MEP mars 98 15/04/04 11:47 Page 47 Editorial Prévention : il est temps d’établir les hiérarchies et d’être efficace Dr Ph. Giral* *Centre de Détection et de Prévention de l’Athérosclérose, Hôpital Pitié-Salpêtrière, 75013 Paris Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n°3, Mars 1998 Dans un éditorial récent du Lancet (p. 1563, Vol 350, n° 9091), les auteurs s’interrogeaient sur le manque d’objectivité de perception du risque cardiovasculaire des femmes anglo-saxonnes, dont plus de la moitié craignent de mourir d’un cancer du sein et moins de 10 % ont peur de mourir d’une maladie cardiovasculaire. En fait, plusieurs études montrent que moins de 10 % des femmes craignent les maladies cardiovasculaires alors que près d’un tiers d’entre-elles en mourront, dont 10 à 12 % d’un accident vasculaire cérébral et 10 % d’un infarctus du myocarde. Il n’existe pas d’étude récente de ce type chez les hommes, et même si la hiérarchie est différente, ces tendances existent et, surtout, les explications sont similaires. En effet, l’information sanitaire de la population repose avant tout sur les médias, et plus de 80 % de la population tire ses informations sur la santé des médias écrits, parlés et télévisuels. Il existe une relation indiscutable entre la masse d’informations sur un sujet et la perception qu’en a la population. Actuellement, mis à part les vaccinations et la sécurité routière, la meilleure façon de diminuer la morbidité générale de la population est de diminuer la morbidité cardiovasculaire. Toutes les études de prévention permettent d’évaluer le gain en termes de morbimortalité (- 20 à - 30 % d’infarctus en moins en diminuant le taux du cholestérol ; - 20 à - 30 % d’accidents vasculaires cérébraux en abaissant la pression artérielle, - 20 à - 30 % d’événements cardiovasculaires en cessant de fumer). En termes d’efficacité relative, les médias devraient consacrer près de la moitié de leur temps d’information sur la santé à parler de la prévention cardiovasculaire. On est loin du compte ! En fait, les maladies cardiovasculaires, et surtout les possibilités de prévention, n’ont pas la diffusion proportionnelle qu’elles méritent par les médias. Souvent, tout se mélange entre le sensationnel des dernières découvertes de la génétique et le quotidien “besogneux” de la prévention. Que dire de ces patients qui consultent dans le service pour une thérapie génique de leur hypercholestérolémie à 2,5 g/l et qui continuent de fumer, de s’alimenter n’importe comment et dont la pratique sportive se résume à enfiler un survêtement le dimanche pour regarder le match à la télé ? Quel poids (c’est un jeu de mot !) peuvent avoir des conseils pour une diététique quotidienne raisonnable quand certains grands spécialistes, subtilement interrogés par des journalistes avides de sensationnel, se laissent aller à nous faire croire que les artères se débouchent comme par miracle grâce à la technologie moderne ? Mais d’où vient cette disproportionnalité d’investissement entre l’information sur la réalité quotidienne et le rêve de la panacée universelle ? Tout d’abord, il est plus facile de mobiliser les énergies pour lutter contre un agent pathogène extérieur clairement identifié (un virus par exemple) que de lutter contre ses propres habitudes de vie et donc de se remettre en question. D’autre part, il est toujours plus facile d’accuser la fatalité que de se dire que l’on a une part de responsabilité dans sa maladie. Enfin, le discours basé sur l’effort continu personnel de prévention, dont les résultats aléatoires se traduiraient par un nonévénement, n’a plus de prise dans une société presse-bouton où l’instantanéité des résultats devient quasi obligatoire pour toute démarche. D’ailleurs, il n’est que de comparer la fierté de ces patients avec un nouveau cœur greffé avec la culpabilité de ceux, encore bien portant, qui, lors d’un repas, 47 MEP mars 98 15/04/04 11:47 Page 48 Editorial s’excusent de faire attention à ce qu’ils mangent ou boivent sous le fallacieux prétexte d’éviter une crise cardiaque. Dans une société dont les impératifs d’économie de santé deviennent de plus en plus pressants, les messages de prévention cardiovasculaire doivent prendre la place qui leur revient dans les médias. Bien sûr, les études de prévention sont tellement longues et coûteuses ! Il sera toujours plus facile de communiquer sur le nouveau clonage de brebis ou de veau que de répéter les mêmes messages de prévention. Cependant, les résultats des études sont indiscutables et, malgré cela, les mesures diététiques de prévention cardiovasculaire et les traitements médicamenteux ne sont pas poursuivis au-delà de quelques mois. Plus de la moitié des patients consultant dans le service ont déjà eu un traitement de leur dyslipidémie qu’ils n’ont pas poursuivi, et l’abandon du régime est encore plus fréquent. Il n’est que de comparer le matraquage médiatique continu pour le tabac ou pour les hamburgers fromagemayonnaise avec les rares campagnes pour la prévention cardiovasculaire pour se dire que le combat est inégal. Combien de sollicitations pour des abus ou d’incitations à tout laisser tomber entre deux consultations pour chaque patient ? Ceux-ci vont être soumis à une pression continue qui, au fil du temps, va émousser leur bonne volonté et leur désir de prévention. Pour que le combat soit égal, il faut qu’il existe un équilibre entre les promoteurs de bonne santé et les promoteurs de consommation, dont les intérêts sont parfois divergents. L’Etat, plutôt que distiller pour la prévention une infime partie des taxes qu’il perçoit pour son silence, devrait en redistribuer une bonne part afin de mettre en place une politique cohérente et coordonnée de prévention des maladies cardiovasculaires. En fait, tout est une question d’équilibre : dans l’alimentation, dans la publicité, dans la santé, dans la Sécurité sociale ; il n’existe certainement pas dans la prévention cardiovasculaire ! Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n°3, Mars 1998 48