MEPjuin 98 15/04/04 10:40 Page 137 Retour de congrès XIIIe congrès de l’American Society of Hypertension New York - mai 1998 Xavier Girerd* L e XIII e congrès de l’American Society of Hypertension s’est tenu à New York du 13 au 16 mai 1998. Ce rendezvous traditionnel des médecins nord-américains spécialistes de l’hypertension artérielle a mis en avant la recherche française avec la remise du prix Rober t Tigerstedt au Pr Pierre Corvol, du Collège de France et de l’hôpital Broussais, pour ses travaux sur le système rénineangiotensine. A cette occasion, le récipiendaire a donné une “leçon” particulièrement brillante sur l’enzyme de conversion de l’angiotensine, qui a permis à chacun de découvrir tous les secrets de cette enzyme, cible privilégiée d’une famille thérapeutique d’utilisation quotidienne chez l’hypertendu. A côté de ce moment fort, de très nombreux sujets cliniques ont été abordés, comme le veut la tradition de ce congrès toujours à la pointe des nouveautés de la formation médicale continue en hypertension artérielle. Utilisation du Viagra® (sildéfanil) chez l’hypertendu traité Les troubles de l’érection sont une plainte fréquente des hypertendus traités. L’efficacité du Viagra® (sildéfanil) * Service de médecine interne, hôpital Broussais, Paris. Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 6, juin 1998 chez ces patients a été étudiée sur une cohorte de 3 413 sujets qui se plaignaient de troubles de l’érection. L’un des sous-groupes était constitué de 1 218 sujets hypertendus traités par des antihypertenseurs de toutes les familles thérapeutiques. L’étude en double aveugle a évalué l’efficacité du Viagra® ou d’un placebo chez ces hommes d’un âge moyen de 56 ans sur des durées d’utilisation maximales de 6 mois. Le Viagra® permet une amélioration statistiquement significative de trois cri- 137 tères : la qualité de la pénétration, le maintien de l’érection et l’amélioration de l’érection. Ces résultats positifs sont aussi observés chez l’hypertendu traité. Les bénéfices sont comparables, que les sujets prennent ou non un traitement antihypertenseur. La tolérance du traitement a été comparable entre les deux groupes. Il est probable que, lorsque le Viagra® sera disponible en France, les médecins prenant en charge des hypertendus seront particulièrement sollicités pour prescrire cette thérapeutique. Les IEC protègent-t-ils du cancer ? Les conséquences de la prescription au long cours des antihypertenseurs sur le risque de cancer sont régulièrement discutées. Une étude de cohorte réalisée par la clinique d’hypertension de Glasgow a évalué le risque de cancer lié à la prescription des IEC. A partir du suivi de 5 207 hypertendus, sur une période de 16 ans, le groupe des sujets, chez lesquels un IEC avait été prescrit, a été comparé au groupe n’en ayant pas reçu. Les taux ont été comparés à l’incidence des cancers survenue dans la population de l’Ouest Ecossais pour la même période. Les résultats indiquent que le risque-ratio est de 0,64 pour les utilisateurs d’IEC. Le bénéfice du traitement apparaît uniquement si la durée de la prescription est supérieure à 3 ans. Le risque diminue particulièrement chez la femme et pour les cancers spécifiquement “féminins”. La coprescription de l’IEC et d’autres médicaments antihypertenseurs ne modifie pas ces résultats, lesquels nécessitent à l’évidence d’être confirmés par une étude portant sur une autre population, mais doivent cependant nous conduire à poursuivre les recherches sur le rôle joué par le sys- MEPjuin 98 15/04/04 10:40 Page 138 Retour de congrès tème rénine-angiotensine-aldostérone sur les phénomènes d’apoptose cellulaire. L’hyperuricémie est un facteur de risque : le retour Au début des années 1980, l’hyperuricémie était considérée comme un facteur de risque de maladies cardiovasculaires, au même titre que l’hypertension ou le tabac. De nombreux patients se sont vus, à cette époque, prescrire un hypo-uricémiant en plus de leur traitement antihypertenseur. C’est en fait le diurétique prescrit qui favorisait l’hyperuricémie, et l’utilisation des méthodes statistiques avec “ajustement” a fait disparaître l’hyperuricémie de la catégorie des facteurs de risque indépendants. M. Alderman (New York) a apporté un nouvel éclairage sur le rôle pronostique joué par l’hyperuricémie. A partir d’une cohorte de 7 906 hypertendus suivis pendant 7 ans, une analyse multivariée a montré que l’uricémie était bien un facteur de risque indépendant de survenue d’une cardiopathie coronaire. En effet, la relation entre hyperuricémie et coronaropathie persistait après avoir pris en compte tous les facteurs de risque “classiques” de la maladie coronaire. Les auteurs qui avaient signalé que le rôle pronostique, apporté par l’uricémie, restait modeste par rapport aux autres facteurs de risque, ont calculé que ce rôle défavorable pouvait participer à la diminution de l’action protectrice des diurétiques vis-à-vis de la prévention des coronaropathies. Ils ont estimé que le “bénéfice” du traitement par diurétiques se trouvait diminué de 7 %, du fait de l’hyperuricémie induite par ces traitements. En conclusion, M. Alderman ne recommandait Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 6, juin 1998 pas la prescription d’un hypo-uricémiant chez tous les hypertendus, mais indiquait qu’il lui semblait justifié de maintenir le dosage de l’uricémie dans le bilan initial de l’hypertendu, afin de dépister les sujets ayant une élévation importante de l’uricémie. Pour ces patients, il conseillait de ne pas choisir un diurétique comme traitement antihypertenseur de première intention. Le contrôle de la pression artérielle dans l’étude ALLHAT L’étude ALLHAT est un “méga-essai” mené aux Etats-Unis, incluant 35 000 hypertendus, chez lesquels sont comparés l’efficacité, sur la prévention des complications coronaires, de l’amlodipine, de la chlortalidone, de la doxazosine et du lisinopril. Cette étude est menée en double aveugle, et le protocole se fixe comme objectif tensionnel d’obtenir une pression de consultation inférieure à 140/90 mmHg. Si la monothérapie est insuffisante, l’aténolol, la réserpine, la clonidine et l’hydralazine sont successivement ajoutés. La communication du pourcentage des patients ayant atteint l’objectif tensionnel, après un an de suivi, est particulièrement intéressante. Une pression < 140/90 mmHg est obtenue chez 53 % des sujets. Ce résultat n’est que de 49 % dans le groupe des Noirs et de 55 % chez les Caucasiens. Il est de 56 % chez les sujets âgés de 55 à 59 ans et de 48 % chez les plus de 80 ans. Si l’on ne considère que la PAD (< 90 mmHg) pour définir les contrôlés, le pourcentage est de 86 %. En revanche si, pour définir les contrôlés, on ne tient compte que de la PAS (< 140 mmHg), le pourcentage tombe à 55 %. Il en ressort que c’est sur le contrôle de la PAS que les efforts thérapeutiques devraient préférentiellement porter. Il est pos- 138 sible que le choix des traitements puisse influencer ce résultat. La suite de l’étude ALLHAT apportera probablement des réponses à ces questions essentielles. Retentissement cardiaque de l’hypertension Obtenir une régression de l’hypertrophie cardiaque chez l’hypertendu est un objectif que le clinicien cherche à atteindre par le traitement pharmacologique de l’hypertension. G. Schillaci (Perugia, Italie) a évalué les conséquences d’une normalisation des chiffres tensionnels chez des hypertendus traités et suivis dans la cohorte PIUMA depuis 3 ans. Il a comparé ces patients à des normotendus de même âge, de même sexe et de même morphologie. Les hypertendus étaient tous contrôlés, avec une pression artérielle < 140/90 mmHg en consultation et une confirmation de la normalisation tensionnelle par une MAPA. La pression artérielle sur 24 heures était comparable dans les deux groupes (120/ 76 mmHg). La masse cardiaque a été évaluée par échographie, et les auteurs montrent que les hypertendus possèdent une masse ventriculaire gauche supérieure en moyenne de 13 % à celle des normotendus. Une géométrie du ventricule gauche de type “hypertrophie concentrique” est plus fréquente chez les sujets hypertendus. Les auteurs concluent que, malgré un contrôle tensionnel satisfaisant, il persiste une hypertrophie cardiaque chez l’hypertendu traité. Des facteurs indépendants de la pression artérielle expliquent sans doute ce résultat. Il reste à montrer que certaines thérapeutiques antihypertensives pourraient agir sur ces facteurs, qui ne sont malheureusement toujours pas identifiés. MEPjuin 98 15/04/04 10:40 Page 139 Quel est le risque cardiovasculaire des hypertendus pris en charge : Framingham donne des chiffres Une des nouveautés du dernier JNC VI a été de proposer de fixer la décision du traitement antihypertenseur non plus uniquement en fonction du niveau de la pression artérielle, mais en estimant le risque absolu du patient (la probabilité qu’un sujet a de présenter une complication cardiovasculaire dans un intervalle de temps donné). Pour évaluer ce risque de façon très simple, un tableau a été mis au point, définissant trois groupes à risque en fonction des facteurs de risque associés à l’hypertension artérielle, de l’atteinte des organes cibles ou des manifestations cardiovasculaires cliniques. Groupe A : Pas de facteurs de risque, pas d’atteinte des organes cibles. Groupe B : Au moins un facteur de risque n’incluant pas le diabète. Pas d’atteinte des organes cibles. Groupe C : Diabète et/ou atteinte des organes cibles ou manifestations cardiovasculaires. La combinaison entre le groupe de risque et le niveau de la pression artérielle fixe l’attitude thérapeutique (tableau I). Tableau II : Répartition des hypertendus de Framingham selon la classification du JNC VI. Pression artérielle de consultation (mmHg) Groupe A Groupe B PAS : 130-139 PAD : 85-89 0,04 % 16 % 7% PAS : 140 - 160 PAD : 90 - 100 0,04 % 15 % 8% PAS ≥ 160 PAD ≥ 100 0,02 % 28 % 25 % L’équipe de Framingham a voulu savoir comment les hypertendus, issus d’une population générale, se répartissaient au sein de ce tableau à 9 cases. Un groupe de 2 794 hypertendus de la cohorte de Framingham a permis de réaliser cette répartition. Les résultats figurent dans le tableau II (exprimés en % du total de la population). Ces données quantitatives sont très informatives, car elles montrent que dans deux tiers des cas l’évaluation du risque absolu du patient va conduire à Tableau I : Classification des choix thérapeutiques selon le JNC VI. Pression artérielle de consultation (mmHg) Groupe A Groupe B Groupe C PAS : 130-139 PAD : 85-89 Modifications du style de vie PAS : 140 - 160 PAD : 90 - 100 Modifications du style de vie (pendant 12 mois) Modifications Traitement du style de vie médicamenteux (pendant 6 mois) PAS ≥ 160 PAD ≥ 100 Traitement médicamenteux Traitement médicamenteux Modifications du style de vie 139 Traitement médicamenteux Traitement médicamenteux Groupe C proposer un traitement antihypertenseur dès le début de la prise en charge. Si la décision était fondée uniquement sur le seul niveau tensionnel, en choisissant le niveau du stade 2 (PAS ≥ 160 ou PAD≥100), seulement un patient sur deux se verrait proposer une thérapeutique médicamenteuse dès le début de la prise en charge. Bien que ces données quantitatives ne soient pas exactement transposables à la situation rencontrée en France, elles apportent des arguments pour faire rentrer le principe de risque absolu dans notre mode de décision thérapeutique. La pression pulsée ambulatoire est un marqueur du risque cardiovasculaire La pression pulsée, c’est-à-dire la différence entre la pression systolique et la pression diastolique est en passe de devenir le nouveau paramètre tensionnel à prendre en compte pour déterminer le risque cardiovasculaire de l’hypertendu. Après la publication du rôle pronostique indépendant de ce paramètre, à partir de plusieurs grosses populations (Framingham, IPC, SAVE), l’intérêt de la mesure de la MEPjuin 98 15/04/04 10:40 Page 140 Retour de congrès pression pulsée, obtenue sur un enregistrement de MAPA, est avancé par les résultats du suivi de la cohorte de l’étude PIUMA. Chez 1 942 sujets suivis en moyenne depuis 3,6 années, la MAPA a été enregistrée initialement, et le rôle pronostique de la pression en consultation comparativement à celui des mesures ambulatoires a été évalué. Lorsque le rôle pronostique de la moyenne de la pression pulsée sur 24 heures est estimé sur l’ensemble des complications cardiovasculaires, il apparaît que le risque relatif est de 1,71 (CI 95 %, 1,20 à 2,42) chez les sujets dont la pression pulsée est supérieure à 53 mmHg. De plus, le rôle pronostique de la pression pulsée mesurée en ambulatoire est un meilleur prédicteur que la pression pulsée mesurée à la consultation. Ces résultats sont bien évidemment obtenus après ajustement sur les facteurs prédictifs usuels et en particulier sur l’âge. Ce résultat est un argument supplémentaire pour considérer que la pression artérielle évaluée en dehors du cabinet médical apporte plus d’informations que celle mesurée en consultation. Il conforte l’idée que la pression pulsée est un indice simple et informatif qu’il est probablement très utile de calculer chez l’hypertendu. La prescription d’un AINS a-t-il vraiment une incidence sur la pression artérielle ? Il a été rapporté que la prescription d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) pouvait s’accompagner d’une élévation de la pression artérielle chez l’hypertendu. Cette donnée n’est toutefois pas confirmée dans une méta-analyse regroupant les résultats de 44 essais. Le groupe des enseignants français de thérapeutique de l’APNET ont réalisé une étude qui a été présentée oralement par X. Girerd (Paris), dont l’objectif a été d’évaluer l’impact de la prescription d’un AINS sur la pression artérielle de patients suivis par des spécialistes (médecins internistes, cardiologues, rhumatologues) dans des hôpitaux universitaires. Cette étude a été réalisée sur le mode d’une enquête “un jour donné” par 22 médecins qui ont inclus tous les Imprimé en France - Differdange S.A. 95110 Sannois Dépôt légal 2ème trimestre 1998 © janvier 1989 - Médica-Press International Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 6, juin 1998 140 patients examinés au cours d’une même consultation. Un questionnaire comportant des données démographiques, médicales et le détail des prescriptions médicamenteuses a été rempli pour chaque patient quel que soit le motif de la consultation. La pression artérielle a été mesurée en position assise en utilisant un manomètre à mercure. Un questionnaire complet a été obtenu pour 259 patients. La population a été divisée selon deux critères : la présence ou l’absence d’une hypertension artérielle traitée, et la présence ou l’absence de prise d’un traitement AINS le jour de la consultation. Les résultats indiquent que la pression artérielle n’est pas statistiquement différente en présence ou en l’absence de prise d’un traitement AINS. Cette absence d’effet est observée dans le groupe des hypertendus ainsi que dans celui des normotendus. Ils suggèrent que l’interaction décrite entre les traitements AINS et la pression artérielle chez certains patients n’a probablement pas de conséquence clinique sur une population générale.