Approches psychanalytique et neuropsychologiques d’un cas d’émoussement émotionnel* Le cas de monsieur T.G. : histoire clinique T.G. est un jeune homme droitier de 30 ans ayant subi un traumatisme crânien sévère à l’âge 19 ans (score initial de Glasgow = 8). Au moment de l’accident, T.G. poursuivait des études supérieures brillantes et était bien intégré socialement, avec de nombreux amis et une petite amie. T.G. est sorti du coma après sept jours en soins intensifs, où il avait bénéficié d’une ventilation assistée, et a quitté l’hôpital un mois après le traumatisme, son état s’améliorant graduellement. Son scanner initial était considéré comme normal. Le rapport médical ne mentionnait alors aucun trouble cognitif majeur, à l’exception d’une amnésie antérograde modérée et d’une amnésie rétrograde couvrant une période de trois mois avant l’accident, ces déficits étant classiquement observés après un traumatisme crânien. Après un séjour de six mois dans un service de rééducation physique, T.G. reprit ses activités antérieures de façon apparemment normale. Toutefois, l’évolution ultérieure est marquée par de nombreuses difficultés : il quitte son amie, sans motif clair et abandonne ses études, après deux années d’échecs consécutifs. Sa famille décrit alors d’importants troubles d’organisation de son emploi du temps et des difficultés dans le développement de stratégies d’apprentissage. À deux reprises, T.G. ne se présente pas à des examens universitaires, qu’il a cependant préparés. L’ensemble de ces élé- ments refléte un changement important dans ses habitudes. Durant les six années suivantes, T.G. retourne vivre chez ses parents et s’investit très peu dans la recherche de nouvelles études ou d’un nouveau travail. Finalement, sous la pression de ses parents, il décide à deux reprises d’ouvrir une sandwicherie, mais ses projets échouent à nouveau parce qu’à chaque fois, T.G. ne semble pas capable de gérer l’organisation de son activité (il se focalise par exemple sur les travaux dans le magasin sans avoir réalisé les démarches légales préliminaires). Après ces deux échecs, T.G. disparait soudainement de chez lui pendant un an. Sa présence est occasionnellement rapportée dans des villes avoisinantes et dans des bars où il a été vu en présence de fréquentations suspectes. Il retourne chez lui pour deux courtes périodes et disparait à nouveau pen- dant un an. Durant cette année, il perd son domicile fixe après avoir dépensé l’intégralité de l’indemnité obtenue pour son traumatisme crânien. Finalement, ses parents le retrouvent dans un parc public de la ville. T.G. est alors incapable d’expliquer son comportement. Il n’exprime pas non plus de remord ou de regret. De retour chez ses parents, il est embauché dans une sandwicherie familiale où il démontre de bonnes capacités de travail, à condition d’être encadré. Par la suite, il rencontrera une femme avec laquelle il s’engagera dans une relation apparemment stable et reprendra des études qu’il achèvera avec succès. Onze ans après son traumatisme crânien, T.G. est adressé à la demande de ses parents dans le service de neurologie du Pr Bakchine (hôpital MaisonBlanche, Reims) pour une nouvelle expertise de son dossier médical. L’imagerie cérébrale réalisée alors (scintigraphie) révélera une réduction du métabolisme dans les régions périamygdalienne et fronto-orbitaire gauches (figure ci-dessous). Les mises au point suivantes concernent trois approches complémentaires (psychanalytique et neuropsychologiques) de ce même patient et visent à analyser de façon intégrative la rupture comportementale de ce jeune homme. * Aspect psychanalytique : texte de J.É. Barbier. Aspects neuropsychologiques : texte de N. Ehrlé et S. Bakchine et texte de C.V. Cuervo. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 6, septembre 2003 157 Présentation Mise au point