« Dans La vie et demie, le héros est confronté à un opposant politique, ce qui est normal et naturel […] le
dictateur tue son adversaire, Martial. Peu après il rencontre une très belle jeune fille et en tombe amoureux.
Mais cet amour s’avère un enfer. A chaque fois qu’il veut approcher la jeune fille, l’image de l’homme
qu’il a fait tuer s’interpose entre lui et lui. »
J’ai trouvé pertinent de proposer le lien entre le corps et le catholicisme dans le roman. Le projet
de Sony Labou Tansi est proche du projet biblique, car, et ce sont les mots de Devésa, spécialiste
de l’auteur : « il se devait d’utiliser [les mots] – comme son corps -, pour dire et exprimer l’âme
du monde »
. Le lien n’est pas injustifié, plusieurs arguments prouvent la profonde
connaissance qu’avait l’auteur de la Bible, la religion chrétienne étant majoritaire en RDC.
Nous nous concentrerons ici sur l’aspect corporel du catholicisme, mais bien d’autres éléments
pourraient être analysés sous cet angle, le chronotope par exemple. Il ne faut pas néanmoins
exclure le fait que l’auteur ait été élevé dans l'animisme et "les secrets initiatiques de la mystique
bantoue", ces clés de lecture sont tout aussi importantes que l’aspect chrétien. La présence du
corps est quasi obsédante dans la religion catholique, à la fois lieu de joie et de pêché. Il est très
difficile d’établir ce qu’est le corps de manière générale, et même plus dans la religion. Le corps
chez les chrétiens est créé par Dieu et béni par lui . On peut distinguer deux corps dans le
catholicisme : le corps individué/individuel de Jésus de Nazareth, corps historique et redressé;
et le corps participé/universel du Christ : Eucharistie et Église. Il s’agira d’appliquer ces aspects
à l’œuvre de l’auteur. Sony Labou Tansi a beaucoup subi la censure du fait de la dictature
congolaise. Il est foncièrement militant, avant même d’être écrivain. Ses romans sont le cri d’un
peuple privé d’histoire, fait de la chair de sa communauté. C’est pourquoi son œuvre relève du
combat, de l’opposition, et en ce sens, l’hypothèse que je proposerais serait celle-ci : Sony
Labou Tansi utiliserait (et reprendrait) codes, thèmes, façons de penser le corps selon le
catholicisme pour les subvertir, les creuser, afin de dénoncer les dictatures. Mais plus
universellement pour questionner l’engagement de l’homme, et l’intériorisation de la religion
pour et par le corps. L’autopsie est le moyen privilégié pour Sony Labou Tansi d’étudier les
corps, mais dans quelles mesures fait-il l’autopsie des corps « religieux » ? Il s’agira d’abord
d’étudier comment SLT reprend les grandes concepts chrétiens, en y investissant du malsain et
de l’impur. L’auteur reprend aussi ce concept de corps chemin de Dieu , consacré et sacré.
Enfin, il faudra s’étendre sur les corps grandioses du christianisme : Jésus, Marie, et autres
corps saints.
Devésa, Jean-Michel, Sony Labou Tansi, écrivain de la honte et des rives magiques du Kongo, op.cit., 1996,
p.101