Éditorial Médecine personnalisée et hypertension artérielle : effet de mode ou vrai défi ? Prs MICHEL BURNIER, ANTOINETTE PECHÈRE-BERTSCHI et Dr GRÉGOIRE WUERZNER Articles publiés sous la direction de MICHEL BURNIER ET GRéGOIRE WUERZNER Service de néphrologie et consultation d'hypertension CHUV, Lausanne ANTOINETTE PECHèRE-BERTSCHI Services d’endocrinologie, diabétologie, hypertension et nutrition et de médecine de premier recours et des urgences HUG, Genève très élégantes sur le plan physiopathologique Depuis quelques années, lorsqu’on lit la presse n’ont pas montré d’utilité sur le plan clinique. médicale, voire les quotidiens non médicaux, En effet, des patients à rénine basse réponil devient difficile de ne pas tomber sur un daient très bien aux bloqueurs du système ­article nous vantant les promesses d’une médecine personnalisée. Cette nouvelle mode ­rénine-angiotensine et, qui plus est, étaient envahit progressivement tous les débats qu’ils très protégés en matière d’organes cibles soient scientifiques ou politiques, à tel point comme les reins, et les anti-aldostérones se qu’en Suisse, une initiative nationale a été sont avérés efficaces même quand l’aldo­ déposée voulant offrir à chaque patient une stérone n’était pas élevée. A ce jour, le développement de la génétique n’a médecine plus personnelle grâce apporté que peu de bénéfices à la génomique et à la bioinforles premiers matique. dans l’hypertension artérielle si efforts de Qu’entend-on vraiment par méce n’est la découverte et le diag­ « personnali­ decine personnalisée ? Ce con­ nostic de formes rares d’hypersation » ont eu tension monogéniques. cept se réfère à l’utilisation de lieu dans les Dans le cadre d’une affection métho­ des de dépistage ou de années 70 déjà ­polygénique comme l’hypertendiagnostics qui exploitent la con­ sion artérielle où les gènes con­ naissance du profil de risque ou nus expliquent moins de 10 % de la variance du profil moléculaire unique du patient pour de la pression artérielle, il semble que le obtenir les meilleurs résultats en termes de ­chemin sera encore long jusqu’à ce que l’on santé et de devenir du patient.1 Aujourd’hui, ce concept très à la mode n’a de nouveau que ­obtienne un test permettant de prévoir la les méthodes que l’on pense pouvoir utiliser, ­réponse thérapeutique lorsqu’un médicament à savoir la génétique, la bio­informatique et antihypertenseur est administré à un indi­ également toutes les « omi­ques » (épigénomi­ vidu. Le défi est donc énorme et demandera que, métabolomique, protéomique, transcrip­ encore beaucoup d’investissements pour démontrer l’utilité clinique et les gains en raptomique, lipidomique…) qui peuvent fournir port coût / efficacité des approches fondées des données supplémentaires sur chaque sur la génétique et la bioinformatique. ­individu. Un aspect plus prometteur pourrait être le Si cette approche biopersonnalisée peut s’avérer très utile dans certains domaines comme développement de la pharmacogénétique et l’oncologie ou les maladies rares, il n’en va la possibilité de prévoir le développement peut-être pas nécessairement de même dans d’effets secondaires liés aux médicaments des domaines comme l’hypertension artérielle antihypertenseurs. Un tel outil de prédiction ou les facteurs de risque cardiovasculaires. pourrait s’avérer utile pour améliorer la qualité de vie et l’adhérence des patients traités. De fait, dans la prise en charge des patients Il faut cependant reconnaître que les antihyhypertendus, le concept de personnalisation pertenseurs actuels sont en règle générale donne une impression de déjà-vu.2 En effet, les premiers efforts de « personnalisation » très bien tolérés et que les effets secondaires ont eu lieu dans les années 70 déjà , avec les sérieux sont rares. Un test prédictif ne con­ dosages hormonaux et la tentative de guider cernerait donc qu’une minorité de patients. le traitement antihypertenseur sur la base En fait, les vrais problèmes que l’on rencontre aujourd’hui dans la prise en charge des dosages de la rénine, de l’aldostérone, du des patients hypertendus ne concernent ni sodium urinaire et de la volémie. Malheureusement, aujourd’hui encore, ces approches l’efficacité des traitements ni la survenue des www.revmed.ch 14 septembre 2016 1499-500_39394.indd 1499 Bibliographie 1 Turner ST, Schwartz GL, Boerwinkle E. Perso­na­ lized medicine for high blood pressure. Hyper­ tension 2007;50:1-5. 2 Byrd JB. Personalized medicine and treatment approaches in hyperten­ sion : Current perspec­ tives. Integrated Blood Pressure Control 2016; 9:59-67. 3 Naderi SH, Bestwick JP, Wald DS. Adherence to drugs that prevent ­cardiovascular disease : Meta-analysis on 376 162 patients. Am J Med 2012;125:882-7. 1499 07.09.16 13:12 REVUE MÉDICALE SUISSE effets secondaires. Les traitements les plus personnalisés resteront toujours influencés par toute une série de barrières non généti­ ques telles que la diète, les stress environ­ nementaux, l’activité physique et, bien sûr, l’adhérence thérapeutique. De nombreuses études ont montré qu’environ 50 % des patients hypertendus arrêtent complètement leur trai­ tement après une année.3 A quoi sert un test prédictif de l’efficacité d’un traitement, probablement onéreux, si le problème principal consiste dans l’adhérence au traitement ? La biopersonnalisation est à la mode, soit. Mais la vraie personnalisation en médecine est celle qui prend en compte l’ensemble des caractéristiques liées à l’individu, c’est-à-dire, pas seulement ses gènes et ses examens de laboratoire, mais aussi ses caractéristiques psychologiques, sociales, familiales et envi- 1500 1499-500_39394.indd 1500 ronnementales, qui jouent incontestablement un rôle tout aussi important dans le maintien de la santé et la réponse à la maladie et aux traitements. Malheureusement, ces domai­nes ne revêtent pas la A quoi sert un même attractivité ni ne dispo­ test prédictif sent des moyens financiers néde l’efficacité cessaires à leur développement. d’un traitement Dans l’hypertension artérielle qui si le problème nécessite un traitement à vie, ces principal aspects sont cruciaux d’une part, consiste dans pour motiver et soutenir les pal’adhérence au tients sur le long terme et d’autre traitement ? part, pour adapter les traitements selon les caracté­ristiques de vie du patient. Les médecins p ­ raticiens le savent bien, eux qui font de la médecine personnalisée tous les jours… WWW.REVMED.CH 14 septembre 2016 07.09.16 13:12