Les cancers digestifs à prédisposition familiale Pr Thierry CONROY Centre Alexis Vautrin et CHU de Nancy Formes familiales de cancer colorectal (CCR) Polypose adénomateuse familiale CCR à un âge médian de 39 ans Risque de CCR avant 50 ans : > 99% Le syndrome de Lynch ou HNPCC CCR à un âge médian de 61 ans Risque de CCR avant 75 ans : environ 80% La polypose adénomateuse familiale 1 % des cancers colorectaux Caractérisée par le développement de centaines ou de milliers de polypes adénomateux La polypose adénomateuse familiale Cancer côlon, 34 ans Cancer du côlon sur polypose, 25 ans Cancer du côlon sur polypose, 33 ans 13 ans Polypose, 15 ans La polypose adénomateuse familiale 2 formes Une forme classique = plus de 100 adénomes sur le cadre colique Une forme atténuée = moins de 100 adénomes avec: - polypose glandulo-kystique du fundus - âge plus tardif du début de la maladie Diagnostic moléculaire possible dans ces deux formes: recherche de mutations fap La polypose adénomateuse familiale • Maladie le plus souvent à transmission autosomique dominante liée dans 90% des cas à une mutation du gène APC, un gène suppresseur de tumeur situé sur le bras long du chromosome 5 (5q21) • Association à des adénomes du duodénum, pouvant dégénérer en adénocarcinome; sévérité de la polypose duodénale évaluée par la classification de Spigelman: http://www.oncolor.org/referentiels/digestif/colon_paf.htm • Tumeurs desmoïdes associées dans 10-15% des cas La polypose adénomateuse familiale Variante : rare forme récessive liée à MYH Liée à une mutation biallélique germinale (transversion G Æ C) d’un gène de réparation de l’ADN par excision de bases, MUTYH Quand cette double mutation cause la perte ou la dégradation d’APC, le phénotype ressemble à une polypose adénomateuse familiale de phénotype atténuée Risque de 100 % de cancer colorectal à 60 ans La polypose adénomateuse familiale : Prise en charge Consultation d’oncogénétique : recherche de mutation Surveillance coloscopique annuelle à partir de l’âge de 12 ans et colectomie totale si dysplasie sévère Colectomie totale ou coloproctectomie totale prophylactique au plus tard vers 20 ans Surveillance endoscopique de l’anastomose iléo-anale ou du rectum, + du duodénum et du jéjunum proximal Le syndrome de Lynch ou HNPCC* * Hereditary non polyposis colorectal cancer: mais polypes quand même… Prédisposition par transmission autosomique dominante. mutation germinale (constitutionnelle) d’un allèle d’un des gènes du système de réparation des mésappariements de l’ADN (mismatch repair, MMR) : hMSH2, hMLH1, hMSH6, hPMS1, hPMS2. risque cumulé de cancer colorectal < 70 ans: 70% Cancers du spectre HNPCC Exemple d’arbre généalogique Anticipation génétique: enfants touchés 5 à 10 ans plus tôt Caractérisques cliniques d’un cancer colorectal type Lynch Jeune âge Côlon droit surtout (70 %) Meilleur pronostic HISTOLOGIE “MSI-high” • Présence de lymphocytes infiltrants la tumeur. • Réaction lymphocytique type Crohn. • Adénocarcinome mucineux, en bague à chaton ou indifférencié. Risques de cancers dans un Lynch 100 % avec 80 cancer 60 colorectal endomètre 40 estomac voies biliaires 20 ovaires 0 0 20 40 60 80 Age (années) Aarnio M et al. Int J Cancer 64:430, 1995 Cancers du spectre HNPCC ou Lynch http://www.oncolor.org/referentiels/digestif/colon_hnpcc.htm Risques de cancers extracoliques Risques de cancers extracoliques Surtout si mutation de MLH2 (ou MSH6 pour le cancer de l’endomètre) Le syndrome de Lynch: définition Critères d’Amsterdam Æ Trois sujets atteints par un cancer colorectal ou par un cancer de l’endomètre, des voies urinaires excrétrices, ou de l’intestin grêle dont un est parent au premier degré des deux autres Æ Un cas avant 50 ans Æ Deux générations successives atteintes L’absence de ces critères n’exclut pas un HNPCC car critères pris en défaut au moins une fois/4 Diagnostic de présomption possible par une recherche d’instabilité des microsatellites sur la tumeur Défaillance du système de réparation des erreurs de réplication de l’ADN Dans les cancers avec mutation de MMR, les séquences répétées (fréquentes dans les microsatellites) sont particulièrement instables du fait de l’accumulation d’erreurs non réparées et conduisant à la survenue d’insertions/délétions Détectable car clonal = changements de longueur détectables dans les microsatellites Stabilité des microsatellites (MSS): diagnostic par biologie moléculaire: amplification des loci microsatellitaires par PCR à partir de l’ADN tumoral, puis comparer le produit d’amplification à celui obtenu à partir de l’ADN non tumoral du patient (tissu colique non tumoral ou sang) révélation sur électrophorèse en capillaire 1 microsatellite donné, Même individu ADN ADN tumoral normal MSS MSS = Microsatellites stables Pas de différence entre tissu normal et tissu tumoral: 2 allèles distincts Instabilité des microsatellites (MSI) : diagnostic par biologie moléculaire (PCR) MSI =MicroSatellite Instability = Microsatellites instables Le tissu tumoral présente plusieurs séquences, correspondant à de nouveaux allèles plus longs ou plus courts issus de diverses cellules tumorales ADN ADN tumoral normal MSI fiable, peu coûteux, mais ne précise pas le gène responsable Gène muté = perte d’expression le plus souvent : diagnostic possible par immunohistochimie faisable pour hMLH1, hMSH2, hMSH6 et PMS2 Expression normale de hMLH1 Perte d’expression de hMLH1 Que faire en pratique devant une suspicion d’histoire familiale ? : 2 situations Accès direct à une consultation d’oncogénétique: 1. Critères d’Amsterdam modifiés : 2 sujets atteints (au lieu de 3) 2. Malade de moins de 40 ans atteint par un cancer colorectal ou de l’endomètre 3. Malade ayant un antécédent personnel de cancer du spectre étroit (côlon, grêle, endomètre, voies urinaires) Indication d’une recherche de mutation MMR • Malades entre 40 et 60 ans atteints par un cancer colorectal • Malades ayant un antécédent familial au 1er degré de cancer du spectre large (étroit + ovaire, estomac, voies biliaires) Si MSI, indication d’une recherche génétique approfondie Séquençage possible, mais très long et coûteux Syndrome HNPCC : Intérêt de la surveillance endoscopique Essai randomisé: coloscopie tous les 3 ans versus pas de surveillance Æ Réduction du risque de cancer colorectal de 60-70% Æ Réduction similaire de la mortalité par cancer colorectal Syndrome HNPCC : Intérêt de la surveillance endoscopique Coloscopie tous les 1-2 ans dès l’âge de 20-25 ans, de préférence avec chromoendoscopie : plus grand nombre de « polypes » décelés Chromoendoscopie : adénome plan Adénome plan: défini par son épaisseur < moitié du plus grand diamètre Syndrome de Lynch : prise en charge après identification de la mutation Discuter avec le patient une colectomie totale, sinon surveillance endoscopique du côlon ou du rectum restant Examen gynécologique, biopsie d’endomètre et échographie pelvienne annuels à partir de 30 ans Discuter avec la patiente une hystérectomie et salpingoovariectomie bilatérale, surtout après la ménopause Bandelette urinaire à la recherche d’hématurie à partir de 45-50 ans Koornstra JJ et al. Lancet Oncology 2009;10:400-8 Cancers pancréatiques familiaux 7-10% des cancers du pancréas RR 3,2 si parent au 1er degré atteint Risque aggravé par le tabagisme Mutations germinales des gènes : – BRCA 2 (sein/ovaire) – hMSH2, hMLH1 (HNPCC) – BRCA 1 (sein/ovaire) – p16/CDKN2A (mélanome familial) – PRSS1 ou SPINK1 (pancréatites héréditaires) – STK11 (syndrome de Peutz-Jeghers) Risque calculable avec logiciel PancPRO: http://astor.som.jhmi.edu/BayesMendel/pancpro.html Néoplasie Endocrinienne Multiple de type 1 = syndrome de Wermer Hyperparathyroïdie Tumeurs duodénopancréatiques : gastrinomes et insulinome. Adénomes hypophysaires Carcinoïdes localisés au niveau de l’estomac, des bronches ou du thymus Cancers gastriques familiaux 10-15% des cas Dont 25-50% de cancers gastriques héréditaires de type diffus, liés à une mutation délétère de la cadhérine E (mutation germinale du gène CDH1 ) Autosomique dominant la « pénétrance » du gène à 60 ans est d’environ 70 %. Age moyen de survenue du cancer : 38 ans Linite plastique souvent Gastrectomie prophylactique dès 18 ans Si refus, 2 chromo-endoscopies de surveillance/an avec biopsies, à débuter au plus tard 10 ans avant l’âge du cas de cancer le plus jeune + Mammographie annuelle Cancers gastriques familiaux consultation d’oncogénétique si : Présence d’au moins deux cas documentés de cancers gastriques diffus dont un cas avant 50 ans Présence d’au moins trois cancers gastriques diffus avérés chez des parents de premier ou second degré un cas de cancer gastrique diffus avant 45 ans un cas de cancer gastrique diffus et un cas de cancer mammaire lobulaire un cas de cancer gastriques diffus et un cas de cancer du côlon en bague à chaton Critères de Brooks-Wilson 2004 Cancers gastriques familiaux Type histologique Syndrome Cancers gastriques héréditaires de type diffus (HDGC) Syndrome HNPCC Gène(s) diffus intestinal CDH1 +++ - hMSH2 hMLH1 + +++ Syndrome de Li-Fraumeni p53 Polypose adénomateuse familiale APC Syndrome de Peutz-Jeghers STK11 Maladie de Cowden PTEN Conclusions Consultation d’oncogénétique si : cancer gastrique, pancréatique ou colorectal à un âge jeune cancers épidémiologiquement liés cancers successifs chez le même individu Recherche de MSI pour tout cancer colorectal < 60 ans Diagnostic moléculaire possible pour les cancers colorectaux familiaux Disparition possible de la mortalité par cancer colorectal dans ces familles Î Diminution possible de la mortalité par cancer colorectal en France de 1 à 3 %