D O S S I E R Peut-on arrêter le traitement antihypertenseur ?* ● M. Salvador** Points forts ■ La progression de la prévalence de l’hypertension arté- rielle (HTA) et de la durée de son traitement, face au volume des dépenses de santé, justifie de nos jours davantage une question posée de longue date et source d’essais aux résultats divergents (1, 2). ■ La valeur prédictive du grade de l’HTA avant traitement semble établie, comme un certain consensus pour limiter la recherche à l’HTA légère, sans retentissement, contrôlée de façon stable par un traitement simple, en principe une monothérapie. ■ À la faveur des résultats, le sujet encore jeune semblait devoir être privilégié (2), mais les essais récents concernent des sujets de plus de 60 ans, âge où se recrute la majorité des hypertendus (3-5). ■ En l’absence de réponse fondée sur un niveau de preuve conforme aux exigences actuelles, on envisagera l’argumentation en faveur de, puis contre la tentative de sevrage, avant de formuler des propositions en l’état de la question. Mots-clés : Hypertension artérielle - Traitement Monothérapie. ARGUMENTATION EN FAVEUR DU SEVRAGE L’incidence économique du médicament antihypertenseur La prévalence de l’HTA, qui se situe à 24 % dans la population adulte, atteint 54 % entre 60 et 69 ans et 64 % entre 70 et 79 ans, ce qui représente pour les États-Unis près de 45 millions d’hypertendus (6). La charge pour la collectivité est considérable, car il s’agit d’un traitement d’autant plus prolongé que l’espérance de vie progresse. * Publié dans Act. Méd. Int. - Hypertension (11), n° 5, mai 1999. ** Service d’hypertension artérielle, hôpital Purpan, Toulouse. Hors du système hospitalier, la dépense pharmaceutique correspondait pour 1995, en France, à plus de 18 % – soit 126 milliards – de la consommation médicale totale. L’HTA légère, définie selon les références médicales opposables (RMO) (PAS < 180 mmHg et PAD < 105 mmHg), motivait 410 000 ordonnances en 1994 pour la seule assurance maladie des salariés (CNAMTS), et l’antihypertenseur plus de 12 % des dépenses pharmaceutiques (7). L’antihypertenseur hypothèque la qualité de vie Le médicament impose certaines contraintes, souvent une surveillance spécifique, et peut générer un ou plusieurs effets adverses. La charge imposée à la collectivité et le désagrément perçu par le patient sont mis en balance avec une finalité longtemps discutée : la prévention d’un facteur de risque intervenant faiblement et à échéance différée, puisque plus de 50 % des HTA sont dites légères. Le fondement du traitement a évolué et progressé On situe aujourd’hui la difficulté de validation d’une HTA légère. Si les différentes recommandations précisent les modalités de mesure et de recul exigibles avant la prescription du médicament, elles ne peuvent écarter dans 20 % des cas une HTA de consultation par effet “blouse blanche”, chez des sujets non ou très peu exposés mais généralement mis sous hypotenseur (8). La décision fait référence, au-delà du grade de l’HTA, au risque absolu de l’individu dont l’approche est devenue accessible. Ce concept dispenserait de traitement médicamenteux – du moins dans un premier temps – une fraction conséquente des HTA légères, notamment chez la femme encore jeune sans risque associé. On peut admettre a posteriori que nombre des HTA légères sont injustement traitées par médicament à la lumière des critères actuels d’intervention et d’aide à l’évaluation autorisée par les mesures au domicile et en ambulatoire, ce qui rend légitime un espoir de sevrage. Le résultat des études semble favorable La correction des erreurs de mode de vie en cas d’HTA légère avec PAD grade 1 (< 100 mmHg) – notamment la réduction de la ration sodée et du surpoids – est à elle seule efficace sur les pressions systolique et diastolique (9). Dans une autre étude contrôlée conduite chez l’adulte jeune avec surpoids et pression artérielle normale-haute, on prévient à six mois l’incidence de l’HTA (10). La diététique seule, ou associée à une monothérapie par thiazidique ou bêtabloquant, permet après 4,5 ans de maintenir dans 50 % des cas la PAD sous 90 mmHg, et, à la faveur d’une amé.../... 24 La Lettre du Cardiologue - n° 321 - novembre 1999 D O S S I E R .../... lioration pondérale de 2 à 3 kg, réduit de 23 % le taux d’échec chez l’adulte avec surpoids et HTA légère de PAD grade 1 (11). En 1991, on recensait déjà dix-neuf études d’observation après sevrage du médicament dont cinq randomisées et contrôlées (2). Dans le MRC – la plus importante – 50 % des 2 765 hypertendus traités pendant six ans conservaient une PAD < 90 mmHg après deux années de sevrage (12). Un régime enrichi en potassium maintient la PA sous 160/95 mmHg dans 38 % des cas versus 9 % sous régime normal, chez l’hypertendu sevré depuis un an (13). L’étude TONE (5) a démontré récemment, avec l’exigence requise, que la réduction de la ration sodée et du surpoids était réalisable et efficace chez l’hypertendu âgé (60 à 80 ans) à forte proportion d’obésité ; avec 29 mois de médiane du sevrage, la monothérapie demeure suspendue dans 34 % des cas sous apport sodé réduit, dans 37 % en cas de perte de poids, et dans 44 % sous l’effet conjugué des deux mesures contre 16 % en leur absence, sans modifier l’incidence des événements cardiovasculaires. Une étude ouverte chez le sujet très âgé (76 ans de moyenne), traité pour HTA < 175/100 mmHg, fait état, après intervention sur le mode de vie, d’une PA 160/90 mmHg dans 25 % des cas après un an de sevrage et dans 20 % après deux ans (4). Ces résultats laissent espérer, avec le contrôle du surpoids et de l’excès de sel, un pourcentage intéressant de sujets même âgés chez qui l’antihypertenseur pourrait être interrompu, ou du moins suspendu un temps sans qu’il y ait d’incidence apparente sur le pronostic. ARGUMENTATION EN DÉFAVEUR DU SEVRAGE Le génie de l’hypertension persiste avec l’âge et le temps On assiste, avec le temps, à l’accentuation et/ou à l’addition des facteurs responsables de l’HTA – d’autant plus que le sujet est âgé (2) – à cause de la conjonction du déficit accru de l’excrétion sodée, de la rigidité et de la perte de compliance des troncs artériels, même si la durée et la qualité du contrôle prolongent le délai de récurrence de l’HTA. Seulement 10 % des patients de plus de 60 ans conservent une PAD < 90 mmHg deux ans après le sevrage en cas d’HTA fondée sur une PAD > 100 mmHg (3). Avec l’âge, la réduction ou la normalisation de la PAD s’opère au détriment d’une majoration de la pression pulsée, facteur de mortalité par cardiopathie ischémique et de décompensation cardiaque. Le risque cardiovasculaire absolu sous-tendu par l’élévation de la PA s’accentue avec l’âge. À l’inverse, après 60 ans, une réduction de la pression systolique de 160 à 130 mmHg aura un impact sur la survie supérieur à celui obtenu entre 30 et 40 ans. Le sevrage n’est pas la mesure efficiente à privilégier Les patients susceptibles de bénéficier du sevrage, avec ou sans correction du mode de vie, se recrutent parmi les hypertendus accessibles à une monothérapie ; or, à posologie standard, il existe d’une monothérapie à l’autre des différences de prix allant de 1 à 21 ! Le JNC-VI privilégie, en l’absence de contexte spécifique, l’indication du diurétique thiazidique, en particulier en cas de forme systolique isolée du sujet âgé (6). La posologie conseillée de 12,5 à 25 mg d’hydrochlorothiazide ou apparenté signifie un coût La Lettre du Cardiologue - n° 321 - novembre 1999 mensuel de 4,15 à 8,30 francs, et annuel de l’ordre de 50 à 100 francs, au prix actuel de la chlortalidone. Le patient ainsi équilibré n’est redevable d’aucune surveillance spécifique à partir de deux consultations annuelles, alors que le sevrage impliquerait un suivi exigeant, d’une durée indéfinie, beaucoup plus onéreux, des contraintes de mode de vie à contrôler et à conforter. Peut-on ajouter que la réduction de la calciurie sous l’effet quotidien du thiazidique assure, après 65 ans, une réduction de 30 % de l’incidence des fractures du col du fémur (14) ? Aussi, si l’efficience est d’une brûlante actualité dans la conduite de la thérapeutique, la recherche du sevrage n’est sans doute pas, dans cette optique, la solution prioritaire et justifiée. La monothérapie ne compromet pas la qualité de vie Dans l’étude TOMHS (15), qui demeure la référence pour l’analyse de la prise en charge de l’HTA légère de 45 à 69 ans, les indicateurs de qualité de vie sont meilleurs après quatre ans sous cinq monothérapies (en particulier avec 400 mg d’acébutolol et 15 mg de chlortalidone) par rapport à l’intervention isolée sur le mode de vie et au groupe placebo. L’amélioration porte sur la santé mentale, la vie sociale et le score global. L’OMS reconnaît pour les six antihypertenseurs majeurs – en intégrant les antagonistes des récepteurs AT1 – une efficacité comparable, mais des différences réelles au niveau de la tolérance et de l’incidence des effets adverses. À la posologie évoquée, on constate sous diurétique un pourcentage de patients avec plainte égal ou inférieur aux 10 % enregistrés sous placebo en études contrôlées. La prise en charge non pharmacologique mérite d’être commentée La méta-analyse de 28 essais chez les hypertendus et de 28 autres chez les normotendus sous restriction sodée objective une réduction de la PAS respectivement de 3,7 et 1 mmHg, plus nette chez le sujet âgé, sans baisse significative de la PAD (16). On enregistre chez le sujet de plus de 65 ans, six mois après l’abandon du diurétique, une élévation de 14 mmHg de la PAS, avec, dans 50 % des cas, nécessité de reprendre le traitement (17). Il s’agit donc d’une efficacité controversée pour une mesure difficilement soutenue hors des conditions d’un protocole. L’efficacité de la réduction du surpoids ou de l’obésité n’est pas contestable, mais il s’agit d’un préalable à la prescription médicamenteuse en cas d’HTA légère, à la rigueur d’une stratégie parallèle, certes pas d’une solution à envisager une fois enregistré le succès de l’antihypertenseur. La supériorité de cinq monothérapies sur les conseils de mode de vie est clairement établie dans l’étude TOMHS (9) : le risque d’un premier événement mortel ou non a été réduit de 34 % (p = 0,03) ; l’option du médicament a amélioré plus nettement la pression systolique, la pression diastolique, le pronostic et la qualité de vie. Aucun essai n’a démontré, à ce jour, un bénéfice comparable des recommandations non pharmacologiques et du traitement antihypertenseur. La conduite des essais de sevrage soulève bien des réserves La divergence des résultats – de 3 à 74 % de succès ! (2) – reflète l’hétérogénéité des protocoles en ce qui concerne la date de réa27 D O S S I E R lisation, la validation et les chiffres de la PA avant traitement et à l’inclusion, la durée d’observation, le critère de réintroduction du médicament. L’HTA est généralement fondée sur la seule pression diastolique, sans inclusion des formes systoliques pures, sans prise en compte de l’évolution de la pression différentielle. La transposition des résultats obtenus avant 1990 serait notamment aléatoire. Même si une majoration des événements cardiovasculaires n’a pas été observée à deux ou trois ans (4, 5), on ignore – au-delà du seul devenir des chiffres de PA – l’incidence sur le pronostic, surtout à un âge où le risque absolu est élevé. Les faits plaident pour une exigence accrue du contrôle Selon la perspective du raisonnement, on peut avancer le taux de succès du sevrage ou celui de la récurrence de l’HTA, selon le principe de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine ! Au sein de la population hypertendue, le contrôle sous 140/90 mmHg n’est obtenu que dans 27 % des cas (6), ce résultat décevant étant accepté par laxisme. Un tel défaut d’exigence entre en contradiction avec le bénéfice optimum observé au terme de l’étude HOT (18) pour une PA de 139/83 mmHg, avec une mortalité réduite de 30 % par rapport à celle observée à l’issue des autres études. Ce résultat cadre avec la survenue de plus de la moitié des événements attribuables à l’HTA pour une PAD 95 mmHg. La notion d’une PA normale-haute – de 130 à 139 et de 85 à 89 mmHg – a été introduite dans la décision d’intervention (6, 19), et l’OMS considère désormais souhaitable de stabiliser la PA sous 135/85 mmHg chez le sujet jeune (19). C’est chez le patient âgé – et peut-être au-delà de 80 ans –, notamment au niveau de la PAS et en cas de forme systolique isolée, que se situe surtout le bénéfice à attendre de l’exigence d’une PA < 140/90 mmHg (20). COMMENTAIRES ET PROPOSITIONS Il existe un faisceau d’arguments avec un haut niveau de preuve en faveur d’une exigence accrue sur la qualité du contrôle de l’HTA. Le résultat du sevrage du médicament nécessite d’être évalué avec recul selon les modalités imposées par l’“evidencebased medicine”. Il semble prématuré et hasardeux, vis-à-vis du praticien comme du patient, d’avancer l’hypothèse de l’arrêt de l’antihypertenseur comme une éventualité à rechercher et à espérer, notamment du fait de l’âge, une fois l’objectif atteint en matière de chiffres de pression artérielle. Le résultat enregistré après sevrage en cas d’HTA légère généralement fondée sur la seule PAD demeure imprécis, comme celui à espérer des mesures non pharmacologiques dans l’exercice quotidien. Le bien-fondé du sevrage sera soumis notamment aux résultats de l’essai (HYVET) en cours sur la prise en charge de l’hypertendu d’âge très avancé. Les propositions basées sur les connaissances acquises sont donc susceptibles d’évoluer à court terme. Dans le contexte d’une HTA légère selon le critère de la référence médicale opposable (PAS < 180 et PAD < 105 mmHg), la prescription d’un antihypertenseur doit se conformer strictement aux recommandations relatives aux critères de validation (conditions, nombre et recul des contrôles), à la détection par mesure au domi28 cile des HTA de consultation, à la correction préalable des erreurs de mode de vie, à la prise en compte du niveau du risque absolu. Il s’agit de réduire le nombre d’ordonnances injustifiées au départ de la prise en charge. Si chaque cas mérite attention, certaines circonstances plaident pour la tentative de sevrage, comme la notion a posteriori d’une HTA de consultation, la correction intervenue sous antihypertenseur d’une ou plusieurs erreur(s) évidente(s) de mode de vie, l’âge très avancé, l’espérance de vie réduite, l’émergence de thérapeutiques prioritaires... Pour une fraction encore indéterminée de patients souffrant d’HTA légère, l’opportunité d’interrompre le médicament peut être discutée sous certaines conditions : – traitement par monothérapie d’efficacité validée, stable et avec recul ; – situation de prévention primaire ; – absence de retentissement sur les organes cibles ; – risque global faible, ou limité en dépit de l’âge ; – avantage dans ce sens à la femme encore jeune ; – garantie sur la qualité du suivi et de la surveillance ; – au plan structural, l’absence d’HVG et surtout de majoration de l’épaisseur intima-média (IMT) – si ces résultats sont disponibles – éclaire le niveau faible du risque et la décision. Il convient alors de préférer à l’abandon brutal de l’antihypertenseur une stratégie séquentielle (19), conduite sous surveillance et poursuivie à la faveur du résultat : réduction de la posologie, parfois par paliers ; séquences d’interruption de durée progressive ; tentative de sevrage. Finnerty (1) évoque l’interruption sous surveillance et non le sevrage, démarche à présenter comme un essai et non comme la sanction d’une guérison. CONCLUSION Dans le cas, aujourd’hui peu fréquent, où l’arrêt de l’antihypertenseur peut être discuté, la démarche ne semble relever ni de la réduction des dépenses de santé, ni de l’amélioration de la qualité de vie. Sa place mérite d’être étudiée, si elle s’intègre dans la recherche d’une conduite générale optimisée de la prise en charge. Il n’existe pas de résultats validés sur l’évolution de la PA et sur l’incidence pronostique. Le doute est encore accentué par celui qui touche à la pertinence de l’antihypertenseur chez le patient d’âge très avancé. Il existe par contre une prise de position très récente des experts de l’OMS et de la Société internationale d’hypertension (19) : le traitement de l’HTA est en général à vie, l’arrêt de la thérapie, si le diagnostic a été convenablement posé (avec prise en compte de la pression systolique), étant suivi tôt ou tard du retour de la pression artérielle au niveau préthérapeutique. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Finnerty F.A. Stepped-down therapy versus intermittent therapy in systemic hypertension. Am J Cardiol 1990 ; 66 : 1373-4. 2. Schmieder R.E., Rockstroh J.K., Messerli F.H. Antihypertensive therapy. To stop or not to stop ? JAMA 1991 ; 265 : 1566-71. La Lettre du Cardiologue - n° 321 - novembre 1999 D O S S I E R 3. Morgan T., Hopper J., Anderson A., Carricks I. et coll. Can drug therapy be stopped in elderly hypertensive patients ? Cardiology in the elderly 1994 ; 2 : 119-25. 12. Medical research council working party on mild hypertension. 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Parmi les propositions suivantes, lesquelles sont exactes ? a. 3% a. la réduction de la ration sodée et du surpoids réduit les pressions systolique et diastolique, notamment chez le sujet obèse b. l’effet du sevrage du traitement antihypertenseur sur les chiffres de pression artérielle s’accentue avec l’âge c. le sevrage du traitement antihypertenseur oblige à une surveillance renforcée d. la monothérapie antihypertensive est associée à un meilleur confort de vie que les conseils de mode de vie b. 7% c. 15% d. 24% e. 38% Réponses : 1. d ; 2. a, c, d. La Lettre du Cardiologue - n° 321 - novembre 1999 29