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Qualité de vie dans la prise en charge du cancer du sein
de la femme jeune : quelles particularités ?
Quality of life and breast cancer in younger woman: which particularities?
● Anne Lesur*
epuis quelques années, la notion de qualité de vie
est devenue un leitmotiv en médecine : qualité de
vie sous tel ou tel traitement, qualité de vie et cancer, qualité de vie des personnes âgées, qualité de vie en général… Qui aurait pu imaginer, il y a vingt ans, qu’un congrès de
la Société Française de Sénologie et de Pathologie Mammaire
soit consacré entièrement à ce sujet dans le cadre du cancer du
sein (13) ?
La notion même de qualité de vie est un kaléidoscope variable
en fonction de la personnalité, de l’entourage familial, social et
professionnel, et nécessite instruments de mesure et validation
transculturelle.
Même si les questionnaires se sont multipliés, cette question
reste éminemment individuelle, et mérite, à ce titre, toute notre
attention de médecin au sens humain du terme, et ce à chaque
étape de la prise en charge.
Dans le dossier précédent, J.R. Garbay (9) a bien explicité les
difficultés auxquelles vont se heurter les femmes jeunes
confrontées à cette maladie.
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Dès le début, tout est compliqué :
Il n’est pas rare que ce soit la femme elle-même qui ait l’attention attirée par une anomalie et c’est son inquiétude et son insistance qui mèneront à ce diagnostic que l’on réfute, eu égard à la
jeunesse : “Vous n’avez pas l’âge, ne vous inquiétez pas”, ou
“À votre âge, c’est hormonal, c’est la pilule, etc.”. En effet,
l’établissement du diagnostic est d’autant plus difficile que la
femme est jeune et qu’elle n’a pas de facteur de risque familial
ou personnel évident :
– Des premières règles précoces, une grossesse tardive, une
longue période d’exposition de la glande mammaire immature
aux agents carcinogènes environnementaux (premières règles,
premier allaitement), pas d’allaitement ou si peu, une alimentation riche en graisse, etc. sont censés définir un risque relatif
plus élevé du cancer du sein. Quelle femme occidentale ne
répond pas à ce profil ?
– Les antécédents familiaux : le plus souvent, la femme jeune
inaugure une série familiale qui n’apparaîtra que des années plus
tard chez une tante ou une sœur aînée...
– Une fois le diagnostic évoqué, la femme est alors confrontée
à la technologie radiologique qui permettra généralement
d’asseoir un diagnostic histologique avant d’envisager une intervention : se succéderont alors mammographies, qu’elles soient
analogiques avec contrôle de qualité ou numériques, échogra* Centre Alexis-Vautrin, Vandœuvre-lès-Nancy.
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phies avec sonde de haute fréquence, voire IRM, pratique de
microbiopsies permettant de guider le choix thérapeutique. Cette
période pendant laquelle la réalité d’une maladie cancéreuse fait
lentement son chemin au sein d’une vie, va nécessiter de la part
des interlocuteurs tact, mesure et disponibilité.
ACCEPTATION DU DIAGNOSTIC ET TRAITEMENTS
De la qualité de cette prise en charge initiale va dépendre en
grande partie l’acceptation ultérieure et le vécu familial de
l’épreuve. La prise en charge pluridisciplinaire de plus en plus
optimisée, va peu à peu permettre de faire disparaître l’entrée
dans la maladie par une banale biopsie que “bien sûr il faut
réopérer…”
Beaucoup de ces patientes ont vécu cette banalisation face à un
nodule non identifié. Cette attitude qui, au départ, rassure la
patiente (“Ouf, ce n’est probablement rien”), générera un doute
permanent ultérieur face aux propositions des équipes médicales
(“Ils se sont bien trompés au début”).
Confrontée au désarroi d’une femme, terrorisée à l’idée que cela
puisse être ce que l’on n’ose nommer, et ne désirant que rentrer
chez elle pour retrouver au plus vite ses enfants, l’équipe médicale a bien besoin de cet espace sénologique dont parle D. Gros
(18) pour poser calmement les jalons de ce long partenariat qui
réunira l’équipe soignante et la patiente au cours des prochains
mois (20).
Une fois le diagnostic établi, s’impose pour ces femmes toute
une série d’alternatives et d’incertitudes : plutôt un traitement
qu’un autre (chimiothérapie ou chirurgie, essai thérapeutique ou
protocole classique), garder le sein ou le perdre, opter d’emblée
pour la perruque ou essayer le casque, conserver ses cycles ou
être confrontée à une ménopause précoce, pouvoir encore espérer une grossesse ultérieure ou devoir y renoncer, etc. Quoiqu’il
arrive, c’est rapidement l’acceptation d’une période pendant
laquelle la vie va être mise entre parenthèse, imposant des sacrifices professionnels – la plupart du temps à une période clé
d’une carrière (35-45 ans) – et/ou familiaux : perturbations au
sein d’une famille avec des enfants qu’il faut protéger coûte que
coûte, et dont on espère pouvoir fêter les anniversaires futurs,
un mari ou un compagnon ébranlé dont les réactions ne sont pas
forcément celles attendues, choisir de parler ou de se taire, nier
la difficulté à accepter de se faire aider, et apprendre à vivre
quotidiennement avec ce point d’interrogation sur l’avenir. En
somme, plus rien n’est simple, plus rien n’est facile… La place
La Lettre du Sénologue - n° 24 - avril/mai/juin 2004
grandissante de la psycho-oncologie a permis une prise en
charge plus adaptée dans nombre de cas de patientes désorientées pour lesquelles le médecin soignant n’a pas toujours assez
de disponibilité. Si toutes les patientes ne justifient pas le
recours à un psychologue ou à un psychiatre, la possibilité d’y
avoir accès à un moment donné de ce parcours est en soi une
notion réconfortante.
QUALITÉ DE VIE ET SURVEILLANCE
Un troisième type d’épreuves après celle de l’acceptation du diagnostic et celle du traitement (chirurgical, médical et radiothérapique), est celle de la surveillance au décours de la thérapeutique concomitante de 5 ans de traitement hormonal pour toutes
les patientes ayant des récepteurs hormonaux positifs. C’est une
période de réhabilitation, apprivoisement avec un nouveau soimême, “ni tout à fait la même ni tout à fait une autre”. Cette
“hormonothérapie” est importante à prendre en compte (4).
Inaugurant le début d’une surveillance qui sera longue, globalement mieux tolérée que la chimiothérapie, elle prend une signification toute particulière chez la femme jeune. Si la femme est
très jeune et que ses facteurs de pronostic l’imposent, elle peut
“bénéficier” d’une suppression des sécrétions ovariennes associée à un antiestrogène, ce qui a la conséquence de créer une
ménopause précoce, dont le vécu peut être très difficile. Certes,
celle-ci peut être temporaire, mais les effets secondaires de ces
traitements sont nombreux. Ils ont été particulièrement bien étudiés par de nombreux auteurs (2, 7, 15, 16). Les effets secondaires de la privation estrogénique sont variables d’une femme
à l’autre. Ainsi, à travers certaines études de qualité de vie, la
prescription d’analogues de la LH-RH semble être bien tolérée,
d’autant qu’elle est comparée à une chimiothérapie avec nausées, vomissements et alopécie… Cependant, pour tous médecins confrontés à la surveillance de patientes sous analogues de
la LH-RH pendant plus de 6 mois, que ce soit pour une pathologie cancéreuse ou pour une pathologie gynécologique de type
endométriose, le vécu est le plus souvent assez médiocre. Il n’est
pas rare que les patientes demandent l’arrêt du traitement, mal
supporté à cause des bouffées de chaleur, des insomnies, de la
disparition complète de la libido. Même si l’aménorrhée chimioinduite est d’autant plus rare (et en général transitoire), que la
femme est jeune, elle peut exister, responsable d’une ménopause
précoce, également difficile à accepter (10). Peu d’études se sont
vraiment intéressées à la qualité de vie engendrée par la privation des estrogènes, et ce n’est pas actuellement un sujet très
médiatique : la diabolisation des traitements de la ménopause,
minimisant à l’extrême les troubles d’une ménopause naturelle,
au regard de risques vitaux, et l’apogée des antiaromatases se
positionnant comme la nouvelle hormonothérapie du XXIe
siècle, incitent patientes et thérapeutes à accepter sans grand
recours les effets secondaires. Si pour beaucoup de femmes, la
situation va se normaliser, et devenir tout à fait acceptable au
bout de quelques années, il y a un pourcentage non négligeable
de patientes dont la qualité de vie va être longuement et notoiLa Lettre du Sénologue - n° 24 - avril/mai/juin 2004
rement altérée (6, 8). Il est difficile d’évaluer le prix qu’il faudra payer pour l’utilisation de thérapeutiques entraînant une
hypoestrogénie précoce et durable chez ces patientes jeunes.
Un certain nombre d’équipes n’associe pas systématiquement
les analogues de la LH-RH au tamoxifène, et il faut reconnaître
que le traitement sur un axe gonadotrope conservé est beaucoup
mieux toléré par les patientes, même s’il nécessite une surveillance ovarienne et impose une contraception efficace (14).
Chez ces patientes jeunes, le traitement hormonal pour au moins
cinq ans est à la fois un paratonnerre et un passeport pour l’avenir, mais également le sceau d’une différence avec les femmes
“bien portantes” de leur âge, c’est-à-dire non ménopausées, ou
utilisant des hormones comme la pilule contraceptive. Ainsi
l’installation brutale à un jeune âge d’une carence hormonale,
avec son cortège de signes désagréables, est toujours mal vécue,
mal ressentie, ajoutant à l’incertitude de l’avenir le spectre d’un
vieillissement accéléré. La revalorisation par les différents interlocuteurs du corps, de l’image corporelle, avec la restauration
d’un sein grâce à la reconstruction (19), l’incitation à des activités sportives et ludiques qui n’existaient pas forcément avant
(natation, danse, yoga, jogging, relaxation) et la prise en compte
de l’esthétique (coiffeur, esthéticienne, thalassothérapie si possible) sont des atouts importants, d’autant plus que la majorité
des patientes au bout d’un an de traitement déplore une prise de
poids de 5 à 10 kg.
Si la sexualité n’est certes pas uniquement liée au taux hormonal circulant, les autres paramètres pouvant la garantir ou la restaurer se trouvent souvent maltraités par la maladie (3) : atteinte
à l’intégrité corporelle, perte des cheveux, repousse des cheveux
sous forme frisée et décolorée, repousse de poils grisonnants,
prise de poids, peur du regard de l’autre, peur de son propre
regard, désarroi face à la réalité, fatigue extrême, dont on ne
tient souvent pas assez compte, et lassitude sont autant de difficultés qui se lisent dans le regard de la patiente qui consulte
quelques mois après le traitement… (5, 11). Pouvoir dès la première consultation ouvrir l’avenir pour ces patientes, parler
d’emblée d’une chirurgie réparatrice, favoriser les rencontres
avec des patientes du même âge guéries, ouvrir des perspectives
de prise en compte de soi-même, physique et intellectuelle est
fondamental. Chez ces patientes, qui font souvent preuve de
courage, de ténacité, de maîtrise d’elle-même, il faut savoir ne
pas sous-estimer la fatigue et la dépression larvée, qui surviennent à un moment où le spectre de la maladie s’éloigne pour
l’environnement, créant un malentendu et une incompréhension
qui peuvent être très délétères dans l’équilibre familial.
ET APRÈS...
Lorsque la patiente est suffisamment jeune pour que les traitements appliqués n’instaurent pas d’aménorrhée durable, synonyme d’une ménopause précoce, et lorsque les cinq ans d’hormonothérapie sont révolus, peut se poser la question d’une
grossesse, d’autant plus importante que la patiente était nullipare, ou qu’elle avait un désir de grossesse avant le diagnostic
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(17). Même si cette grossesse est actuellement reconnue comme
possible, et n’hypothéquant pas le pronostic de la maladie (1,
12), la décision nécessite souvent de nombreux entretiens avec
la patiente, mais aussi avec son conjoint, afin d’appréhender au
mieux les motifs de la demande, et de dissiper, si nécessaire, les
appréhensions bien compréhensibles face au risque potentiel
d’un climat hormonal induit par la grossesse au sortir de cinq
ans de privation hormonale. Il n’est pas rare d’être confronté à
une ambivalence de la part de la patiente face à son désir de
grossesse : prouver à elle-même ainsi qu’à son entourage que la
maladie est gommée, effacée d’une part, et la peur viscérale de
laisser un jour un enfant orphelin d’autre part, dilemme qui, s’il
n’est pas toujours verbalisé, est présent au fond du regard de
chaque consultante.
Ce sujet peut être l’objet d’un désaccord entre la patiente et son
conjoint, ce dernier appréhendant différemment le risque : soit
à l’excès car il est inquiet pour sa famille, pour la menace que
cela peut faire planer sur les autres enfants, soit au contraire en
minimisant le risque par désir viscéral de descendance…
Même si, à l’heure actuelle, le pronostic des cancers du sein est
globalement favorable, l’augmentation majeure de son incidence, toute tranche d’âge confondue, pose un réel problème de
prise en charge psycho-oncologique qui ne se limite ni à l’étape
du diagnostic ni à celle du traitement, mais qui couvre de nombreuses années, exigeant des professionnels attentifs et disponibles.
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