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Grossesse après cancer du sein
Pregnancy after breast cancer outcomes and influence on mortality
● Fabienne Abel*
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ans le dossier thématique précédent, les caractéristiques
épidémiologiques du cancer du sein chez la femme jeune
ont été détaillées : c’est une situation rare et difficile.
L’estimation du nombre de cas de cancer du sein en 2000 permet de
dénombrer sur 41 845 cas incidents estimés : 19 cancers du sein dans
la tranche 20-24 ans, 167 dans la tranche 25-29, 598 dans la tranche
30-34 et 1 562 dans la tranche 35-39 (21). L’âge plus tardif des grossesses dans la population générale et la guérison d’un pourcentage
important des cancers de la femme jeune amènent néanmoins à se
poser la question d’une possible grossesse ultérieure (2). Cette hypothèse repose sur deux notions :
– celle de la conservation de la fertilité après traitement ;
– celle du désir de la patiente à bien évaluer par rapport à la peur engendrée par le climat hormonal de la grossesse, surtout s’il y a eu une hormonothérapie à base d’antiestrogènes, sous-tendant la notion de toxicité
des hormones.
LA GROSSESSE APRÈS CANCER DU SEIN
EST-ELLE “TECHNIQUEMENT” POSSIBLE ?
La chimiothérapie est pourvoyeuse d’aménorrhée et celle-ci a d’autant
plus de risque d’être définitive que la femme est plus âgée. L’ensemble
des publications s’accorde sur la zone critique de 40-41 ans, au-dessus
de laquelle les ovulations sont inexistantes ou de mauvaise qualité.
Cependant, ce critère est très largement individuel et relativement imprévisible (12). Outre l’âge, intervient la cytotoxicité des produits utilisés,
selon leur type, leur dose et leur durée. La prévention des séquelles ovariennes a été étudiée, notamment par Chapman (4), chez les femmes
traitées pour maladie de Hodgkin, protégées par une contraception orale
évidemment non utilisable dans le cas des cancers du sein. Les analogues de la LH-RH pourraient avoir un effet protecteur, administrés
concomitamment à la chimiothérapie (7). On l’a vu dans l’article précédent consacré à l’hormonothérapie (6), un traitement antihormonal est fréquemment associé à la chimiothérapie si la tumeur
exprime des récepteurs hormonaux. Cette hormonothérapie est le
plus souvent du Tamoxifène dont la durée de prise est de 5 ans ;
certains y associent une suppression ovarienne transitoire par analogues, notamment chez la femme de moins de 35 ans.
En conclusion, pour envisager une grossesse après cancer du sein chez
une femme ayant présenté une tumeur avec des récepteurs hormonaux
positifs, il faut qu’elle ait conservé des cycles ovulatoires et qu’elle n’ait
plus de traitement antihormonal, que ce soit par analogues ou/et par
tamoxifène. Ces conditions diminuent encore le nombre déjà faible de
patientes concernées par cette question. Une information sur ce point
est indéniablement indispensable à fournir en début de traitement à la
patiente et à son conjoint.
LA GROSSESSE EST-ELLE “PERMISE” ?
Pendant des années, la possibilité d’une grossesse après cancer du
sein était exclue de par les traitements (castration chirurgicale ou
* Maternité Pinard, Nancy.
14
radiothérapique) ou non recommandée, quelle que soit la présence ou
non des récepteurs hormonaux (9). Des avortements thérapeutiques ont
été proposés, même si le cancer du sein était de bon pronostic par de
nombreux médecins (14). La crainte de l’effet nocif de l’inondation hormonale en cas de grossesse inquiète d’autant plus que les thérapeutiques
antiestrogéniques sont plus efficaces et que les hormones sont désignées
comme responsables d’une augmentation du risque de cancer du sein.
Cependant, un courant inverse a été initié depuis plusieurs années et,
notamment, depuis la publication, en 1968, de la thèse de Peters (20),
suggérant un possible effet bénéfique sur la survie des femmes ayant réalisé une grossesse après cancer du sein. Bien qu’il existait un biais évident (seules les femmes en bonne santé commençaient une grossesse),
le tabou était remis en cause et, peu à peu, d’autres auteurs ont rapporté
des résultats similaires. Le cas isolé de la grossesse après cancer du sein
s’est alors multiplié, allant jusqu’à atteindre 5 à 8 % des grossesses (13).
ÉTUDE DE LA LITTÉRATURE
Beaucoup d’auteurs traitent à la fois du cancer du sein pendant la grossesse et de la grossesse après cancer du sein, qui sont cependant deux
sujets très différents.
Contrairement à une idée répandue, héritée des résultats d’études
anciennes non comparatives, les patientes présentant un cancer du sein
pendant la grossesse ont le même pronostic que les patientes non
enceintes, ces cas étant appariés à des témoins du même âge et du même
stade de la maladie (17, 18).
En ce qui concerne le pronostic du cancer du sein et le risque de récidive
chez les femmes ayant présenté une grossesse après le traitement, celuici est retrouvé favorable de façon unanime dans toutes les publications.
il ne s’agit évidemment pas d’études randomisées, mais un certain
nombre ont apparié leur cas à des témoins. On peut aussi leur reprocher
l’aspect rétrospectif des études. Néanmoins aucune étude n’a pu mettre
en évidence d’effets délétères de la grossesse sur l’évolution des cancers
du sein, même à distance, avec des suivis souvent supérieurs à dix ans
(10, 11, 15).
Dans les années 1980, un certain nombre d’études ont été menées s’attachant à cette question. L’enquête de la Société française de gynécologie,
réalisée en 1985, a été rapportée par Mignot (15-17). Elle a permis
d’identifier 68 observations de grossesse après un cancer du sein, correspondant à 41 femmes ayant mené à terme au moins une grossesse.
L’âge moyen du diagnostic du cancer est de 32 ans (22 à 44 ans) ; 72 %
des patientes ne présentent pas d’atteinte ganglionnaire. Un traitement
adjuvant a été utilisé chez 13 femmes sous forme d’une chimiothérapie
(6 d’entre elles ont ultérieurement mené une grossesse à terme) ; seules
4 patientes ont reçu une hormonothérapie, dont 1 avec du tamoxifène, le
taux de RH positifs ou négatifs n’est pas mentionné. Enfin, le délai de
survenue de cette grossesse est court puisque la médiane de survenue de
la conception est de 21 mois après le traitement chirurgical (aucune donnée concernant la contraception utilisée entre le diagnostic du cancer et
la grossesse n’est disponible). L’évolution de ces grossesses a été comparée à celle de 136 témoins appariés. Il n’y a pas de différence significative dans les courbes de survie que la grossesse ait été à terme ou non.
La Lettre du Sénologue - n° 24 - avril/mai/juin 2004
À dix ans, la survie globale est de 71 % (90 % lorsqu’il n’y a pas
d’atteinte ganglionnaire). Dix-neuf pour cent des rechutes ont été rapportés, la médiane de suivi étant de 72 mois. Ce taux est comparable à
celui de l’ensemble de la population. Ni le délai de survenue entre le traitement du cancer et la conception ni le fait que la grossesse soit menée à
terme ou non ne semblent influencer la survenue des rechutes.
Cette étude venait donc corroborer les données exposées dans la thèse de
Peters plus de 15 ans plus tôt. Deux autres études étaient alors également
disponibles : celle de Clark publiée en 1989 (5), concernant 136 patientes
canadiennes avec une survie à dix ans pour les patientes N- à 76 %, (63 %
pour les N+) ; celle de Ribeiro publiée en 1986 (22) chez des patientes
anglaises concernant 57 cas avec une survie de 64 % à dix ans chez les
patientes N- et 26 % pour les patientes N+. À noter également, pour être
exhaustif, l’étude de Ariel, publiée en 1989 (1) chez des femmes ayant
eu une mastectomie pour cancer du sein (46 cas, 77 % de survie chez les
patientes N- et 56 % chez les patientes N+). Une revue de la littérature
plus récente permet de répertorier d’autres séries, amenant aux mêmes
conclusions.
Publiée en 2004, celle de Blakely (3) concerne 47 femmes ayant présenté une grossesse dont 32 à terme. Cette étude a été conduite au MD
Anderson à Houston, avec un suivi moyen de 13 ans. Entre 1974 et
1998, 383 femmes de moins de 35 ans ont été traitées, avec une chimiothérapie adjuvante dans le cadre d’essais thérapeutiques. Le taux
de récidive chez les femmes qui ont été enceintes était de 23 % alors
qu’il était de 54 % pour l’ensemble de la population. Les femmes ayant
réalisé une grossesse présentaient par rapport à l’ensemble de la population considérée des stades plus précoces, moins d’envahissements
ganglionnaires, un statut plus volontiers RH- et étaient plus jeunes. À
noter que, malgré le fait que les patientes aient été enregistrées dans un
essai thérapeutique, beaucoup de données sont manquantes, illustrant
la difficulté d’obtenir tous les renseignements utiles pour établir des
conclusions fiables en termes de pronostic. Par exemple : l’information
pour la positivité ou la négativité des récepteurs hormonaux manque
chez 123 femmes (33 % de la population) et l’information du statut
ganglionnaire manque chez 15 femmes.
Deux autres séries : celle de Gelber à Boston publiée en 2001 (8) et celle
de Kroman à Copenhague publiée en 1997 et 2003 (10, 11) ont apparié
des patientes enceintes après un cancer du sein à des témoins et ont mis
en évidence une diminution de la mortalité par rapport au contrôle : chez
Gelber, 94 femmes ont été enceintes, donnant lieu à 137 grossesses et
89 grossesses à terme ; il y avait 55,6 % de patientes N- ; chez Kroman,
173 patientes ont été enceintes, donnant lieu à 211 grossesses et 97 grossesses à terme ; 58 % des patientes n’avaient pas d’atteinte ganglionnaire ; comparées à un sous-groupe de bon pronostic, mais n’ayant pas
réalisé de grossesse, les patientes qui ont été enceintes avaient un pronostic meilleur. On peut citer également la série de Velentgas à
Washington (24) qui fait état de 53 femmes donnant lieu à 87 grossesses ; cette série est très détaillée, illustrant la possibilité de fausses
couches suivies de grossesses à terme. Enfin, Mueller et al. (19) rapportent les résultats d’une cohorte issue de trois populations (Seattle,
Detroit, Los Angeles) : 438 femmes âgées de moins de 45 ans ont été
enceintes, comparées à 2 775 témoins : leur pronostic est plus favorable à stade égal que celui de la population du même âge, non enceinte.
En conclusion, la revue de la littérature permet d’affirmer qu’il
n’existe pas d’augmentation du risque de récidive ou d’altération du
taux de survie si une grossesse est menée après cancer du sein. Il semblerait même, dans certaines études, qu’il puisse apparaître un effet
protecteur. Le taux des fausses couches ou des IVG est élevé dans
toutes les études, probablement lié aux effets de la chimiothérapie sur
La Lettre du Sénologue - n° 24 - avril/mai/juin 2004
la fertilité ; souvent les fausses couches sont suivies d’une grossesse
à terme. À noter que ces fausses couches, pas plus que les IVG, n’ont
d’effets délétères sur le pronostic.
Malgré la petite taille des séries et l’existence de biais comme celui de
la “bonne santé” (“healthy mother effect”) (seules les femmes qui vont
bien envisagent une grossesse), il n’y a aucune raison à l’heure
actuelle de décourager une femme qui désirerait une grossesse après
un cancer du sein. Néanmoins, il est indispensable d’être attentif et de
proposer une contraception afin que cette grossesse soit parfaitement
désirée. On continue à conseiller un certain délai entre la fin du traitement du cancer et la survenue de la grossesse, même si dans
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l’ensemble des séries, ce délai se situe entre 2 et 3 ans.
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