NOUVEAUX CONCEPTS KINÉSITHÉRAPIQUES Épaule douloureuse de la personne âgée Shoulder pain in the elderly ● J.S. Giraudet*, **, J.L. Drapé***, H. Guérini ***, P. Sauzières****, A. Vidil**, J.P. Courpied**, A. Kahan* P o i n t s f o r t s ■ Ne pas succomber au diagnostic de tendinite sans une démarche rigoureuse et codifiée. ■ Chez la personne âgée, deux cas peuvent schématique- ment se présenter : – la douleur est perçue dans l’épaule ou dans le membre supérieur, mais n’est pas réveillée par la mobilisation : il faut rechercher une pathologie loco-régionale ou générale ; – la douleur est isolée et réveillée par la palpation, la mobilisation de l’épaule ou du membre supérieur : il s’agit probablement d’une douleur de l’épaule elle-même. ■ Le traitement de la douleur d’épaule d’origine intrin- sèque est d’abord médical : antalgiques, physiothérapie, rééducation et auto-entretien, éventuellement gestes locaux (infiltrations). ■ Une imagerie complémentaire (IRM ou arthroscanner) n’est proposée qu’en vue d’un geste chirurgical lorsqu’il y a échec du traitement médical. ■ Chez la personne âgée, l’intrication des pathologies est fréquente. Mots-clés : Épaule - Douleur - Personne âgée. Keywords: Shoulder - Pain - Elderly. L a douleur de l’épaule est un motif fréquent de consultation auprès du rhumatologue (1). Tous les tissus constituant l’épaule peuvent être touchés par le vieillissement : l’atteinte périarticulaire est cependant la plus fréquente (2). Consultation médico-chirurgicale de l’épaule Université Paris-Descartes, faculté de médecine, hôpital Cochin, Paris. * Services de rhumatologie A. ** Service d’orthopédie A. *** Service de radiologie ostéo-articulaire. **** Institut de la main - Paris. La Lettre du Rhumatologue - n° 316 - novembre 2005 COMMENT FAIRE LE DIAGNOSTIC ? Seuls un interrogatoire minutieux et un examen clinique programmé de l’épaule permettent d’affirmer sa responsabilité dans l’origine des douleurs et d’aboutir à un diagnostic précis (3). ÉTIOLOGIES DE L’ÉPAULE DOULOUREUSE DE LA PERSONNE ÂGÉE Deux cas peuvent schématiquement se présenter. ● Si la douleur est perçue dans l’épaule ou le membre supérieur, mais qu’elle n’est pas réveillée par la mobilisation, il faut rechercher une douleur projetée, une pathologie loco-régionale ou générale (pathologie extrinsèque) fréquente chez la personne âgée. ● Si, à l’opposé, la douleur est isolée et réveillée par la palpation, la mobilisation de l’épaule ou du membre supérieur, il s’agit probablement d’une douleur de l’épaule elle-même (pathologies intrinsèques). Les tableaux I et II récapitulent les principaux diagnostics. ● L’intrication de ces pathologies est cependant fréquente chez la personne âgée et complique la démarche diagnostique. Une cause extrinsèque est évoquée Ce n’est pas l’épaule qui est en cause ; plusieurs situations peuvent donc être envisagées chez la personne âgée (tableau I) : – la clinique oriente vers une maladie générale ou une douleur projetée ; – la clinique oriente vers une pathologie loco-régionale. Une cause intrinsèque est évoquée (tableau II) L’épaule est en cause parce que sa mobilisation passive et/ou active réveille la douleur. L’interrogatoire est fondamental Il est nécessaire de préciser l’âge, le côté dominant, le terrain, les antécédents, s’il y a ou non une notion traumatique, les activités professionnelle et de loisirs, le type de douleur : siège, irradiations, type, horaire, intensité, date de début, mode de début, conditions qui soulagent ou l’aggravent, évolution, retentissement, etc. L’examen clinique est programmé (4) L’inspection recherche une attitude vicieuse, une déformation, une amyotrophie, une ecchymose, un épanchement de l’épaule (dont la ponction systématique permet d’orienter le diagnostic). 51 NOUVEAUX CONCEPTS KINÉSITHÉRAPIQUES Tableau I. Pathologies extrinsèques de l’épaule sans notion de traumatisme. Tableau II. Pathologies intrinsèques de l’épaule sans notion traumatique. Causes extrinsèques Causes intrinsèques Douleur viscérale projetée • cœur (angor, infarctus, etc.) • poumon (Pancoast-Tobias), plèvre, médiastin, diaphragme • tube digestif (vésicule, pancréas, péritoine, estomac, etc.) • sein (mastectomie, prothèse) • adénopathies de voisinage Maladie générale • pseudo-polyarthrite rhizomélique (PPR) • maladie de Parkinson • fibromyalgie • myopathies, myosites, etc. • causes indéterminées : mauvaise posture (occupational disease) Pathologies neurologiques Microtraumatiques • lésions radiculaires (NCB C5) • lésions du nerf du grand dentelé • lésions du nerf sus-scapulaire • paralysie du nerf dorsal de la scapula (nerf de l’angulaire de l’omoplate et du rhomboïde) • lésion du nerf médian (syndrome du canal carpien atypique) Névralgie amyotrophique de Parsonage et Turner Atteinte infectieuse des racines cervicales Zona, VIH, HTLV I-II, Lyme, Parvovirus, etc. Tumeurs extra- ou intramédullaire Pathologies vasculaires • syndrome du défilé cervico-thoraco-brachial • anévrisme artériel ou fistule • pathologie occlusive artérielle • phlébite • lymphœdème Lésions osseuses de voisinage • humérus, omoplate (acromion, coracoïde), rachis cervical, clavicule, côtes • ostéites (germes banals, mycobactéries, etc., SAPHO) • fissures osseuses (ostéomalacie du pilier de l'omoplate) • ostéonécrose • épaule radique • ostéolyse de l’extrémité externe de la clavicule • tumeurs osseuses bénignes (chondroblastome de la tête humérale, ostéome ostéoïde) • tumeurs malignes II ou I, myélome, hémopathies • maladie de Paget • maladie de Forestier • exostose de l’omoplate ou des côtes La palpation recherche un point douloureux, en particulier une douleur acromio-claviculaire. Les mobilités actives et passives sont évaluées à la recherche d’une limitation élective d’une mobilité, d’une dissociation actifpassif. Les tests explorant les différents tendons de la coiffe sont réalisés (schématiquement, flexion contrariée de l’avant-bras sur le bras : long biceps, belly-press test : sub-scapulaire, rotation externe contrariée coude au corps : infra-épineux, et à 90 degrés d’élévation antérieure : teres minor, manœuvre de Jobe : supra-épineux). 52 Lésions articulaires Pathologies gléno-humérales • omarthrose centrée (à coiffe continente) • omarthrose excentrée (à coiffe rompue) • arthropathies gléno-humérales (et arthropathies destructrices rapides) : – arthrites infectieuses (germe banal, mycobactéries, etc.) – rhumatismes inflammatoires (PR, etc.) – arthrites microcristallines à pyrophosphate (chondrocalcinose, etc.) ou apatite (Milwaukee shoulder) • ostéochondromatose • synovite villonodulaire, synovialosarcome Pathologies acromio-claviculaires Pathologies sterno-costo-claviculaires Lésions périarticulaires Pathologies sous-acromiales • bursite aiguë ou chronique (calcique ou non) • tendinopathies de la coiffe des rotateurs (calciques ou non) • ruptures de la coiffe des rotateurs partielles ou totales (transfixiantes ou non) Pathologies sous-coracoïdiennes • bursite aiguë ou chronique (calcique ou non) • tendinopathies de la coiffe des rotateurs (calciques ou non) • ruptures de la coiffe des rotateurs (transfixiantes ou non) Tumeurs des parties molles bénignes ou malignes Un examen complet, en particulier neurologique et cardiovasculaire, est indispensable pour écarter une pathologie associée. Au terme de cet examen, plusieurs hypothèses diagnostiques seront confrontées aux radiographies simples : clichés de face en double obliquité avec les trois rotations (rotations neutre, interne et externe). D’autres incidences pourront être demandées : profil axillaire ou de coiffe (profil de Lamy), cliché en décubitus avec rayon droit (incidence de Railhac), ainsi qu’une échographie réalisée par un opérateur entraîné. Une cause traumatique doit être évoquée en fonction du contexte et de l’examen clinique : les radiographies permettent d’éliminer une fracture articulaire (céphalo-tubérositaire, glène), une fracture extra-articulaire (extrémité supérieure de l’humérus), une luxation antérieure ou postérieure. Une fois une cause traumatique écartée, les résultats de l’examen clinique guident l’orientation diagnostique. ● Si l’épaule est raide dans les mouvements actifs et passifs, il s’agit d’une atteinte articulaire, osseuse ou capsulaire : – l’enraidissement prédomine en élévation antérieure et en rotation externe et les radiographies simples sont normales : il s’agit probablement d’une rétraction capsulaire ; – il existe un épanchement (à ponctionner impérativement) et les radiographies sont anormales. Le diagnostic s’oriente vers une arthropathie : • une arthrite infectieuse ; • une arthropathie inflammatoire ou microcristalline ; • une épaule hémorragique sénile ; • une arthropathie nerveuse (syringomyélie), exceptionnelle (résorption progressive et peu douloureuse de l’extrémité supérieure La Lettre du Rhumatologue - n° 316 - novembre 2005 NOUVEAUX CONCEPTS KINÉSITHÉRAPIQUES de la tête suivie d’une véritable ostéolyse avec présence de nombreux corps étrangers) ; • une omarthrose facilement diagnostiquée sur les radiographies simples. On distingue classiquement les omarthroses centrées (pincement de l’interligne gléno-huméral, respect de l’espace acromiohuméral, ostéosclérose et géodes sous-chondrales, et ostéophytose en goutte prédominant au pôle inférieur de la glène et de la tête humérale) des omarthroses dites excentrées (pincement sous-acromial, néoarticulation acromio-humérale, puis atteinte gléno-humérale tardive), secondaires à une rupture de la coiffe des rotateurs (5). Mais cette classification est imparfaite, car il existe : – des omarthroses dites centrées, mais avec une subluxation postérieure de la tête humérale mal visible sur les radiographies de face ; – des omarthroses centrées avec atteinte tendineuse associée ; – des omarthroses excentrées sans arthrose gléno-humérale. Il vaudrait mieux parler : – d’omarthrose à coiffe continente (coiffe normale ou lésions minimes) ; – d’omarthrose à coiffe rompue (rupture massive de la coiffe, lésions irréparables). Il peut également s’agir d’une atteinte osseuse locale (humérus, omoplate, clavicule). L’humérus est, en effet, le siège fréquent de lésions tumorales (chondrome, chondroblastome, enchondrome, chondrosarcome, métastases osseuses). Un autre siège favori des tumeurs osseuses est l’omoplate : ostéome ostéoïde (coracoïde, col de l’omoplate, acromion), tumeurs des parties molles (histiocytome malin, sarcomes, synovialosarcome), sans oublier le myélome et le syndrome de Pancoast-Tobias, qui doit être écarté de principe chez le fumeur. L’IRM est l’examen de référence dans ces situations. ● Si l’épaule n’est pas raide, il s’agit d’une atteinte périarticulaire, et différents tableaux cliniques peuvent se présenter : – l’épaule est électivement limitée lors d’une manœuvre de mobilité contrariée : il s’agit d’une tendinopathie calcifiante ou non ; – l’épaule est le siège d’une dissociation actif-passif (épaule pseudo-paralytique) : il s’agit d’une rupture étendue de la coiffe, souvent une extension à l’ensemble des rotateurs externes d’une rupture plus limitée jusque-là bien tolérée. Un bilan radiographique simple bilatéral et comparatif est souvent suffisant pour confirmer l’impression clinique et faire débuter le traitement médical. L’échographie est intéressante mais opérateurdépendante. Elle dépend également grandement du matériel utilisé et peut objectiver des signes de tendinopathie ou un épanchement dans la bourse. La bursographie peut également rendre service en cas de bursite. CONDUITE À TENIR Chez la personne âgée, la stratégie thérapeutique fait appel à une prise en charge médico-physique qui repose sur l’économie articulaire et les antalgiques associés à une rééducation spécialisée pour l’épaule. La technique dépend de l’étiologie ; elle sera débutée avec le kinésithérapeute (15 séances deux à trois fois par semaine) et poursuivie quotidiennement par le patient chez lui. En cas d’échec, une infiltration péri- ou intra-articulaire, en utilisant les dérivés corticoïdes peu fluorés, associée au repos articuLa Lettre du Rhumatologue - n° 316 - novembre 2005 laire pendant 48 heures donne souvent d’excellents résultats et peut être renouvelée une ou deux fois si le résultat est incomplet. Ce traitement doit être bien conduit (et suffisamment longtemps : quatre à six semaines) avant de parler d’échec thérapeutique. Ce n’est qu’en cas de passage à la chronicité, de doute diagnostique ou d’échec thérapeutique véritable que des investigations complémentaires se justifient. Un bilan lésionnel précis s’impose pour discuter, selon la nature et l’étendue des lésions, d’un éventuel traitement arthroscopique ou chirurgical. Il fait appel à l’arthrographie opaque, complétée par un scanner, qui peut mettre en évidence des signes de souffrance de la coiffe des rotateurs (fissuration ou rupture tendineuse). Cette technique précise le siège, l’étendue de la rupture et son retentissement sur les muscles voisins (fonte musculaire, infiltration graisseuse). Elle permet aussi d’étudier parfaitement le sous-scapulaire et le long biceps. Elle semble constituer une technique sûre, et la moins onéreuse dans les formes traînantes, rebelles au traitement. L’IRM est un examen qui se forge depuis quelques années une place indiscutable dans le bilan des épaules douloureuses ou instables chroniques. L’arthro-IRM est prometteuse. CONCLUSION Il est classique de dire qu’une dorsalgie est rarement en rapport avec une atteinte du rachis dorsal et plus souvent liée à une pathologie viscérale de voisinage. Il en est un peu de même pour la douleur d’épaule de la personne âgée, qui ne doit pas être hâtivement rattachée à une pathologie de la coiffe des rotateurs et traitée par une infiltration, même si les lésions de la coiffe sont très fréquentes. Qui n’a pas rencontré, chez l’un de ses patients, une douleur d’épaule révélatrice d’un cancer pulmonaire ou d’un infarctus du myocarde ? Il faut donc rappeler l’importance d’un excellent interrogatoire et d’un examen clinique minutieux devant toute douleur d’épaule sans orientation précise, et se méfier d’une douleur d’épaule rebelle au traitement médical. La clinique dicte donc la conduite à tenir ultérieure et, bien souvent, la seule imagerie nécessaire et suffisante de première intention (lorsque l’on suspecte une lésion intrinsèque) est représentée par les radiographies simples de l’épaule. Elles suffisent souvent à confirmer l’impression clinique et permettent de proposer un traitement adapté. Elles seront complétées par un bilan biologique s’il existe des arguments pour une pathologie inflammatoire, infectieuse ou métabolique, ou si l’évolution sous traitement infirme le diagnostic initial ou fait craindre une complication. ■ Bibliographie 1. Van Lankveld W. Gerontorheumatology: the challenge to meet health-care demands for the elderly with musculoskeletal conditions. Rheumatology 2005;44:419-22. 2. O’Reilly D, Bernstein RM. Shoulder pain in the elderly. Br Med J 1990;301:503-4. 3. Bard H. Pièges de l’épaule douloureuse. In : Laredo JD, Bard H. La coiffe des rotateurs et son environnement. GETROA-Opus XXIII, Paris : Éd. Sauramps Médical, 1996:15-21. 4. Walch G. L’examen programmé de l’épaule douloureuse chronique et l’examen clinique d’une épaule traumatisée. In : Walch G, Noël E, Liotard JP. Journées lyonnaises de l’épaule. Lyon, avril 1993;169-89. 5. Giraudet-le Quintrec JS. Omarthrose : épidémiologie et classification. Lettre du Rhumatologue 2005;309:6-10. 53