C O N G R È S VIe Congrès international francophone de gérontologie 18-22 avril 1998, Genève ● M. Sarazin* L e VIe congrès international francophone de gérontologie s’est tenu du 18 au 22 avril 1998 à Genève, sur le thème “âge, cerveau et autonomie”. Parmi les nombreux sujets abordés, celui des démences a occupé une large place. L'aspect médical et scientifique a été traité tout autant que les aspects économiques et sociaux. Cette approche polyvalente des affections démentielles a donné un aspect particulier à ce congrès dans lequel les équipes soignantes furent invitées à participer. Commentaire. Le test de Grober et Buchke, en assurant un contrôle de l'encodage, permet de situer le niveau de l'atteinte du trouble mnésique, étape indispensable au diagnostic de démence. La mesure du DSQPM du questionnaire de plainte mnésique apparaît être un paramètre indépendant, simple d'utilisation, permettant de surcroît une bonne orientation diagnostique. L'EXPÉRIENCE DES CONSULTATIONS-MÉMOIRE SAVOIR INTERPRÉTER UN TROUBLE MNÉSIQUE : UNE ÉTAPE INDISPENSABLE AU DIAGNOSTIC DES DÉMENCES Objectiver et comprendre où se situe le déficit mnésique est indispensable au diagnostic étiologique d'un trouble mnésique. S'agit-il d'un déficit de la saisie de l'information impliquant les systèmes sensoriels rétrorolandiques, comme cela peut se voir dans les syndromes confusionnels ou les causes iatrogènes médicamenteuses ? S'agit-il d'un déficit du stockage de l'information, donc de sa “mise en mémoire” orientant alors le diagnostic vers une maladie d'Alzheimer, une encéphalite herpétique ou un syndrome de Korsakoff ? S'agit-il enfin d'un déficit de la récupération de l'information, donc de son rappel, comme on l'observe dans les démences sous-corticales, la dépression et à un certain niveau dans le vieillissement ? Un des objectifs de l'évaluation du trouble de la mémoire est donc de préciser à quelle étape se situe cette perturbation. Le test de Grober et Buchke, qui permet un contrôle de l'encodage, semble être un des tests les plus aptes à pouvoir répondre à cette question. Le questionnaire de plainte mnésique peut être également une aide au diagnostic. Une étude a comparé la différence entre le score du patient et celui de l'entourage (DSQPM), entre un groupe de patients souffrant de DTA (démence type Alzheimer) et un groupe de patients souffrant de pathologies psychiatriques. La plainte des patients DTA était inférieure à celle de l'entourage (différence au score négative), alors que le schéma s'inversait chez les patients psychiatriques. De nombreuses communications rapportèrent l'expérience des différentes consultations-mémoire non seulement dans l'approche initiale et précoce du patient, mais aussi dans le suivi des patients au cours de l'évolution de la démence. Plusieurs équipes ont mis en route des groupes "d'entraînement de la mémoire", d'art thérapie ou de psychothérapie cognitive. L'objectif de ces approches est d'optimiser les performances en facilitant, d'une part, les systèmes mnésiques perturbés, en utilisant, d'autre part, les systèmes mnésiques préservés et en aménageant, enfin, l'environnement extérieur et humain ; et ce afin de jouer sur l'ensemble des facteurs susceptibles d'améliorer les fonctions intellectuelles du sujet. Un travail sur la mémoire prospective (capacité de se souvenir et d'effectuer une action dans le futur), qui est fréquemment touchée dans la maladie d'Alzheimer, a permis de montrer qu'il était ainsi possible d'améliorer cette capacité mnésique chez des patients en utilisant la technique de la récupération espacée. Le principe est d'amener le patient à récupérer l'information-cible de manière répétée en augmentant progressivement le délai de rétention. Les bases du travail en psychothérapie cognitive reposent sur l'étude du maintien des capacités du sujet à faire un lien entre émotions et pensée, ainsi que sur les capacités de métacognition. Des séances de préthérapie sont d'abord proposées, visant une réassurance cognitive. La mise en place des séances de travail est ensuite adaptée (séances plus courtes mais plus fréquentes), et les stratégies thérapeutiques sont définies (redondance, cahier de thérapie, multimodalité). L'indication d'une telle approche reste cependant limitée. Commentaire. Des perpectives dans la prise en charge des patients déments sont ainsi ouvertes, avec des résultats individuels parfois prometteurs. Cependant l'efficacité de l'ensemble de ces méthodes reste à évaluer. * Service de neurologie, hôpital Lariboisière, Paris. La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. II - août 1998 211 C O N G R È L'ÉVALUATION DES DÉMENCES SÉVÈRES Plusieurs présentations abordèrent le problème des techniques d'évaluation des démences évoluées. L'échelle SIB (Severe Impairment Battery) et l'échelle EHD (Échelle Hiérarchisée de Démence) se sont révélées utilisables même pour des patients ayant un MMS à zéro. L'échelle EHD est utilisable dès les stades de démence modérée, la SIB est d'utilisation plus facile chez les déments sévères. Commentaire. Ces outils d'évaluation clinique faciles et simples d'utilisation pourraient permettre à cette population de patients, jusqu'alors souvent oubliée, de bénéficier d'essais thérapeutiques. LA VIE AFFECTIVE DU PATIENT DÉMENT : LA FACE CACHÉE D'UNE AUTRE RÉALITÉ Devant la possibilité de diagnostic précoce, le problème de la vie affective du patient dément prend une valeur particulière. Les problèmes méthodologiques restent entiers : comment en effet aborder la vie affective du dément à chaque étape de l'évolution de la maladie ? L'approche neurologique visant la recherche d'un support anatomique aux troubles cognitifs ne facilite pas cette tâche. La référence à des valeurs moyennes limite également la prise en charge de l'individu. L'importance du suivi du patient reste certainement indispensable pour rendre compte de la dynamique de la maladie. La relation à l'autre joue alors une place essentielle dans le fonctionnement intellectuel, génératrice soit de facilitation soit d'inhibition de l'activité mentale du sujet dément. Il est en effet important d'atténuer la blessure narcissique du patient placé comme invalide sous le regard de l'autre. Dans la relation avec le soignant, trois types de transfert sont décrits : initialement le dément est considéré comme un sujet “vide” puisque dément, puis comme un sujet “en devenir”, enfin s'installe un transfert en miroir : le patient est capable de ressentir et d'éprouver la situation. Cela permettra un nouveau style d'échange. Trois principaux types de troubles affectifs sont habituellement reconnus. L'anxiété est fréquente, plus souvent agie qu'exprimée, parfois présente derrière l'apparente indifférence du sujet. Elle renvoie à la peur des pertes, du rejet et de la mort. La dépression est très fréquemment associée (estimée jusqu'à 43 % des cas). Elle peut simuler, annoncer ou compliquer la démence. Son mécanisme physiopathologique reste débattu. Des manifestations délirantes peuvent également s'observer. Elles ont dans tous les cas une signification individuelle, le sujet semblant reconstruire sa vie affective. Ainsi le syndrome de Capgras (folie raisonnante) correspondrait à une tentative de réaménagement imaginaire du cadre de vie du dément. Les sujets en contact, supports indispensables du mécanisme délirant, deviennent alors soit le compagnon tardif, soit le fils ou la fille. Le dément perçoit l'environnement et donne la réponse qui lui 212 S semble la plus cohérente face à la vie qu'il mène et aux situations qu'il rencontre. Commentaire. L'altération progressive de la cognition s'accompagne-t-elle nécessairement de la perte de l'affectivité ? La question est ouverte. L'expérience montre que le patient dément présente souvent des troubles affectifs : anxiété, dépression, manifestations délirantes. Leur interprétation reste sujet à débat : signification individuelle propre à l'histoire du sujet ou bien implication des systèmes limbiques ou frontaux liée directement à la maladie ? LA PRÉVENTION DE LA MALADIE D'ALZHEIMER POUR DEMAIN ? Aucun traitement médicamenteux nouveau de la maladie d'Alzheimer n’a été proposé à l'occasion de ce congrès. Cependant une place a été réservée à la prévention de la maladie. On estime que l'incidence de la maladie après 75 ans pourrait être diminuée de 30 %, grâce à une stratégie d'intervention préventive efficace. Le modèle défini serait le suivant : pour les sujets avec un risque de base, des conseils de bonne santé (limiter les traumatismes crâniens, prise en charge de l'HTA, traitement de la ménopause); pour les sujets à facteurs de risque modéré (histoire familiale), les antioxydants et les œstrogènes; pour les sujets à facteurs de risque élevé (histoire familiale + génotype apo E4/E4), des AINS; et pour les sujets à risque plus élevé (mutation du gène de la préséline), des suppresseurs de déposition de l'amyloïde. Quant à la consommation de vin rouge, la question reste ouverte. Commentaire. L'heure de la prévention de la maladie d'Alzheimer a-t-elle sonné ? Beaucoup d'études, sur ce sujet, sont encourageantes. Mais il faudra bien sûr attendre les résultats d'études prospectives qui sont actuellement envisagées. MALTRAITANCE DES PERSONNES ÂGÉES : LA LOI DU SILENCE SEMBLE DÉPASSÉE Souvent méconnue, la maltraitance toucherait environ 5 % des personnes de plus de 65 ans selon diverses études européennes. En France, des réseaux se mettent en place pour répondre à ce problème social et médical. Le réseau français ALMA se compose ainsi actuellement de sept centres d'écoutes (Bordeaux, Grenoble, Limoges, Mulhouse, Reims, Saint-Étienne et Strasbourg). Des bénévoles formés et encadrés par des référents professionnels assurent une permanence téléphonique. Le nombre d'appels est en progression constante (2 819 appels en 1996 et 1997). En 1997, les appels concernaient essentiellement les maltraitances et surtout les négligences exercées dans un cadre institutionnel (29 %) ou à domicile (70 %), la famille étant le plus souvent à l'origine des abus (58 % des cas). ■ La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. II - août 1998