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Prise en charge précoce de l’anémie en oncologie
D’après une interview de E.C. Antoine (clinique Hartmann, Neuilly-sur-Seine)
Early treatment of anemia in oncology
from an interview of E.C. Antoine (Hartmann clinic, Neuilly-sur-Seine)
● A. Ponzio-Prion*
D
LA PRISE EN CHARGE DE L’ANÉMIE EST-ELLE OPTIMALE ?
LE CANCER DU SEIN COMME MODÈLE D’ÉTUDE
ET DE RÉFLEXION
État des lieux
Une étude européenne prospective portant sur 15 000 patientes
et conduite par 1 000 investigateurs, répartis dans 750 centres et
24 pays, ECAS (European Cancer Anemia Survey), a observé la
prise en charge en routine de l’anémie chez des patientes avec un
cancer du sein. Le traitement de l’anémie consistait dans 7 % des
cas en des transfusions globulaires avec un taux moyen d’hémoglobine à 9 g/dl à l’initiation. Dans 7 % des cas, une supplémentation en fer était prescrite devant un taux moyen d’hémoglobine à 11,7 g/dl. Douze pour cent des patientes recevaient de
l’érythropoïétine, instaurée à un taux moyen de 10,4 g/dl.
Toutefois, pour 74 % des patientes avec une hémoglobine inférieure à 12 g/dl, aucun traitement n’était proposé.
Une autre enquête menée auprès de 379 patients dont 79 % de
femmes, interrogeait spécifiquement ceux s’étant plaints de
fatigue, afin de mieux décrire celle-ci et son impact sur leur qua* Institut Gustave-Roussy, 94805 Villejuif Cedex.
La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - no 1 - janvier-février 2004
lité de vie. La fatigue était ressentie comme le symptôme le plus
invalidant chez 76 % des 379 patients en cours de chimiothérapie. Cette fatigue altérait la qualité de vie pour 88 % d’entre eux,
avec des difficultés ressenties dans leurs activités sociales et leurs
fonctions cognitives. Chez les 177 patients en activité professionnelle, 75 % ont dû changer de poste, et 65 % s’absentaient
régulièrement du fait de cette fatigue. La prise en charge était le
plus souvent limitée à la prescription de repos.
Traitement adjuvant actuel du cancer du sein
Le traitement adjuvant, et notamment la chimiothérapie, a permis de réduire considérablement les taux de récidive et de décès.
Cette chimiothérapie s’adresse désormais à la grande majorité des
patientes opérées d’une tumeur du sein. En effet, les critères permettant de surseoir à la chimiothérapie sont rarement tous présents (taille tumorale ≤ 1-2 cm, RH+, N-, SBR I, âge > 35 ans).
On admet comme standard de chimiothérapie adjuvante les protocoles à base d’anthracyclines, tels le FAC ou le FEC, plus
volontiers prescrit en France.
Or, lorsque l’on étudie les taux d’hémoglobine des patientes traitées par ces protocoles, on note une anémie constante et clairement dose-dépendante de 25 % sous FEC 50 à 43 % sous FEC 100,
ou même 60 % sous un protocole séquentiel CMF/FAC. De même,
selon le taux d’hémoglobine en début de traitement, l’anémie
d’apparition progressive tout au long des cycles sera plus ou moins
profonde : un taux d’hémoglobine à plus de 12 g/dl au départ restera relativement stable et normal, alors qu’un taux inférieur à
12 g/dl chutera de 1 à 2 points après le premier cycle pour aboutir à une anémie parfois profonde en fin de traitement (figure 1).
16
14
12
10
Hb
u fait des progrès incessants réalisés dans les traitements
des cancers, de plus en plus de patients sont guéris de leur
maladie ou bénéficient d’une prolongation de survie. Ces
tendances nous amènent à accorder de plus en plus d’attention à la qualité de vie de nos patients (1). Les plaintes des patients ont également
évolué avec le temps et grâce à la mise à disposition de nouveaux médicaments. Ils se plaignent non plus tant de nausées et de vomissements,
qui sont correctement pris en charge, que de douleur, de dépression,
du retentissement sur l’entourage et surtout de fatigue, qui est ressentie comme le symptôme le plus invalidant (2, 3). Nous devons donc
rechercher et combattre cette fatigue, dont l’origine n’est pas univoque, mais dont une des causes peut être l’anémie. En effet, l’anémie est une pathologie fréquemment rencontrée chez les patients traités pour une tumeur maligne, qu’elle soit due au cancer lui-même ou
secondaire aux traitements, notamment à la chimiothérapie.
Si l’anémie sévère est reconnue et compensée par des transfusions
globulaires, on se doit également de dépister et traiter l’anémie modérée, plus fréquente. Le traitement de l’anémie modérée est maintenant facilité grâce à l’apport de l’érythropoïétine (EPO), récemment
mise à la disposition des oncologues et qui devrait contribuer à améliorer la prise en charge des patients quant à leur qualité de vie, la
mise en place et la poursuite des traitements anticancéreux.
8
6
4
2
0
C1
< 10 g/dl, 19 patientes
C2
C3
C4
C5
Cures de chimiothérapie
10-12 g/dl, 62 patientes
C6
> 12 g/dl, 21 patientes
Figure 1. Évolution de l’hémoglobine au cours du FEC 100.
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Perspectives des traitements adjuvants dans l’avenir
Les données récentes publiées ou présentées laissent supposer le
rôle majeur que joueront les deux dérivés des taxanes. En effet,
les grands essais des groupes coopérateurs ont introduit les
taxanes, soit en traitement séquentiel après le classique standard
AC (CALGB 9344, NSAPB B-28, CALGB 9741 ou étude
CITRON), soit en remplacement d’un produit, TAC versus FAC
ou AC (BCIRG 01). Ces nouveaux protocoles ont démontré un
gain de survie sans récidive de 5 à 8 % et de survie globale de 3 à
5 %. Cependant, ce gain significatif d’efficacité s’accompagne
d’un surcroît de toxicité par rapport aux protocoles classiques, et
ces schémas peuvent majorer l’incidence et la sévérité des anémies chimio-induites en prolongeant le traitement ; ainsi, une
hémoglobine inférieure à 12 g/dl est attendue dans 70 % des cas
et inférieure à 10 g/dl chez plus de 50 % des patientes.
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rieures normales au décours de son traitement (11). On ne peut
donc pas prétendre que la prise en charge soit optimale. Et pourtant, l’anémie et ses conséquences se traitent. La correction du taux
d’hémoglobine peut être obtenue rapidement par les transfusions
globulaires ; toutefois, si la cause persiste, comme la poursuite de
la chimiothérapie, il semble que l’effet continu et durable de l’érythropoïétine soit une meilleure option (12). Il a été par ailleurs
démontré que la correction du taux d’hémoglobine est directement
corrélée avec la qualité de vie des patientes traitées par érythropoïétine : la qualité de vie s’améliore nettement, avec un gain
maximal dès lors que le taux d’Hb passe de 11 à 12 g/dl (figure
3). Ce gain en qualité de vie apparaît dès la 8e semaine de traitement et augmente régulièrement pour devenir nettement significatif par rapport à un placebo (12) (figure 4).
QDV (LASA, mm)
65
Chimiothérapie par FEC ou CMF
50
Pourcentage de patientes
Pourquoi et comment faut-il traiter l’anémie en oncologie ?
Les patientes se plaignent très fréquemment d’une fatigue qui
représente le symptôme à la fois le plus fréquent et le plus pénible
(4) ; les troubles cognitifs sont mal connus, mais ils sont pourtant
ressentis chez 60 % des patientes et sont parfois durables,
puisqu’ils peuvent se prolonger au-delà de 2 ans (5-7) [figure 2].
60
Une qualité de vie
optimisée pour une
hémoglobine > 11 g/dl
55
75
45
7
8
50
9
10
11
Taux Hb (g/dl)
12
13
14
Figure 3. Au-delà du seul maintien de l’hémoglobine, la qualité de vie.
(D’après 12).
25
EPO bêta améliore la qualité de vie
0
Groupe contrôle
(n = 36)
En cours
Antérieur
(n = 31) [médiane = 2 ans]
(n = 40)
Altération sévère de la cognition
Altération modérée de la cognition
Figure 2. Dysfonction cognitive et traitement adjuvant du cancer du sein.
(D’après 7).
Il est important de corriger l’anémie de nos patients, afin d’améliorer leur vie quotidienne, sociale, professionnelle... Pour cela,
plusieurs solutions s’offrent à nous : les transfusions globulaires,
la supplémentation en fer et l’érythropoïétine. On connaît depuis
plusieurs années les effets de l’érythropoïétine, qui n’est pas un
simple traitement de support, sur les indices d’activité, de performance et de qualité de vie des patients qui en bénéficient.
Depuis plus de dix ans, les patients insuffisants rénaux chroniques sont traités régulièrement par une érythropoïétine, mais
les effets bénéfiques ont également été décrits depuis quelques
années chez les patients atteints de cancer (8-10).
Malgré la disponibilité de ces produits, moins de 20% des patientes
anémiques sous chimiothérapie adjuvante reçoivent un quelconque traitement. Or, il n’est pas tolérable, d’un point de vue
médical, mais aussi social, qu’une patiente potentiellement guérie de son cancer du sein ne puisse récupérer des fonctions supé18
Érythropoïétine chez des patients
avec tumeurs malignes non myéloïdes en cours
de chimiothérapie
Changements en QDV (FACT-An)
10
8
p < 0,05
Placebo
EPO bêta
p < 0,05
7,6
6,7
6
4
3,8 4,0
2,7 2,5
4,4
3,6
2
0
4 sem.
8 sem.
12 sem.
16 sem.
Figure 4. EPO et qualité de vie. (D’après 12).
Impact du traitement précoce : données d’études
dans le cancer du sein en phase précoce
Dans le cadre du cancer du sein, la chimiothérapie adjuvante est
quasi systématique et relativement toxique, entraînant habituellement une fatigue et un retentissement sur les fonctions cognitives. C’est pourquoi la correction précoce du taux d’hémoglobine par administration d’érythropoïétine bêta peut être bénéfique
chez ces patientes en empêchant la survenue d’une anémie avéLa Lettre du Cancérologue - Volume XIII - no 1 - janvier-février 2004
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rée et de ses complications, et en maintenant un taux d’hémoglobine optimal au-dessus de 12 g/dl. Des études ont rapporté des
résultats concernant l’administration hebdomadaire d’EPO.
Une étude randomisée en double aveugle contre placebo a
observé les taux d’hémoglobine ainsi que la qualité de vie et les
fonctions cognitives chez 100 patientes traitées en adjuvant ou
en néoadjuvant par un protocole à base d’anthracyclines comportant ou non des taxanes et recevant à titre systématique une
EPO chaque semaine (13). Non seulement les taux d’hémoglobine étaient maintenus durablement dans le bras EPO, mais une
amélioration notable et significative des indices de qualité de vie
(activité, performance, fatigue) a aussi été observée dans le bras
EPO, plus que dans le bras placebo. De même, les fonctions
cognitives ont été améliorées de façon significative par rapport
au bras placebo selon l’échelle EXIT 25 (figure 5).
EPO
Fréquence relative (%)
110
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
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de 80 % des cas l’amélioration et le maintien d’une hémoglobine
au-dessus de 12 g/dl et sans atteindre pour autant des taux supérieurs
à 13 ou 14 g/dl. Les données, notamment l’impact sur la qualité de
vie d’une telle prise en charge, ne sont pas encore disponibles.
Ces données sont encore très préliminaires mais apparaissent
encourageantes.
Des études portant sur de grandes cohortes de patientes avec un
suivi spécifique seraient nécessaires afin de confirmer le délai
optimal pour la mise en route de l’EPO, ainsi que le schéma et
la dose du meilleur traitement à préconiser.
De même, une évaluation de l’impact de cette prise en charge
précoce sur l’efficacité des traitements spécifiques, sur la qualité
de vie et sur la survie globale paraît nécessaire.
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B I B L I O G R A P H I Q U E S
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EXIT25 amélioré
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EXIT25 aggravé
PBO
- 12- 11- 10- 9 - 8 - 7 - 6 - 5 - 4 - 3 - 2 - 1 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Modification de l'EXIT25
p < 0,03
Figure 5. Amélioration des fonctions cognitives sous EPO. (D’après 14).
À l’ASCO 2003, plus de vingt communications ont traité spécifiquement de l’anémie chez des patientes en cours de chimiothérapie adjuvante, témoignant ainsi de l’intérêt et d’une réelle
prise de conscience des oncologues pour cet aspect de la prise en
charge de leurs patientes.
En France, certaines équipes étudient l’opportunité de traiter ces
patientes de façon précoce, en administration hebdomadaire, mais
en utilisant des doses moindres d’EPO.
Il semble que l’administration de 20 000 UI d’EPO bêta dès la
chute du taux d’hémoglobine en dessous de 12 g/dl, ou si une
chute de 1,5 g/dl survient après le premier cycle, facilite dans plus
La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - no 1 - janvier-février 2004
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