D O S S I E R T H É M A T I Q U E Physiopathologie des hépatites auto-immunes (HAI): données récentes Pathogenesis of autoimmune hepatitis : new concepts ● J.C. Duclos-Vallée*, É. Ballot**, C. Johanet** P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ La pathogénie de l’hépatite auto-immune (HAI) regroupe des mécanismes généraux responsables d’une rupture de tolérance et des mécanismes spécifiques du tropisme hépatique de la réponse auto-immune. ■ La tolérance centrale résulte de l’apoptose, au sein du thymus, de cellules T autoréactives. La tolérance périphérique regroupe quatre modalités : l’ignorance ; l’anergie ; l’apoptose ; la régulation par l’action de cytokines. ■ La prédisposition génétique de l’HAI est en partie expliquée par certains haplotypes HLA et peut-être par d’autres polymorphismes génétiques. ■ Les cellules cytotoxiques T et NK ont un rôle prépondérant dans la nécrose. A pathogénie de l’HAI regroupe des mécanismes généraux responsables d’une rupture de tolérance et des mécanismes spécifiques du tropisme hépatique de la réponse auto-immune. L de protéines du soi présentés dans une molécule du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) à la surface d’une cellule épithéliale thymique, conduit à l’apoptose du lymphocyte T autoréactif. Cependant, des cellules T autoréactives s’échappent du thymus et des mécanismes de tolérance périphérique sont donc nécessaires. Au niveau périphérique L’action des cellules T autoréactives est prévenue selon quatre modalités : – L’ignorance : les lymphocytes auto-immuns sont gardés en “ignorance” par la séquestration d’auto-antigènes non présentés ; – L’anergie : le ligand CD80/86 de la cellule présentatrice interagit avec CTLA-4, homologue de CD28, et inhibe l’activation de la cellule T en bloquant l’interaction CD80/CD86 avec CD28 (figure 2) ; – L’apoptose du lymphocyte activé par l’interaction Fas/FasL. Dans le foie, l’interféron synthétisé par les lymphocytes T activés augmente l’expression de FasL à la surface des cellules de Kupffer. – La régulation négative de lymphocytes T par l’action de cytokines (en particulier l’IL-10 et le TGF β). Répertoire immun Moelle Thymus RUPTURE DE TOLÉRANCE Tolérance centrale La tolérance immune se définit par la capacité d’éliminer ou de neutraliser les cellules T autoréactives avec deux niveaux de contrôles : un central et un périphérique (figure 1) (1, 2). Lymphocytes autoréactifs détruits par apoptose (sélection négative) Fuite de lymphocytes autoréactifs vers la périphérie contrôlés par Au niveau central La tolérance centrale résulte de l’apoptose, au sein du thymus, de cellules T autoréactives issues de cellules T immatures provenant de la moelle osseuse. La capacité des récepteurs de certains clones de cellules T à interagir avec des peptides dérivés * Département des maladies du foie, centre hépato-biliaire, hôpital Paul-Brousse, Villejuif. ** Laboratoire d’immunologie, hôpital Saint-Antoine, Paris. la tolérance périphérique Facteurs environnementaux Rupture de tolérance Facteurs génétiques Maladie auto-immune Figure 1. Établissement et rupture de la tolérance. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 5 - vol. VI - septembre-octobre 2003 179 D O S S I E R T PATHOGÉNIE DE L’HAI L’HAI est la conséquence d’une rupture de la tolérance centrale et périphérique du fait de facteurs génétiques et environnementaux. H É A T I Q U E Tableau. Fréquence allélique DRB1 chez les patients atteints d’hépatite auto-immune (d’après P.T. Donaldson. Semin Liver Dis 2002 ; 22 : 353-64). Allèle Contrôles n = 236 (%) 58 (25) Odds-radio 1501 Patients n = 297 (%) 43 (15) 0301 149 (50) 54 (23) 3,39 04 127 (43) 88 (37) NS 0401 88 (30) 47 (20) 1,69 1301 40 (13) 33 (14) NS 0301/0301 42 (14) 5 (2) 7,61 04/04 14 (5) 13 (6) NS 1501/1501 0 (0) 5 (2) NS 0301/04 23 (8) 12 (5) NS 0301/0401 15 (5) 6 (3) NS Aspects génétiques Le CMH (figure 3) : la prédisposition génétique de l’HAI est en partie expliquée par certains haplotypes HLA. La responsabilité du CMH de classe II est essentielle, en particulier du fait de son rôle dans la présentation de déterminants autoantigéniques aux cellules T CD4+ (figure 2) . Les allèles DRB1*0301 et DRB1*0401 sont associés à une susceptibilité accrue d’HAI (tableau). L’influence de l’allèle DRB1*1501 serait controversée (3-5) et l’allèle DRB1*1301 pourrait être un gène de susceptibilité chez des enfants. L’identification de ces allèles de susceptibilité a permis la construction de modèles moléculaires reposant : – pour le premier, sur la présence d’un acide aminé basique en position 13 du polypeptide DRβ ; – pour le deuxième, sur les allèles DRB3*0101 et DRB1*0401 codant pour une séquence linéaire essentielle pour la présentation antigénique ; – pour le troisième, sur un dimorphisme en position 86 (6). Les allélotypes B8 et DRB1*0301 sont associés à une maladie plus sévère et à la présence d’anticorps anti-SLA (7, 8). L’allèle C4Q0 correspondant à la délétion du gène C4, observé chez 50 % des HAI de type 1, en diminuant l’activité du complément, favoriserait une infection virale et ainsi déclencherait une pathologie auto-immune (9). Quatre polymorphismes du promoteur et un au niveau du premier exon ont été décrits dans le gène TNF-α. À la position -308 du promoteur, l’allèle variant le TNF-308A (TNF2), déjà impliqué dans des maladies auto-immunes (polyarthrite rhumatoïde et lupus érythémateux), serait associé à l’HAI de type 1 (10). M 0,52 1501/0301 10 (3) 4 (2) NS 0301 ou 04 256 (86) 130 (55) 5,09 Lysine 71 267 (90) 155 (66) 4,65 Les gènes de costimulation et de régulation : les associations entre HAI et les polymorphismes des gènes du CTLA-4 et du récepteur de la 1,25-dihydroxyvitamine D3 (inhibant la prolifération lymphocytaire), ont été décrites (11-12). Les patients avec mutations homozygotes de l’AIRE, facteur de transcription localisé dans les cellules dendritiques et médullaires thymiques, développent un syndrome polyendocrinien de type 1 (APS-1) associant une candidose et des pathologies auto-immunes (13). Dix pour cent des APS-1 ont une HAI avec auto-anticorps contre les isoformes 2A6 et 1A2 du cytochrome P450 (14). Facteurs environnementaux – phénomènes de mimétisme moléculaire Figure 2. Intervenants dans la réponse (auto)immune. 180 Les facteurs environnementaux (xénobiotiques et virus) pourraient induire des phénomènes d’auto-immunité par un mécanisme de mimétisme moléculaire, c’est-à-dire le partage de déterminants antigéniques entre des micro-organismes et des antigènes du soi. Le foie, site privilégié de détoxification, directement en contact avec des agents pathogènes d’origine digestive, représente un organe cible de phénomènes auto-immuns. Dans l’HAI de type 1, la non-spécificité de l’auto-antigène en cause (filament fin d’actine) La lettre de l’hépato-gastroentérologue -n° 5 - vol. VI - septembre-octobre 2003 D O S S I E R T Classe II HL A DQ É M A Classe III C4 DR H BF C2 AB BAT 987 HSP 70 T I Q U E Classe I LST1 HLA B C BAT B144 TNFα BAT 6 5 4 3 2 G1 LTβ LTα 1 MICB - 308 - 244 - 238 TNF δ TNF α et β TEL CEN 750 1 000 1 500 2 000 4 000 Kb 2 200 Figure 3. Région centrale du CMH. rend peu probable le phénomène de mimétisme moléculaire. En revanche, dans l’HAI de type II, la caractérisation des sites antigéniques de la protéine CYP2D6, auto-antigène reconnu par les anticorps anti-LKM1, a été très étudiée. Des homologies de séquence entre le site antigénique reconnu par les antiLKM1 et des protéines d’agents infectieux (HSV1, VHC, CMV) existent (15). Deux séquences d’isoformes de cytochrome P450 (épitopes de la cellule T) sont homologues avec une région de 10 aa de la protéine du core HCV. tion élevée dans le foie (30 à 50 % versus 2 % dans le sang). Ces cellules servent de première ligne de défense face aux pathogènes présentés par les molécules CD1 (17). Dans un futur proche, les nouveaux axes thérapeutiques pourraient être : le blocage de signaux de costimulation, les vaccins récepteurs T, la reconstitution du système immunitaire de cellules souches autologues ou allogéniques, et le rétablissement d’une homéostasie immunitaire par la transplantation de cellules régulatrices. ■ Mécanismes pathogéniques et effecteurs Les autoanticorps n’exercent d’action cytotoxique que si leur cible est exposée à la surface cellulaire et ce par trois mécanismes : – l’activation du complément ; – l’intervention du fragment Fc ; – la fixation à la surface des cellules NK. Ils permettent un contact entre NK et cellules cibles, déclenchant l’apoptose de ces dernières. Cependant, l’expression membranaire des auto-Ag dans les HAI reste discutée. Clairement établie pour le récepteur à l’asialoglycoprotéine, elle est controversée pour le CYP2D6. De plus, de nombreuses cibles antigéniques ne sont toujours pas identifiées (antigènes nucléaires, ANCA, etc.). Les autoanticorps auraient un rôle marginal dans la nécrose. À l’inverse, les cellules cytotoxiques T y contribuent largement, comme en témoigne la prédominance de T CD4+ et l’identification de plusieurs clones T spécifiques d’auto-antigènes, tels que le récepteur à l’asialoglycoprotéine et le CYP2D6 (16). Enfin, les cellules NKT auraient un rôle important et sont en propor- Mots clés. Autoantigènes - Autoanticorps - Tolérance Mimétisme moléculaire - Maladie polygénique. Autoantigen and antibodies - Tolerance - Molecular mimicry Differential genetic predisposition. Remerciements – Les auteurs remercient le Pr Fernando Alvarez de ses suggestions et critiques. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Mackay IR. Tolerance and autoimmunity. Br Med J 2000 ; 321 : 93-6. 2. Stockinger B. T lymphocyte tolerance : from thymic deletion to peripheral control mechanisms. Adv Immunol 1998 ; 71 : 229-65. 3. Doherty DG, Donaldson PT, Underhill JA et al. Allelic sequence variation in the HLA class II genes and proteins in patients with autoimmune hepatitis. Hepatology 1994 ; 19 : 609-15. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 5 - vol. VI - septembre-octobre 2003 181 D O S S I E R T 4. Stretell MDJ, Donaldson PT, Thompson LJ et al. Allelic basis for HLA-encoded susceptibility to type 1 autoimmune hepatitis. Gastroenterology 1997 ; 112 : 2028-35. 5. Ota M, Seki T, Kiyosawa K et al. A possible association between basic amino acids at position 13 of DRB1 chains and autoimmune hepatitis. Immunogenetics 1992 ; 36 : 49-55. 6. Pando M, Lariba J, Fernadez GC et al. Paediatric and adult forms of type 1 H É M A T I Q U E 11. Agarwal K, Jones DEJ, Daly AK et al. CTLA-4 gene polymorphism confers susceptibility to type 1 autoimmune hepatitis. Hepatology 2000 ; 31 : 49-53. 12. Vogel A, Strassburg CP, Manns MP. Genetic association of vitamin D receptor polymorphisms with primary biliary cirrhosis and autoimmune hepatitis. 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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue a remporté le 2e prix dans la catégorie “initiative éditoriale” pour la qualité et l’originalité de la présentation du numéro consacré aux “Données factuelles en Hépato-gastroentérologie” coordonné par Yves Panis. Un grand bravo et merci aux auteurs pour cette distinction. * Syndicat National de la Presse Médicale et des professions de santé 182 La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 5 - vol. VI - septembre-octobre 2003