès est le plus souvent suivi de vomissements toujours provoqués, mais qui, avec le temps, deviennent quasi automatiques. Après les vomissements, la boulimie peut reprendre tant que de la nourriture reste disponible. La fin de l’accès peut être suivie d’un état de torpeur à la limite d’un vécu de dépersonnalisation, s’accompagnant de douleurs physiques violentes, surtout abdominales ; il entraîne le plus souvent un sentiment de malaise, de honte, de dégoût de soi, des remords et des autoreproches. Malgré cette souffrance et la conscience du caractère anormal de ce comportement, le malaise va être vite annulé, ce qui explique le déroulement répétitif des crises de boulimie. La peur de grossir donne lieu à différentes stratégies de contrôle du poids. Le vomissement provoqué, s’il est le plus habituel, n’est pas le seul moyen utilisé. Les mâchonnements interminables, voire même le mérycisme, évoquent certains troubles précoces de l’alimentation décrits chez le petit enfant. L’usage de différents médicaments, laxatifs, diurétiques, anorexigènes, peut donner lieu à des abus considérables et à des complications somatiques graves. La comorbidité avec l’abus, voire dépendance, de drogue et d’alcool, et à un moindre degré de tranquillisants et d’amphétamines avec la boulimie n’est pas négligeable (la consommation de psychotropes étant moindre chez l’anorexique). Dans un certain nombre de cas, il apparaît nettement une corrélation entre restriction calorique et usage d’amphétamines, ou gravité de la conduite boulimique et abus de tranquillisants, purge et prise d’alcool et de cigarettes. L’hyperactivité, la pratique intensive du sport peuvent également être utilisées dans ce but. Comme dans l’anorexie mentale, l’image du corps fait l’objet de préoccupations exagérées, souvent obsédantes. Mais il n’y a pas de distorsion massive de la perception de la réalité du corps. Le poids est le plus souvent normal, un peu au-dessous des normes, critère exigé pour définir une boulimie au sens strict. Cependant, des conduites boulimiques se retrouvent chez des obèses ou des patients ayant une surcharge pondérale modérée. Des modifications biologiques et endocrinologiques, là encore fonctionnelles et réversibles, peuvent être observées : l’axe gonadotrope est moins atteint, l’hypo-œstrogénie est fréquente, les anovulations et les aménorrhées secondaires sont moins fréquentes ; en revanche, le risque d’hypokaliémie existe, du fait des vomissements provoqués, avec ses conséquences cardiaques éventuelles. La variété typique de boulimie peut demeurer totalement méconnue. Il n’est pas rare que, même cachée, elle puisse être décelée par des lésions dentaires et des ulcérations gingivales, ou par un accroissement du volume des glandes parotides. À côté de cette forme typique, peut exister une boulimie sans vomissements avec d’autres mesures de contrôle du poids ou avec une surcharge pondérale plus ou moins importante. AUTRES DÉVIATIONS DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE Avec l’acquisition d’une notoriété médiatique certaine, le terme de boulimie s’est sensiblement vulgarisé, pour désigner des troubles 10-308-D-10 37-215-B-60 du comportement alimentaire marqués par des conduites de suralimentation avec excès pondéral. Le grignotage se caractérise par l’ingestion répétée de faibles quantités alimentaires, en dehors des repas réguliers, tout au long de la journée. Le sujet grignoteur a souvent un aliment préférentiel : chocolat, sucreries, aliments salés d’apéritif… Le grignotage s’accomplit généralement en cachette, est expliqué selon les sujets par l’ennui, le manque, l’absence ou le stress, et n’est pas vécu de façon culpabilisante. Il n’est considéré comme pathologique que s’il se transforme en une activité stéréotypée automatique et compulsive qui tend à remplacer un mode et un rythme d’alimentation normaux. L’hyperphagie, qui mène généralement à une obésité (en particulier chez les sujets de sexe masculin), est une surconsommation alimentaire plus ou moins sélective et importante, essentiellement prandiale, qui se distingue de la boulimie par l’absence de caractère d’incoercibilité. On peut retrouver à son origine un déséquilibre nutritionnel ancien, attenant à des habitudes familiales perturbées (hyperphagie prandiale), ou des facteurs iatrogènes (corticoïdes, antihistaminiques, psychotropes divers dont les neuroleptiques, certains antidépresseurs et le lithium). Le craving (to crave : avoir soif de ou avoir un besoin fou ou maladif de …), caractérisé par la nécessité impérieuse de consommer une substance, avant tout étudié chez les obèses, se retrouve fréquemment dans la population générale, en particulier féminine. Du point de vue psychopathologique, cette conduite est souvent sous-tendue par une humeur dysphorique associée à des alternances d’anxiété et d’ennui durant la journée. La comorbidité est importante : abus de toxiques et d’alcool ; stratégies de contrôle du poids/régime, exercice physique, vomissements, laxatifs et anorexigènes [11]. Facteurs prédictifs, évolution et pronostic Les facteurs de risque sont peu spécifiques et différencient peu les troubles alimentaires des autres troubles psychiatriques. Ce qui différencie spécifiquement les anorexies mentales des autres troubles psychiatriques est une autoévaluation très abaissée et un perfectionnisme élevé [8]. Dans le cas de la boulimie, les auteurs mettent en évidence une plus grande vulnérabilité aux influences familiales et sociales valorisant les régimes ou la minceur qui n’est pas retrouvée dans l’anorexie mentale, une plus grande fréquence des remarques négatives de l’entourage sur leur apparence physique, ainsi que plus d’obésité dans leur enfance et chez les parents ; enfin, les règles surviennent un peu plus précocement. L’ensemble des auteurs souligne la gravité potentielle de ces affections qui gagnent toujours à être traitées activement et précocement. L’évolution de l’anorexie mentale, de mieux en mieux connue, montre que, à côté des formes spontanément curables, la majorité des cas s’inscrit dans la durée : à long terme, entre 60 et 80 % des cas traités reprennent un poids et une alimentation proches de la normale, près de 70 % retrouvent un cycle menstruel et des possibilités normales de procréation, mais 50 % gardent des difficultés psychologiques gênantes (tendances dépressives marquées, phobies diverses, plus ou moins extensives, troubles obsessionnels compulsifs, restriction et appauvrissement des champs d’intérêts et des contacts). Les patientes présentant des aménorrhées prolongées (plus de 6 mois) peuvent développer une ostéopénie irréversible, constituant un facteur de risque pour l’apparition de fractures pathologiques. De même, dans les formes au long cours, les anomalies de la statique vertébrale peuvent être importantes ; l’insuffisance rénale chronique n’est pas exceptionnelle. Concernant les risques d’infertilité, les données actuelles sont partielles, mais des facteurs psychologiques et organiques concourent probablement à une fertilité moindre. De 15 à 25 % des anorexiques évoluent vers 3 10-308-D-10 37-215-B-60 Déviations du comportement alimentaire à l’adolescence la chronicité, dont il est licite de parler au-delà de 4 ans d’évolution (bien que des améliorations restent possibles, y compris très tardivement) [15]. Sept à 10 % (jusqu’à 15 % après 20 ans de suivi) décèdent, que ce soit du fait de la cachexie ou des complications somatiques (troubles du rythme cardiaque secondaires à l’hypokaliémie, infections), ou par suicide, surtout fréquent chez les anorexiques devenues boulimiques. La mortalité est de l’ordre de 0,5 % par année d’évolution, 12 fois supérieure à la mortalité attendue à cette période de la vie [22, 24]. L’évolution de la boulimie est le plus souvent chaotique, comprenant de nombreux épisodes boulimiques qui ponctuent des périodes variables de rémission [9]. La chronicisation et la morbidité psychosociale apparaissent très importantes. Les tentatives de suicide sont plus fréquentes que dans l’anorexie et les complications somatiques sont sévères (tableau IV). Signalons l’étude d’importance la plus récente sur le sujet [16]. Lors du suivi de 173 femmes plus de 20 ans après le diagnostic (durée moyenne du suivi : 11,5 ans ISD ± 1,9), 11 % répondaient encore à tous le critères diagnostiques de boulimie, 0,6 % répondaient à celui d’anorexie mentale, 15,5 % à celui de troubles du comportement alimentaire non spécifiés, 69,9 % étaient en rémission partielle ou complète, 30 % continuent à avoir des crises de boulimie et/ou de recourir à des vomissements provoqués ou à la prise de purgatifs. Seule la durée du trouble lors du diagnostic initial et les antécédents d’utilisation de toxiques avaient une valeur pronostique défavorable. Certains éléments cliniques constituent des facteurs pronostiques négatifs : – pour l’anorexie : les formes prépubères, chroniques, masculines, avec mérycisme, boulimie ou vomissements associés, la longue durée d’évolution avant traitement, le body mass index (BMI) très abaissé, la mauvaise réponse à l’hospitalisation ; – pour la boulimie, les formes multi-impulsives avec une forte comorbidité associée. Néanmoins, le facteur pronostique essentiel est la nature du trouble psychopathologique sous-jacent à la conduite alimentaire, qui peut être appréciée indirectement par la qualité, la souplesse, la richesse du fonctionnement prémorbide (difficile à évaluer correctement au début du suivi, tant la méconnaissance d’une souffrance psychique antérieure par l’entourage, voire par la patiente elle-même, est fréquente) et par la persistance ou non de relations satisfaisantes avec l’environnement familial, amical, sentimental, témoignant de la plus ou moins bonne capacité d’aménagement des relations interpersonnelles : autrement dit, de la mise en place préalable et de la préservation de possibilités d’étayage plus ou moins diversifiées sur l’extérieur. De nombreux symptômes psychiatriques sont observés au cours de l’évolution, qui peuvent se comprendre à la lumière des données psychopathologiques sous-tendant ces conduites : la problématique de dépendance y est centrale, ce qui rend compte de l’apparition de ces troubles à l’adolescence, lorsqu’il s’agit d’accéder à la sexualité génitale, d’achever ses identifications, et surtout de se séparer des parents. La qualité des intériorisations préalables, et corrélativement de l’estime de soi, qui s’est établie au cours de l’enfance, grâce aux liens noués avec les proches, se trouve donc mise à l’épreuve ; or, c’est elle qui permet ou non de franchir le cap de la puberté, puisqu’elle détermine les ressources propres dont dispose l’adolescent(e), et ses capacités à assumer son identité sexuée. Le symptôme alimentaire extériorisé occupe là une place et une fonction particulières, puisqu’il apaise dans un premier temps toutes sortes de tensions psychologiques (anxiété, dépression, troubles divers de la personnalité), tout en contribuant à les pérenniser ensuite, par son inefficacité à soulager durablement et en profondeur, par sa tendance à l’autorenforcement et à l’aggravation secondaire des troubles. Croyant s’être affranchie de sa dépendance à autrui et de sa fragilité grâce à son symptôme, la patiente se retrouve en fait doublement contrainte, toujours seule, et désormais enfermée dans sa conduite. Ainsi, on peut observer, dans l’évolution des patientes anorexiques, l’apparition d’une symptomatologie dépressive plus ou moins 4 Endocrinologie-Nutrition Psychiatrie Tableau IV. – Complications secondaires à la dénutrition, aux conduites purgatives et à la renutrition [6]. Désordres hydroélectrolytiques et métaboliques Hypokaliémie, alcalose hypochlorémique Hyponatrémie, hypoglycémie Hypomagnésémie Cholestérol total et LDL-cholestérol négativement corrélés au BMI Carence en zinc et en cuivre Anomalies cardiovasculaires et pulmonaires Anomalies cardiovasculaires cliniques Hypotension artérielle (orthostatique +) Bradycardie, tachycardie Anomalies cardiovasculaires électriques : allongement de l’espace QT et autres anomalies non spécifiques Anomalies cardiovasculaires échographiques Prolapsus de la valve mitrale et plus rarement de la valve tricuspide Diminution de la masse ventriculaire gauche Épanchement péricardique Anomalies pulmonaires : pneumomédiastin Complications digestives Déminéralisation de l’émail, hypertrophie parotidienne (vomissements) Œsophagites et exceptionnellement syndrome de Mallory-Weiss, achalasie, rupture œsophagienne avec médiastinite (syndrome de Boerhaave) Complications gastro-intestinales (rares) dilatation aiguë de l’estomac, syndrome de l’artère mésentérique supérieure Complications hépatiques : élévation des transaminases, rare insuffisance hépatocellulaire Pancréatite de renutrition Complications osseuses, retard de croissance Ostéopénie, ostéoporose et fractures osseuses Facteurs favorisant l’ostéopénie dans l’anoxerie Carence œstrogénique, diminution de l’IGF1, carence d’apport en calcium et en vitamine D, hypercorticisme, activité physique excessive Retard de croissance et retard pubertaire (si début précoce) Anomalies neurologiques Élargissement des espaces cérébrospinaux externes, dilatation des ventricules latéraux, atrophie cérébrale (réversibilité ?) Neuropathie sensitivomotrice par compression (rare) Complications urologiques et néphrologiques Complications rénales Diminution de la filtration glomérulaire, insuffisance rénale fonctionnelle Diabète insipide infraclinique, avec anomalies dans la régulation de l’hormone antidiurétique ou insensibilité à son action Exceptionnellement : néphrolithiase, néphropathie tubulo-interstitielle avec acidose tubulaire de type 1 en cas d’hypokaliémie prolongée, rhabdomyolyse consécutive à une hypokaliémie ou une hypophosphorémie, insuffisance rénale terminale Complications urologiques Augmentation de la fréquence des symptômes urinaires : pollakiurie, incontinence urinaire, infections urinaires Anomalies et complications hématologiques et immunologiques Perturbations hématologiques Leucopénie, thrombopénie, anémie normocytaire arégénérative (hypoplasie médullaire) Perturbations immunologiques et sensibilité aux infections Relative protection contre les infections Perturbations de l’immunité cellulaire, baisse du complément sérique Syndrome de renutrition inappropriée (ensemble des complications de la renutrition) Les anomalies les plus marquantes sont l’hypophosphorémie, l’hypokaliémie, l’hypomagnésémie et les perturbations du métabolisme du glucose Anomalies gynéco-obstétricales Fertilité diminuée (dimension psychogène ?) Augmentation des taux de prématurité et de mortalité périnatales LDL : low density lipoproteins ; BMI : body mass index ; IGF : insulin-like growth factor. marquée, de troubles anxieux (phobie sociale, troubles obsessionnels compulsifs) et plus rarement des abus de substances toxiques (alcool, cannabis). Concernant les troubles de la personnalité, ils se répartissent en personnalité narcissique, psychose froide, troubles névrotiques. Les boulimiques présentent, au cours de l’évolution, plus fréquemment des comportements impulsifs (alcoolisation, toxicomanie, tentatives de suicide, automutilations, kleptomanie) ; un syndrome dépressif majeur serait présent à un moment donné Endocrinologie-Nutrition Psychiatrie Déviations du comportement alimentaire à l’adolescence Tableau V. – Examens à réaliser. Chez tous les patients Examen clinique complet incluant fréquence cardiaque et tension artérielle Évaluation du stade pubertaire chez l’adolescent (appréciation d’un retard pubertaire) Ionogramme sanguin avec natrémie, kaliémie, chlorémie et réserve alcaline Urée et créatinine plasmatique Électrocardiogramme Ostéodensitométrie « initiale », à répéter une fois par an (évolutivité parfois rapide) En cas de dénutrition sévère (BMI < 13 kg/m2) La température doit être surveillée et une hypotension orthostatique recherchée Évaluation métabolique : phosphorémie, magnésémie, glycémie Recherche d’une souffrance multiviscérale : transaminases (ASAT, ALAT), taux de prothrombine, CPK, numération-formule sanguine, numération plaquettaire Échographie cardiaque Bandelette urinaire avec recherche de protéines, leucocytes, hémoglobine, nitrites, acétone et contrôle de la densité urinaire et du pH Au cours d’une renutrition orale (ou entérale par sonde) Surveillance clinique Pesée au moins deux fois par semaine pour éviter une prise de poids trop rapide (> 1,5 kg/semaine en dehors de la correction d’une déshydration) Recherche d’œdèmes Test de l’acidité gastrique par bandelette réactive ou radiographie pulmonaire après pose d’une sonde gastrique Repère bien visualisable sur la sonde pour contrôler à vue un éventuel déplacement Surveillance biologique Ionogramme sanguin, phosphorémie, magnésémie et transaminases une fois par semaine Examens perturbés lors de l’évaluation initiale à répéter à un rythme fonction de l’importance des perturbations Cas particuliers Amylasémie Discutable si volonté du référent psychiatre ou somaticien de surveiller l’évolution des vomissements Indispensable devant un syndrome douloureux abdominal aigu, une amylasémie élevée conduisant à demander les isoamylases pancréatiques et une lipasémie Potomanie Surveillance de la diurèse, de l’ionogramme urinaire, de la densité urinaire Vomissements connus : examen stomatologique BMI : body mass index ; CPK : créatine phosphokinase ; ASAT : aspartate aminotransférase ; ALAT : alanine aminotransférase. du trouble chez 60 à 80 % des patientes, un trouble anxieux dans 20 % des cas. Concernant les troubles de la personnalité, la représentation schématique serait la suivante : état limite 25 à 45 % des cas, personnalités histrioniques 10 % des cas ; et plus rarement, obsessionnelle compulsive, évitante, schizoïde, antisociale. Concernant les complications somatiques, le tableau IV recense les différentes complications mises en évidence dans les dénutritions sévères. Le tableau V donne les recommandations quant aux examens à réaliser. Nous insistons particulièrement sur deux complications (l’ostéoporose et l’infertilité) [5, 12] qui sont l’objet de nombreuses recherches et sur une question d’actualité primordiale : les conséquences cérébrales du trouble objectivées à l’imagerie [13, 19]. Compte tenu des éléments issus des recommandations (APA/2000), des complications décrites dans la littérature, de notre expérience et des possibilités évaluées sur le terrain au cours de notre enquête, il nous est apparu possible de préciser les examens utiles chez les sujets dénutris ainsi que les critères d’hospitalisation en urgence en cas d’anorexie. Certains examens, jugés ici non fondamentaux, n’en sont parfois pas moins utiles dans certains services de spécialité habitués à un outil de travail (impédancemétrie) ; certaines investigations, comme l’ostéodensitométrie recherchant une ostéopénie, constituent des outils nécessaires à une amélioration de la prévention des complications. Nous souhaitons insister sur un point majeur : si un suivi somatique et un bilan médical sont indispensables, l’excès de prescriptions paracliniques, de surveillance rapprochée et/ou la déclinaison à la patiente et à sa famille de toutes les complications potentielles ont des effets contre-productifs et délétères (fascination, accentuation du déni, décompensation anxiodépressive, installation d’un rapport sadomasochiste). 10-308-D-10 37-215-B-60 En l’absence d’antécédents personnels ou familiaux ou des signes évocateurs, un bilan lipidique et une évaluation des axes thyréotrope, gonadotrope, somatotrope ou corticotrope nous semblent inutiles. Traitement Les objectifs du traitement sont triples. TRAITER LE SYMPTÔME MAJEUR Traiter le trouble de la conduite alimentaire est la démarche prioritaire car celui-ci a des conséquences physiques graves, parfois mortelles, surtout dans le cas de l’anorexie mentale, une tendance à s’autoentretenir et à s’autorenforcer sur un mode toxicomaniaque, et enfin des effets psychologiques et socioprofessionnels négatifs. Le traitement est plus facilement codifiable dans le cas de l’anorexie mentale : c’est le contrat de poids par lequel la patiente, ses parents et le médecin s’engagent à une reprise régulière du poids par les moyens les plus naturels possible. S’il ne peut être tenu en ambulatoire, la patiente est hospitalisée avec séparation totale de son milieu habituel jusqu’au poids convenu, puis reprise de contacts jusqu’à la sortie définitive à un poids fixé d’avance et très proche du poids réel. L’isolement au sein même du service hospitalier est rarement nécessaire si le service est habitué à traiter ces patientes. L’objectif est au contraire, dans un cadre sécurisant, d’ouvrir vers des modalités relationnelles plus variées et d’accompagner la relance d’investissements plus authentiques. Les rechutes sont fréquentes, sans être forcément de mauvais pronostic. Le traitement symptomatique de la boulimie est plus difficile. L’hospitalisation est réservée aux cas les plus sévères : formes évolutives avec « état de mal » boulimique (l’intensité et la fréquence des crises désorganisant la patiente), ou avec symptomatologie dépressive majeure et/ou risque suicidaire. Les mesures d’encadrement diététiques et le traitement médicamenteux (agonistes sérotoninergiques) s’avèrent souvent utiles et doivent s’articuler avec les approches psychothérapiques. PRÉVENIR LES COMPLICATIONS SOMATIQUES Ajouté à la nécessité d’une amélioration pondérale avec apports suffisants en calcium, vitamine D et éventuellement une supplémentation en fluor, le traitement logique préventif de l’ostéoporose est la prescription d’œstroprogestatifs substitutifs (hormones naturelles), même si leur efficacité a été mise en doute [18]. Ce type de traitement présente en effet plusieurs inconvénients : les vomissements auto-induits, fréquents dans cette pathologie, peuvent compromettre la prise du traitement ; par ailleurs, dans les anorexies avec aménorrhée primaire, le bénéfice osseux d’une hormonothérapie devrait toujours être pondéré par son risque d’accélération prématurée de la croissance tant que l’âge osseux reste inférieur à 15 ans ; la connotation sexuelle que peut prendre la prescription-indication d’une pilule risque de gêner la prise en charge psychiatrique de ces patientes. Elle est d’ailleurs souvent mal tolérée et acceptée (effets secondaires, arrêt dans 50 % des cas). On peut s’inquiéter de l’anarchie actuelle de la prescription d’œstroprogestatifs dans cette affection. Il nous faut, semble-t-il, tenter de définir sa place en fonction de critères biologiques et de conditions psychologiques (qu’il faut pouvoir faire évaluer). Le retour naturel des règles dans le cadre d’un travail psychothérapique adapté se doit d’être privilégié mais n’est pas toujours possible, ou est parfois très long, laissant des effets délétères somatiques évoluer à bas bruit. En cas de prescription, il importe de bien promouvoir un travail d’explication claire de l’attitude thérapeutique purement symptomatique auprès de la patiente. Cette prescription éventuelle se fait toujours à distance de l’épisode aigu et en dehors du cadre psychothérapeutique. Les biphosphonates de troisième génération, qui ont également montré leur efficacité préventive et curative lors de la prise en charge de l’ostéoporose postménopausique, offrent 5 10-308-D-10 37-215-B-60 Déviations du comportement alimentaire à l’adolescence une tolérance excellente et peuvent être administrés par voie parentérale à raison d’une perfusion tous les 6 mois. En effet, ils sont les plus puissants inhibiteurs de la résorption osseuse et leur efficacité se prolonge au-delà de 6 mois après une administration unique (écartant ainsi les problèmes d’observance). Testés chez l’anorexique, ils ont déjà montré leur efficacité avec stabilisation de la concentration minérale osseuse (CMO) [21]. Mais ils ne font pas l’objet actuellement d’un consensus et d’une prescription régulière. Sur un plan thérapeutique, la question de la prescription d’œstroprogestatifs permettant un retour des règles et d’une certaine trophicité vaginale se pose de plus en plus souvent. Signalons qu’en cas d’absence d’ovulation secondaire à la perte de pulsatilité de la luteinizing hormone (LH), certains proposent un traitement par pompe à luteinizing hormone-releasing hormone (LH-RH) fixée à la ceinture de la patiente ; elle libère, par voie intraveineuse ou souscutanée, de petites doses de gonadotrophin releasing hormone (GnRH) toutes les 90 minutes, avec un résultat garanti quant à l’ovulation et au retour des règles. La fécondité reste pour autant très largement dépendante de l’état psychopathologique de la patiente (du couple ?). La dimension psychogène dans les infertilités paraît essentielle à considérer : régression des désirs sexuels, ambivalence autour de la maternité en fonction des problématiques intrafamiliales… Nous sommes partisans de promouvoir des échanges étroits entre cliniciens gynéco-obstétriciens, spécialistes de l’infertilité, et psychiatres, afin de pouvoir définir précisément les modalités particulières de traitements à visée régulatrice du fonctionnement hypothalamohypophysaire, ou favorisant la procréation. La mauvaise adhésion au traitement, comme son acceptation factuelle, plaquée sans élaboration, constituent des facteurs de risque non négligeables de décompensation psychologique pour la future mère. Endocrinologie-Nutrition Psychiatrie Les conséquences d’une amputation de la problématique autour de la sexualité et de la fertilité sur les interrelations précoces entre la future mère et l’enfant à naître sont bien évidemment difficiles à évaluer…, ce qui n’empêche pas de les concevoir. Concernant la question de l’induction, nous rejoignons Venisse (1999) [25] qui souligne « l’importance, pour mettre en route une induction, que le processus de guérison de l’anorexie soit enclenché, avec une guérison au moins nutritionnelle et une amélioration psychologique conséquente ». TRAITER LA PERSONNALITÉ Traiter la personnalité s’avère un complément indispensable si l’on veut avoir une action durable sur la conduite symptomatique. Les psychothérapies sont les moyens d’action privilégiés dans ce domaine [1]. Leurs modalités sont fonction de la formation du thérapeute, mais dépendent aussi de la personnalité des patientes et de leurs options personnelles : psychothérapie psychanalytique ou cognitivocomportementale. L’utilisation de médiations de type ergothérapique (centrées sur le dessin, la musique, etc), la relaxation, ou encore le soutien mutuel de groupes de patientes présentant la même pathologie sont souvent bénéfiques. TRAITER LES DYSFONCTIONNEMENTS FAMILIAUX Traiter les dysfonctionnements familiaux est le plus souvent nécessaire ; préexistants ou découlant du trouble, ils jouent un rôle plus ou moins grand dans leur entretien. Leur abord et leur traitement exigent au minimum un travail de consultations parentales et parents-patiente, parfois une véritable thérapie familiale (systémique ou d’inspiration psychanalytique). Références [1] Agman G, Corcos M, Jeammet P. Troubles des conduites alimentaires. Encycl Méd Chir (Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 37-350-A-10, 1994 : 1-16 [2] Bringer J, Lefèvre P. Poids et fertilité. Communication à la 37e journée annuelle de nutrition et de diététique, Paris, janvier 1997 [3] Codaccioni JL. Les troubles de l’ovulation dans les maigreurs. Rev Fr Endocrinol Clin 1991 ; 32 : 4-5 [4] Corcos M. Le corps absent. Approche psychosomatique des TCA. Collection Psychismes. 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