D o s s i e r t h é m a t i q u e Tumeurs rétrorectales de l’adulte : démarche diagnostique et prise charge thérapeutique ● S. Bonvalot*, D. Vanel** L a prise en charge thérapeutique des tumeurs rétrorectales dépend de l’histologie – quand celle-ci a pu être évoquée par la radiologie ou définie par une biopsie préopératoire – de la localisation par rapport au plancher périnéal, de la taille tumorale et de l’éventuelle extension dans l’échancrure sciatique ou le sacrum. Beaucoup de séries rétrospectives limitées à quelques cas cliniques présentent des biais de recrutement spécifiques de l’activité du service, et les recommandations sur la prise en charge et les voies d’abord de ces tumeurs en sont représentatives. MODES DE RÉVÉLATION Longtemps asymptomatiques, ces lésions peuvent se révéler par des signes compressifs sur les viscères adjacents (constipation, dysurie, rétention vésicale) ou sur les racines nerveuses (douleurs à type de sciatique pouvant entraîner des errements diagnostiques). Lorsqu’il existe des signes neurologiques, il faut systématiquement rechercher une éventuelle extension intracanalaire. Les kystes peuvent également être révélés par des surinfections, des fistulisations (et pris initialement pour des abcès) ou des hémorragies. Certaines tumeurs, très molles et donc très peu compressives (angiomyxome agressif, liposarcome bien différencié), peuvent se développer au-delà de l’espace rétrorectal, passer dans l’échancrure sciatique et en * Département de chirurgie. ** Département de radiologie, Institut GustaveRoussy, Villejuif. imposer initialement pour une tumeur de la fesse ou se développer vers le périnée, ce qui peut entraîner des gestes inadaptés en l’absence d’imagerie. CLASSIFICATION PAR ORDRE DE FRÉQUENCE Les kystes congénitaux sont les tumeurs bénignes les plus fréquentes : 79 sur 120 dans l’expérience de la Mayo Clinic (1), 47 % dans l’expérience chinoise (2), avec une très nette prédominance féminine (15/1). Ils comprennent les kystes épidermoïdes, dermoïdes et entériques (figure 1). Les tumeurs malignes représentent la moitié des tumeurs rétrorectales, et les chordomes en sont les plus fréquentes : 38 % dans l’expérience du Mémorial de New York (3), avec une nette prédominance masculine (5/1). Les autres tumeurs des tissus mous rétrorectaux sont plus rares : sarcomes des tissus mous de l’espace rétrorectal (figures 2 à 5), GIST (figure 6), tumeurs à malignité locale (fibromatoses, angiomyxomes agressifs (figure 7), tumeurs myofibroblastiques inflammatoires), tumeurs bénignes, dont les tumeurs nerveuses (en particulier les schwannomes) (figure 8) et les tératomes. Figure 1. Kyste vestigial (scanner). Figure 2. Liposarcome rétro- et latérorectal. IMAGERIE Le scanner permet le plus souvent de faire le diagnostic de kyste en mettant en évidence une lésion uni- ou multiloculée, bien définie, avec une paroi fine (4). Le contexte clinique est également important (il s’agit le plus souvent de femmes d’une quarantaine d’années). Dans ces cas, il ne faut pas envi- 38 Figure 3. Liposarcome rétro- et latéro rectal. Le Courrier de colo-proctologie (IV) - n° 2 - avril - mai - juin 2003 D o s s i e r t h é m a t i q u e Figure 5. Sarcome de haut grade de malignité après chimiothérapie. Figure 4. Sarcome de haut grade de malignité avant chimiothérapie. Figure 6. GIST rétrorectal (IRM). Figure 7. Angiomyxome agressif (IRM). Figure 8. Schwannome bénin pelvien (IRM). sager de biopsie, car le traitement consiste en une exérèse chirurgicale complète, dont la voie d’abord (antérieure ou périnéale) dépend de la taille et de la situation du kyste par rapport au plancher périnéal. Lorsqu’on suspecte un chordome, il est essentiel de rechercher une atteinte sacrée et de compléter l’imagerie par une IRM. En effet, il existe une atteinte osseuse dans la plupart des cas. Les chordomes se développent à partir de reliquats de la notochorde. Plus de la moitié sont situés dans la région sacro-coccygienne avec une atteinte du sacrum. L’extension dans les tissus mous rétrorectaux peut être très volumineuse, avec une atteinte osseuse limitée qui risque de passer inaperçue si elle n’est pas recherchée systématiquement. Il est nécessaire de faire une biopsie afin de différencier cette tumeur d’autres tumeurs du sacrum qui justifieraient impérativement une chimiothérapie néoadjuvante (Ewing, ostéosarcomes). Dans la majorité des cas, cette biopsie est réalisable sous scanner, et l’orifice de ponction est tatoué pour être repris lors de l’exérèse. Lorsqu’il s’agit d’une tumeur solide sans atteinte sacrée, il est utile de réaliser une échoendoscopie pour vérifier l’intégrité de la paroi rectale. Il est nécessaire de rechercher une extension dans un trou sacré qui ferait fortement suspecter un schwannome et nécessiterait un temps chirurgical postérieur en premier. Il faut également apprécier une éventuelle extension dans l’échancrure sciatique, qui ferait discuter l’adjonction d’une voie d’abord de l’échancrure sciatique pour libérer le nerf sciatique et enlever la tumeur en bloc. Il faut rechercher une extension au travers du plancher périnéal (les angiomyxomes Le Courrier de colo-proctologie (IV) - n° 2 - avril - mai - juin 2003 39 agressifs peuvent s’étendre dans le plancher périnéal jusque dans la grande lèvre et être pris initialement pour une bartholinite). Ces extensions anatomiques sont au mieux appréciées par l’IRM pelvi-périnéale. Lorsqu’il s’agit d’une tumeur solide volumineuse, il faut discuter une éventuelle biopsie sous scanner si la lésion est accessible (ponction via l’échancrure sciatique de part et d’autre du sacrum, ponction par voie périnéale, ponction au-dessus de la crête iliaque). On utilise des aiguilles à biopsie de 14 G protégées par un mandrin, ce qui permet de ne pas contaminer le trajet de biopsie. L’intérêt d’avoir une biopsie est de discuter un éventuel traitement néo-adjuvant, s’il s’agit d’un sarcome de haut grade de malignité, ou d’adapter d’emblée le geste chirurgical au type histo- D o s s i e r logique. Il ne faut pas faire de biopsie au travers du rectum ou du vagin si la paroi de ces organes n’est pas atteinte, car on risque de compromettre leur conservation ultérieure. Une atteinte osseuse doit être attentivement recherchée, et lorsqu’elle est retrouvée, la biopsie doit être absolument systématique. En cas de tumeur maligne, il est nécessaire d’avoir un bilan d’extension avant d’envisager le plan thérapeutique, en particulier avant une chirurgie potentiellement mutilante. DÉMARCHE THÉRAPEUTIQUE Kystes congénitaux Le traitement est chirurgical (5, 6) afin d’éviter des complications (surinfection, hémorragie, mais il a été décrit également des dégénérescences). La voie d’abord dépend de la taille et de la localisation par rapport au plancher périnéal. Si la lésion est proche du plancher périnéal et de petite taille, on peut envisager un abord périnéal exclusif ; si la lésion est volumineuse ou située à distance du plancher périnéal, on préférera un abord par laparotomie. La voie de Kraske permet un excellent abord sur l’espace rétrorectal. Son principal inconvénient est qu’il faut être absolument certain qu’il ne s’agit pas d’un sarcome avec des zones de nécrose (diagnostic différentiel), car on prendrait le risque d’une effraction tumorale qui contaminerait la voie d’abord et la tranche de section osseuse et imposerait une chirurgie de reprise beaucoup plus mutilante. Les chordomes Même lorsque l’extension dans les tissus mous rétrorectaux paraît prédominante, l’atteinte sacrée est quasi systématique. La chirurgie consiste en l’exérèse des pièces sacrées atteintes en bloc avec l’extension tumorale dans les tissus mous en regard. Il est donc nécessaire de faire une voie d’abord postérieure afin de réséquer les pièces sacrées concernées après avoir désinséré les muscles grands fessiers. L’ef- t h é m a t i q u e fraction tumorale compromet définitivement le contrôle local et expose à un essaimage pelvien ou péritonéal. Il n’y a aucune indication à réséquer le rectum si sa paroi n’est pas atteinte. Il est souvent nécessaire de mettre en place une plaque de type Gore Tex afin d’éviter une éventration sous le sacrum restant. Ces lésions, même de bas grade, sont malignes, et la radiothérapie postopératoire, lorsque les suites de l’intervention le permettent, diminue l’incidence des risques de récidive locale. Environ un tiers des patients développent des métastases à distance, et il est nécessaire de les surveiller localement et avec une radiographie pulmonaire (7, 8). Tumeurs solides des tissus mous rétrorectaux sans atteinte sacrée S’il s’agit d’un sarcome de haut grade de malignité et que le diagnostic est fait par une biopsie en préopératoire, il faut systématiquement discuter une chimiothérapie néo-adjuvante qui permet, dans un tiers des cas, de diminuer le volume tumoral et autorise une chirurgie plus conservatrice ou avec une meilleure qualité des marges histologiques (9). Par assimilation avec les sarcomes de membre, on envisage une irradiation postopératoire afin de diminuer l’incidence des récidives locales. La réalisation d’une épiplooplastie diminue le risque d’une toxicité digestive. Il ne faut pas faire d’irradiation sur une chirurgie macroscopiquement incomplète, car on en perd le bénéfice. Si la chirurgie initiale est macroscopiquement incomplète, il faut discuter une reprise d’exérèse élargie avant l’irradiation. S’il s’agit d’un GIST rétrorectal situé à proximité du sphincter, on peut discuter un traitement néo-adjuvant par Glivec® afin de diminuer le volume tumoral et de faciliter un geste conservateur du sphincter. S’il s’agit d’un sarcome de bas grade de malignité, le risque métastatique est faible. Lorsque la chirurgie est marginale, l’évolution locale, puis l’évolution péritonéale (sarcomatose lors de récidives itératives) peuvent entraîner le décès du patient. Il est 40 donc essentiel, surtout chez un patient jeune, de faire d’emblée une chirurgie élargie (le plus souvent associée à une résection antérieure du rectum) ou de discuter une reprise chirurgicale élargie quand le diagnostic n’a pas été fait en préopératoire. S’il s’agit d’une tumeur à malignité locale, les règles de la chirurgie sont les mêmes que pour un sarcome de bas grade. En effet, on observe pour ces lésions des récidives multifocales et péritonéales qui peuvent compromettre la survie du patient (en particulier les angiomyxomes agressifs). Dans le cas des fibromatoses chez la femme jeune, on peut discuter une surveillance initiale, surtout si la chirurgie risque d’être mutilante (extension sphinctérienne ou sacrée), afin de déterminer si l’évolution correspond à une fibromatose évolutive ou non. Si la fibromatose n’est pas évolutive, la tumeur peut rester stable pendant de nombreuses années. Plus la femme vieillit, moins le risque de poursuite évolutive est important. L’objectif dans ces fibromatoses n’est pas de réséquer à tout prix la tumeur mais d’obtenir une stabilité de la lésion et d’éviter une chirurgie mutilante qui, dans le cas des fibromatoses, est souvent microscopiquement incomplète et expose à des récidives multiples. De plus, on observe des régressions spontanées sans traitement. Si la fibromatose est évolutive, se discutent des traitements type Nolvadex® quand les récepteurs hormonaux sur la biopsie sont positifs. Ces traitements sont susceptibles de stabiliser la lésion, la chirurgie restant une solution ultime lorsqu’elle est mutilante. CONCLUSION La prise en charge thérapeutique d’une tumeur rétrorectale nécessite d’avoir à l’esprit toutes les hypothèses diagnostiques afin de ne pas risquer l’effraction tumorale d’une tumeur maligne. Les tumeurs rétrorectales sont pour moitié des tumeurs bénignes – les plus fréquentes étant les kystes congénitaux –, et pour l’autre moitié, des tumeurs malignes – les Le Courrier de colo-proctologie (IV) - n° 2 - avril - mai - juin 2003 D o s s i e r plus fréquentes étant les chordomes. Les kystes congénitaux doivent être réséqués d’emblée par une voie d’abord antérieure ou périnéale adaptée à leur taille et à leur situation topographique. Les chordomes sont le plus souvent associés à une atteinte sacrée et nécessitent l’exérèse des pièces sacrées atteintes en bloc avec l’extension dans les tissus mous rétrorectaux. Cette chirurgie se fait par une voie d’abord postérieure. Les sarcomes des tissus mous rétrorectaux imposent une exérèse élargie complétée d’une irradiation. Lorsque le diagnostic n’a pas été fait en préopératoire par une biopsie, il faut discuter une reprise d’exérèse élargie avant l’irradiation. t h é m a t i q u e 4. Dahan H, Arrive L, Wendum D et al. Retrorectal developmental cysts in adults : clinical and radiologic-histopathologic review, differential diagnosis, and treatment. Radiographics 2001 ; 21 : 575-84. Les tumeurs des tissus mous rétrorectaux peuvent s’étendre à travers l’échancrure sciatique ou le périnée, ce qui peut imposer des voies d’abord combinées afin de réaliser une exérèse monobloc. ■ 5. Bellotti C, Montori J, Capponi MG et al. The management of retrorectal congenital tumors. Hepatogastroenterology 2002 ; 49 : 687-90. 6. Hjermstad BM, Helwig EB. Tailgut cysts. Report of 53 cases. Am J Clin Pathol 1988 ; 89 : 139-47. R É F É R E N C E S 7. Eriksson B, Gunterberg B, Kindblom LG. Chordoma. A clinicopathologic and prognostic study of a Swedish national series. Acta Orthop Scand 1981 ; 52 : 49-58. 1. Jao SW, Beart RW Jr, Spencer RJ et al. Retrorectal tumors. Mayo Clinic experience, 1960-1979. Dis Colon Rectum 1985 ; 28 : 644-52. 8. York JE, Kaczaraj A, Abi-Said D et al. Sacral chordoma : 40-year experience at a major cancer center. Neurosurgery 1999 ; 44 : 74-9 ; discussion 79-80. 2. Wang JY, Hsu CH, Changchien CR et al. Presacral tumor : a review of forty-five cases. Am Surg 1995 ; 61 : 310-5. 9. Stojadinovic A, Leung DH, Hoos A et al. Analysis of the prognostic significance of microscopic margins in 2 084 localized primary adult soft tissue sarcomas. Ann Surg 2002 ; 235 : 424-34. 3. Cody HS 3rd, Marcove RC, Quan SH. Malignant retrorectal tumors : 28 years' experience at Memorial Sloan-Kettering Cancer Center. Dis Colon Rectum 1981 ; 24 : 501-6. ✁ O UI, À découper ou à photocopier JE M’ABONNE AU TRIMESTRIEL Le Courrier de Colo-proctologie ABONNEMENT : 1 an ÉTRANGER (AUTRE FRANCE/DOM-TOM/EUROPE Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité ................................................................................. ❐ ❐ ❐ à l’attention de .............................................................................. 60 € collectivités 48 € particuliers 30 € étudiants* *joindre la photocopie de la carte ❏ Particulier ou étudiant Pratique : ❏ hospitalière ❏ libérale *joindre la photocopie de la carte + M., Mme, Mlle ................................................................................ Prénom .......................................................................................... 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