D É O U L E U R valuation de la douleur chez le sujet âgé C hez le sujet âgé, la douleur est un problème très fréquent, souvent lié à différentes origines, en premier lieu ostéoarticulaires. On estime que 25 à 50 % des personnes âgées de plus de 70 ans se plaignent de douleurs importantes, ainsi que 40 à 80 % des personnes âgées vivant en institution. La prise en charge de la douleur est ici complexe, en raison des intrications multiples, chez des sujets polypathologiques traités par de nombreux médicaments. Les difficultés de prise en charge sont souvent favorisées par les problèmes d’évaluation, en particulier chez les sujets plus âgés présentant des troubles cognitifs. Les douleurs ostéoarticulaires venant souvent au premier plan après 60 ans, il paraît important que les rhumatologues connaissent les outils appropriés et les possibilités d’évaluation de la douleur chez les sujets âgés, en particulier ceux qui communiquent difficilement. La perception de la douleur chez le sujet âgé L’OMS définit les gens âgés comme ayant plus de 60 ans, mais les problèmes liés à l’âge sont rencontrés essentiellement après 70 ans. Certains auteurs ont suggéré que les personnes âgées ressentaient moins la douleur que les sujets plus jeunes, par suite d’une réduction des propriétés sensorielles liées à l’âge. Ces préjugés ont été la source d’une certaine sous-estimation des phénomènes de la douleur du sujet âgé. Les données expérimentales les plus récentes montrent en fait que la douleur n’est pas perçue différemment chez le sujet âgé, qu’elle soit chronique ou aiguë. Certains auteurs suggèrent au contraire que les modifications de la plasticité neuronale pourraient favoriser un passage à la chronicité, plus fréquent chez les sujets âgés (1). La Lettre du Rhumatologue - n° 263 - juin 2000 breux sujets âgés considèrent qu’il est normal de souffrir et négligent de le signaler à leur médecin, certains ayant même honte de leurs douleurs, préférant les passer sous silence plutôt que de passer pour d’éternels plaintifs. Encore plus que chez les sujets jeunes, on peut parler ici d’une douleur-maladie à l’origine d’une désinsertion progressive du sujet, de troubles du sommeil, de l’appétit et d’un repli sur sa douleur. Il ne faudrait plus que la douleur soit considérée comme un fait normal lié au vieillissement, ne nécessitant pas de prise en charge. Par ailleurs, le traitement antalgique impose une démarche diagnostique et ne doit pas se substituer au traitement étiologique. Ce problème est d’actualité et des recommandations seront prochainement publiées par l’ANAES (4) pour l’évaluation et la prise en charge de la douleur du sujet âgé mal-communicant. Les modifications de l’expression de la douleur chez le sujet âgé Une évaluation précise de l’intensité de la douleur, de ses composantes et de son retentissement Ce sont surtout les problèmes cognitifs et les éléments dépressifs qui modifient l’expression de la douleur après 70 ans. Chez certains patients, la prise en charge est limitée d’emblée par les difficultés d’évaluation et l’inadaptation des outils employés. Les troubles cognitifs sont fréquents, entraînant des altérations de la communication et du comportement (2). L’évaluation de la prise en charge de la douleur chez les sujets déments montre que ceux-ci reçoivent des doses d’antalgiques moins importantes que les sujets non déments du même âge (3). Les prescriptions de psychotropes, voire d’antalgiques à action centrale, peuvent également modifier l’expression de la douleur et son retentissement. Par ailleurs, de nom- L’évaluation doit débuter par un interrogatoire précis analysant le contexte douloureux, social et familial et le handicap. Il est également utile d’interroger l’entourage sur ces différents points pour une compréhension plus globale. L’analyse de la douleur doit distinguer les douleurs chroniques des douleurs aiguës survenant sur un fond chronique, qui devront faire rechercher un phénomène récent modifiant le diagnostic et la démarche thérapeutique. À cet âge, il est fréquent que des douleurs soient l’expression d’éléments dépressifs, favorisés par des deuils de proches ou d’amis, aggravés par la solitude, l’isolement, le handicap ou même des difficultés financières. 29 D O U L E U R La douleur est, encore plus que chez les sujets plus jeunes, un facteur d’isolement, de repli sur soi et de perte d’autonomie. Il importe donc d’analyser conjointement à la douleur la perte d’autonomie qui en résulte, les troubles du sommeil ou de l’appétit. Chez les sujets communicants Chez les sujets âgés communicants, les échelles d’autoévaluation de la douleur sont très utiles dans un premier temps. Ces échelles sont utilisées de façon variable selon le niveau cognitif. L’échelle verbale simple est la plus facilement employée, l’échelle visuelle analogique étant peu fiable. Si l’on utilise cette échelle, il est préférable de la placer verticalement, comme un “thermomètre de la douleur”. Il faut également y associer une évaluation multidimensionnelle de la douleur, pour apprécier les autres composantes : sensorielle, affective, cognitive et comportementale. Le questionnaire de la douleur de l’hôpital Saint-Antoine (QDSA abrégé) peut être utilisé en l’absence de troubles cognitifs. Chez les sujets non communicants ou institutionnalisés Les personnes âgées ayant des problèmes de communication ont autant de douleurs que les autres et requièrent une évaluation et une prise en charge adaptées de la douleur. Chez un sujet âgé mal-communicant, tout changement de comportement, spontané ou survenant pendant un soin, doit faire évoquer et rechercher la possibilité d’un état douloureux. Différents types d’évaluation sont disponibles chez les sujets non communicants ou institutionnalisés. Il s’agit d’échelles dites d’hétéroévaluation. Elles sont basées sur l’observation du patient par l’évaluateur. L’échelle Doloplus-2® ci-contre (5) fait partie des outils recommandés, en cours de validation, mais nécessite un apprentissage de l’évaluateur et doit être mise en œuvre, si possible, par une équipe pluridisciplinaire. Elle comprend dix items répartis en trois sous-groupes (somatique, psychomoteur, psychosocial). Un score supérieur ou égal à 5/30 signe la douleur. Une autre échelle utilisable est l’échelle ECPA (6), qui comprend huit items et peut être effectuée par une seule personne en une à cinq minutes. Ces évaluations doivent être répétées, consignées par l’équipe soignante. Chez le sujet âgé, comme en pédiatrie, le rôle de l’entourage est fondamental, médiateur de la douleur au quotidien. C’est l’entourage qui va favoriser l’observance thérapeutique, recueillir la plainte du patient et apprécier le retentissement sur la vie de tous les jours. L’absence d’entourage est, bien sûr, un élément péjoratif de morbidité (7). Les pièges de l’évaluation de la douleur chez le sujet âgé Les pièges et les difficultés diagnostiques sont très fréquents chez le sujet âgé, souvent polypathologique. Les démences peuvent parfois prendre le masque d’états douloureux aigus résistant à toute approche thérapeutique. Par ailleurs, tout changement de comportement, spontané ou survenant pendant un soin, chez une personne ayant des troubles de la communication verbale doit faire évoquer la possibilité d’un état douloureux et le faire rechercher. Les douleurs projetées et/ou masquées doivent être dépistées : infarctus silencieux, problèmes digestifs, sigmoïdites, ulcères... peuvent être révélés par exemple par des douleurs rachidiennes, pelviennes ou de hanche. Conclusion L’évaluation de la douleur des patients âgés douloureux chroniques est un temps indispensable dans la prise en charge. Elle nécessite une évaluation précise des composantes de la douleur, souvent multiples, mais aussi de la vie et de l’entourage de ces patients, des outils spécifiques adaptés au niveau cognitif pouvant être utilisés. S. Perrot Service de rhumatologie A et Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, hôpital Cochin, Paris iques bibliograph Références 1. Zheng Z., Gibson S.J., Khalil Z., Helme R.D., McMeeken J.M. Age-related differences in the time course of capsaicin-induced hyperalgesia. Pain 2000 ; 85 : 51-8. home residents. J Am Geriatr Soc 1993 ; 41 : 541-4. 4. ANAES 2000 (à paraître, validation en old persons. Clin Geriatr Med 1996 ; 12 : 47387. cours). Évaluation et prise en charge thérapeutique de la douleur chez les personnes âgées ayant des troubles de la communication verbale. 3. Sengstaken E.A., King S.A. The problems of 5. Wary B. et coll. DOLOPLUS. Plaidoyer pour pain and its detection among geriatric nursing l’évaluation de la douleur chez les sujets âgés. 2. Parmelee P.A. Pain in cognitively impaired 30 Gérontologie et Société 1997 ; 78 : 83-94. 6. Morello R., Jean A., Alix M. et coll. L’ECPA, une échelle comportementale de la douleur pour personnes âgées non communicantes. Infokara 1998 ; 51 : 22-9. 7. Ferrel B.A. Pain evaluation and management in the nursing home. Ann Intern Med 1995 ; 123 : 681-7. La Lettre du Rhumatologue - n° 263 - juin 2000 D O U L E U R ® ÉCHELLE DOLOPLUS-2 Évaluation comportementale de la douleur chez la personne âgée. L’échelle DOLOPLUS-2® comporte dix items répartis en trois sous-groupes. Chaque item est coté de 0 à 3. Un score supérieur ou égal à 5/30 signe la douleur. RETENTISSEMENT SOMATIQUE Pas de plainte 0 Plainte uniquement à la sollicitation Plaintes spontanées occasionnelles Plaintes spontanées continues 1 2 3 Position antalgique au repos Pas de position antalgique Le sujet évite certaines positions de façon occasionnelle Position antalgique permanente et efficace Position antalgique permanente et inefficace 0 1 2 3 Protection de zones douloureuses Pas de protection Protection à la sollicitation n’empêchant pas la poursuite de l’examen ou des soins Protection à la sollicitation empêchant tout examen ou soin Protection au repos, en l’absence de toute sollicitation 0 1 2 3 Mimique Mimique habituelle Mimique semblant exprimer la douleur à la sollicitation Mimique semblant exprimer la douleur en l’absence de toute sollicitation Mimique inexpressive en permanence et de manière inhabituelle (atone, figée, regard vide) 0 1 2 3 Sommeil Sommeil habituel Difficultés d’endormissement Réveils fréquents (agitation motrice) Insomnie avec retentissement sur les phases d’éveil 0 1 2 3 Toilette et/ou habillage Possibilités habituelles inchangées Possibilités habituelles peu diminuées (précautionneux mais complet) Possibilités habituelles très diminuées, toilette et/ou habillage étant difficiles et partiels Toilette et/ou habillage impossibles, le malade exprimant son opposition à toute tentative 0 1 2 3 Mouvements Possibilités habituelles inchangées Possibilités habituelles actives limitées (le malade évite certains mouvements, diminue son périmètre de marche) Possibilités habituelles actives et passives limitées (même aidé, le malade diminue ses mouvements) Mouvement impossible, toute mobilisation entraînant une opposition 0 1 2 3 Communication Inchangée Intensifiée (la personne attire l’attention de manière inhabituelle) Diminuée (la personne s’isole) Absence ou refus de toute communication 0 1 2 3 Vie sociale Participation habituelle aux différentes activités (repas, animations, ateliers thérapeutiques...) Participation aux différentes activités uniquement à la sollicitation Refus partiel de participation aux différentes activités Refus de toute vie sociale 0 1 2 3 Troubles du comportement Comportement habituel Troubles du comportement à la sollicitation et itératifs Troubles du comportement à la sollicitation et permanents Troubles du comportement permanents (en dehors de toute sollicitation) 0 1 2 3 Plaintes somatiques RETENTISSEMENT PSYCHOMOTEUR RETENTISSEMENT PSYCHOSOCIAL La Lettre du Rhumatologue - n° 263 - juin 2000 31