progrès en Progrès en prévention Fréquence des facteurs de risque psychosociaux dans l’angor stable, et différences entre hommes et femmes Patrice Colin, Michel S. Slama* Le cœur est considéré comme un organe central, What is in my brain, that is in my chargé de spiritualité, (Shakespeare). réceptacle de l’âme, symbole de la vie. Grâce à une abondante littérature récente, il est mainteEn utilisant une technique d’entretien appenant bien établi que les facteurs psycholée interview structurée, Billing et coll. ont sociaux, en particulier la dépression, évalué 767 patients issus de l’étude APSIS l’anxiété, la personnalité (hostilité), l’isole(Angina Prognosis Study in Stockholm) (1) ment social, un stress aigu ou chronique et 50 patients sains témoins. Les patients influent et contribuent de façon significative angineux ont significativement plus d’antéà la progression de l’athérome et au déclencédents d’événements stressants, de troubles chement des événements coronariens. Mais du sommeil et de symptômes psychosomacette littérature est multidisciplinaire et un tiques que les sujets témoins. Un travail certain nombre d’observations épidémiolocontraignant, soumis à la pression du temps giques et physiopathologiques rapportées où l’initiative et le pouvoir décisionnel sont peuvent ainsi être méconnues. D’autre part, nuls est retrouvé avec une plus grande frél’approche de la psychologie des patients quence chez les patients angineux. coronariens est délicate, un cardiologue L’hostilité est le seul trait de caractère qui n’étant ni psychiatre ni psychologue. Ainsi, différencie les deux groupes. Dans la mesula majorité des troubles psychiques renconre où, dans ce travail, le nombre d’hommes trés chez de tels patients n’est pas diagnostiet de femmes étudiés est presque identique, quée, en partie parce qu’ils ne s’en plaignent un certain nombre de différences ont pu être pas ouvertement, mais aussi parce que le carobservées. Les contraintes liées au travail, diologue n’est pas entraîné à les reconnaître. les événements stressants (comme le veuvaLa grande majorité des études se sont intége, par exemple), les symptômes psychosoressées au lien entre facteurs psychosociaux matiques (fatigue, maux de tête, vertiges, et coronaropathies ont été conduites en pleurs, dyspnée, pieds froids, jambes milieu spécialisé sur des patients en situation lourdes…) et les troubles du sommeil sont aiguë ou en post-infarctus immédiat et ont plus fréquents chez la femme. Alors qu’une inclu essentiellement des hommes. Peu de personnalité de type A (sthénie de l’aspect travaux se sont intéressés aux patients en extérieur, pauvreté relationnelle avec l’enangor stable et aux éventuelles différences tourage, surinvestissement de l’activité et de existant entre hommes et femmes. Les résulla profession) ou un caractère hostile sont tats de trois études de ce type, détaillées ciplutôt l’apanage de l’homme. après, permettent d’étendre aux patients Une étude italienne (2) qui s’est attachée à coronariens stables les observations obtedécrire les aspects psychologiques et sociaux nues jusqu’à présent sur des patients hospitade patientes atteintes d’un syndrome X lisés pour un infarctus du myocarde. (angor avec modifications du segment ST à l’effort et artères coronaires normales en angiographie) a retrouvé les mêmes résultats. Un caractère hostile et irritable est peu fréquent chez ces patientes ; à l’inverse, une certaine inhibition dans l’expression des * Service de cadiologie, hôpital Antoine émotions et un excès de difficultés familiales Béclère (Clamart). “ Act. Méd. Int. - Hypertension (12), n° 2, février 2000 324 et sociales sont communément retrouvés. Dans une autre étude (3), ce sont, cette fois, les répercussions psychosociales de l’angor qui sont évaluées, en France, à l’aide d’un questionnaire rempli par 1 528 médecins libéraux (71 % de généralistes et 21 % de cardiologues), en pratique médicale de ville, sur 3 654 patients atteints d’angor stable. Cette population est composée de 2 304 hommes (64 %) et de 1 282 femmes (36 %) avec une moyenne d’âge de 69,5 ans (hommes : 67 ; femmes 73,8 ans). Trentesept pour cent d’entre eux ont un antécédent d’infarctus du myocarde et la fréquence mensuelle des crises d’angor est en moyenne de 3,1. Il apparaît que l’angor retentit sur la vie sociale chez 25 à 30 % des patients au travers d’une réduction de leurs activités, en particulier de leurs sorties en soirée, leurs déplacements et leurs activités associatives. Plus d’un quart des patients ont jugé souhaitable de n’informer que leurs proches de leur état, voire même personne. L’angor provoque une gêne dans la vie courante (se lever, conduire sa voiture, activités ménagères) chez 59 % des patients. Cinquante-huit pour cent d’entre eux ont réduit leurs activités manuelles domestiques. Un retentissement sur la vie affective est également retrouvé chez 41 % des patients, notamment au travers de difficultés de garde des petits enfants et de répercussion sur la vie sexuelle. Les finances des foyers sont également affectées et 36 % des patients remettent en question certains projets familiaux d’achats importants tels que l’acquisition d’une nouvelle voiture. Près de 60 % sont gênés dans leur profession (moindre performance, modification de l’activité…) et environ un tiers sont particulièrement négatifs quant à leur avenir et considèrent que tout espoir de promotion est perdu. L’angor retentit sur le psychisme de deux patients sur trois. heart“ prévention Progrès en prévention L’existence d’une atteinte coronaire est essentiellement anxiogène (50 %) mais elle est aussi à l’origine de réaction d’irritabilité (12 %) ou de dépression (15 %). Enfin, le retentissement social de l’angor est différent selon le sexe du patient. La femme est plus gênée dans sa vie familiale et l’homme plutôt dans sa vie affective. Le retentissement psychique est également différent : les femmes sont plus fréquemment anxieuses ou déprimées et les hommes plus souvent irritables. Au travers de ces différentes études, il apparaît donc que les mêmes facteurs de risque psychosociaux (dépression, anxiété, certains traits de caractère, isolement social, stress aigu ou chronique) sont retrouvés de façon identique chez le patient angineux stable et chez le patient victime d’un syndrome coronarien aigu. D’autre part, ces facteurs psychosociaux semblent plus fréquents chez la femme, exception faite de la personnalité de type A et surtout de sa composante hostile. La signification pronostique de ces constatations reste à évaluer. Néanmoins, elles apparaissent d’ores et déjà importantes à connaître dans la mesure où, comme nous allons le voir, ces facteurs influent de façon péjorative sur l’évolution naturelle de la maladie coronaire. Dépression Les relations entre l’humeur dépressive et l’insuffisance coronarienne apparaissent synergiques. Chez le patient coronarien, la prévalence des dépressions majeures est trois fois plus élevée que dans la population générale. La simple présence de symptômes dépressifs augmente le risque d’événement cardiaque chez un individu sain et doit désormais être prise en compte au même titre que les autres facteurs de risque classiques. L’absence d’espoir semble être particulièrement liée au développement de l’athérome coronarien ou carotidien. “Durant le mois dernier, vous êtes-vous senti si triste, si désespéré, si découragé, ou victime de tant de problèmes que vous vous êtes demandé si quelque chose valait encore la peine ?” Une réponse affirmative à cette question révèle un risque de maladie coronaire doublé (4). L’épuisement vital (fatigue inhabituelle, irritabilité, sentiment de découragement) est un facteur de risque coronarien. Sa présence chez un homme sain multiplie par deux le risque de survenue d’une angine de poitrine ou d’un infarctus non fatal. Les mécanismes physiopathologiques expliquant le lien entre dépression et insuffisance coronaire commencent à être mieux connus. La dépression a un effet délétère indirect car elle est associée aux conduites à risque, tel le tabagisme, et à une mauvaise observance du traitement et du régime diététique. De plus, elle est souvent accompagnée d’un état d’hypercortisolémie, d’une altération des fonctions plaquettaires et d’une réduction de la variabilité du rythme cardiaque par hyperactivité sympathique. Anxiété Grâce à trois grandes études, ayant inclu à peu près 34 000 hommes, on sait maintenant qu’il existe une relation significative entre anxiété et mortalité cardiaque (5-7). Cette surmortalité est secondaire à une augmentation des morts subites et non à une augmentation des infarctus du myocarde. Le coupable est certainement un trouble du rythme ventriculaire. On peut regretter l’absence de femmes dans ces études, l’anxiété étant plus fréquente dans la population féminine générale et, comme on vient de le voir, dans la population féminine coronarienne. Le patient anxieux a une variabilité sinusale diminuée soit par augmentation du tonus sympathique soit par diminution du tonus vagal, ces deux mécanismes étant des facteurs de risque de mort subite. Personnalité et traits de caractère La personnalité de type A a été décrite vers 325 la fin des années cinquante. Il s’agit d’un syndrome caractérisé par une sthénie de l’aspect extérieur (rapidité et brusquerie des gestes, mimique crispée, respiration irrégulière), une pauvreté relationnelle avec l’entourage (faible capacité d’écoute, limitation égocentrique du champ des intérêts…) et par un surinvestissement de l’activité et de la profession (perfectionnisme, la satisfaction dans l’action étant liée à la compétition, au succès, au pouvoir, l’individu étant engagé dans une lutte contre le temps). Une personnalité de type D a également été décrite mais moins étudiée. L’intérêt pour le type A est né des résultats de l’étude prédictive Western Collaborative Group Study qui suivit 3 154 hommes en bonne santé pendant huit ans et demi (8). Dans cette étude, le type A constituait un facteur de risque à part entière exposant les sujets qui le possèdent à deux fois plus d’accidents coronariens que les autres et les prédisposant à des récidives d’infarctus. Mais les méthodes comportementales à visée préventive qui suivirent montrèrent qu’il était plus nocif de lutter contre son impatience que d’être impatient, de freiner lorsque l’on a envie de courir… D’autres études n’ont pas retrouvé de corrélation entre type A et coronaropathies. Actuellement, on considère que les traits d’hostilité, comme le cynisme, le manque de confiance et la colère non exprimée, sont les plus significatifs du comportement retrouvé chez le coronarien, alors que la compétitivité et l’implication dans le travail seraient moins concernées, voire même plutôt protectrices (surtout une fois entré dans la maladie, où l’attitude combative qui caractérise ces individus favorise l’adhésion et l’engagement dans un projet de soins). Il semble que les patients hostiles aient des taux de resténose supérieurs après une angioplastie coronaire et une évolution plus rapide de l’athérome carotidien évalué par des échodopplers répétés. Là encore, l’explication physiopathologique fait intervenir une augmentation de la fréquence des conduites à risque : tabagisme, mauvaise alimentation, obésité… Ces patients ont aussi une fréquence cardiaque et progrès en Progrès en prévention une pression artérielle plus élevées, une hypercortisolémie, des taux élevés de catécholamines circulantes, une diminution du tonus vagal et une augmentation de la réactivité plaquettaire. Isolement social L’isolement social multiplie par deux à trois l’incidence d’une coronaropathie. De même, la mortalité à cinq ans chez des coronariens est multipliée par trois lorsque les patients sont célibataires ou lorsqu’ils n’ont personne à qui se confier. Des travaux expérimentaux effectués chez des femelles singes ont montré que lorsque celles-ci vivaient seules, isolées dans une cage, elles développaient des lésions athéromateuses beaucoup plus étendues que des femelles ayant vécu en groupe (9). À côté des facteurs sociaux, le statut socio-économique contribue également à augmenter le risque de coronaropathie chez l’individu sain et à aggraver le pronostic une fois la maladie installée. Il semble que l’effet athérogène de l’isolement social passe par une activation du système nerveux autonome. Stress chronique Le stress lié au travail a fait l’objet de quelques études. Un travail stressant où le pouvoir décisionnel et les récompenses obtenues sont nuls exposerait à un risque accru de maladie coronaire. Comme pour les facteurs de risque cardiovasculaire habituels, plus le nombre de facteurs psychosociaux présents chez un même individu est élevé (par exemple, un dépressif anxieux et/ou socialement isolé), plus le risque coronarien est élevé. De plus, ces facteurs psychosociaux interagissent de façon synergique avec les facteurs de risque conventionnels. Ainsi, un patient fumeur dépressif est plus exposé qu’un patient fumeur non dépressif ou dépressif non fumeur. Lorsqu’à l’interrogatoire d’un patient l’on passe en revue les facteurs de risque coronaire, on doit systématiquement rechercher des facteurs psychosociaux associés. D’après Rosanski et coll. (10), la probabilité de maladie coronaire chez un homme de 47 ans souffrant de douleurs thoraciques non angineuses doit intégrer les facteurs psychosociaux au même titre que les facteurs de risque conventionnels. Statut clinique Probabilité de maladie coronaire Douleurs non angineuses (DNA) DNA + tabac + hypertension artérielle DNA + tabac/HTA + symptômes dépressifs DNA + tabac/HTA + dépression majeure 20 % 30 % 46 % 66 % Différences entre hommes et femmes La maladie coronaire de la femme se distingue de celle de l’homme. Il existe d’importantes différences épidémiologiques, diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques entre les deux sexes. La femme est atteinte, en moyenne, dix ans plus tard (rôle protecteur des œstrogènes et du taux bas en fer). Lors d’un syndrome coronarien aigu, les antécédents, les facteurs de risque et les modifications électriques sont différents entre homme et femme (11). Les femmes sont plus souvent diabétiques et hypertendues ; elles ont plus fréquemment un antécédent d’insuffisance cardiaque et parmi les patients qui ont un sus décalage du segment ST sur leur électrocardiogramme figurent plus souvent des hommes. Les patientes victimes d’un infarctus du myocarde bénéficient moins souvent des nouvelles techniques de revascularisation et d’un Act. Méd. Int. - Hypertension (12), n° 2, février 2000 326 traitement ß-bloquant ou antiaggrégant plaquettaire, en partie du fait d’un retard au diagnostic en raison d’une présentation clinique moins typique. Avant 75 ans, à âge identique entre hommes et femmes, la mortalité féminine de l’infarctus du myocarde est plus élevée (en particulier, elle est deux fois plus élevée chez les patientes de moins de 50 ans) (12). Les différences précédemment évoquées (antécédent, tableau clinique et électrique, thérapeutique mise en œuvre) n’expliquent pas en totalité cette inégalité pronostique (12). Dans l’angor stable, les femmes sont également plus souvent hypertendues et diabétiques et moins souvent fumeuses. Elles ont plus fréquemment des antécédents d’insuffisance cardiaque. Par ailleurs, le retentissement psychosocial est différent. Le profil psychologique de type A et une tendance hostile sont plutôt masculins, alors que les réactions anxio-dépressives sont plus fréquentes chez la femme (comme dans la population générale coronarienne ou non). Sur le plan expérimental, un certain nombre d’études réalisées chez des singes femelles préménopausées ont montré qu’un stress psychologique pouvait induire une dysfonction ovarienne à l’origine de concentrations en œstradiol significativement diminuées (14, 15). On a pu constater chez ces femelles, une exacerbation de l’athérome et une dysfonction endothéliale. On pourrait être tenté d’établir un parallèle entre ces constatations expérimentales et d’autres faits en clinique humaine : en effet, il semble que les femmes préménopausées coronariennes (avec atteinte prouvée en angiographie) aient des taux d’œstradiol significativement plus bas que des sujets contrôles et d’une valeur comparable à celle retrouvée chez les singes femelles préménopausées (16). L’inégalité pronostique entre homme et femme, dont on ne connaît pas bien l’origine, est-elle en partie secondaire à la présence plus fréquente des facteurs de risque psychosociaux chez la femme et/ou à une différence de retentissement psychosocial de l’angor ? L’hypothèse mérite prévention Progrès en prévention d’être vérifiée. Les résultats d’une étude récente publiée dans le Lancet (13) semblent aller dans ce sens. Celle-ci a montré qu’un programme d’assistance psychosociale à domicile et par téléphone, après un infarctus du myocarde, donnait des résultats défavorables chez la femme et non chez l’homme, avec en particulier une tendance à l’augmentation des morts par arythmie. Il est possible que ce programme d’assistance ait aggravé, en rappelant régulièrement aux patientes leur maladie, leur anxiété et secondairement leur pronostic. 2 Athérome Conclusion Un certain nombre de facteurs psychosociaux (dépression, anxiété, isolement social, hostilité, stress chronique) contribuent à la progression et au déclenchement de la maladie coronaire par trois mécanismes principaux (figure d’après Rosanski et coll.) (10) : 1) ils ont un effet pro-athérogène direct ; 2) ils sont étroitement intriqués dans les conduites à risque (tabagisme, alimentation…) et ont donc un effet pro-athérogène indirect ; 3) une fois la maladie installée, ils pérennisent les facteurs de risque habituels et rendent difficile toute prévention secondaire, exposant ainsi aux rechutes. Ces facteurs de risque sont retrouvés chez les patients angineux stables comme chez les patients hospitalisés pour un infarctus du myocarde aigu. Alors que leur rôle pronostique délétère est bien documenté dans les situations aiguës, il reste à démontrer chez les patients stables. Enfin, la maladie coronaire de la femme se distingue de celle de l’homme en termes épidémiologique, clinique, thérapeutique et pronostique. La fréquence des facteurs de risque psychosociaux semble plus élevée dans la population féminine et le retentissement psychosocial de l’angor différent entre homme et femme. Ces différences expliquent-elles (en partie) l’inégalité pronostique entre les deux sexes ? Conduites à risque (tabac, alimentation...) Facteurs psychosociaux événement clinique (angor, infarctus) 3 Récidive d’événement cardiaque Références bibliographiques 1. Billing E. et coll. Psychosocial variables in female vs male patients with stable angina pectoris and matched healthy controls. Eur. Heart J. 1997 ; 18 : 911-8. 2. Corlando et coll. Psychological and social aspects in women with Syndrom X. G. Ital. Cardiol. 1991 ; 21 : 705-12. 3. 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