L G y n é c o e t ... o et société

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L’annonce dans le cancer du sein
# C. Vacher-Vitasse(1), N. Dohollou(2), R. Faivre (3), M. Boisserie-Lacroix(4), G. Boutet (5), S. Marmié (6), D. Jammet(7), C. Pascaud-Sirben(8)
L
es premiers états généraux de la Ligue contre le cancer
en 1998 et 2000 ont permis aux malades de prendre la
parole, et ont conduit à la rédaction d’un livre blanc
de synthèse soulignant la volonté de la Ligue d’obtenir la reconnaissance d’une spécificité de la consultation d’annonce.
Ce fut le début d’une réflexion approfondie dans notre pays
qui aboutit fin 2002 à l’élaboration du Plan Cancer présenté
par le président de la République au début de l’année 2003.
Articulé autour de 70 mesures, il doit permettre d’améliorer
très sensiblement la prévention, la prise en charge, la qualité
et la durée de vie des malades. La mesure 40 du Plan Cancer
stipule : “Permettre aux patients de bénéficier de meilleures
conditions d’annonce du diagnostic de leur maladie.”
Cette nouvelle disposition nous a incités au sein du Collège de
gynécologie de Bordeaux et du Sud-Ouest, à réfléchir sur ses
conséquences et à les confronter à notre pratique.
Nous avons créé un groupe de réflexion multidisciplinaire sur
ce sujet puisque l’annonce et la prise en charge du cancer du
sein nécessitent une équipe de médecins de différentes spécialités, réunis maintenant en unités de coordinations pluridisciplinaires en oncologie (UCPO).
L’une d’entre nous, du fait de son engagement en gynécologie
psychosomatique, a animé ce groupe pendant une année. Neuf
personnes ont participé : deux oncologues, une représentante
de l’association Europa Donna, une radiologue, trois gynécologues médicaux, un chirurgien, une psychanalyste. Chacun a
travaillé sur un thème proche de sa pratique et tous ont relevé
l’importance de la parole, des mots utilisés, de l’écoute.
LE CADRE LÉGAL DU DISPOSITIF D’ANNONCE
Une expérimentation nationale du dispositif d’annonce a été
instaurée conjointement par le ministère de la Santé et par la
Ligue contre le cancer ; 37 centres ont été sélectionnés, associant 58 établissements de santé dans 15 régions.
Il faut noter que cela n’est pas spécifique de l’annonce du
cancer du sein. Trois temps sont proposés dans “le dispositif
d’annonce” du Plan Cancer (1) :
L’annonce du diagnostic de cancer.
La proposition d’une stratégie thérapeutique, qui a été définie lors de la réunion de concertation pluridisciplinaire.
1. Gynécologue médicale, 159, rue de la Marne, 33500 Libourne.
2. Polyclinique de Bordeaux Nord-Aquitaine, 15, rue Claude-Boucher, 33000 Bordeaux.
3. Europa Donna, responsable de la délégation Aquitaine, 6, rue Terrasson, 33800 Bordeaux.
4. Unité de sénologie, service de radiologie du Pr H. Trillaud, hôpital Saint-André, CHU, 1, rue
Jean-Burguet, 33075 Bordeaux.
5. Cabinet de gynécologie, 28, rue de Norvège, 17000 La Rochelle.
6. Clinique Tivoli, 220, rue Mandron, 33000 Bordeaux.
7. Psychologue, CHU Bordeaux, 33800 Bordeaux.
8. Gynécologue médicale, 234, cours de l’Argonne, Bordeaux.
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La mise à disposition d’une équipe soignante (infirmière,
psychologue, manipulateur en radiothérapie) immédiatement
après ou à distance des deux temps précédents.
Les deux premiers temps sont donc médicaux. Ce dispositif
d’annonce peut s’appuyer sur un travail en réseau entre les
professionnels concernés, et les temps médicaux peuvent être
menés par deux médecins différents.
L’annonce du cancer nécessite une consultation longue et spécifique, dédiée à l’annonce du diagnostic. Elle est réalisée par
un médecin acteur du traitement oncologique (oncologues
– chirurgiens – spécialistes d’organe).
But de la consultation d’annonce diagnostique
Informer la patiente sur sa maladie.
L’informer également sur les alternatives thérapeutiques qui
pourront lui être proposées.
Permettre un dialogue autour de cette annonce, en respectant le poids de celle-ci et les émotions qu’elle peut susciter.
Identifier les conditions psychologiques et sociales qui
constituent le quotidien de la patiente.
L’informer que son dossier sera soumis à une concertation d’expertise pluridisciplinaire, pour laquelle elle donne son accord.
Un rendez-vous est alors proposé pour le deuxième temps de
l’annonce, se situant après la réunion de concertation pluridisciplinaire. Il permet au praticien d’exposer la stratégie thérapeutique et le programme personnalisé de soins.
Évaluation de ce dispositif expérimental
L’évaluation qui s’est déroulée de juin 2004 à janvier 2005 dans
l’ensemble des centres sélectionnés est maintenant connue (2).
Elle concerne :
La fiche de suivi médecin, destinée à décrire le comportement du médecin avec chaque patient lors de l’annonce.
Le questionnaire d’opinion des patients, questionnaire remis
en main propre lors de la deuxième consultation (PPS).
Le livret d’expression des personnels médicaux et paramédicaux.
L’enquête téléphonique auprès des médecins généralistes.
L’analyse du coût du dispositif.
Les difficultés rencontrées (questions d’organisation pour la
mise en place du dispositif).
La manière de les surmonter.
Résultats
Ainsi 989 questionnaires d’opinion de patients adultes ont été
saisis. Dans 75 % des cas, le questionnaire a été rempli par le
patient lui-même ; il s’agit de femmes dans 65 % des cas, la
moyenne d’âge est 60 ans.
Les conditions d’accueil : 95 % ont apprécié “le respect de la
confidentialité et de l’intimité”.
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Seuls 10 % des patients ayant rempli le questionnaire ont
donné une réponse aux questions relatives aux sentiments
perçus et à leur expression au moment de l’annonce.
Au final, 95 % des patients ont apprécié : “la disponibilité
du médecin pendant les consultations, la capacité d’écoute du
médecin, la sollicitude de l’équipe médicale, c’est-à-dire le sentiment d’avoir été respecté en tant que personne”.
Moins de 16 % des patients ont rencontré l’un ou l’autre des
personnels paramédicaux de l’équipe soignante.
Dans la majorité des cas, 94 % des patients ont jugé bonne ou
très bonne la prise en charge dans l’établissement où ils ont
consulté.
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La poignée de mains : “Je suis allée en consultation avec mon
mari. Le chirurgien devait me donner le résultat du prélèvement et il n’arrivait pas à le trouver dans le dossier, il a passé
le temps à tourner et retourner ses papiers puis il m’a dit que
c’était positif, mais que je n’avais pas à m’inquiéter et finalement
c’est moi qui ai demandé si j’avais un cancer, il m’a dit que oui.
Nous avons eu très peu de temps pour poser des questions,
mais surtout j’ai été très surprise quand il m’a tendu la main
par dessus le bureau en me disant qu’il était très en retard. Je
garderai toujours le souvenir de cette poignée de mains”.
Plus jamais ça…
Et le radiologue ?
Le gynécologue – spécialiste d’organe – a son rôle
à tenir dans l’annonce du cancer
Nous en sommes bien persuadés et nous le montrerons dans
la deuxième partie. Mais, de plus, la conclusion du rapport
INEUM en témoigne clairement. Voici la dernière phrase de ce
rapport : “Les patients et les médecins (MG) nous interpellent
sur la place à donner au médecin de ville dans ce dispositif.”
RÉFLEXIONS ISSUES DU GROUPE DE TRAVAIL
Les mots de l’annonce et les “annonces ratées”
Certains mots sont incontournables :
Cancer : “ce mot que le médecin ne veut pas dire à quelqu’un qui
ne veut pas l’entendre”, selon la formule très juste de Nicole Alby.
Survie : terme que la plupart de nos patientes détestent, car ce
n’est pour elles qu’un répit accordé statistiquement, mais ce
n’est plus la vie.
Rémission : c’est presque pire, cela veut dire : “vous avez un
cancer, on va peut-être s’arranger pour que vous puissiez
continuer à vivre…”
Guérison : c’est la seule chose qui intéresse les patientes une
fois qu’elles ont émergé du choc premier. Peut-on prononcer
le mot de guérison ? Les avis sont très partagés.
À l’écoute du groupe de parole d’Europa Donna, nous percevons mieux la violence de certaines annonces : voici trois
petites histoires.
Premier appel
“Mon médecin, que je connais depuis longtemps, m’a appelée
sur mon portable. J’ai rangé ma voiture sur le bas-côté et il m’a
expliqué que le prélèvement était positif, je lui ai demandé si
c’était un cancer, il m’a répondu oui. Je suis restée une heure
sur le parking et au bout d’une heure, j’ai appelé ma fille pour
qu’elle vienne me chercher.”
Deuxième appel
“Lors de la mammographie, j’ai appris que j’avais un cancer
du sein. Cependant, je gardais espoir que le prélèvement soit
négatif. C’est le chirurgien qui m’a confirmé par téléphone que
c’était positif, il a été particulièrement humain, disponible et
plein de tact.”
Le radiologue se trouve désormais intégré parmi les différents
acteurs médicaux. Les enquêtes de la Ligue ont montré que les
diverses informations délivrées au malade, ou captées par lui
chez le médecin traitant, au laboratoire, auprès du radiologue,
vont conditionner la suite du processus.
Tout d’abord, le radiologue est celui qui découvre une anomalie infraclinique et déclenche l’engrenage inéluctable des événements. Il va expliquer la probabilité qu’a une image d’être
bénigne ou maligne et se trouve placé dans une position difficile qui l’oblige à expliciter. Mais certains mots ne sont pas
compréhensibles, tels que “image stellaire”, “désorganisation”,
“hyperdensité”… Il faudra tenir compte du niveau intellectuel de la patiente, voire de son entourage, sans tomber dans
le piège d’un discours technique. La mammographie semble
d’autant plus menaçante à la patiente qu’elle redoute un cancer que seul le radiologue sait voir, et elle peut se sentir “manipulée” (3). Le radiologue n’annonce pas un diagnostic, mais
énonce un résultat radiologique anormal et la conduite à tenir.
Sa responsabilité est grande dans la catégorie “probablement
maligne”. Sans dramatiser, il lui faut justifier la nécessité d’un
examen anatomopathologique et justifier de plus le recours
à un sénologue spécialisé ou à une consultation multidisciplinaire, en accord avec le médecin traitant. Il ne doit pas se
laisser entraîner dans des spéculations sur la nature de l’image
suspecte, faire comprendre que de nombreux remaniements
de la texture du sein peuvent avoir une traduction radiologique. Il ne faut pas adopter l’attitude de “fuite en avant” qui
consiste à tout dire, tout de suite, en l’occurrence à parler de
mastectomie, de chimiothérapie : “c’est ce qu’il y a de plus violent pour le patient, c’est un crime de l’annonce et de l’information” affirme I. Moley-Massol (4).
Le radiologue prépare la patiente à la période d’incertitude
qu’elle va connaître jusqu’au diagnostic. Il assure la transmission de l’information au médecin traitant, et un manque de
diligence préjudiciable à la prise en charge pourrait lui être
reproché.
En permettant un diagnostic préopératoire, le développement de la radiologie interventionnelle soulève le problème
de la gestion des prélèvements interventionnels. La situation
semble différente pour les microbiopsies sous échographie
dont l’indication est portée à la suite de la mammographie,
et pour les macrobiopsies qui doivent être validées en staff
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,ce qui implique tout un circuit de prise en charge. Le radiologue peut préférer envoyer directement au gynécologue le
compte-rendu, apparaissant comme un spécialiste investi
d’une compétence technologique permettant le diagnostic
de façon rapide et fiable. Il intervient là au premier acte, se
situant parmi les différents acteurs de la “chaîne d’annonce”
qui interviennent en amont, et une des priorités de la Ligue
contre le cancer est justement d’améliorer la communication
des soignants intervenant en amont, car un défaut de qualité
sera difficile à rattraper par la suite dans une consultation
formelle. Le radiologue peut souhaiter une place dans une
consultation formelle d’annonce, et en fonction de son engagement en sénologie et de son intégration dans un réseau de
soins, annoncer lui-même la mauvaise nouvelle à la patiente. Il
lui faut alors la reconvoquer, prévoir le temps nécessaire, avoir
une salle adéquate ; le dossier doit avoir été présenté en staff
multidisciplinaire, car il est difficile pour un professionnel de
santé d’annoncer une mauvaise nouvelle sans avoir la solution
thérapeutique.
La mammographie est bien le prologue de tout ce qui va advenir. L’importance de ce qui se joue à ce moment-là sur le plan
relationnel détermine les conditions d’annonce formelle.
social ou culturel et selon la représentation que chaque femme
a de l’image de son corps, comment elle “l’apprivoise”, à chaque fois il s’agira bien de la même catastrophe.
Aline V. doit subir une mastectomie. Elle dira : “Je ne peux
plus me regarder dans la glace, je ne pourrai plus me regarder
après l’opération et il est hors de question que mon ami me
regarde.” Deux mois après l’intervention, elle tient toujours
son compagnon à l’écart car “elle a, dit-elle, tellement de mal à
s’accepter elle-même.”
Pour Jeanne B., ravissante femme enseignante de 59 ans, l’apparence et la beauté ont été les piliers de sa vie. Pour elle aussi,
l’annonce du cancer et de l’amputation du sein sont intolérables par rapport à l’image qu’elle a d’elle-même : elle essaiera de
se faire à cette idée en verbalisant sa souffrance et en prenant
à témoin sa gynécologue : “C’est impossible, impensable, il a
fallu que ça m’arrive ; qu’est-ce que je vais être maintenant ?”
Nous tenterons donc d’annoncer avec tact et délicatesse,
avec clarté, pour informer et écouter les réactions que cette
annonce va susciter. Nous aurons proposé si c’est possible la
présence d’un proche aux côtés de la patiente pour le jour de
l’annonce des résultats (pour un soutien affectif et pour relayer
l’information si nécessaire) [4].
Pour chaque médecin, et particulièrement
pour le gynécologue
L’annonce a été faite, la consultation est terminée
Quelles qu’aient pu être les modalités d’annonce, il n’existe
pas d’annonce idéale car ce serait celle, impossible, qui aurait
réussi à faire l’économie de la violence inscrite dans ce qui ne
peut être qu’une mauvaise nouvelle.
Dès qu’elle a quitté le cabinet, et si elle n’était pas accompagnée, la patiente chargée de ce qu’elle a reçu va se retrouver en
position de le transmettre à son tour : d’annoncée, elle devient
actrice d’annonce.
Il semble donc souhaitable, pour le médecin, de se préoccuper
à la fin de l’annonce de “l’après-consultation”, par exemple en
demandant à la patiente qui elle va rencontrer et avec qui elle
va en parler. Les vignettes cliniques qui sous-tendent notre
travail permettent de dire que toutes montrent qu’en annonçant leur cancer à leurs proches, les patientes craignent de
faire peur et que, d’une certaine façon, elles ressentent quelque chose de l’ordre de la honte, à côté du préjudice.
La position ambivalente qui est souvent adoptée par rapport à
l’entourage va dépendre du degré de “force” ou de “faiblesse”
qu’on lui accorde (5). Ce classement implicite porte aussi bien
sur le mari ou le compagnon que sur les parents, les enfants, la
famille élargie, les amis, etc.
À ceux qu’elle estime avoir de la force, et pouvoir supporter
la nouvelle, elle répétera ce qu’elle a retenu de ce qu’on lui a
dit. Pour ceux qui ont de la “force”, elle estime qu’ils pourront
aller au-delà de ce qu’elle annonce, c’est-à-dire percevoir sa
souffrance sans qu’elle soit obligée de la montrer, en acceptant
d’être aidée sans avoir à le demander.
À ceux qui sont du côté de la “faiblesse”, c’est-à-dire qu’elle
pense incapables de comprendre et d’aider, voire de faire autre
chose que fuir, elle réservera un silence protecteur, non dénué
de mépris.
L’annonce dans le cancer du sein requiert une réflexion avant
chaque consultation : la gravité du diagnostic et le bouleversement que provoque cette annonce pour une femme nous
incitent à nous préparer pour annoncer.
Il s’agira d’une annonce diagnostique : tout comme le radiologue, nous vivons un prologue à l’annonce, lors d’une suspicion
clinique puis radiologique ; puis l’annonce elle-même lors de
la confirmation du diagnostic par le résultat de l’examen anatomopathologique.
Cette annonce nous implique de diverses façons :
Avec notre histoire, notre propre représentation du corps
féminin, notre propre angoisse face au cancer – au cancer du
sein en particulier – et à la mort.
Que savons-nous de la patiente qui va recevoir cette nouvelle ? Quelle est sa situation familiale, professionnelle,
sociale ? Est-elle entourée, est-elle bien dans sa peau, à l’aise
avec sa sexualité, “bien dans sa vie” au moment où cet événement la touche ?
Qu’annonçons-nous ? Un “cancer”, donc quelque chose qui
évoque aussitôt mal, malin, imprévisible néfaste, toute-puissance d’une maladie. “Dès que j’ai entendu le mot cancer, dans
la seconde qui a suivi, j’étais morte” nous dit une patiente.
De plus, à ces représentations très douloureuses s’associe ce
qu’est le sein pour une femme : un organe situé à la surface du
corps, accessible au regard et au toucher, élément essentiel de
l’image du corps féminin.
Organe sensoriel, érotique, qui évoque la douceur et la beauté
et suscite le désir sexuel.
De tous les dossiers de patientes que nous avons consultés, il
ressort que si l’annonce est vécue différemment selon le milieu
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Sylviane D. n’a rien dit à personne, d’une part “parce que son
mari devient idiot devant une blouse blanche, d’autre part
parce qu’elle considérait que ça ne regardait qu’elle”.
Jocelyne P. n’a rien dit, même à son mari, pendant 15 jours, en
attendant de disposer des résultats définitifs postopératoires. Elle
avait présenté la chirurgie comme l’ablation par principe d’un
petit nodule bénin. Son objectif était de protéger les autres.
Pour Marie-Noëlle R., l’annonce au mari s’est faite en sa présence par le chirurgien et ils ont appris en même temps la
nouvelle. Il est tombé évanoui. Il ne lui apportera pas plus de
soutien par la suite, n’ayant jamais reparlé de sa souffrance à
lui lors de l’annonce et restant toujours silencieux lorsque la
patiente parle de sa maladie.
Le comble pour ces patientes paraît être que ce soit à elles de
devoir rassurer l’autre, malgré la situation.
Ainsi Patricia R. dira : “Je ne suis pas du tout soutenue par
mon mari : il fait une dépression. Il a été très choqué par l’annonce de ma maladie. Il assume, mais il dit qu’il n’avait pas
besoin de ça.”
Nombre de mères se réfugient également dans la dépression
après l’annonce du cancer du sein de leur fille.
L’annonce aux enfants n’est jamais facile
Elle se présente différemment selon leur âge, selon qu’il s’agit
d’un garçon ou d’une fille, selon que la femme les élève seule
ou avec leur père, etc. Quel que soit son âge, l’enfant sait toujours qu’il se passe quelque chose d’important et d’inhabituel.
Il perçoit le changement d’atmosphère à la maison, l’inquiétude de ses parents, les sous-entendus. L’enfant que l’on isole
dans le silence laissera voguer son imagination, ce qui sera
peut-être pire que la réalité.
Il est nécessaire que la mère puisse expliquer ce qui lui arrive
avec sa sensibilité, ses propres mots, qu’elle adaptera à l’âge de
son enfant. Selon le moment où celui-ci en est de sa relation
œdipienne à ses parents, l’annonce du cancer pourra entraîner une certaine culpabilité. Certaines femmes auront besoin
d’une aide pour dire cette vérité sans traumatiser (6).
La réaction de l’entourage au moment de l’annonce réactualise
toute la violence vécue lors de l’annonce initiale et toutes les
femmes sont d’accord pour dire qu’il est impossible de trouver
le bon ton et les bons mots. Ce qu’elles souhaitent entendre
comme réponse, ce n’est pas la réponse convenue : “ne t’inquiètes pas, le cancer aujourd’hui on en guérit”, etc., qu’elles considèrent comme une modalité de défense, à entendre
comme son contraire “je me demande quand tu vas mourir”,
mais elles souhaitent plutôt un accompagnement empathique,
éventuellement silencieux, fait d’une vraie présence car le
monde a basculé : “les autres vivent tranquillement leur vie et
je me demande dans combien de temps je vais mourir”.
Les annonces du chirurgien
Le chirurgien signale l’angoisse des patientes qui ont souvent
un doute quant à la possibilité d’une maladie grave lorsqu’elles consultent. L’annonce a beaucoup changé dans ce temps
chirurgical depuis que les examens extemporanés sont excepLa Lettre du Gynécologue - n° 320 - mars 2007
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tionnellement pratiqués, les techniques de prélèvement échoou radioguidés permettant un diagnostic préopératoire.
Les principes de la consultation chirurgicale ne seront pas
détaillés ici mais nous soulignerons les particularités de cette
consultation :
Le plus souvent la patiente est face à un chirurgien qu’elle ne
connaît pas et qui ne la connaît pas non plus.
Celui-ci insiste sur la nécessaire mise en confiance de la
patiente.
Il faut “l’apprivoiser” dit-il, annoncer les choses sans brutalité
mais tout en disant la vérité. Dès l’annonce du mot “cancer”, l’esprit est sidéré et la patiente n’entend plus aucune autre information, d’où la nécessité d’une tierce personne qui la rassure par
sa présence, qui écoute les informations et pourra les restituer
sans déformation. Il finit la consultation par des mots rassurants comme : “maladie prise à temps”, “pas de ganglion palpable”, insiste sur sa disponibilité au téléphone par exemple.
La mammectomie d’emblée est particulièrement difficile
à annoncer. Il est alors parfois nécessaire de proposer à la
patiente de lui communiquer le double de son dossier, pour
un deuxième avis, ce qui la rassure beaucoup. Il faut souvent
également lui laisser du temps pour mûrir sa décision.
Cette information grave que le chirurgien va essayer de communiquer en douceur aura toujours un effet traumatisant. La
difficulté de cette consultation tient aux variations des attitudes
des patientes, de leur entourage, de leur cas clinique particulier,
et de l’état moral du praticien face à chaque situation. Il s’agit
bien d’une patiente, une maladie, un traitement, au cas par cas.
L’angoisse et les autres affects exprimés ou ressentis
pendant la consultation d’annonce (le point de vue
du psychanalyste)
Pendant cette consultation, le médecin va constater l’expression que le sujet aura de ce qu’il éprouve : étonnement, stupeur, colère, désarroi, autant de noms pour qualifier l’affect
exprimé. Il est parfois possible de noter un décalage entre ce
que le sujet dit, qui peut apparaître très clair, demande d’information supplémentaire ou au contraire un silence important,
peu de questions, et ce qui paraît éprouvé par le sujet.
En effet, on ne peut pas vraiment se fier à ce qui est visible
pour avoir une idée de ce qui se passe pour la patiente pendant l’annonce : le corps parle, mais ce n’est pas sur un langage
au sens exact que s’établit cette parole, il s’agit plutôt d’une
expressivité naturelle et translinguistique (7) qui comporte
une coalescence du signifiant et du signifié. Les affects translinguistiques sont des signaux qui indiquent que le sujet est
affecté, mais ne disent ni de quoi ni comment. L’affect a une
structure de fiction, l’expressivité de l’affect est parfaitement
codée, elle s’apprend de manière spontanée pendant l’enfance
et varie d’une culture à l’autre. D’où la difficulté parfois de
comprendre ce qu’éprouve un sujet d’une autre culture par
rapport à celle du médecin, car les codes d’expression ne sont
pas les mêmes.
D’autre part, si l’affect n’est jamais refoulé, jamais inconscient,
il est “désarrimé” de la représentation qui l’a provoqué. Il peut
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apparaître déplacé, inversé, fou, mais il n’est jamais refoulé. Ce
qui est refoulé, ce sont les signifiants qui l’amarrent. C’est ce
qui explique qu’on puisse avoir le fou rire lors de l’enterrement
d’un être aimé, par exemple. C’est aussi ce qui explique que les
informations données par le médecin puissent être oubliées,
non comprises, occultées pendant un certain temps, mais tout
aussi bien par le patient que par celui qui l’accompagne, même
si c’est de manière différente.
Seule l’angoisse ne trompe pas, dans la mesure où elle signale
l’imminence du réel. L’angoisse est provoquée par la sensation du désir de l’autre, quand ce désir se fait sentir et que
le sujet ignore quel est ce désir. L’autre est ici à entendre de
manière très large. Ce peut être ce qu’un sujet appellera le destin, mais ce qui est à repérer, c’est la sensation pour le sujet
d’être au cœur d’un événement auquel il ne peut échapper et
qui le prend pour cible. Le médecin peut se trouver alors situé
comme porte-parole de cet autre qui ne veut pas le bien du
sujet aux yeux du patient ou de sa famille. Dans l’angoisse, le
sujet se retrouve aux prises avec une question qui pourrait se
formuler ainsi : “que me veut-il ?”.
Cette question est celle du patient, “que va-t-il m’arriver maintenant ?” et peut-être celle du médecin, “comment répondre à
l’angoisse ou aux autres affects du patient ?” Les stratégies qui
visent à “planifier” l’annonce du cancer ont le mérite de signaler qu’il s’agit toujours d’un moment important qui engage la
suite des événements pour le patient et pour la prise en charge
médicale. Pourtant, du fait de la variabilité des affects ressentis et de la dimension imprévisible de ce que l’annonce viendra signifier pour un sujet, ce qui paraît fondamental est que
le médecin prenne le temps qu’il lui faut pour effectuer cette
annonce, et qu’il accepte que l’émotion en fasse partie sans
avoir valeur de vérité. À la solitude de la patiente répond la
solitude du médecin dans cet acte de l’annonce. Solitude de la
patiente à laquelle répond également la présence du médecin
(présence qui restera dans la mémoire de la patiente : même
si elle n’a rien entendu pendant 10 minutes, elle perçoit que le
médecin a pris le temps pour elle).
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CONCLUSION
Nous soulignerons :
L’écoute, la disponibilité, le silence, les mots choisis et appropriés.
L’opportunité pour chaque médecin acteur d’annonce de
proposer une deuxième consultation lorsque cela lui paraît
nécessaire, puisqu’il faut du temps – nous l’avons vu – pour
“intégrer” l’événement qui sidère, brutalise, change à jamais le
cours de la vie d’une femme atteinte de cancer du sein. Ce n’est
qu’un peu plus tard que celle-ci pourra parler avec le médecin
de cette maladie et des conséquences qui en résultent, de la
douleur d’être atteinte d’un cancer du sein.
La possibilité pour les gynécologues de travailler en lien
étroit avec les réseaux de cancérologie de chaque région pour
assurer, au-delà de l’annonce et du traitement, le suivi des femN
mes atteintes de cancer du sein.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées. Direction
de l’hospitalisation et de l’organisation des soins. Appel à projets : expérimentation du dispositif autour de l’annonce d’un cancer (17 novembre 2003).
2. Document INEUM consulting. De la parole des malades à la transformation
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6. Ulaszewski AL. Être mère et avoir un cancer du sein. Collection Propos n° 2.
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7. Miller JA. À propos des affects dans l’expérience analytique. Actes de l’École
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