congrès congrès Retour de congrès 4e réunion de Pizay du Club des Jeunes Hypertensiologues Microalbuminurie et hypertension artérielle G. Würzner, A. Chioléro, M. Burnier* En 1974, Parving et coll. qu’il n’y a pas d’atteinte de démontrent pour la prea microalbuminurie, c’est-à-dire l’augmentation la réabsorption tubulaire de mière fois que la microaldans ces affecmesurable de l’excrétion urinaire d’albumine en protéines buminurie est fréquente tions. dessous des valeurs généralement admises pour la Au niveau du glomérule, chez les patients dont l’hydeux paramètres, à savoir pertension artérielle essenprotéinurie, est devenue au cours des dernières l’hémodynamique (flux et tielle est mal contrôlée (4). années une mesure de base dans la prise en char- pression intraglomérulaire) En 1988, Yudkin et coll. ge du diabète, à la fois comme marqueur précoce et l’intégrité de la membrane trouvent une association de filtration, conditionnent entre la présence d’une d’atteinte rénale et comme facteur pronostique le passage des molécules à microalbuminurie et les d’évolution vers la macroalbuminurie et l’insuffitravers la membrane. complications cardiaques L ’augmentation de la résiset vasculaires périphésance rénale terminale (1). Par ailleurs, quel que tance vasculaire rénale et de riques chez des patients soit le type de diabète, la présence d’une microal- la fraction de filtration (qui hypertendus non diabébuminurie est un facteur prédictif d’une mortalité reflète indirectement la tiques (5). Ces résultats font donc penser que, et d’une morbidité cardiovasculaire élevée (2, 3). pression intraglomérulaire) et la diminution du flux comme chez le patient diarénal, en fonction de tenbétique, la microalbumisions artérielles croissantes, sont connues nurie est un facteur pronostique des complichez l’hypertendu comme chez le diabétique cations cardiovasculaires dans l’hypertension (1, 6, 7). L’hypertension intraglomérulaire, essentielle. Depuis lors, la microalbuminuassociée à une hyperperfusion capillaire, rie est de plus en plus fréquemment mesurée pourrait provoquer une atteinte de la perméachez des patients hypertendus non diabéOn parle de microalbuminurie lorsque le bilité glomérulaire et une augmentation de la tiques. La découverte d’une microalbumipatient excrète une faible quantité d’albumicharge d’albumine filtrée menant à une augnurie chez un patient hypertendu suscite ne (entre 3 et 300 mg/24 h). Cette dernière mentation de l’excrétion de l’albumine (8). néanmoins un certain nombre de questions. est déterminée par la quantité filtrée à travers La diminution de l’albuminurie après traiteS’agit-il vraiment d’un marqueur d’une la membrane glomérulaire moins la quantité ment antihypertenseur parle en faveur de atteinte rénale précoce ou d’un risque carréabsorbée par les cellules tubulaires. La cette hypothèse. Toutefois, la pression ne diovasculaire élevé ? Faut-il intervenir spécimicroalbuminurie résulte donc soit d’un passemble pas être l’unique déterminant. L’étude fiquement pour diminuer la micro-albumisage augmenté à travers la membrane glode Pedrinnelli démontre en effet l’importance nurie et si oui, quel traitement utiliser ? mérulaire, soit d’une baisse de la réabsorpde l’intégrité du système vasculaire en plus de Quand et comment mesurer la microalbumition tubulaire. Dans le diabète comme dans la pression artérielle dans l’excrétion d’albunurie ? Le but de cet article est de passer en l’hypertension artérielle, la microalbuminumine de l’hypertendu (9). La découverte revue quelques données récentes concernant rie semble être essentiellement le reflet d’une d’une association entre la microalbuminurie la mesure de la microalbuminurie dans l’hyatteinte glomérulaire (6). En effet, l’excréet des marqueurs périphériques d’atteinte ou pertension artérielle. tion urinaire de la β2-microglobuline, qui est de dysfonction vasculaire comme le facteur une molécule de bas poids moléculaire filde Willebrand suggère plutôt que la microalbuminurie reflète une atteinte microvasculaitrée et réabsorbée par les cellules tubulaires, re. Par ailleurs, Mimran et coll. ont observé, est normale, aussi bien chez le patient diabé* Division d’hypertension et de médecine vasdans une population de patients hypertendus tique que chez l’hypertendu, ce qui suggère culaire, CHUV, Lausanne, Suisse. L Qu’est-ce que la microalbuminurie ? Act. Méd. Int. - Hypertension (12), n° 3, mars 2000 361 congrès congrès Retour de congrès 4e réunion de Pizay du Club des Jeunes Hypertensiologues non obèses, que la microalbuminurie peut apparaître alors qu’il n’y a aucune altération de la filtration glomérulaire, du flux sanguin rénal ou de la fraction filtrée (10). Ces données suggèrent qu’il n’y a pas nécessairement une relation directe entre l’hypertension intraglomérulaire, mesurée par la fraction filtrée, et la microalbuminurie chez le patient avec hypertension essentielle. Il faut cependant reconnaître que la fraction de filtration n’est qu’une mesure peu précise de la pression intraglomérulaire. Des facteurs génétiques pourraient également contribuer à l’expression d’une microalbuminurie. En effet, le polymorphisme du gène de l’enzyme de conversion de l’angiotensine semble influencer le déclin de la fonction rénale et provoquer une résistance aux effets rénoprotecteurs des traitements anti-hypertenseurs chez les hypertendus diabétiques et non diabétiques (11-14). Le génotype DD semble être associé positivement à une microalbuminurie, ce qui n’est pas le cas des génotypes II ou ID. Cette association n’a cependant pas été retrouvée dans toutes les études. En conclusion, le mécanisme du développement de la microalbuminurie dans l’hypertension artérielle n’est pas encore clairement élucidé. Néanmoins, quelle que soit l’origine de l’atteinte glomérulaire, la pression artérielle reste l’un des facteurs déterminants dans l’excrétion urinaire de microalbumine. Quand et comment mesurer la microalbuminurie ? Conditions de prélèvement La microalbuminurie peut être dosée sur une récolte de 24 heures, une récolte de nuit ou le premier échantillon matinal. Les valeurs de références pour chacune de ces conditions sont indiquées dans le tableau I. La récolte de 24 heures est la plus représentative de l’excrétion urinaire d’albumine moyenne, mais cette mesure nécessite des explications précises et une excellente col- Act. Méd. Int. - Hypertension (12), n° 3, mars 2000 Tableau I. Valeurs de références pour la mesure de la microalbuminurie. Tableau II. Facteurs interférants avec la mesure de la microalbuminurie. ◗ Taux d’excrétion de l’albumine : 20-200 µ/min ou 300 mg/24 heures ◗ Rapport albumine/créatinine urinaire : 2,5-25 mg/mmol chez l’homme 3,5-35 mg/mmol chez la femme ◗ Concentration de l’albumine (1er échantillon matinal) : 30-300 mg/l Exercice physique – Forte diurèse – Rythme nycthéméral – Position – Obésité massive – Infection urinaire – Maladie chronique ou aiguë avec fièvre – Insuffisance cardiaque – Médicaments (anti-inflammatoires non stéroïdiens) laboration du patient pour la récolte des urines. Le dosage sur une récolte de nuit ou sur un échantillon du matin permet de simplifier la récolte car il évite la variabilité d’excrétion induite par les changements de position et par les variations de la pression artérielle généralement plus élevée la journée. Aucune étude à long terme n’a pour l’instant défini quelle est la méthode la plus efficace. Dans une étude comprenant plus de 2 500 personnes, la sensibilité et la spécificité de la mesure de la concentration urinaire d’albumine étaient de 58 et 97 % alors que celles du rapport albumine/ créatinine étaient de 73 et 97 % (15). Il est aussi possible de rapporter la concentration urinaire d’albumine à la densité urinaire au lieu de la créatinine. La sensibilité et la spécificité du rapport albumine/densité urinaire sont respectivement de 85 et 93 %. Quelles que soient les conditions choisies, il est important de relever que la variabilité de la mesure de la microalbuminurie est élevée (coefficient de variation entre 30 et 50 %). Il est donc recommandé de faire plusieurs prélèvements, au minimum trois échantillons pendant une période de trois mois. Si deux prélèvements sont positifs, on peut alors parler de microalbuminurie. Plusieurs facteurs confondants peuvent troubler la mesure de la microalbuminurie et produire des faux positifs (tableau II). Il faut éviter la mesure en cas d’infection du tractus urinaire, d’écoulement vaginal, pendant la période de menstruation, lors d’une maladie aiguë avec fièvre et lorsque les glycémies ne sont pas normalisées. Toute activité sportive importante devrait être évitée pendant et avant la récolte d’urine. 362 Méthodes de mesure La méthode de référence est le “radioimmunoassay” (RIA). L’immunodiffusion radiale (RID), la “rocket immunoelectrophoresis” (RIE), l’immunonéphélométrie, l’immunoturbidimétrie et l’“automated fluorescence assay” (AFA) ont été comparés au radioimmunoassay (16, 17). La corrélation entre RIA, RID et RIE est excellente, cependant la rapidité et le coût de mesure de l’immunoélectrophorèse rendent cette méthode particulièrement intéressante pour un laboratoire de petite taille effectuant un nombre limité de mesures. L’immunonéphélométrie est légèrement moins sensible que le RIA, elle est cependant plus rapide et plus facile à utiliser. L’AFA a une haute spécificité et sensibilité, auxquelles s’ajoutent un faible coût et une rapidité de mesure. La mesure de la microalbuminurie par bandelette urinaire réactive (Micral-Test II) est particulièrement utile dans la détection de la microalbuminurie chez les patients à risques avec une sensibilité et une spécificité variant respectivement de 63 à 98 % et de 71 à 98 % (18). Prévalence de la microalbuminurie dans l’hypertension essentielle Depuis l’observation initiale de Parving et coll. (4), de nombreuses études ont été entreprises afin de confirmer l’association microalbuminurie-hypertension artérielle congrès congrès Retour de congrès et d’évaluer la prévalence de la microalbuminurie dans la population hypertendue. Plusieurs grandes études italiennes ont confirmé qu’il existe une relation positive entre l’excrétion urinaire de microalbumine et la pression artérielle (19-21). La relation entre microalbuminurie et pression artérielle est encore plus marquée lorsque cette dernière est mesurée sur 24 heures (22, 23). La microalbuminurie est plus importante chez les patients hypertendus dont la pression artérielle ne baisse pas la nuit (“non-dippers”) (24). Les études de prévalence de microalbuminurie dans l’hypertension ont donné des résultats assez divers. Dans une étude transversale de la population de la ville de Gubbio, Cirillo et coll. (19) ont montré que la prévalence de la microalbuminurie dans la tranche d’âge 45-64 ans (diabétiques exclus) était comprise entre 5 et 10 %. Ce chiffre passe de 10 à 40 % dans la population hypertendue (8). Toutefois, deux études récentes ont revu ces valeurs de prévalence à la baisse, aux environs de 7 % (21, 25). Ces variations peuvent être expliquées par les méthodes utilisées pour le dosage, la population analysée (taille de l’échantillon, âge, patient ambulatoire ou hospitalisé, traitement antihypertenseur) et la définition de la microalbuminurie. Chez les patients présentant une hypertension de cabinet, la prévalence de la microalbuminurie est de 14 % soit légèrement plus élevée que dans la population normale (23). La prévalence de la microalbuminurie semble également être plus élevée chez les patients hypertendus obèses et/ou fumeurs (26). La microalbuminurie est-elle un indicateur du risque cardiovasculaire ? Plusieurs études se sont attachées à trouver une association entre la microalbuminurie et d’autres facteurs de risque cardiovasculaires afin d’éclaircir son rôle comme marqueur d’atteinte d’organes cibles et d’évaluer si la microalbuminurie a une valeur pronostique pour la survenue de complications cardiovasculaires et rénales. Dans ce cas, la microalbuminurie représenterait un outil de mesure relativement simple dans l’évaluation et le suivi du patient hypertendu comme c’est le cas dans le diabète. Dans la population hypertendue, la présence d’une microalbuminurie est associée à un profil lipidique défavorable [élévation du cholestérol total (19, 21), des LDL et de la Lp(a), des TG et baisse des HDL], à une augmentation de l’acide urique (19, 21) et à une résistance à l’insuline (27). La recherche d’une association à d’autres facteurs, comme l’index corporel (BMI) et le tabac, a donné des résultats plus contradictoires (19). La présence d’une microalbuminurie est donc clairement associée avec un profil athérogénique défavorable. Chez les patients hypertendus, plusieurs études transversales ont démontré que la microalbuminurie est associée à une atteinte des organes cibles (15, 21). Ainsi, l’hypertrophie ventriculaire (20, 22, 28, 29), la maladie coronarienne (5), l’épaississement des artères carotides (28) et les lésions vasculaires périphériques (5, 29) sont plus fréquentes chez les patients microalbuminuriques que les patients hypertendus normoalbuminuriques. L’association de la microalbuminurie à une atteinte rénale est moins évidente dans l’hypertension essentielle. Néanmoins, la microalbuminurie est associée à une augmentation des résistances rénales (28), à une baisse de la clairance de la créatinine et à une perte de la réserve fonctionnelle rénale. Ces études tendent donc à confirmer la valeur de la microalbuminurie comme marqueur d’atteinte d’organes cibles. Cependant, le fait que ces travaux aient été réalisés de manière transversale ne permet pas de tirer des conclusions sur l’évolution au cours du temps. La valeur prédictive de la microalbuminurie en termes de mortalité et morbidité cardiovasculaire et rénale est sujette à de nombreuses discussions. Certaines 363 données suggèrent que la microalbuminurie est un facteur de risque indépendant pour le développement de complications cardiovasculaires (20). Yudkin et coll. ont trouvé un taux de mortalité plus élevé chez les patients hypertendus avec microalbuminurie, mais ses données étaient incomplètes (petit échantillon, cause de la mort non documentée) (5). Récemment Biggazzi et coll. ont démontré, dans une étude rétrospective, que la présence d’une microalbuminurie prédit une baisse de la fonction rénale plus marquée chez les patients hypertendus (30). Cependant, d’autres études tendent à prouver le contraire. Ainsi, dans une étude prospective de 3,3 ans, Agewall et coll. n’ont pas trouvé d’augmentation du risque de morbidité et de mortalité cardiovasculaire chez des patients hypertendus microalbuminuriques non diabétiques (31). Des résultats semblables ont été trouvés dans la population générale et dans d’autres groupes de patients hypertendus non diabétiques. Il faut donc être conscient que, dans le domaine de l’hypertension artérielle essentielle, nous manquons encore de données sur la signification d’une microalbuminurie en termes de facteur de risques cardiovasculaire et rénal. Nous ne savons pas non plus si diminuer la microalbuminurie améliore le pronostic cardiovasculaire et rénal des patients hypertendus. Pour l’instant, nous procédons essentiellement par analogie avec les résultats obtenus dans le diabète mais ces derniers ne sont pas nécessairement transposables à l’hypertension essentielle. Pour cette raison, la poursuite d’investigations prospectives sur des populations plus larges est nécessaire. Peut-on intervenir sur la microalbuminurie ? La baisse de la pression artérielle, provoquée par un traitement antihypertenseur, diminue l’excrétion urinaire de l’albumi- congrès congrès Retour de congrès 4e réunion de Pizay du Club des Jeunes Hypertensiologues ne quelle que soit la classe thérapeutique choisie. Le contrôle tensionnel représente donc la première étape indispensable au contrôle de la micro-albuminurie. Plusieurs études suggèrent que le blocage du système rénine-angiotensine permet d’obtenir de meilleurs résultats sur la protéinurie et sur la microalbuminurie. Ainsi, plusieurs métaanalyses récentes suggèrent clairement que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion ont une meilleure efficacité pour réduire l’excrétion urinaire d’albumine (32, 33). Toutefois, cette tendance n’est pas retrouvée systématiquement et l’avantage des bloqueurs du système rénine-angiotensine est parfois remis en cause. Depuis quelques années, plusieurs grandes études ont démontré le bénéfice de l’utilisation des inhibiteurs de l’enzyme de conversion dans la prévention de l’insuffisance rénale terminale chez des patients présentant une néphropathie diabétique ou non diabétique. Ces résultats s’appliquent-ils aussi à la microalbuminurie du patient avec hypertension essentielle ? C’est vraisemblable, mais il faudra également le démontrer, ce qui nécessitera des études de très longue durée car la perte de fonction rénale est très lente chez les patients présentant une hypertension essentielle. Une étude de longue durée (14 ans) a déjà démontré que le contrôle strict de la pression artérielle permet de prévenir l’augmentation de la microalbuminurie et de la protéinurie dans l’hypertension artérielle essentielle (34). Conclusion Les travaux réalisés jusqu’à aujourd’hui encouragent le dosage initial de l’excrétion urinaire de microalbumine chez les patients hypertendus non diabétiques afin d’identifier les sous-populations à risque et d’intervenir par une prise en charge globale de l’hypertension et des facteurs de risque cardiovasculaires associés. Même si l’on manque encore d’études prospectives démontrant l’utilité d’une normalisation de la microalbuminurie dans l’hyper- Act. Méd. Int. - Hypertension (12), n° 3, mars 2000 tension essentielle, il paraît raisonnable de considérer la baisse de la microalbuminurie comme un nouvel objectif thérapeutique chez le patient hypertendu. Ce but peut difficilement être atteint sans un contrôle strict de la pression artérielle et des facteurs de risque associés tels que l’hyperlipidémie et le tabagisme. Références bibliographiques 1. Mogenson C.E. Microalbuminuria as a predictor of clinical diabetic nephropathy. Kidney Int. 1987 ; 31 : 673-89. 2. Abbott K.C., Sanders L.R., Bakris G.L. Microalbuminuria in non-insulin dependent diabetes mellitus : implications for renal survival. Arch. Int. Med. 1994 ; 154 : 145-53. 3. Stephenson J.M., Kenny S., Stevens L.K., Fuller J.H., Lee E. and the WHO multinational study group. Proteinuria and mortality in diabetes : the WHO multinational study of vascular disease in diabetes. Diabet. Med. 1995 ; 12 : 149-55. 4. Parving H.H., Mogensen C.E., Jensen H.A., Evrin P.E. 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