REVUE DE PRESSE R E V U E Posologies de méthadone made in USA Les traitements de substitution par la méthadone ont prouvé leur efficacité dans les dépendances à l’héroïne depuis les premières études cliniques de Dole et Nyswander de 1965. Mais aux États-Unis, des points de discussion persistent sur les modalités de prise en charge, les posologies optimales, les détournements de doses ou les abus de cocaïne ou d’alcool en cours de traitement. Les évaluations américaines privilégient depuis une dizaine d’années les différences de politique des programmes en termes d’efficacité et surtout de compliance aux soins et de rétention. Toutefois, les études récentes de comparaison de posologies restent rares. • Strain et Bigelow ont ainsi réalisé une étude randomisée comparant l’efficacité respective de posologies de 40 à 50 mg versus 80 à 100 mg de méthadone au cours d’un essai de 40 semaines en double aveugle parmi 192 patients dépendants de l’héroïne dans un centre de Baltimore et sur une période d’inclusion de trois ans et demi. Les augmentations étaient limitées dans les deux groupes par paliers de 2 mg ou de 10 mg respectivement, après une dose d’induction de 30 mg, et la stabilisation a été obtenue en quatre semaines. Les consommations avouées d’opiacés ont diminué dans les deux groupes (jusqu’à 90 %), en référence aux consommations précédant l’essai clinique. Au cours de cet essai, le groupe des fortes doses rapportait une consommation en moyenne d’une fois par semaine, alors que dans le groupe plus faiblement dosé, la consommation moyenne rapportée était de deux à trois fois par semaine. Les analyses d’urine retrouvaient le même type de résultat avec des différences significatives au cours du temps dans les deux groupes, les patients les plus dosés ayant moins de résultats positifs (53 % versus 62 %). Les auteurs s’appuient sur une méthodologie puissante (essai randomisé en double aveugle) et soulignent la supériorité des fortes posologies tout en Le Courrier des addictions (2), n° 1, mars 2000 D E notant déjà des résultats cliniques avec des doses réduites. La situation clinique qui conduit au cours du programme méthadone à reconsidérer la posologie, après la phase d’induction et après stabilisation clinique en face d’une consommation persistante d’opiacés, n’est pas rare. Trois stratégies sont employées aux États-Unis. Certaines équipes remettent en question la continuité des soins et préconisent de diminuer les posologies. D’autres équipes favorisent dans ces phases une prise en charge psychologique et sociale accrue. Enfin, d’autres cliniciens, qui continuent à voir la méthadone comme un traitement médical de la toxicomanie, défendent l’idée d’une augmentation des posologies jusqu’à réduction du “craving”. Des arguments pharmacologiques sont venus pourtant réorienter ces adaptations cliniques. L’étude des méthadonémies résiduelles montrait à la fin des années 80, que des taux de 100 ng/ml permettaient d’espérer une réduction des signes objectifs du manque et des concentrations de 200 à 400 ng/ml et d’obtenir la disparition du “craving”. Ces examens sanguins sont devenus de pratique courante dans le suivi des patients qui présentent des signes subjectifs de manque ou dont les consommations persistent après la phase de stabilisation. • Shinderman, à Chicago, défend depuis longtemps l’idée de posologies élevées jusqu’à saturation des récepteurs, et bien au-delà des recommandations admises. Il a comparé un groupe de 164 patients recevant en moyenne 211 mg/j (étendue de 110 à 780 mg/j) à 101 sujets témoins recevant en moyenne 65 mg/j. Le taux d’examens d’urines positives diminue de 87 % avant l’augmentation à plus de 100 mg/j, à 3 % avec les posologies plus élevées et stabilisées, alors que l’on retrouve dans la population contrôle une diminution de 54 à 37 % avant traitement et après stabilisation. Les patients étudiés ont bien supporté sur le plan clinique les très fortes posologies de méthadone. Ils se distinguaient des sujets témoins par une plus forte comorbidité psychiatrique (63 % contre 32 % des témoins) par 8 P R E S S E des consommations initiales d’héroïne plus élevées et des abus d’alcool et de benzodiazépines en cours de traitement. Ces données essentiellement cliniques suggèrent que de très fortes posologies permettent de réduire des conduites addictives persistantes (héroïne mais aussi alcool et benzodiazépines) et de stabiliser des troubles psychiatriques. • La méthadone représente un mélange racémique de deux formes d’énantiomères : la forme R et S. Et on doit à des équipes européennes le développement de nouveaux aspects pharmacologiques sur leur métabolisme (Eap, Deglon). Les dosages standards de méthadonémies mesurent la somme des deux énantiomères, alors que la forme R semble cinquante fois plus active. Il semble exister une grande variabilité interindividuelle pour des posologies équivalentes entre les rapports des deux énantiomères. Ces variations pourraient être attribuées au métabolisme de la méthadone par les systèmes du cytochrome P450. • Pourtant Blaney et Craig, en suivant 265 patients sous traitement de méthadone, n’ont pas trouvé de différence significative en termes d’usage de produit, de compliance aux soins en comparant les posologies délivrées (40 mg versus 90 mg). Mais ils mettent l’accent sur des particularités liées aux thérapeutes eux-mêmes, avec des différences de résultats cliniques en relation avec la qualité de la relation thérapeutique. Cette étude souligne que, pour évaluer une dimension clinique particulière d’une prise en charge globale, encore faut-il que l’ensemble des acteurs partagent une vision commune et soient d’une grande cohérence dans les modalités thérapeutiques. – Strain E., Bigelow G., Lebson I., Stitzer M. Moderate versus high dose methadone in the treatment of opioid dependence. JAMA 1999 ; 281, 11 : 1000-5. – Maxwell S., Shinderman M. Optimising response to methadone maintenance treatment : use of higher-dose methadone. J. Psychoactive Drugs 1999 ; 31, 2 : 95-104. – Blaney T., Craig R. Methadone maintenance : does dose determine differences in outcome ? J. Substance Abuse Treatment 1999 ; 16, 3 : 221-8. Limites des critères de la personnalité antisociale À l’heure actuelle, aucun syndrome de manque n’est défini pour le cannabis, dans les classifications internationales. Pourtant, on dispose d’expériences et de descriptions cliniques allant dans le sens d’un authentique phénomène de tolérance avec réaction de sevrage. Les critères de dépendance au cannabis sont de même souvent discutés et sans doute assez lointains des modes d’utilisation des plus jeunes. Une équipe du Vermont a réalisé une analyse exhaustive de la littérature pour repérer et préciser l’incidence de ce syndrome. Vingt-cinq à 85 % des patients dépendants décrivent des symptômes de manque. Les auteurs ont évalué, à partir d’une liste de signes cliniques de vingt-deux items, l’intensité des troubles parmi 44 adultes consultants pour leur dépendance. Cette liste tenait compte de l’intensité des signes, et 57 % des sujets présentaient au moins six symptômes d’intensité modérée, 47 % plus de quatre signes d’intensité sévère. Il existait une corrélation entre l’intensité des signes de manque et l’existence de signes psychiatriques, mais aussi des paramètres de consommation. Le cannabis garde encore une image d’une substance assez peu responsable de dépendance. Ce type de liste peut permettre de développer des évaluations plus fines pour les usages multiples du cannabis en précisant les incidences d’authentiques syndromes de dépendance. Les premières descriptions de la psychopathie mettaient l’accent sur des traits de personnalité pathologiques, notamment le manque de culpabilité, d’anxiété ou de respect des normes. Elle se caractérisait par des passages à l’acte, des crises violentes déclenchées par la moindre frustration, des phases dépressives et souvent associées à des conduites toxicophiles. Les critères de la dernière classification du DSM mettent davantage l’accent sur des conduites déviantes, des comportements antisociaux. Les premiers travaux réalisés parmi des sujets masculins permettaient de retrouver une grande constance entre les conduites de l’enfance et celles de l’adulte, amenant à considérer la personnalité antisociale comme un syndrome qui débute dans l’enfance et continue à évoluer chez l’adulte. Si l’on compare les différents systèmes diagnostiques de cette personnalité, on s’aperçoit que les classifications DSM (III, III-R, ou IV), ou RDC (“Research Diagnosis Criteria”) nécessitent trois conduites antisociales avant l’âge de 15 ans. Le DSM IV inclut des critères de comportement plus violent. Des arrestations ou des contacts avec les – Budney A., Novy P., Hughes J. Marijuna withdrawal among adults seeking treatment for marijuna dependence. Addiction 1999 ; 94, 3 : 1311-21. Humeur : Irritabilité, nervosité, dépression, colère. Comportement : Appétence pour le produit, instabilité motrice, trouble du sommeil, diminution d’appétit, rêves étranges, augmentation de l’appétit, accès de violence. Physique : Céphalées, tremblements, rhinorrhée, sueurs, bouffées de chaleur, fièvre, diarrhée, nausées, spasmes musculaires, frissons, hoquet. REVUE DE PRESSE Un syndrome de manque pour le cannabis systèmes juridiques pour enfant et adolescent ne sont mentionnés que dans la classification de Feighner. Rutherford s’est intéressé à la concordance des différents systèmes diagnostiques de la personnalité antisociale dans une population de 137 femmes dépendantes de la cocaïne. Trente-huit pour cent répondaient aux critères de Feighner, 11 % à ceux du RDC, 61 % à ceux du DSM III, 31 % à ceux du DSM III-R, et on comptait seulement 25 % pour le DSM IV. Les critères nécessaires au diagnostic mais débutant dans l’enfance influencent cette distribution. Ils contribuent probablement à sous-estimer ce trouble de la personnalité chez les femmes qui ne débutent pas, comme chez les garçons, par des conduites délictueuses dès l’enfance. Mais ce type d’approche souligne surtout l’hétérogénéité de la personnalité antisociale qui reste trop souvent amalgamée à la psychopathie. Enfin, il faut noter que l’évolution de la classification américaine amène avec ces différents remaniements à sous-estimer la fréquence de ce trouble de la personnalité chez les femmes. – Rutherford M., Cacciola J., Alterman A. Antisocial personnality disorder and psychopathy in cocaïne-dependent women. Am. J. Psychiatry 1999 ; 156, 6 : 84955. Personnalité antisociale DSM IV A. Mode général de mépris et de transgression des droits d’autrui qui survient depuis l’âge de 15 ans, comme en témoignent au moins trois des manifestations suivantes : ◗ incapacité de se conformer aux normes sociales qui déterminent les comportements légaux, comme l’indique la répétition de comportements passibles d’arrestation ; ◗ tendance à tromper par profit ou par plaisir, indiquée par des mensonges répétés, l’utilisation de pseudonyme ou des escroqueries ; ◗ impulsivité ou incapacité à planifier à l’avance ; ◗ irritabilité ou agressivité, indiquée par la répétition de bagarres ou d’agressions ; ◗ mépris inconsidéré pour sa sécurité ou celle d’autrui ; ◗ irresponsabilité persistante, indiquée par l’incapacité répétée d’assumer un emploi stable ou d’honorer des obligations financières ; ◗ absence de remords, indiquée par le fait d’être indifférent ou de se justifier après avoir blessé, maltraité ou volé autrui ; B. Âge au moins égal à 18 ans ; C. Manifestation d’un trouble des conduites débutant avant l’âge de 15 ans ; D. Comportements antisociaux ne survenant pas pendant l’évolution d’une schizophrénie ou d’un épisode maniaque. (DSM IV, Paris, Masson 1996 : 283, traduction J.D. Guelfi et coll.) 9 REVUE DE PRESSE R E V U E Et si la cigarette rendait psychopathe ? Deux études importantes recourant à des méthodologies rigoureuses présentent en même temps des résultats concordants qui vont certainement intriguer la plupart des lecteurs des respectables journaux qui en publient les résultats. • Brennan a suivi une cohorte de 4 169 garçons, nés entre 1959 et 1961 à Copenhague, en évaluant les consommations de cigarettes pendant leurs grossesses. En recherchant les arrestations sur les registres de la criminalité danoise lorsque ces garçons avaient atteint l’âge de 34 ans, les auteurs ont pu comparer le nombre des délits en fonction des consommations de leurs mères, des conditions sociales, des suivis de grossesse, des antécédents psychiatriques ou criminels des parents et des conditions de rejets familiaux. Une analyse par régression logistique amène à reconnaître un facteur dose-dépendant de l’utilisation de tabac en cours de grossesse comme déterminant l’apparition de conduites délictueuses à l’âge adulte, indépendant des autres variables. • Rasanen a suivi pour sa part une cohorte de 5 636 garçons jusqu’à 28 ans, en Finlande, avec une méthodologie assez comparable. Les fils de mères qui ont fumé pendant leur grossesse ont un risque de commettre des délits à l’âge adulte multiplié par deux. Le fait de fumer pendant la grossesse intervient à lui seul dans 4 % de la variance associée aux conduites délictueuses, mais lorsqu’il est associé à une grossesse précoce (âge de la mère de moins de 20 ans), une famille monoparentale, une grossesse non désirée, le risque est alors multiplié par 9 pour des délits avec violence et par 14 pour des délits répétés. Les auteurs s’avancent assez peu sur le terrain des hypothèses qui permettraient de comprendre ce phénomène. Encore faut-il se souvenir que d’autres auteurs avaient pu montrer auparavant une influence de la consommation de cigarettes pendant la grossesse sur le développement d’un syndrome d’hyperactivité avec déficit de l’attention chez l’enfant et que celui-ci peut souvent s’accompagner de troubles des conduites qui, à l’âge adulte, évoluent en partie vers d’authentiques troubles de la personnalité antisociale avec des conduites de délinquance. Le Courrier des addictions (2), n° 1, mars 2000 D E – Rasanen P., Hakko H., Isohanni M., Hodgins S., Tiihonen J. Maternal smoking during pregnancy and risk of criminal behavior among adult male offspring in the northern Finland 1996 birth cohort. Amer. J. Psychiatry 1999 ; 156, 6 : 857-62. – Brennan P., Grekin E., Mednick S. Maternal smoking during pregnancy and adult male criminal outcomes. Arch. Gen. Psychiatry 1999 ; 56 : 215-22. Dépendance à la cocaïne et traitements L’usage de cocaïne s’est développé aux États-Unis dans les années 80, en devenant en dix ans un problème de santé publique majeur. Cette vague de consommation et d’abus est apparue à une époque où on ne disposait que de peu d’éléments pour comprendre son potentiel de dépendance et où il n’existait pas de traitements spécifiques efficaces. On doit finalement à cette évolution des consommations, des travaux plus fondamentaux sur la dépendance. Pour simplifier, on est passé d’un modèle de la dépendance comme un trouble des récepteurs (par exemple dans l’héroïnomanie) à des phénomènes plus complexes d’appétence irrépressible pour un produit. On traite un manque, puis on finit par essayer de traiter des envies ou leur réalisation. Des interventions psychothérapeutiques, pharmacologiques et psychosociales ont été préconisées mais les résultats de ces prises en charge restent souvent discutés. Des études nationales récentes et soutenues par le NIDA relancent le débat. • Crits-Cristoph propose une étude multicentrique d’efficacité de quatre formes d’interventions psychosociales, dans une population de 487 patients dépendants de la cocaïne. Par tirage au sort, les patients ont été soumis à l’une de ces modalités et suivis sur un an : un counselling individuel (IDC) et de groupe sur la cocaïne (GDC), une thérapie cognitive associée au GDC, une psychothérapie dynamique de soutien et d’expression associée au GDC et au counselling de groupe (GDC). Le suivi est essentiellement évalué à partir des scores de l’ASI (“Addiction severity index”) et cette étude ne dispose pas d’examens d’urines. Les résultats de cette évaluation sont très fortement en faveur de la supériorité des techniques de counselling sur les psychothérapies en termes de consommations mais aussi de réten- 10 P R E S S E tion. Les études précédentes sur l’efficacité des psychothérapies étaient réalisées en majorité sur des patients recevant de la méthadone ou sur des sous-groupes présentant des troubles psychiatriques plus importants, par exemple des personnalités antisociales. Elles reconnaissaient une plus grande efficacité des thérapies cognitives aux thérapies dynamiques mais sans réelle différence d’efficacité avec le counselling. Mais il est vrai que pour juger de l’efficacité de psychothérapies sur des populations randomisées, on peut sousestimer des effets dans des populations plus ciblées. Il reste évident, à travers ces données, que pour soigner des dépendances à la cocaïne, il faut pouvoir très simplement aborder avec les patients leur mode de consommations. • Simpson a évalué, là encore dans une étude multicentrique, le devenir à un an de 1 605 patients initialement dépendants de cocaïne et sortant des programmes communautaires. Cinq cent quarantedeux d’entre eux avaient suivi des traitements résidentiels en communauté thérapeutique pour des durées de quatre à six mois. Quatre cent quatre-vingt-cinq patients étaient admis dans des programmes ambulatoires, en moyenne de six mois. Six cent cinq patients avaient été hospitalisés pour des durées en moyenne de 25 jours. Vingt-trois pour cent de l’ensemble des patients utilisaient à nouveau de la cocaïne après un an. Dixhuit pour cent étaient revenus à un programme de traitement. Les taux de rechutes les plus élevés étaient corrélés avec la sévérité des consommations initiales et avec des durées de traitement inférieures à 90 jours. On est donc tenté de proposer, dans les cas de dépendance à la cocaïne, une évaluation fine des besoins des patients et, pour les cas les plus sévères, d’orienter les propositions de soins sur des durées longues et dépassant de toute façon notre classique sevrage hospitalier d’une semaine. Cette étude suggère en tout cas que l’influence de prises en charge des dépendances à la cocaïne ne peut se décliner en semaines de traitement. – Crits-Christoph P., Siqueland L., Blaine J. Psychosocial treatments for cocaine dependence. Arch. Gen. Psychiatry 1999 ; 56 : 493-501. – Simpson D., Joe G., Fletcher B., Anglin D. A national evaluation of treatment outcomes for cocaine dependence. Arch. Gen. Psychiatry 1999 ; 56 : 507-12. J.B.