L Évaluer le bénéfice-risque

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Contention chez les personnes âgées
Évaluer le bénéfice-risque
Les routes de l’enfer sont pavées de bonnes intentions.
La crainte de la chute, l’agitation ou la déambulation
constituent des motifs en apparence louables d’utilisation de la contention. Si ces individus étaient considérés comme des personnes, si on respectait leur
intégrité, si on oubliait leur âge... la contention seraitelle aussi indispensable ?
L
es chutes sont des accidents
fréquents chez la personne
âgée. Elles sont d’origines diverses : iatrogène, pathologique,
environnementale... Pour prévenir
ces chutes, la contention s’est développée dans les établissements
de long séjour. Celle-ci fait aujourd’hui l’objet d’un guide pratique
éditée par l’ANAES. Il ne s’agit ici
ni de la contention utilisée chez les
sujets grabataires dans un souci de
maintien postural ou dans le cadre
d’une rééducation, ni des contentions chimiques. Il s’agit de la
contention dite passive, qui se caractérise, selon la définition, par
l’utilisation de tous moyens, méthodes, matériels ou vêtements qui
empêchent ou limitent les capacités de mobilisation volontaire de
tout ou partie du corps dans le seul
but d’obtenir de la sécurité pour
une personne âgée qui présente un
comportement dangereux ou mal
adapté. Il n’existe aucune preuve
scientifique de l’efficacité de ces
contentions utilisées pour des motifs qui ne sont pas strictement
d’ordre médical. Il s’agit donc de
les limiter et d’en diminuer les
risques (infections nosocomiales,
chutes graves, agitation importante, contractures, troubles de
l’appétit, fausses routes mais aussi
perte d’autonomie, augmentation
de la durée d’hospitalisation et enfin des décès dus à des accidents).
Aux États-Unis, les études bousculent les habitudes et autres idées reçues et, pourquoi le nier, un
confort physique et moral, un déplacement des responsabilités avec
un a priori quant à ce que “les
autres” penseront si le patient fait
une chute.
Ce type de contention est d’abord
une habitude. La décision se prend
sur une impression de risque,
sans réelle évaluation de celui-ci.
Quelques chiffres en disent long :
la prévalence des contentions est
estimée entre 7,4 et 17 % dans les
services hospitaliers ; elle est multipliée par trois quand il s’agit de
sujets âgés. En établissement de
long séjour, la prévalence de la
contention varie de 19 à 84,6 %.
1 % de fractures du col du fémur
Or, constate le Pr Bruno Vellas, gériatre à Toulouse, « sur cent chutes
chez ces personnes âgées, une seulement aura pour conséquence une
fracture du col du fémur et cinq
d’autres fractures. En revanche,
100 % des cas de contention conduisent à la grabatisation. Ce qui signifie
incontinence et dépression. Il y a en
fait peu de motifs pour une utilisation
fréquente ». C’est en effet une question de bon sens. Une personne attachée ne fait pas travailler ses
muscles, perd son agilité et ses réflexes et, quand elle marche, risque
la chute qui l’immobilisera pour
toujours. Comment expliquer que
si 50 % des personnes sont sous
contention en établissements de
long séjour, 80 % souffrent de
troubles cognitifs ? « La personne qui
déambule toute la journée n’est gênante que pour l’environnement. Elle
ne risque pas la chute. Au contraire,
elle se dépense physiquement, dort
mieux la nuit et a de l’appétit, donc
elle se nourrit mieux », note
le Pr Jean-Louis Terra, de Lyon.
Aux États-Unis, quand les établissements ont diminué la contention,
on a noté 40 % de personnes grabataires en moins.
Éviter la grabatisation est donc le
premier objectif, car elle entraîne
souffrance psychique, infections
nosocomiales, escarres, etc. « Sans
parler des personnes qui essaient
d’enjamber les barrières, victimes
d’un traumatisme, les décès par
strangulation, par asphyxie, qui
constituent des accidents fréquents
susceptibles, eux, de donner lieu à une
poursuite pénale, souligne Christine
Cozon, cadre infirmier. Il est pour
cela indispensable d’informer la famille qui pense que la contention est
un remède pour la sécurité ». Ce sentiment de sécurité est en fait un paradoxe car, si l’on interroge les infirmières, la contention se vit très
mal compte tenu du manque de
respect de l’autonomie et de la dignité qu’elle constitue pour le patient, et le sentiment de “bien faire”
devient culpabilité pour la majorité d’entre elles. En outre, il apparaît, selon plusieurs études, que la
charge en soins nécessitée par les
patients “contenus” est plus importante que celle pour les patients
“non contenus”. « Il suffit de changer les habitudes et d’effectuer des
soins adaptés à chaque patient. Un
exemple : est-il nécessaire de prendre
deux fois par jour la température
d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer alors que ce
temps peut être libéré ? », insiste le
Pr B. Vellas. Normalement, le médecin qui prescrit la contention
doit expliquer sa décision, fondée
sur une évaluation des risques. Le
praticien doit expliquer tout cela à
la famille ; il en va du respect de la
personne, qui a le droit de vieillir le
mieux possible, c’est-à-dire en
toute autonomie, même avec un
petit risque qui est le lot même
de la vie.
A.-L.P.
Pour plus de renseignements : www.anaes.fr
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